Note :
Je ne cherche à insulter aucun religion en faisant cette fic . Je doute qu'il y ait beaucoup de mormons qui me lisent mais qu'il sache que je n'ai rien contre eux. La famille de Christian aurait pu être protestante ou catholique, mais j'ai voulu en profiter pour découvrir quelque peu une religion assez méconnue. D'ailleurs, la plupart de ses malheurs ne vient pas de la religion de sa famille, mais de la débilité de celle ci.
La plupart des personnages de cette fic fume mais ne suivez pas leur exemple.
1 : La mauvaise éducation
Mon histoire n'est pas de celle qui devrait être racontée. Parce qu'elle n'est que l'expression de ma propre impuissance, confronté à des autorités silencieuses face à leur propre ignominie, engluées dans leurs propres non-dits. Parce que c'est l'histoire d'exactions tout d'abord, puis d'un meurtre, ou plus exactement d'un génocide.
Cette histoire est l'histoire de ma vie. Elle a pourtant commencé sous de bons augures. Je suis né avec une cuillère en argent dans la bouche. Je n'aurais à me soucier de rien. Tout serait décidé pour moi, par mes parents et par les patriarches de la famille.
J'étais Christian Joseph Gordon Smith, fils et héritier d'une grande famille de Sang Pur et de mormons. Ma voie était toute tracée.
Depuis l'âge de trois ans, je savais la devise de la famille par cœur, qui est aussi celle du mormonisme, « Que chacun choisisse pour lui-même ». Je la répétais à loisir, sans en comprendre le sens. Un jour, ma nourrice me prit sur les genoux et me l'expliqua. Cela signifiait, disait-elle, que tout le monde devait choisir sa vie, et qu'on ne devait pas agir pour les autres.
J'appréciai cette devise et la trouvai juste. Je n'étais qu'un enfant qui ne savait que ce qu'on lui avait appris. Cependant, je savais aussi me servir de mes yeux et dès que je fus un peu plus âgé, je me mis à observer les adultes autour de moi avec plus d'attention et de recouper ça avec ce qu'on m'apprenait.
Un jour, on m'appris qu'étant un Sang Pur, je ne pourrai épouser qu'une femme de même rang. Ce soir-là, je demandai à ma nourrice si maman avait choisi d'épouser papa, car il y avait peu de chances que deux des rares Sang Pur restant soient amoureux. Ma nourrice me prit dans mes bras et me chuchota que je comprendrai quand je serai plus grand. Dans le couloir, alors que je m'étais levé sur la pointe des pieds, je l'entendis murmurer : « Pauvre gosse, il n'a pas choisi d'avoir une telle famille. »
Sur le moment, je ne compris pas ce qu'elle voulait dire. J'étais fier d'être un Smith ! Les Smith étaient la famille de sorciers les plus nobles de tous les Etats-Unis ! Puis je réalisai que par ma famille, elle ne voulait pas dire « lignée » mais « proches parents ».
Je réfléchis. Il y avait Père d'abord, mais je n'en gardais que la vision subreptice d'un homme au visage sévère, vêtu de noir, souvent parti évangéliser. Et il y avait aussi Mère, mais je ne l'avais pas plus vu que Père, pour la raison opposée, c'est à dire qu'elle ne sortait presque jamais. Et finalement il y avait Grande Sœur mais l'éducation des filles Smith étaient faites reclues, par leur mère.
Aujourd'hui, je me dis qu'en tant que fils héritier, je jouissais d'une liberté inouïe.
En fait, je n'avais pas de famille, mes parents et ma sœur n'étant que des ombres croisés au détour d'un couloir. Les précepteurs étaient sévères et donnaient des coups de règles sur les doigts. J'étais beaucoup plus proches des nourrices qui s'occupaient de moi. Malheureusement, ni elles ni les autres ne répondaient pas à mes questions. Et elles étaient nombreuses…
Pourquoi Mère et Sœur ne se promenaient pas dans le jardin d'été, alors que les mimosas fleurissaient ? Pourquoi Anna, la fille du jardinier qui étaient bien plus douée que moi en magie ne prenaient pas de cours ? Pourquoi les livres de la bibliothèque étaient tous les même ?
A l'âge de neuf ans, je compris que la plupart des gens savaient la réponse à ses questions et qu'elles m'étaient soigneusement cachés… Je pris alors l'habitude de me cacher à l'office et d'écouter les conversations du personnel.
