Titre : Ce que nous sommes.
Auteur : Thénou - CameDorea
Genre : Romance, guimauve sur toute la ligne (attention au coma diabétique XD)
Source : Fullmetal Alchemist.
Note : Fanfic qui revient de loin. Une idée qui m'était venue à la base en dessinant (dessin de la couverture que vous pouvez retrouver sur mon deviantart), j'ai laissé au point mort le début du premier chapitre pendant des années avant de finalement m'y remettre (et de remanier un peu le tout vu la tournure que les évènements ont pris dans le manga) et de réfléchir sérieusement à la suite. Pas de grande intrigue, c'était juste pour me faire plaisir à écrire de la guimauve sur ces deux-là ^^;; (et faire plaisir à leurs fans au passage ;p Enfin j'espère ! =))
Disclaimer : J'ai tout essayé… Harcèlement, menaces, supplications, prières en tout genre, poupées vaudoues, admiration éternelle, rien n'y a fait, aucun des personnages de Fullmetal Alchemist n'est ma propriété *snif* T_T (Ed et Roy : ouf !) Par contre la fanfiction qui suit l'est, alors si on pouvait me demander mon avis avant de s'en servir ! Merci)
Avant de commencer : Un GRAND merci à ma chère Isatisangel pour son précieux soutien et son travail de relecture ^3^
Chapitre 1
Elle fixait son reflet dans l'unique miroir de sa maison. Elle n'avait jamais été coquette, elle n'était pas comme toutes ces femmes qui restent des heures durant devant leurs grandes glaces à se pomponner et à fixer le plus ingénieusement et le plus joliment possible leur chevelure. Elle ne faisait pas confiance aux apparences. Ses défauts, elle ne cherchait pas à les dissimuler derrière un masque de velours. De même qu'elle ne trouvait aucun intérêt à cacher les imperfections de son visage sous une couche de poudre. Ce visage devait refléter sa personnalité. Et en effet, elle accordait bien plus d'importance à remplir ses devoirs plutôt qu'à récolter les compliments et les regards des passants.
Pourtant… Cette curieuse nature féminine semblait vouloir avoir raison d'elle. Ce soir, son miroir ne lui avait jamais paru si attrayant et son intérêt pour le reflet qu'il renvoyait était grandissant.
L'occasion était rare, elle avait envie d'être belle, d'habiller ses lèvres, de mettre en valeur ses yeux, de laquer ses mèches blondes elle voulait vêtir une de ces robes dont on rêve lorsque l'on est adolescente… Comme si elle souhaitait, ce soir, se fondre dans la peau d'une autre, rien que quelques heures. Elle était consciente que cela lui serait difficile, sans doute serait-elle mal à son aise dans cette apparence d'emprunt, mais elle savait pertinemment qu'au fond d'elle, le secret désir d'attirer les regards l'animait… Et probablement pas tous les regards… Un seul regard lui aurait suffit…
Une soirée avait été organisée pour célébrer le récent mariage d'Havoc, sorti depuis quelques mois de sa retraite et de son fauteuil roulant, et bien sûr, tous ses compagnons d'armes étaient de la partie. Cela faisait des jours que tout le monde ne parlait que de cela et qu'Havoc se faisait chahuter à chacune de ses apparitions au bureau. L'éternel célibataire qui était passé par bien des mésaventures, avait finalement été l'un des premiers à passer la bague au doigt.
Elle émit un léger soupir. La soirée se constituerait d'un grand buffet et d'une piste de danse. Elle sentit son estomac se nouer… Elle n'aimait pas se donner en spectacle.
-« Et qu'est-ce que tu crois faire en te pomponnant de cette manière ? », pensa-t-elle ironique tandis que son pinceau glissait machinalement sur sa paupière. Ses démons intérieurs la tiraillaient, pourquoi faisait-elle ça, pourquoi voulait-elle être séduisante alors qu'elle était parfaitement consciente qu'elle jouait avec le feu ?… Avec le feu ? L'allusion la fit sourire. Elle se sentait comme un papillon de nuit attiré par les flammes, mais qui finit par se brûler lorsqu'il s'en approche de trop près.
