Elle se demande si elle ne ferait pas mieux de le jeter. Elle a eu beau essayer de faire disparaitre les tâches, et y être parvenue pour la plupart, son kimono violet porte encore les traces des combats. Les déchirures ont été réparées avec suffisamment d'adresse pour que seul un examinateur particulièrement attentif puisse les voir, mais ces taches sombres paraissent comme indélébiles. Elle ne sait honnêtement plus quoi faire. Mais le jeter… ? Non, ce kimono lui vient de sa mère. C'est l'un des rares souvenirs qui lui restent et elle se sent incapable de s'en séparer. Même si aujourd'hui le kimono en question se rattache à des souvenirs forts déplaisant. Non, elle ne peut définitivement pas s'en séparer.

Shizuru l'étale sur le tatami et le replie soigneusement avant de le ranger dans le carton voisin, enrubanné de papier de soie. Les rares autres souvenirs de sa mère s'y trouvent déjà. Elle referme le carton avec précaution et soupire.

La maison où elle avait emmené Natsuki lors du Carnaval venait de son père. Elle y passait peu de temps, la maison lui rappelant trop souvent des moments de famille depuis longtemps révolus. Le problème était cependant le même que pour le kimono. Il était dur d'y vivre mais encore plus de s'en séparer. Elle ne s'était jamais résolue à la vendre.

Avec la fin du lycée –et du logement qu'elle y avait- elle se sentait toutefois contrainte de retourner y vivre. Elle ne voulait pas débourser le petit héritage familial pour un toit alors qu'elle en avait un de disponible. Elle allait devoir faire fi de ces réticences.

Elle profitait donc de ces weekends pour tranquillement y déplacer ses affaires. Sans véhicule ni aide, elle préférait s'y prendre à l'avance. Le carton qui l'occupait présentement l'avait suivi à Fuuka lorsqu'elle avait été inscrite au collège et il était le premier à réintégrer son logement.

Elle se releva lentement, ses chaussettes bruissant à peine sur les tatamis. Elle traversa la demeure jusqu'à une petite pièce destinée au rangement. Elle se dressa sur la pointe des pieds pour parvenir à y glisser la boite sur l'étagère supérieure.

En ressortant de la pièce, elle décida de faire glisser les innombrables portes en papier de riz pour ouvrir en grand la pièce principale. Une lumière chaude et une brise fraiche à l'odeur printanière y pénétra aussitôt et Shizuru se sentit un peu mieux.

Elle s'assit tranquillement, inspirant profondément tout en réfléchissant par où elle devait commencer son ménage. Elle songea aussi qu'elle devrait acheter un véhicule. Certes, la demeure était accessible à pied de Gakuen Fuuka ou de son Université à la rentrée mais elle se voyait mal mettre une heure de marche pour accéder à… un peu près tout en fait. Elle n'avait pas éprouvé le besoin d'un véhicule lorsqu'elle n'y allait qu'une poignée de fois par an, mais si elle comptait à présent y vivre cela devenait une nécessité. Comment ferait-elle pour les courses autrement ? Elle pouvait être forte mais l'idée de mettre une heure à se trimballer les sacs lui déplaisait.

Non, un petit véhicule serait une bonne acquisition. Elle n'y connaissait absolument rien, mais elle songeait que Reito serait plus que capable de la conseiller. Son hypothèse se portait sur le fait que Reito était un homme et que, pour la plupart des membres de la gente masculine, les véhicules motorisés étaient une passion. Elle savait que cette hypothèse n'était certainement pas une généralité, mais l'autre option était de demander à Natsuki et… Shizuru tenta de ne pas y penser.

Même si Natsuki lui avait dit qu'elle était pardonnée et qu'elle acceptait ses sentiments –sans les lui retourner- Shizuru se sentait suffisamment coupable et honteuse d'en avoir à son encontre. Elle était une personne plutôt privée comme l'était Natsuki elle-même, ou Reito. Voir ses sentiments ainsi exposés, ainsi raillés… rejetés lui était insupportable.

Toutefois, malgré tout ce qui avait pu se produire, cela restait la peur de la présence de Natsuki ici-même qui continuait de la hanter. Ici, dans la maison où elle l'avait embrassé dans son sommeil, la maison où Haruka et Yukino avaient dévoilés au grand jour ses sentiments… la maison où elle avait été rejetée.

Elle ne savait pas comment passer au-dessus de cela. Elle ne savait pas… elle n'arrivait pas à se comporter normalement avec qui que ce soit depuis, probablement parce que Natsuki était gênée quand elle agissait comme à son habitude.

Natsuki voyait clairement ses sentiments à présent. Et malgré les avoir prétendument acceptés, elle réagissait avec malaise.

Elle avait vraiment tout foutu en l'air.

Armée de son balai, elle entreprit finalement son ménage.

.


« Elle ne répond pas. »

Mai, qui préparait le déjeuner, jeta un coup d'œil interrogatif vers Natsuki. Etalée sur son ventre, les jambes battant l'air, elle jetait des coups d'œil furieux à son téléphone.