En trois jours, j'en appris plus que dans 5 ans de scolarité. Les « petites gens » parlaient beaucoup, et ils semblaient tous savoir. J'appris qu'on m'appréciait et qu'on détestait mon père. J'appris de sa suivante que ma sœur pleurait tous les jours, mais qu'elle voyait rarement sa lumière. J'appris que le Patriarche avait une « maîtresse » (même si je n'avais aucune idée de ce qu'était la sexualité). Mais même si mon cerveau emmagasinait un nombre incroyables d'informations, je n'en comprenais pas la moitié. Jusqu'à ce que je le rencontre.
C'était un jour comme les autres, l'été de mes dix ans, où, caché dans le placard de l'office, j'épiais la venue de domestiques. Soudain, j'entendis un cri lointain :
« Angellll, reviens ici chenapan ! »
Puis des bruits de pas précipités et soudain on ouvrit la porte de mon placard et quelqu'un se jeta sur moi. Je n'eus pas le temps ne serait-ce que de voir le visage de la personne, et celle-ci ne s'attendait sûrement pas à trouver ce placard plein. Pas gênée toutefois, elle se serra contre moi et me posa un doigt sur les lèvres en murmurant « Chhhhh ! ». Tout ce que je pouvais supposer était que c'était un enfant comme moi, autrement il n'aurait pas pu tenir dans ce placard avec moi, même en me collant. C'était la première vraie étreinte que je connaissais à l'âge de dix ans, et pas la dernière.
De nouveaux pas résonnèrent dans l'office. Je reconnus la démarche pesant du cuisinier et sa voix rogue :
« Si j'attrape ce petit jocrisse, il prendra une correction mémorable. C'est sa première semaine et il essaie de me chiper ma viande ! Je vais le tancer et pas qu'un peu… »
Je sentis la peau du garçon frissonner contre la mienne à l'évocation du châtiment. Même si je n'avais pas été impliqué, je souhaiterais sincèrement qu'il ne se fasse pas prendre.
Par chance, il y avait un grand nombre de placard à l'office et cet homme belliqueux ne prit pas le temps de tous les ouvrir, préférant croire que le voleur avait poursuivi sa route.
Dès que ses pas se furent éloignés, il se sépara de moi, sortit du placard et me tendit la main pour m'aider à me relever.
Je le vis alors pour la première fois.
C'était un garçon un peu plus âgé, qui commençait à entrer dans l'adolescence. Il était très blond, ses cheveux mal coupés, étaient tantôt mi longs, tantôt plus courts. Ses yeux étaient aussi bleu qu'il était blond. Quant à son visage, je le décrirai comme « androgyne » même si à l'époque, je ne connaissais pas ce mot. En tout cas, pour quelqu'un habitué à voir toujours les même visages, il était très beau.
« 'lut, dit-il . Je m'appelle Angel Clare. Ma mère était fan de Tess d'Uberville. »
Il rit. Je ne compris pas, je ne connaissais pas le roman, je n'avais lu d'autres livres que les écritures religieuse.
« Tu es le fils Smith, c'est ça ? »
Sans me laisser le temps de répondre, il sortit une cigarette.
« Je les ai piqué au chef. Il me tuera quand il le saura. D'ailleurs, il m'aurait tué si il m'avait trouvé. Merci de n'avoir rien dit.
Ben tu dis rien ? Tu sais pas parler ? »
J'étais tout simplement fasciné. Je n'avais jamais rencontré quelqu'un comme Angel, et personne ne m'avait jamais ainsi parlé ainsi, comme d'égal à égal. Je parvins néanmoins à articuler :
« Tu as quel âge ? »
« Douze et toi ? »
Il en faisait deux de plus.
« Dix. »
Il sourit et me regarda dans les yeux :
« Si jeune et déjà bien mignon. »
Je devins pivoine. Personne ne m'avait jamais fait de compliment sur mon physique. A l'époque, je devais l'être, mignon. J'ai d'ailleurs gardé mes yeux noisettes même si mes cheveux ont perdus leurs boucles d'antan.
« Qui est tu ? »
« Je suis Angel Clare, et accessoirement un commis de cuisine. Mais est-ce que nous faisons nous défini ? »
« Alors, je ne peux pas te parler, à part pour te donner des ordres… »
Ca ne me serait pas venu à l'esprit que je puisse désobéir à un ordre direct de mes précepteurs mais ce n'était pas le cas d'Angel.
« Si jeune et déjà bien naïf. »
Les mois qui suivirent, Angel s'efforça de m'apprendre ce qu'il appelait « Les choses de la vie » comme enfreindre le règlement. Tout ce que j'avais pu entendre à l'office me parut prendre une sens nouveau. J'appris ainsi que ma sœur n'avait sûrement jamais demandé à être cloîtrée, que mes parents ne s'aimaient pas et ce que signifiait avoir une maîtresse. Angel m'apporta aussi des livres et la nuit, je me mis à dévorer des romans, qui délivreraient des idées impies si j'en crois mes pairs, comme Les liaisons dangereuses.