Elle avait peur du feu… Mais comme le papillon… Il l'attirait irrésistiblement, et ce soir elle voulait voir de quelle manière elle pourrait l'apprivoiser.
Elle saisit précautionneusement la robe qui reposait sur son lit, un sourire flottant sur son visage lorsqu'elle la revêtit. C'était une sensation étrange et pourtant très agréable, elle se surprit à apprécier cet instant où elle vit une jolie femme souriante dans le miroir.
La salle était bruyante de monde, la musique et les rires se mêlaient dans une ambiance d'allégresse chaleureuse. Le buffet était riche et appétissant, les musiques entraînantes et les discussions allaient bon train. Une flûte de champagne à la main, le Colonel Roy Mustang regardait défiler tout ce beau monde, habillé de son élégant costume d'apparat qu'il arborait d'une allure fière et séduisante. Il allait saluer quelques gens de-ci de-là, entamait quelques conversations futiles ailleurs et allait serrer des mains tandis qu'à son passage d'autres le saluaient selon le protocole. Les voix s'élevant des diverses discussions et le fond sonore qu'offrait la piste de danse formaient un bourdonnement incessant tandis que la foule des nombreuses gens augmentait la température de la pièce, de quoi vite vous monter à la tête. Le colonel dégusta machinalement un toast. Son regard se posa sur l'entrée, perchée en haut d'un grand escalier en marbre blanc. Il aurait bien été prendre l'air, mais il dévisageait inconsciemment chaque nouveau visage qui pénétrait dans la grande salle de fête empruntée ce soir. Pourtant il n'attendait personne en particulier… Enfin peut-être que si après tout…
-« Colonel vous êtes venu, ça me fait bien plaisir ! »
Tiré de sa rêverie, Roy se tourna vers un Havoc brillant de joie.
-« Je n'allais tout de même pas manquer à l'appel malgré le fichu retard que j'ai pris dans certains dossiers urgents. Je vous rappelle que j'ai un discours à faire ce soir. Tant pis je me ferai taper les doigts par Hawkeye. J'ai l'habitude. », plaisanta-t-il. « Toutes mes félicitations sous-lieutenant. » Les deux hommes se serrèrent chaleureusement la main.
-« Merci. Sans vous je n'en serais probablement pas là aujourd'hui. Je n'ai jamais vraiment eu l'occasion de vous le dire mais... Merci de ne pas m'avoir laissé tomber et d'avoir cru en moi. »
-« Je vous en prie Havoc, je n'y suis pour rien, ce n'est pas moi la jeune fille qui a croisé votre route, vous me voyez en robe de mariée ?! »
-« Ha ha ha vous êtes toujours aussi modeste Colonel. »
-« C'est vous qui avez été courageux. Vous avez bien mérité de rencontrer quelqu'un de bien. »
-« Ah ce n'est pas une mince affaire de conquérir le cœur d'une femme. Après toutes les déconvenues que je me suis pris, je vous étonne si je vous dis que c'est une des missions les plus compliquées de ma carrière ? »
-« Mais c'est finalement un succès ! Madame Havoc est ravissante et suscite beaucoup de sympathie à ce que je vois. Et vous, vous êtes superbe en jeune marié, quel mine ! Ca vous réussit ! »
-« Ah vous trouvez ? », sourit Havoc en se frottant la tête un peu gêné.
-« J'espère seulement que l'heureuse élue ne vous fera pas tourner la tête au point de vous rendre distrait durant votre travail mh ? »
-« Voyons Colonel, cessez de me taquiner ! Je n'ai pas l'intention de vous laisser tomber, vous avez bien trop besoin de moi pas vrai ? Je vous parie que l'on peut allier réussite professionnelle et vie privée, vous verrez ! »
-« Je veux bien parier mais je n'aimerais pas vous démoraliser si vite. Profitez-en tant que vous pouvez car je me dis parfois qu'il est impossible de préserver un tel équilibre dans notre métier Havoc… », soupira le brun qui n'avait jamais persévéré dans aucune relation stable.
