Titre : Au-delà du sang

Auteur : Saturne

Coach : Jackallh – et là si vous vous demandez ce qu'est exactement un coach, il s'agit d'un être d'une patience infinie qui lit et valide chacune de mes phrases, me motive quand j'ai la flemme, me relance quand j'ai plus d'inspiration et on trouve des idées géniales en discutant ensemble. Donc standing ovation pour Jackallh !

Disclaimer : Les personnages et l'univers de Supernatural ne m'appartiennent malheureusement pas, sinon cette fanfic serait actuellement diffusée sur écran !

Couple : Destiel à venir. Pour ceux qui me connaissent déjà, vous savez que la romance n'est pas le fil conducteur ni la finalité de mes écrits, mais que je suis incapable d'écrire sur Dean et Castiel sans les mettre ensemble tôt ou tard.

Résumé : Entre Sam qui se meurt et un Castiel humain qui ploie sous les remords, Dean endosse de son mieux la responsabilité d'une guerre qui ravage aussi bien la Terre que le Paradis et l'Enfer. Avec un peu d'aide tout de même... [suit directement le final de la saison 8]

Remarques : Cette fanfiction est née de la frustration et de la déception que la saison 9 a provoqué en mon coach et moi. Après un épisode particulièrement révoltant, nous en avons discuté en détaillant ce que les scénaristes auraient dû faire pour que cette saison soit bonne. Après quelques heures de discussion, on avait un scénario de saison qui tenait la route, alors j'ai décidé de l'écrire.

J'écris pour me défouler et m'amuser, et pour perfectionner ma technique de l'autruche : la saison 9 n'existe plus à mes yeux, et j'écris ce que j'aurais aimé voir. Venez donc mettre profondément la tête dans le sable avec moi !

Je vous conseille de lire cette fanfic plutôt sur AO3, vu que j'y ai intégré quelques illustrations... :p

Spoilers : L'histoire suit directement la fin de la saison 8, et reprend quelques petits éléments des deux premiers épisodes de la saison 9. Mais vous n'avez pas besoin d'avoir vu la saison 9 pour lire cette fic.

- Merci beaucoup à Stonewhiteclown qui a répondu à mes questions d'ordre médical pour ce chapitre ! -

Bonne lecture !

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Chapitre 1 : Wind of Change

(Scorpions)

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« The angels... They're falling. »

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Des crissements de pneu dans la nuit. Noire et majestueuse, l'Impala surgit au tournant et dérape bruyamment, les roues traçant un large arc de cercle sur le bitume humide jusqu'à ce qu'elle s'arrête net devant l'hôpital. Un grincement de porte, et sur la carrosserie parsemée de gouttelettes d'eau se reflète la silhouette d'un homme au front couvert de sueur.

« On y est, Sammy... Tiens le coup, encore un peu... Tout va aller mieux, je te le promets...

Il ouvre la porte arrière et se penche pour attirer à lui le corps fiévreux de son frère. Le cuir des sièges est maculé de sang noir et grumeleux que Sam a vomi plus tôt.

Dean Winchester, en temps normal, étriperait quiconque oserait souiller son bijou. Sauf Sammy. Sammy était, est, et sera toujours l'exception.

Et Sammy va mal, très mal.

Il le charge dans ses bras et la tête de son petit frère dodeline et se blottit au creux de son épaule. Son front moite qui se presse contre son cou est brûlant, et à cet instant, malgré ce corps démesuré et pesant qui encombre ses bras, Dean a la saisissante impression d'être projeté bien des années plus tôt – portant son frère encore bébé hors de la maison en proie aux flammes.

- Dean... articule Sam en grimaçant de douleur.

Ses yeux se révulsent alors qu'il tousse et crache du sang par spasmes douloureux, tachant la chemise de Dean qui s'avance avec précaution vers le bâtiment, comme si son frère était un objet fragile pouvant se briser au moindre heurt.

Des infirmiers l'ont repéré et surgissent de l'hôpital avec un brancard. Dean rajuste contre lui son frère dont la respiration difficile est entrecoupée de paroles sans signification, et va à leur rencontre, les yeux brillants de larmes. Il les aide à allonger son géant de frère qui fixe le vide d'un regard vitreux, aussi livide qu'un mort. Ses longs cheveux sont trempés de sueur, et Dean chasse une mèche collée à son front comme le ferait une mère.

- Pouvez-vous me dire ce qu'il s'est passé, monsieur ? demande un jeune infirmier tandis qu'ils se dirigent vers l'hôpital.