Mais Angel ne m'apprit pas uniquement ce que tout jeune homme devraient savoir. Il me fit connaître ma première véritable amitié, amitié qui ne fit que grandir au fil des années.
En fait, je crois qu'Angel est le premier homme que j'ai aimé.
A mes yeux enfantins, il était parfait : son savoir était universel, il était terriblement charismatique, expérimenté et je le louais mentalement de s'intéresser à moi. C'était sûr que face à lui, je ne tenais pas la comparaison ! Cette admiration enfantine se mua avec l'âge en amour et à quatorze ans, j'étais déjà transi d'amour pour lui.
Je ne m'en rendais pas compte bien évidemment mais comme il me connaissait désormais comme sa poche, il ne prit pas beaucoup de temps pour s'en apercevoir.
Un soir, alors que nous nous rencontrions sur le muret du verger, il m'annonça :
« Tu sais, Rinaldo fait la cour à Laura… »
Laura, c'est ma sœur. Celle que j'appelais Grande Sœur a désormais un nom et un visage. Quant Angel a réussi à lui parler de moi, elle a souhaité me rencontrer. Avant, elle ignorait ne serait-ce que mon existence.
J'ai demandé à Angel comment il a fait pour la voir si facilement alors qu'elle était enfermée et ne pouvait parler qu'à des femmes jusqu'à son mariage. Il m'a dit que sa sœur jumelle était morte en bas âge et que sa mère un peu folle avant tendance à le prendre tantôt pour elle, tantôt pour lui, qu'il devait faire semblant pour ne pas la blesser, que maintenant ça ne le gênait plus qu'on l'appelle Angela et que pour moi, il était prêt à faire la fille.
J'étais content pour Laura quand Angel m'a appris pour elle et Rinaldo mais j'avais aussi peur car Rinaldo fait partie de la communauté latino et que si on l'attrape ce sera bien pire pour lui et ma sœur que si on me voit avec Angel. Au pire, j'aurais pu prétendre que c'est un serviteur que j'ai pris à mon service alors qu'elle ne doit voir de garçons sous aucun prétexte.
« C'est très bien pour elle. A son âge, c'est normal d'avoir des amoureux. »
Laura avait deux ans de plus que moi.
Angel m'a alors soufflé :
« Tu sais moi aussi j'ai seize ans. »
Je tressaillis. Je le considérais bien sûr comme mon aîné mais je n'avais pensé à sa vie amoureuse. Il me parlait de beaucoup de choses mais il n'avait jamais mentionné une quelconque petite amie.
Il continua :
« En fait, je suis amoureux. »
Je manquai de tomber du muret. La surprise passée, je ressentis une grande vague de jalousie : je ne voulais pas qu'Angel ait une vie amoureuse, je voulais qu'il me consacre la plupart de son temps libre comme maintenant, je voulais qu'il soit… à moi.
Je réprimais presque aussitôt ce sentiment : après tout, je n'avais aucun droit sur lui, il était beaucoup plus âgé, doué… pour faire court, Angel valait bien mieux que moi. J'avais de la chance d'être son ami, je n'allais pas l'empêcher d'avoir une vie amoureuse.
Pendant ce temps, Angel sortit une cigarette. Il m'en tendit une mais j'étais trop tétanisé pour la prendre (j'avais commencé à fumer à 12 ans, la même marque que lui). Il l'alluma et souffla le fumée en petits ronds.
« Alors, tu ne dis rien, princesse ? »
Il écrasa sa cigarette et monta debout sur le muret. Je le regardai faire, toujours partagé entre la jalousie et la dévalorisation. Le vent jouait dans ses cheveux blonds.
Soudain, il trébucha (je ne saurais probablement jamais si c'était un accident ou si il a fait exprès) et me retomba dans les bras.
Il me serrait aussi fort que lors de notre première rencontre ; il dut le penser aussi car il l'évoqua :
« Tu te souviens lors de notre première rencontre ? »
Ses vêtements sentaient le parfum sucrés des Black Stones. J'étais au bord de l'évanouissement.
Si jeune et déjà bien mignon.
« Lâche moi tu vas faire des infidélités à ta future petite amie. Je suis sûr qu'elle va craquer pour toi. »
Angel rit :
« Je ne t'ai jamais dit que c'était une fille ! »
Si jeune et déjà bien naïf.