Tout à coup le tapage ambiant se fit moindre et les rires furent remplacés par la musique seule et quelques exclamations parmi les invités. Havoc leva les yeux vers l'entrée où tous les visages ou presque étaient tournés. Ce qu'il vit le laissa bouche bée à son tour. Il se tourna vivement vers le Colonel qui, le nez plongé dans son champagne, ne prêtait pas attention à ce qui se passait près d'eux.
-« Eh bien Colonel, malgré tout le respect que je vous dois, je pense que vous avez tort ! Croyez-moi, vous devriez essayer. », répondit le militaire avec un sourire énigmatique. Il reporta son attention sur l'escalier incitant du regard son supérieur à en faire autant. Roy écarquilla les yeux, tout son corps se raidit à la vue de la créature qui descendait nonchalamment le marbre blanc. Cette vision irréelle le laissa sans voix, ébahi.
-« Bon eh bien, je vous laisse pardonnez-moi, mais j'ai une nouvelle invitée à accueillir. », lança Havoc sur un ton léger en s'éloignant joyeusement d'un Roy qui avait peine à tenir son verre encore entre ses doigts. Ses yeux n'auraient su se détacher de cette femme qu'il connaissait depuis des années et qu'il avait pourtant l'impression de voir pour la première fois ce soir. Son lieutenant… Riza Hawkeye… Cette force de caractère, énergique et téméraire qui l'avait toujours secondé dans tout, cette militaire accomplie et d'apparence fière et froide, celle avec qui il partageait chaque jour passé au QG, venait de céder la place à une femme dans toute sa splendeur. Ses cheveux aux reflets d'or étaient délicatement retenus dans une queue lâche pour retomber en cascade sur sa nuque et ses épaules nues, son visage était resplendissant, la profondeur de son regard mis en valeur par une jolie touche de mascara, ses lèvres souriantes brillant d'un rouge gourmand, le teint de son visage souligné par les tons pourpres et bordeaux de sa robe. Et quelle robe… Riza était troublante de féminité et incroyablement attirante. Une jupe fendue à mi-cuisse venait honorer une jambe blanche où la fermeté militaire côtoyait la gracilité féminine, ses chevilles délicates étaient retenues dans de jolis souliers à talons qui ne semblaient pas le moins du monde entraver leur marche pourtant plus habituée aux bottes disgracieuses de l'armée. Les yeux éblouis de Roy continuèrent l'exploration des formes de la jeune femme parfaitement redessinées par le tissu chatoyant. La légère écharpe en soie qu'elle portait sur les bras ne suffisait pas à cacher ses hanches que la robe épousait merveilleusement, sa taille fine et sa poitrine au décolleté généreusement échancré. De longues boucles d'oreilles étincelantes et un ravissant collier de perles épousant un cou blanc offraient la dernière touche à ce tableau de maître.
Le jeune homme resta immobile et fasciné tandis qu'Havoc venait accaparer la nouvelle arrivante, les yeux pétillants d'étonnement et d'admiration. Et il était évidemment bien loin d'être le seul à avoir ce regard. L'apparition de Riza avait suscité une vive réaction, tantôt de surprise parmi les gens qui la fréquentaient quotidiennement et ne s'attendaient pas plus que le Colonel à une telle métamorphose, tantôt de fascination pour cette beauté sensuelle.