« Qui ?

-D'après toi, grommela-t-elle en trifouillant le mobile.

-Si c'est Nao, elle est probablement en train de terroriser des collégiens.

-Sérieusement Mai ? Nao ? Je parle de Shizuru pour l'amour de Dieu !

-Oh. »

Mai reporta son attention sur le déjeuner, cherchant quoi dire. Natsuki parlait rarement de Shizuru. Elles étaient encore amies de ce qu'elle avait compris, mais… c'était une amitié toute différente de celle qu'elle entretenait elle-même avec Natsuki. Elles ne trainaient pas vraiment ensemble, ne déjeunaient ni ne dinaient, ne se parlaient pas au téléphone. Bref… elles ne semblaient pas se connaitre. Elle n'ignorait pas que Shizuru fut son être le plus cher à la fin du Carnaval. Shizuru avait été sa première amie et c'était elle qui avait donné de son temps et de son énergie à former une amitié avec une Natsuki réfractaire. Elle l'avait aidé dans ses recherches pour le Firts District, lui avait parfois préparé des bento qu'elles avaient mangé dans la salle du conseil étudiant, mais tristement si Shizuru lui avait pris ce qu'était l'amitié et l'avait ouvert à d'autres –comme Mai ou Mikoto- leur amitié n'était finalement jamais sortie de cette salle.

Mai se demandait ce qu'il en adviendrait à présent que Shizuru s'en allait pour l'Université. Tristement… Natsuki allait peut-être devoir se rendre à l'évidence : Shizuru ne resterait pas amie avec elle à ce moment-là. Après tout, c'était autre chose que Shizuru désirait. Mai comprenait que ce fut difficile pour cette dernière de rester auprès d'une personne aimée qui ne rendait pas ses sentiments. C'était peut-être le meilleur choix à faire, mais elle voyait mal le dire à Natsuki.

« Oh ? C'est tout ? Rien à dire d'autre ?

-Je ne vois pas quoi dire, se justifia-t-elle d'une voix calme. Elle est peut-être occupée. Je doute qu'elle passe ses weekends à ne rien faire. »

Natsuki parut réfléchir à sa réponse, comme si cela méritait véritablement une réflexion…

« Habituellement, elle répond toujours. »

Mai s'arrêta dans sa préparation, intriguée à présent de ce qui semblait apparaitre comme une évidence pour Natsuki. Cela laissait sous-entendre qu'une absence de réponse de Shizuru était un acte délibéré.

« Vous vous parliez souvent au téléphone ?

-Pas spécialement, se plaignit Natsuki en jouant distraitement avec ses cheveux. Mais… elle me répondait toujours avant.

-Tu l'appelais pour quoi ? Des sorties shoppings ? »

Sous le ton de la taquinerie, il y avait une vraie curiosité. Mai était sûre qu'elles n'avaient jamais trainé ensemble, mais peut-être se trompait-elle. Elle en doutait cependant. Elle en avait déjà parlé avec Chie et Aoi qui étaient déjà suffisamment surprises que Natsuki et Shizuru se parlent tout court.

« Pour… euh… juste parler je suppose. »

Mai sourit. Natsuki semblait soudain gênée comme si son besoin d'avoir une amie à qui parler était honteux.

« Tu sais que son dortoir n'est pas loin ? Tu pourrais aller lui parler directement. »

Un moment de silence.

« J'ai déjà essayé, elle n'y était pas.

-Elle est peut-être allée faire des courses.

-Non, elle fait ça le vendredi soir. »

Natsuki connaissait donc les routines de Shizuru.

« Peut-être est-elle sortie avec Reito, proposa Mai songeant que la vie de Shizuru ne tournait pas exclusivement autour de Natsuki.

-Que veux-tu dire ? s'exclama-t-elle sur la défensive en se redressant.

-Qu'ils s'entendent bien et qu'ils pourraient simplement être sortis pour passer le temps. Shizuru a certainement d'autres amis que toi. »

Natsuki se renfrogna. Mai entendait déjà sa réfutation : cela n'avait jamais empêché Shizuru de répondre.

« Si tu es si inquiète, tu peux demander à Reito s'il sait où elle est. Mon téléphone est sur la table si tu veux son numéro.

-Je ne suis pas inquiète, se défendit-elle. »

Mai l'entendit cependant se lever pour s'emparer de son mobile et récupérer le numéro de téléphone.

« Je sors un moment, l'entendit-elle. »

Mai soupira. Elle ne savait pas ce que Natsuki voulait de Shizuru, Natsuki elle-même l'ignorait probablement. Plus d'une fois, Mai avait noté ses réactions particulières lorsqu'il était question de Shizuru. Aujourd'hui ce qui gênait Natsuki semblait être l'idée que Shizuru puisse être sortie avec d'autres amis, ne pas faire de Natsuki sa première priorité.

Natsuki allait devoir faire un point sur ce qu'elle attendait de Shizuru et ce qu'elle était prête à lui offrir en retour car tant que la situation ne changeait pas, cela était destiné à mal finir.