Tout en suivant le cortège qui passe les portes de l'hôpital, Dean garde toute son attention sur Sam qui se courbe en deux en geignant de douleur.

- Il, euh... mon frère s'est écroulé et s'est mis à vomir du sang, et...

- Quand est-ce arrivé ?

- Il y a moins d'une heure, mais il allait déjà mal depuis quelques semaines.

- Y a-t-il des antécédents de cancer, de problèmes cardiaques ou d'AVC dans votre famille ? A-t-il usé de stupéfiants ou d'alcool à l'excès ?

- Quoi ? Non ! Écoutez.. sauvez-le, ok ? Sauvez-le ! Vous pouvez faire ça ?

Ils surgissent dans le hall de l'hôpital et l'infirmier se place devant Dean pour l'empêcher de suivre.

- Nous allons faire tout notre possible. En attendant, vous ne pouvez pas laisser votre véhicule dans le passage. Garez-le dans le parking, et ensuite nous pourrons régler les détails administratifs pendant qu'on s'occupe de votre frère.

Malade d'angoisse, Dean ne lui répond pas et suit des yeux la silhouette recroquevillée de son frère jusqu'à ce qu'elle disparaisse derrière les portes. Le visage du jeune infirmier se radoucit et il lui tapote l'épaule d'un air compatissant avant de se diriger vers un vieillard qui se scandalise d'attendre depuis déjà quatre heures et menace de s'en prendre au personnel. Tous les sièges sont occupés, et le hall est bondé de gens qui font les cent pas ou se sont assis par terre. Nul ne fait attention à Dean, tous les regards sont tournés vers le vieil homme qui hurle et menace d'attaquer l'hôpital en procès, bien vite imité par d'autres patients excédés.

Les épaules basses, Dean fait lentement demi-tour sans entendre la dispute qui se généralise derrière lui. Le silence et l'air frais de l'extérieur lui font l'effet d'une claque. Il se reprend et se dirige à grands pas vers son Impala. Il tape un coup sur le coffre et siffle entre ses dents serrées :

- Écoute moi bien, espèce de fils de pute. Reste bien sage là-dedans. Fais le moindre bruit et je te ferai regretter d'exister, compris ?

Silence.

- Frappe un coup si tu comprends, deux coups si t'es mort. »

Un bruit sourd lui parvient en réponse, indiquant que Crowley est bel et bien en vie. Avec un hochement de tête satisfait, Dean se glisse dans la voiture face au volant et met le contact. Le moteur émet son ronronnement familier. Dean crispe ses mains sur le volant et démarre pour rouler vers le parking.

Castiel a affirmé que les blessures de Sam ne peuvent être guéries avec son mojo angélique. Dean ne peut que mettre toute sa confiance dans les humains, cette fois. Parce que si ça ne marche pas... Il ne saura plus quoi faire.

Non. Ça va marcher. Il faut que ça marche.

Sam ne peut pas mourir. Pas sous sa garde, jamais. C'est son boulot de le protéger. Il l'a fait toute sa vie, il ne va pas arrêter maintenant.

oOo

Une sensation humide et froide s'étend sur toute la longueur de son dos et de ses jambes. Castiel remue faiblement ses doigts qui froissent une feuille morte au creux de sa paume, et ouvre les yeux. La voûte céleste, à demi voilée par de sombres feuillages qui bruissent au vent, se déploie en une myriade d'étoiles. De l'air glacé s'engouffre dans ses poumons, et il écarquille les yeux en frissonnant.

Cette sensation... est-ce donc cela, avoir froid ?

Il redresse le buste et ressent avec précision le sol gorgé d'eau de pluie imprégner ses vêtements et le froid coller à sa peau. Ce n'est qu'une fois sur pied, avec ce malaise et cette impression de dépendre du fonctionnement correct de ses organes, qu'il mesure les conséquences de son erreur de jugement.

Metatron.

Il lève les yeux vers le ciel qui lui paraît trouble à travers ses yeux embués. Tout est calme. Peut-être que le sort n'a pas fonctionné ? Peut-être que sa Grâce n'était pas suffisante ?

Cet espoir est vain, Castiel en est conscient, et il a déjà payé bien trop cher pour sa confiance mal placée. Mais il se doit d'espérer. Car il ne supportera pas ce poids de plus sur sa conscience. Il a déjà infligé trop de souffrances. Il voulait tout arranger, réparer et racheter ses crimes, et non pas accabler sa famille d'un malheur supplémentaire.