Une pointe d'irritation le piqua lorsqu'il assista au spectacle des embrassades avec toute la clique de joyeux lurons Falman, Fuery sans oublier Breda et quelques autres. Pourquoi ne pourrait-il pas lui aussi prétendre à ce geste de sympathie ? Cela pourrait-il paraître étrange qu'il se dirige vers elle et qu'il embrasse aussi naturellement que le font les autres ces deux joues de porcelaine ? Bien sûr soupira intérieurement Roy… Il avait beau se trouver dans une soirée plus ou moins mondaine, elle n'en demeurait pas moins organisée au sein de l'armée même si la plupart des invités faisaient partie des familles ou des amis, et il savait que l'étiquette lui imposait un certain code de conduite dans n'importe quelle situation. Ce genre de familiarité pouvait être très mal vu quelles que soient les circonstances. Il se mit à maudire ces obligations et autres conventions que son rang lui dictait de suivre sans broncher. Se montrer inaccessible n'était pas vraiment son fort…
Perdu dans ses réflexions, il n'avait ni bougé, ni quitté du regard la belle dont le sourire semblait légèrement tendu. Evidemment… Ce n'était sans doute pas facile de s'improviser grande dame lorsque l'on porte des revolvers et un uniforme à longueur d'année. Mais ce n'était pas pour déplaire au Colonel… C'était une des rares fois où il voyait son Lieutenant comme… vulnérable… Et ô combien il brûlait de la protéger ! Elle voulait s'en donner l'air mais elle n'était pas surhumaine après tout, il avait toujours su que sous ses aspects stricts et implacables se cachait une jeune femme sensible et généreuse. Ses méthodes étaient pour le moins originales et costaudes, mais toujours elle avait répondu présente lors des coups durs. Roy ne put s'empêcher de sourire.
Mais sa mine s'assombrit bien vite quand enfin Riza croisa son regard. En effet, il aurait juré la voir tressaillir l'espace d'un instant, et la seconde suivante voyait ses yeux se détourner sans ménagement, sans même un signe, comme pour éviter la vision de son supérieur. Il se demanda si vraiment ce geste était intentionnel, ne lui trouvant aucune justification valable. Peut-être était-elle bien plus embarrassée qu'elle ne le laissait paraître ? Pourquoi cette tenue dans ce cas ?… Rien n'eut pu la dispenser d'un pantalon plus traditionnel, comme à son habitude… Il ne trouva pas de réponse dans les iris ambre car jamais il ne les croisa à nouveau. Ceux-ci s'étaient déjà éloignés dans la foule, se faisant aimables et rieurs au contact des invités.
De dépit, le Colonel préféra replonger le nez dans sa coupe plutôt que de courir à l'aventure pour capter son attention. Pas que l'orgueil l'eût fait reculer mais trop de monde se groupait autour d'elle pour entamer quelque conversation que ce soit et il ne voyait pas quel genre de discours il aurait pu lui tenir parmi tous ces gens. Cette constatation le surprit. Depuis quand ne savait-il plus quoi dire au Lieutenant ?
La soirée se poursuivit, différents discours se firent entendre dont le sien, consciencieusement préparé pour l'occasion et chaudement applaudi tandis que Havoc en avait presque les larmes aux yeux, bien conscient que sans cet homme, il ne serait probablement pas ici ce soir. Puis on se mit à danser. Roy suivait Riza du regard d'un air détaché, traversait lentement la salle lorsqu'il ne la voyait plus pour focaliser à nouveau son attention sur elle. Il participait à des conversations qui ne l'intéressaient pas, lançait d'aimables sourires au petit groupe de bavards qui s'était formé autour de lui, et quelques boutades se prêtant à la situation pour soigner les apparences. Cela l'amusait tout autant que l'agaçait mais ce soir, tout son esprit était obstinément tourné vers elle. Plus encore parce qu'il avait la désagréable impression qu'elle l'évitait délibérément.
