Les familles Keller & Bennet sont mon invention
Les personnages d'Assassin's Creed appartiennent à Ubisoft.
Londres, 11 décembre 1888
Une pluie glaciale, coupante comme un coin de taule, s'abattait sur la capitale depuis plusieurs heures. À l'Ouest, le ciel était obscurci par de lourds nuages noirs. Habituée au mauvais temps, Helen Keller se tenait droite, abritée sous un parapluie noir. Elle tenait dans sa main gauche une rose dont elle faisait rouler la tige entre son pouce et son index, le regard fixe, perdu dans d'obscures pensées.
Ses boucles rousses soigneusement coiffées dans un chignon souple, elle portait ce masque de sévérité qui la caractérisait depuis maintenant plusieurs années. Ce même masque qu'elle affichait chaque fois qu'elle sortait de chez elle.
Une main d'homme se déposa sur son épaule frêle, la faisant sursauter.
« Ça va aller ? »
Arthur Bennet. L'espace d'une demi-seconde, une once de déception apparue sous les cils de la jeune femme, qui balaya aussitôt le tout d'un large sourire.
« Qu'est-ce que tu racontes ? Ce n'est pas moi qui me retrouve enfermée dans cette boîte. » Répondit Helen avec indifférence.
« Où est Jacob ? »
Le sourire d'Helen disparu.
« Pas la moindre idée. »
Comprenant qu'il venait d'effleurer un sujet sensible, Arthur se contenta de resserrer machinalement son nœud de cravate avant de regarder le cercueil être mis en terre.
Helen trouvait la pierre tombale trop neuve. Ça ne lui allait pas. Il aurait fallu que sa tombe fût déjà mousseuse et lichéneuse, une tombe à l'ancienne, une tombe polie à la main comme un manche d'outil. La sienne était brillante, neuve, en marbre de mauvaise qualité.
Elle se demanda alors sous quel type de pierre elle serait allongée. Dans quel bois allait-elle se décomposer quand son heure sera venue ? Et combien de larmes ses enfants allaient-ils verser ?
Un jour viendrait ou ils seraient tous morts. Tous. Et d'ici là, l'histoire se souviendra de Jacob Frye comme d'un héros dont les exploits traverseraient le temps au travers de centaines de livres.
Elle déglutie.
Mais qui se souviendrait de Maggie Dalrymple ?
Qui se penchera sur l'histoire d'une femme qui aura travaillé dur toute sa vie pour permettre aux enfants de familles démunies de recevoir trois repas par jour ainsi qu'un minimum d'éducation ? Qui se soucierait d'honorer sa mémoire au siècle prochain ? Allait-on se contenter de clouer une petite plaque nominative en laiton sur les murs de l'ancien Hanbury Nest?
Cette simple pensée ne manqua pas de provoquer un tourbillon d'amertume dans le vendre d'Helen. Toujours accrochée à son parapluie, elle se força à sourire quand Arthur effleura sa joue, et il lui répondit par un regard encourageant. Il pressa sa longue main sur sa nuque pour l'attirer vers lui. Se penchant sur elle, il effleura des lèvres son front parsemé de quelques taches de rousseur.
Maggie Dalrymple était bien trop occupée à être elle-même pour réaliser à quel point elle était exceptionnelle. Voilà tout.
Et quelque part, Helen lui en voulait terriblement de ne jamais avoir pris le temps de penser à elle.
/
Sur le chemin qui la séparait de chez elle, Helen s'offrit le luxe de verser une larme qu'elle essuya aussitôt du revers de la main. Elle secoua la tête et fronça les sourcils, maudissant intérieurement sa faiblesse.
Elle appréhenda de retrouver sa maison vide et sa crainte de la solitude fit naître une sensation de malaise devenue familière. Paradoxalement, cette maison était aussi son refuge. Chacune de ses sorties revenait à plonger la tête sous l'eau et à retenir sa respiration jusqu'au retour.
Helen n'était pas bien vue par le voisinage. Non point qu'elle portât un réel intérêt aux rumeurs que ces dames alimentaient à son sujet. Mais elle n'avait plus cette confiance redoutable en l'avenir et en sa jeunesse pour lui permettre de prendre du recul. Piquée au vif par n'importe quelle plaisanterie à son égard, elle n'avait comme seule arme désormais qu'un sourire de parfaite petite ménagère.
Car elle n'avait rien accomplie de ses désirs. Elle n'avait rien fait qui puisse rassurer son amour propre. Elle avait donné la vie. Elle avait élevé les enfants de Jacob Frye. Elle avait vécu dans son ombre presque 20 années, et ne récoltait en retour que mépris et ignorance de la part de celui-ci. Elle avait accumulé tant de haine à son égard qu'elle esquivait tant bien que mal leurs rencontres.