Il se met en marche sans quitter des yeux le ciel épuré. Ses pieds s'enfoncent dans la terre meuble et la couche épaisse de feuilles détrempées, pas à pas. Il n'y a rien. Le ciel est paisible.

Le poids familier de ses ailes dans son dos a disparu. Il se sent léger. Vide. Et pourtant, jamais l'attraction terrestre n'a eu une telle emprise sur lui auparavant. Il ne peut plus voler. Il est cloué au sol. Il n'est plus un Ange.

Mais tout cela ne sera qu'un dommage collatéral si Metatron a échou...

Un éclat doré dans le ciel.

Castiel écarquille les yeux et se met à courir jusqu'à la lisière de la forêt, où la vue dégagée sur une vallée lui permet de voir tous ses frères et sœurs chuter du ciel, tous jusqu'au dernier. Il entend leurs cris résonner dans sa tête, mais comme étouffés, déformés.

Son cœur tambourine si fort dans sa poitrine qu'il lui semble que sa cage thoracique va exploser, tandis qu'il contemple, muet, le ciel nocturne se percer à perte de vue d'Anges qui tombent, leur Grâce s'embrasant comme mille soleils. Comme Lucifer, il y a bien longtemps.

Tous, bannis du Paradis. Par sa faute. Rien de tout cela ne serait arrivé s'il avait écouté Dean. Pourtant, ces dernières années auraient dû lui apprendre que prendre des décisions seul n'est pas exactement son fort.

Dean. Il doit trouver Dean. Lui expliquer ce qu'il s'est passé. Lui demander conseil et pardon. Castiel ne doit plus prendre de décisions sans se référer à Dean, il le sait, maintenant, et il en fait le serment intérieurement.

Dean saura quoi faire. Dean arrangera tout.

Castiel arrache ses yeux du spectacle funeste et se met en marche d'un pas raide. Au hasard. Il ne sait pas où il se trouve exactement – même si la position des étoiles lui indique le Nord – mais ce pays, s'il se trouve toujours en Amérique du Nord comme il le suspecte, est très peuplé. En marchant tout droit, il croisera forcément des Humains et pourra alors utiliser un téléphone pour contacter Dean.

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Castiel ne répond pas à ses prières. Kevin ne répond pas au téléphone. Et l'état de Sam est si alarmant qu'il a été envoyé tout droit passer une radio.

Tout part en vrille.

Assis dans un couloir où passent des infirmières à qui il ne jette même pas un regard, Dean tourne et retourne nerveusement son portable entre ses doigts, les yeux fixés sur la porte qui le sépare de Sam. L'angoisse qui court dans ses veines le tient éveillé et en alerte. De toute façon, il ne pourra pas se détendre et encore moins dormir tant que son frère ne sera pas hors de danger.

Putains d'épreuves... Ils auraient dû détruire ces foutues tablettes et ne jamais s'en mêler. Le Paradis, l'Enfer, tout cela n'a aucune importance comparé à la vie de son petit frère.

Enfin, la porte s'ouvre, et un médecin en sort, tenant à la main une radio qu'il fixe en tirant une drôle de tronche. Dean se lève précipitamment.

« Alors, docteur ?

- Eh bien, c'est... assez inhabituel, répond l'homme en remontant ses lunettes sur son nez.

Il continue de fixer la radio en fronçant un sourcil perplexe.

- Inhabituel ? Mais... vous pouvez le guérir, pas vrai ?

- Eh bien...

Le médecin se racle la gorge en clignant des yeux, et élève la radio pour la placer face aux néons du plafond.

- Regardez ceci. C'est du jamais vu. Tous ses organes, et je dis bien tous, sont en état de nécrose avancée, et il y a des lésions internes et hémorragies ici, ici et là. C'est à se demander comment il est encore en vie.

Dean jette un bref coup d'œil sur la radio. Il ne voit que des formes blanches et noires sans signification pour lui. Il baisse les yeux pour dévisager le médecin, les cernes creusées sous ses yeux, ses lunettes qui glissent sur son long nez, ses joues flasques et son crâne qui se dégarnit. Qu'importe. Si ce type peut sauver Sam, il sera à ses yeux plus sexy que Dr Sexy.

La porte se rouvre derrière lui, et une infirmière sort en poussant Sam avachi dans un fauteuil roulant, le regard vitreux mais l'air déjà plus calme.

- Nous lui avons administré de la morphine à sa demande, précise le médecin en regardant Sam d'un air incrédule.