Lorsque Riza pénétra dans la salle, tous les regards se levèrent vers elle. Ce poids d'appréhension qu'elle avait dans la poitrine depuis qu'elle avait quitté son domicile ne disparut pas, mais contre toute attente, loin de vouloir rentrer sous terre, elle sentit une certaine fierté l'envahir. La fierté d'étonner, la fierté de plaire… Décidément toutes les femmes sont pareilles… Bien que ce fut peut-être la première fois qu'elle ressentait un pareil sentiment. Son assurance et son fort tempérament l'aidèrent à prendre confiance et c'est d'un pas nonchalant qu'elle descendit les marches, arborant un sourire exquis sous ces regards ébahis. Elle avait gagné son pari, sa féminité ne l'avait pas abandonnée malgré toutes ces années de bons et loyaux services au sein d'une armée masculine et stricte. Pourtant, même adolescente, elle n'avait jamais été fleur bleue, elle avait vite su qu'elle devait s'endurcir pour survivre dans la réalité hostile de ce monde que son père lui rappelait alors chaque jour. Puis elle avait fait la connaissance de Roy. Bien sûr au début, ils ne se croisaient qu'avec une indifférence polie. Puis son père était mort et elle avait découvert un homme d'une sincérité rare et touchante. Elle lui avait alors permis de maîtriser les arcanes de feu tandis qu'il lui avait permis de caresser un idéal et de se trouver une place. Entrer dans l'armée n'est pas un rêve commun à toutes les jeunes filles…
Elle n'avait jamais fait grand cas du fait qu'elle fut une jeune fille en réalité, ou plutôt, focalisée sur l'objectif qu'elle s'était fixée, elle ne s'était pas ménagée, elle avait tout fait pour s'imposer dans ce milieu d'hommes au point de se négliger en tant que femme. Elle était fière de ce qu'elle était devenue. Puis elle s'était mise à douter… La guerre l'avait abîmée inéluctablement. Où tout cela l'avait-elle menée ? Quel avenir avait-elle ? Pour quoi continuer ? Mais elle l'avait alors revu... Roy, son idéal, cet espoir d'un monde meilleur et ce sentiment d'appartenir à une cause, aussi perdue soit-elle. Même si lui aussi avait été endommagé, leur rencontre les avait poussés l'un l'autre à se redresser, et pouvoir compter l'un sur l'autre leur avait donné une force nouvelle. Leur compréhension du monde, leur fol espoir et leur ténacité n'avaient d'égal que le lien indissoluble qui les unissait désormais.
Cela paraît maintenant une éternité, elle avait du mal à se souvenir de ce à quoi ressemblait sa vie avant qu'il n'en fasse partie. Après tant d'épreuves traversées, ils allaient former une équipe pour de très longues années. Une équipe peu banale à vrai dire, mêlant la taquinerie aux urgences du devoir, la complicité aux intransigeances du métier. C'était lui son chemin, son avenir c'était le protéger, protéger cet homme et espérer qu'il change ce monde hostile comme il lui avait avoué maintes fois en avoir l'intention alors qu'une confiance mutuelle s'était ancrée entre eux. Elle connaissait ses peurs, elle connaissait ses doutes et ses remords et elle connaissait la bonté d'âme qui l'habitait malgré les apparences. Et sans vraiment s'en apercevoir, à son contact elle s'accepta en tant que femme, apprenant qu'il n'était pas faiblesse d'exprimer sa nature et qu'elle ne changeait en rien la personne qu'elle était et les responsabilités qu'elle pouvait supporter. Elle s'était alors laissé poussé les cheveux et se permettait d'éprouver certains sentiments sans pour autant se sentir le droit de les exprimer de quelque façon que ce soit. Elle était juste près de lui. Elle l'aidait ; elle le secondait. Elle le protégeait et se montrait assez efficace pour prétendre gagner son respect et son estime. Il avait besoin d'elle, c'était tout ce qui importait et cela lui suffisait.
Et voilà que ce soir elle s'était surprise à tenter un jeu dangereux, pour quelle raison particulière ce soir plutôt qu'un autre, il n'y en avait aucune… Peut-être pour se prouver quelque chose puisqu'elle savourait cet instant comme si elle avait réussi à se dépasser, comme si elle avait remporté une victoire sur elle-même, comme une manière de s'affirmer aux yeux des autres, mais différemment… Leur prouver cette fois qu'il y avait autre chose dans son caractère que le goût du métal froid des revolvers dans ses mains et cette forte personnalité qui faisait parfois peur autour d'elle.