Oh bien sûr, il possédait tout dans cette union. La maison. Les meubles. Les enfants lui étaient dévoués corps et âmes puisqu'elle avait également hérité du rôle de la méchante. Le rôle du parent autoritaire, exténué par les nuits blanches et les cris. Papa était amusant tandis que maman râlait tout le temps.
Il avait tout.
S'il le voulait, il n'avait qu'à claquer des doigts et elle serait contrainte de partir.
Mais elle ne possédait rien d'autre qu'une garde-robe si remplie que cela frôlait presque le ridicule. Il lui faudrait plusieurs vies pour avoir le temps de tout porter.
Quoi que même cela lui appartenait, à lui.
Jacob Frye avait offert à Helen une vie confortable. Elle vivait dans une grande maison sur Whitechapel Road, dans un quartier de Londres revendiqué par les assassins et où – à l'évidence – les jumeaux Frye étaient perçus comme de véritables héros des temps modernes. Elle n'avait manqué de rien et leurs trois enfants bénéficiaient d'une excellente éducation. Le garde-manger était toujours plein à craquer, Margrett s'occupait des repas ainsi que des lessives et du ménage.
Helen Keller passait des heures à discuter avec Margrett. Puisqu'elle s'ennuyait souvent à mourir entre ces murs, elle partageait ses pensées avec la bonne sans jamais entrer dans les détails, mais suffisamment néanmoins pour les amuser toutes les deux.
« Madame ? »
Helen, arrachée à ses pensées, ouvrit les yeux. « Margrett ? »
« Monsieur est rentré. Faut-il que je prépare la table pour deux ? »
Nerveuse, elle se contenta de secouer négativement la tête avant de retrouver son reflet dans le miroir de sa coiffeuse. « Laissez-nous Margrett, vous en avez assez fait pour aujourd'hui. Il se fait tard, vous devriez déjà être avec votre famille. »
« Oh ça n'fait rien vous savez, ils sont occupés eux aussi. »
« J'imagine… Oui. » Répondit mécaniquement Helen en un murmure.
Elle retira une par une les attaches de son chignon avec une lenteur délibérée, repoussant au plus loin les inévitables retrouvailles. Margrett lui offrit une petite courbette avant de tourner des talons. Elle l'entendit descendre les marches et échanger quelques banalités avec Jacob, mais n'y prêta pas la moindre attention. Ses boucles rousses dégringolaient au fur et à mesure des pinces qui s'empilaient sur la table. Quand elle eut terminé, elle affronta son image avec sévérité.
Elle n'avait plus rien de la gamine farouche et indépendante qu'elle était. Son visage avait perdu ce côté innocent qui l'avait tiré de sales draps à plusieurs reprises. Ses traits semblaient avoir été taillés à la serpe, quand son regard aurait pu fusiller une armée entière.
Helen Keller ne rayonnait plus. Elle dépérissait entre ces murs, comme un papillon dans un bocal.
« Helen. »
Cette voix rauque, ce ton coupable. Elle ne le supportait plus.
« Ne me touche pas. » Siffla la jeune femme mâchoire serrée.
Elle fit volte-face et se trouva nez à nez avec son époux, l'homme le plus acclamé à Londres... Qu'elle rêvait d'étriper à l'instant même. Elle lui offrit néanmoins un petit sourire goguenard, faisant l'impasse sur une quelconque remarque au sujet de sa longue absence.
« Que me vaut cet honneur ? »
« De quoi tu parles ? »
Helen s'avança jusqu'à presque le frôler. Elle soutint son regard avec la détermination d'un chat sur le point de sauter sur sa proie, puis laissa couler un petit rire. « Besoin de bobonne pour laver tes culottes ? »
Jacob leva les yeux, visiblement sur le point de perdre patience.
« Tu n'as pas l'air tellement disposée à discuter. »
« Sans blague ? »
« HELEN. »
« Quoi !? » S'emporta la rouquine, laissant tomber pour de bon son masque grossier. Elle détestait l'admettre, mais elle était incapable de garder le contrôle plus de quelques minutes face à cet homme.
Il la regarda comme il aurait regardé une femme se frapper la tête avec une casserole avant de cligner plusieurs fois des yeux et de se recentrer sur le plus pressant.
« Ecoute, l'air de rien… C'est important. »
Lui et cette insupportable manie de l'infantiliser à la première occasion. Pourquoi devait-il toujours s'exprimer comme s'il parlait à une enfant de quatre ans ? Helen se mordit la joue pour ne pas l'interrompre à la première occasion. D'un geste de la main, elle l'incita à aller droit au but.
« Jack a encore frappé. »
La tempête qui faisait rage dans le ventre d'Helen fut balayée à l'évocation de ce seul nom. Jack. Sans même s'en rendre compte, elle déglutit et son visage changea de couleur. « …Qui ? » Demanda-t-elle alors d'une petite voix étranglée.