Son regard ne cesse de se promener entre Sam, la radio et Dean, comme s'il s'attendait d'un instant à l'autre à ce que des caméras déboulent ou à se réveiller dans son lit. Dean serre les poings, sentant l'exaspération galvaniser son angoisse.

- Vous pouvez le guérir, oui ou non ?

L'homme baisse finalement la radio et répond d'un ton professionnel :

- Il est encore trop tôt pour le dire, Monsieur Parker. Il nous faut d'abord identifier l'origine de la nécrose et des hémorragies pour pouvoir traiter le problème. Vu son état, tenter une chirurgie exploratrice serait très risqué, mais c'est la seule solution. Tant que nous comprendrons pas ce qui provoque cette détérioration des tissus, nous ne pourrons guère que soulager ses souffrances dans ses derniers instants.

- Vous voulez charcuter mon frère ?

- Ce n'est pas le terme que j'emploierais, non, objecte le médecin en fronçant un sourcil. Mais comprenez bien que dans un cas aussi peu ordinaire, nous ne pouvons traiter la maladie sans établir au préalable un diagnostic. S'il survit à l'opération, nous proposerons un transfert dans une structure spécialisée dans le mal – quel qu'il soit – qui l'affecte. Je vous laisse en discuter avec votre frère et prendre votre décision, le temps d'aller chercher les formulaires.

Il s'éloigne alors dans le couloir, suivi par l'infirmière, tous les deux commentant la radio avec animation en pointant du doigt des zones précises. Dean s'accroupit pour dévisager son frère qui lui renvoie un regard absent.

- Sam... qu'est-ce que t'en penses ? Des conneries, non ? Qu'est-ce que tu veux faire ?

Sam déglutit avec difficulté :

- Ce que tu voudras. Je te fais confiance.

Le regard de Dean se durcit, et il serre les poings. Non, ces docteurs et leur science humaine ne peuvent pas aider. Tout ce qu'ils vont faire, c'est ouvrir Sam comme une truite et accélérer son agonie. Il faut quelque chose de plus. Quelque chose de mieux. Peut-être que les Hommes de Lettres avaient un bouquin sur le sujet dans le bunker.

Il se relève et empoigne le fauteuil roulant de son frère.

- Allez viens, on se barre d'ici. On va gérer ça nous-mêmes, comme on le fait toujours. Tout ira bien. Je te le promets. »

Il pousse le fauteuil dans le couloir, direction le hall. Nul ne fait attention à eux, le personnel étant occupé sur une autre urgence – un accident de moto, apparemment – et ils se retrouvent sans encombre à l'extérieur.

Dean pousse un soupir de soulagement en se hâtant vers le parking.

Il ne veut plus jamais voir un hôpital de sa vie. Pas même dans Dr Sexy MD.

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Les yeux encore bouffis de sommeil, l'homme sifflote en tapotant son volant. La route bordée d'arbres est complètement déserte à cette heure matinale. La meilleure heure pour chasser.

Andy est de bonne humeur. Il vient chasser les faisans et les cerfs dans ce coin chaque année depuis une éternité avec ses vieux amis d'enfance. Le meilleur moment de l'année, à son avis. Un bon moment de camaraderie, puis de festin dans leur cabane en chantant tous ensemble près d'un feu de cheminée. De quoi oublier tous ses problèmes l'espace d'une semaine, c'est pas rien.

Il est même en avance, dans sa hâte. Il va bien arriver une heure trop tôt, d'après sa montre, et...

« Oh bon sang !

Une silhouette humaine a surgi de nulle part sur la route. Il freine et tourne vivement son volant en jurant dans sa moustache pour éviter de percuter le mec en trench-coat qui vient de se jeter sur le côté. Qu'est-ce qu'il fout là au milieu de nulle part, ce type ?

Andy sort de sa voiture et se dirige précipitamment vers l'homme qui se redresse au sol.

- Eh mon gars, ça va ?

L'homme – un type jeune, la trentaine ou quarantaine, peut-être – observe sa main d'un air plutôt stoïque pour quelqu'un qui a failli se faire renverser.

- Ça fait mal, dit-il seulement.

- Qu'est-ce que vous foutiez au milieu de la route comme ça ?

L'homme se relève sans le regarder, l'air déphasé.

- J'ai entendu des anges.

D'accord... De toute évidence, ce type a eu une soirée très alcoolisée la veille et erre sans doute depuis des heures sans boire ni manger. Il a l'air complètement à la masse.

- Et si vous preniez un peu d'eau, mh ? suggère Andy d'un ton prudent.