Elle vit une foule de convives s'avancer vers elle, notamment Havoc qui se précipitait pour l'accueillir le regard tantôt malicieux tantôt stupéfait. C'est à cet instant qu'elle reprit conscience de la réalité, tentant de masquer son soudain embarras. Elle n'était pas dans son élément et son improvisation en tant que grande dame la gênait presque à l'en faire rougir. Mais son inconfort se trouva multiplié lorsque la véritable raison de cette parade accrocha son regard. Deux pupilles noires et intenses fixées sur elle avec un mélange de séduction et d'incrédulité. Le Colonel Roy Mustang, l'alchimiste de flamme, se tenait là, englouti dans cette foule d'invités, rayonnant parmi eux de son élégance et de son charisme, la scrutant avec un intérêt non dissimulé… Avec cet éclat dans les yeux qu'elle avait espéré faire naître en lui ce soir, mais qui, à présent, la piquait de remords et de honte. Elle détourna précipitamment le regard cherchant parmi les convives à fuir la vision de son supérieur. Elle aurait dû savoir que ce petit jeu l'aurait mise bien plus mal à l'aise qu'elle ne voulait se l'avouer. Mais si elle n'avait croisé que de l'indifférence dans les yeux du Colonel, n'aurait-elle pas été blessée ? Elle se maudit intérieurement et se trouva bien ridicule d'avoir agit comme une adolescente stupide que l'amour rend aveugle. Sa fierté s'évanouit bien vite et seule sa maîtrise d'elle-même lui permit le contrôle de la situation et de ne rien faire paraître de son trouble.
Pourquoi ses sentiments avaient-ils soudain pris le dessus ? Pourquoi après toutes ces années avait-elle d'un seul coup voulu changer les choses ? Changer ? Mais qu'espérait-elle changer ? Que croyait-elle faire en mettant en péril leur équipe tellement soudée ? Elle savait l'affection qu'il lui portait et elle savait l'affection qu'elle lui portait… Dans une situation extrême voire désespérée, leur affection et leur profond attachement l'un à l'autre s'étaient montrés évidents, sans aucun doute possible. Au seuil de la démence pour l'un ou de la mort pour l'autre, ils avaient bien failli faire sauter tous les cadenas de retenue et de pudeur que leur imposait cet accord tacite qu'ils avaient passé il y a de cela, si longtemps. Alors oui, ils tenaient l'un à l'autre, mais rien de plus... Pourquoi en vouloir plus… Et pourquoi risquer de braver tant d'interdits dressés par le code de l'armée ?… Toutes ces questions l'accablèrent à cet instant, comme si elles la narguaient de ne pouvoir se mentir à elle-même. Riza savait que le Colonel et elle entretenaient une relation particulière, ils s'en amusaient souvent, en jouaient parfois, mais toujours s'en étaient gracieusement contentés. De quel droit avait-elle voulu bouleverser leurs repères et leurs acquis ?
Sans doute parce que l'être humain n'est pas fait pour l'amour stérile dans un monde où l'équilibre est déjà si dur à préserver. Il a besoin de vivre et de s'épanouir pour ne pas succomber à la solitude et aux tourments qui gangrènent l'existence, lui souffla une petite voix.
Elle secoua intérieurement la tête. Tout ce qu'elle souhaitait à présent c'était de ne pas se retrouver face au Colonel ce soir. Partir sur le champ lui était impossible, trop de monde se pressait pour lui parler, elle ne pouvait pas les décevoir, c'était une soirée, pas une simple réunion autour d'un verre et sa conduite lui dictait de ne pas limiter sa présence à une brève apparition. Elle finit par se raisonner et se détendre lorsqu'elle aperçut Roy de loin, apparemment non disposé à venir l'accoster. Elle se promit de le garder à l'œil afin de le tenir à distance. Son attitude était parfaitement stupide mais elle ne s'épancha pas davantage sur son sort et se sentit soulagée des compliments qu'elle recevait, des marques de respect inchangées et des réactions amicales de ses collègues. Sa gêne fondit peu à peu avec les conversations et les rires. Les fêtes mondaines ne l'attiraient pas vraiment, mais l'ambiance était sereine et chaleureuse, presque insouciante.