« Ohhhhh… Je… »
« Maintenant j'ai un autre moyen de te faire taire. »
Cette fois, ce ne fut pas son doigt qu'il posa contre mes lèvres. Et cette question qui devenait inutile : « Dis, tu m'aimes ? »
En écrivant ceci, je réalises que dans ce triste manoir de Salt Lake City, j'ai eu une chance incroyable de vivre une histoire d'amour heureuse.
Les années qui suivirent me parurent très douces. Ma vie était à son printemps. Mon avenir était bien loin, et jamais le présent ne m'avait semblé aussi agréable. Laura était ma confidente, Angel, mon amant, je ne demandais rien de plus.
Cependant tout bonheur peut-être facilement brisé.
Dans la vie, j'ignore qui m'a fait le plus de mal… Ainsi, je ne sais pas qui a raconté à mon père qu'il m'avait vu avec Angel. Un anonyme, une personne sans visage…
Quoiqu'il en soit, un jour de l'hiver de ma dix-huitième année, on me traîna jusqu'au bureau de mon père. Je l'avais peu vu mais j'ai honte de dire encore aujourd'hui qu'il me ressemblait.
Il m'a dit beaucoup de choses que je n'oublierais jamais. Comme par exemple qu'il n'accepterait pas que son fils soit un tapette (c'était ma première insulte homophobe mais pas la dernière). Que j'étais l'héritier d'une noble famille et que j'avais des responsabilités. Qu'il allait me faire payer chèrement ce que j'avais fait, comme si j'avais commis un crime.
J'ai eu très peur, mais pas pour moi. Même si il me frappait à tel point que je l'avais impression de me noyer dans mon propre sang, je savais qu'il ne me tuerait pas. J'avais peur pour Angel car aucune piété filiale ne retiendrait le bras d'un homme pareil.
Je suis resté seul, longtemps, dans le noir. Je tremblais, j'étais sourd et aveugle. Mais je finirais bien par sortir, je le savais.
Et c'est arrivé.
Le repentir chez les mormons comporte cinq étapes : reconnaître son tort, regretter, demander pardon, réparer, et ne plus recommencer. Je ne pouvais me repentir : quelle tort avais-je commis ? Comment regretter ce que j'avais vécu avec Angel ? A qui devais je demander pardon ? A mon père ? Et comment s'empêcher d'aimer ?
Je crois sincèrement qu'aucune religion n'est mauvaise. Elle prêche toute plus ou moins la paix et l'amour. Mais elles sont dangereuses car on peut s'en servir comme on veut, même pour justifier les pires des exactions, au nom de Dieu. Elles excitent la folie des hommes, les mènent à leurs extrêmes, soit à la plus grande sagesse, soit au plus terrible des fanatismes.
Mon père était l'un de ceux là.
Je m'attendais à ce qu'il me frappe devant mon refus de me repentir mais il a fait pire.
« Pourquoi souffres tu pour lui ? Il n'a pas eu tant d'égards pour toi… Quand je lui ai proposé de partir en rattrapage dans la plus grande école de sorcellerie d'Angleterre, il n'a pas fait le difficile ! Il t'a abandonné sans le moindre remords. Es-tu même sûre qu'il t'a aimé ? »
Je ravalais mes larmes amères ; je ne devais pas pleurer devant un tel homme.
Ainsi, Angel m'avait abandonné… Je ne ressentis même pas de la rancœur pour lui… Il avait toujours été le plus doué ; il méritait un bel avenir. Pourtant…
« Il m'aimait ! J'étais sûr qu'il m'aimait ! »
C'était un cri du cœur mais devant quelqu'un mon père, ça sert à rien.
Alors j'ai blasphémé, je me suis repenti, niant au plus profond de mon cœur tout ce que je disais. Dès qu'il me crut, brisé, fini, sous ses ordres, je m'échappai par le mur du même verger où Angel m'avait avoué qu'il m'aimait.
Vous vous demanderez peut-être si j'ai eu honte d'avoir fait un faux repentir… Non car je venais de réaliser que tout ce que j'avais pensé depuis mon plus jeune âge n'était qu'un monceaux de stupidité claniques débités par des Sang Purs orgueilleux et hypocrites.
La devise même de ma famille racontait un mensonge. Que chacun choisisse pour lui-même, quelles niaiseries ! Est-ce que ma sœur avait choisi d'être cloîtrée ? Et ma mère d'épouser un monstre froid ? Ne venait-il pas de décider pour moi ?
Angel avait commencé à m'ouvrir les yeux, et mon père venait d'achever cet office.
J'avais dix-huit quand j'ai perdu le foi.
Et alors que je m'enfuyais loin de tout ce que j'avais jamais connu, le petit garçon que j'étais resté commençait enfin à grandir…