Ce jeune n'a pas l'air du genre dangereux ou drogué – il porte même une cravate et un costume très sérieux – mais on se sait jamais, avec tout ce qu'on voit à la télévision et dans les journaux... Andy réprime un mouvement de recul quand le gars approche un peu trop à son goût.

- Je ne bois pas d'eau.

Ouais. Plutôt de l'alcool, sans doute. Quand il racontera ça aux copains...

- La déshydratation est une vraie garce dans le coin, monsieur.

Le type s'avance encore, et Andy se crispe, prêt à l'assommer si nécessaire.

- Un téléphone ! Vous avez un téléphone ? exige l'illuminé d'un ton agressif.

- Il n'y a pas de réseau ici.

Il le regarde détourner les yeux d'un air soudain triste et perdu. Comme un gosse.

C'est peut-être pas de la déshydratation, en fin de compte. Ni même de l'alcool. Ce comportement lui rappelle étrangement...

- Et si je vous déposais quelque part, mh ?

- Oui. Bien. J'aurais bien volé, mais... je n'ai plus d'ailes.

- D'accord...

Le type s'installe dans la voiture, raide comme un piquet et le regard fixe. S'il ne remuait pas sa main blessée comme pour tester la douleur, il pourrait passer pour empaillé.

Dans quoi s'est-il encore fourré... Andy soupire et remonte dans sa voiture pour remettre le contact.

- Il faudra désinfecter ça, dit-il en désignant la paume ensanglantée d'un geste.

Le type en trench-coat ne répond rien, mais place sa main intacte sur son front en grimaçant.

- Ils crient... murmure-t-il en regardant par la fenêtre, les yeux soudain hagards.

- Qui ça, les anges ?

- Oui.

Ça y est. Andy sait enfin à qui lui fait penser ce type. À Tim, son neveu. Un gamin adorable avec un cœur en or, mais qui vit dans sa bulle et ne s'adapte pas dans le monde réel.

- Et pourquoi ils crient ? demande Andy, décidant de rentrer dans son jeu.

- Ils ont mal, ils ont peur... Et tout est de ma faute. Ils vont me haïr quand ils vont l'apprendre.

Il glisse un regard en coin au jeune gars qui fixe la route, raide et la mâchoire crispée. Pauvre garçon, paumé dans ses illusions.

- Mais non, voyons, pourquoi ça serait de ta faute ?

- J'ai été naïf. Orgueilleux. Peut-être est-ce la punition que mon père m'a choisie. Être la cause de la destruction de ma famille.

Mieux vaut changer de sujet, se dit Andy.

- Je vois. Et où veux-tu que je te dépose, fiston ?

- Là où je pourrai utiliser un téléphone.

- D'accord.

La chasse peut attendre un peu. Ce gamin a sérieusement besoin d'aide.

- Tu sais, j'ai un neveu qui te ressemble un peu. C'est un bon garçon. Il est autiste, mais ça n'empêche pas ma sœur de l'aimer de tout son cœur.

Un sourire poignant de nostalgie se glisse sur les lèvres de l'inconnu.

- J'aime beaucoup les autistes. Leurs paradis sont très beaux.

Andy esquisse un sourire lui aussi, une bouffée de tendresse gonflant son cœur.

- Ouais, sûrement...

Le reste du trajet jusqu'à la station d'essence la plus proche s'achève en silence.

Lorsqu'ils arrivent enfin à destination, le type au trench-coat sort du véhicule sans un mot ni un regard, l'air déjà ailleurs. Andy ne peut pas le laisser partir comme ça.

- Hey !

L'homme s'arrête et revient vers lui. Andy sort quelques pièces et billets et les lui tend. Il ne peut pas faire vraiment plus, mais il se sentira déjà plus tranquille s'il sait que le pauvre garçon aura de quoi manger pour la journée. Et de quoi téléphoner.

- Non. Je ne peux pas prendre votre argent.

- Pour le téléphone, insiste Andy. Et un sandwich s'ils en ont.

- C'est bon. Je ne mange pas.

Cet homme au comportement d'enfant rêveur est étrangement touchant.

- Tu trouveras bien quelque chose.

Il finit par accepter l'argent avec un air maladroit qui arrache un sourire à Andy.

- Prends soin de toi, petit. »

Il démarre et reprend la route. Aider son prochain, surtout quelqu'un comme son neveu, l'emplit d'un sentiment de paix.

Dans son rétroviseur, la silhouette en trench-coat se rétrécit peu à peu jusqu'à disparaître, petit point lointain.