« Peu importe qui, ça s'est passé dans la nuit d'hier à aujourd'hui… à l'angle de Cavell Street et Raven Row. Soit… »
« Soit à deux pas d'ici… » Compléta Helen, pensive.
« Exactement. Tu n'es plus en sécurité ici. »
La jeune femme demeura silencieuse quelques instants. Elle porta son index jusqu'à ses lèvres encore maquillées puis saisit le regard de Jacob avec le sien, esquissant un sourire étrange. L'assassin arqua un sourcil perplexe, mais ne saisit pas tout de suite où elle voulait en venir. Plus elle sombrait dans ce rôle de femme au foyer désespérée, et plus il la trouvait sinistre.
« Quand avons-nous fait l'amour pour la dernière fois ? Tu te souviens ? »
Jacob grimaça d'impatience. « Seigneur Helen, tu te focalises vraiment sur des futilités. »
Des futilités ? Helen élargit son sourire encore d'avantage. Elle attrapa son poignet avant qu'il ne quitte la pièce et le serra suffisamment fort pour récupérer son attention.
« Au temps pour moi, tes futilités à toi sont si récentes que je peux en humer le parfum d'ici. »
« Helen. »
« Dis-moi seulement si c'est un homme ou une femme. Je veux savoir si tu prends le risque de fonder une famille ailleurs. »
Elle se serra contre lui et le plaqua contre le mur juste à côté de la porte, emprisonnant de son autre main un morceau du col de sa chemise.
« Je n'ai pas l'intention de fonder une autre famille. La seule personne dont tu devrais te préoccuper désormais, c'est de toi-même Helen. »
« Qu'est-ce qu'elle a de plus que moi Jacob ? Est-ce qu'elle est plus jeune ? Plus belle aussi ? C'est facile d'être parfaite quand on n'a pas eu à porter quatre enfants. TES enfants Jacob. »
L'assassin la repoussa avec tant de hâte qu'il en oublia de maîtriser sa force. Il la vit rebondir douloureusement contre le meuble de sa coiffeuse, puis entendit le tintement de morceaux de verres qui s'entrechoquent. Sur le moment, il sentit son cœur se glacer dans sa poitrine, mais un sentiment de colère bien plus vorace qu'il ne l'aurait imaginé lui interdit d'éprouver du remord. Au contraire, elle n'avait que ce qu'elle méritait. Elle et ses crises effroyables.
« Ça suffit Helen, tu perds la tête. On dirait une folle. »
Le dos encore appuyé sur le plateau de ce qui fût un splendide miroir, la rouquine souffla sur ses boucles avant de les rabattre nonchalamment en arrière.
« Hystérique. On dit Hys-té-rique quand on veut passer pour quelqu'un d'éduqué. Vas t'faire foutre Jacob, dégages de cette maison ! Pourquoi devrais-je supporter de dormir à tes côtés sachant que tu en aimes une autre ?! »
Elle se redressa et l'œil avisé de son époux ne manqua pas de remarquer le liquide carmin qui perlait de petites coupures sur ses mains fines.
« À quoi tu penses quand c'est mon visage que tu vois au réveil ? » Le ton avait changé. Ce n'était plus un reproche qui suintait de ses mots… Mais un réel besoin de vérité. À moins qu'elle ne cherchât à se flageller d'avantage... « Est-ce que je te dégoute ? Est-ce que tu regrettes ? Dis-moi Jacob, as-tu, comme moi, l'impression d'avoir jeté tes plus belles années dans le fleuve pour quelqu'un qui ne mérite pas tous les sacrifices que tu as fait à son égard ? Est-ce que toi aussi tu as parfois envie de m'étrangler ? Est-ce que ça t'arrive de pleurer pendant des heures sans trouver de raison ? Et est-ce que tu as ce gouffre géant dans le ventre ? Ce trou que rien ne peut remplir. Ni la haine, ni la nourriture. Rien. »
L'assassin demeura immobile dans l'encadrement de la porte, incapable de desceller les lèvres. Leurs regards se percutèrent une ultime fois, et de grosses larmes chaudes se mirent à dévaler les joues d'Helen, dessinant de petits sillons sur leur passage.
Comment en étaient-ils arrivés là ? À quel moment leur idylle s'était-elle transformée en cette immonde soupe ?
Helen se laissa tomber sur les genoux, faisant gonfler ses jupons tout autour d'elle. Le visage caché par sa chevelure sauvage , elle gémit longuement avant de soupirer.
« Je te déteste tellement, Jacob Frye. »
Me revoilà !
A tous ceux et celles qui attendaient le retour d'Helen & Jacob, me voilà. \o/
Pour le coup, puisque ma boîte est lancée et que je n'ai pas encore terminé la trame de cette nouvelle histoire, les prochains chapitres arriveront quand ils arriveront... Mais ils arriveront 3
Enjoy? :3