La soirée se poursuivit donc pour Riza dans le joyeux brouhaha, avec le sentiment qu'un jeu venait d'être instauré de manière tacite entre le Colonel et elle : un jeu où ils se cherchaient en permanence du regard tout en se fuyant sans cesse. Ils restaient toujours à distance raisonnable, faisant mine de se désintéresser l'un de l'autre. Mais ils s'observaient à la dérobée, veillant à ne jamais se perdre de vue. Elle savait qu'elle aurait droit à une remarque à ce sujet le lendemain, elle cherchait à l'éviter et cela semblait apparemment évident à Roy. Pourtant elle ne se décidait pas à briser cette situation absurde un seul mot, un seul bonsoir aurait suffit à dissiper cette étrange tension… Mais pas ce trouble qui l'avait assaillie en arrivant, c'est pourquoi elle resta sur ses positions.
Le jeu s'était prolongé une bonne partie de la soirée. Bien qu'ils ne s'approchaient pas l'un de l'autre, la certitude flottait qu'ils ne se lâchaient pourtant pas d'une semelle. Ils voyaient mutuellement leur attention attirée par le champagne, les rires ou les bavardages… Mais lorsque leurs regards furtifs se croisaient involontairement, le trouble qui ressurgissait alors entre eux était palpable.
Soudain, la musique se fit plus forte et tous comprirent qu'il était temps de laisser les coupes de champagne. Havoc et sa femme dansèrent les premiers, ouvrant les 'hostilités' comme Riza aurait pu appeler cela… Elle se sentit de nouveau tendue à la vue des convives de plus en plus nombreux à quitter les groupes de bavardages pour leur préférer la piste de danse. Elle se demanda alors si partir maintenant n'était pas la meilleure solution. Mais après quelques foulées en direction de l'escalier, on l'interpella.
-« Lieutenant Hawkeye, vous n'allez tout de même pas partir maintenant, la soirée débute à l'instant ! »
-« Sous-lieutenant Havoc, j'ai fait l'effort de venir jusqu'ici mais je vous garantis que vous ne me ferez pas danser. »
-« C'est bête j'allais justement vous inviter, ma femme m'a déjà été enlevée. », sourit le militaire. Riza se mit à rire, puis le regarda avec incrédulité.
-« Je serais honoré de vous faire danser mon Lieutenant. », reprit-il malicieux en lui offrant sa main. Elle soupira puis se résigna devant tant d'entrain.
-« Bon… Très bien. »
Elle prit la main d'Havoc qui la conduisit au milieu de la piste. Cette fois, elle se sentit rougir devant les regards qui l'observaient, se rappelant soudain pourquoi elle n'aimait pas se donner en spectacle, puis elle se mit à tournoyer au rythme de la mélodie. Ce fut d'abord Havoc, puis au fur et à mesure que d'autres musiques s'enchaînaient, d'autres partenaires lui demandèrent de leur accorder une danse, l'entraînant avec bonne humeur et grâce dans des pas à la cadence plus ou moins soutenue.
Elle se sentit flattée par tant d'attention, d'ordinaire ce n'était pas elle que les hommes invitaient à danser. Elle se rappela alors sa volonté de se glisser dans la peau d'une autre l'espace d'une soirée au moment d'enfiler sa robe 'de princesse'. Elle s'appliqua alors à ne plus rien analyser et se laissa aller à virevolter entre les mains de ses admirateurs d'un soir ou de ses collègues de bureau plein d'allégresse en l'honneur de leur ami Havoc. La seule chose qui la tenait désormais encore en alerte restait Roy… Roy Mustang, qu'elle pouvait parfois apercevoir au milieu d'une danse dans les bras d'un autre. Il ne faisait plus semblant… Cette fois il la regardait avec une insistance presque gênante, observant le moindre de ses pas, analysant le moindre de ses partenaires et scrutant la moindre expression de son visage. Elle sentait son regard sur elle comme une marque au fer rouge qui la brûlait de l'intérieur, elle sentait son intensité à chacun de ses gestes. Si elle ne le connaissait pas, elle aurait juré voir de la jalousie dans ses pupilles calmes et fixes à chaque nouvel homme qui s'approchait d'elle et l'entourait de ses bras pour l'accompagner dans sa danse.
Ce qu'elle ignorait, ou qu'elle ignorait délibérément, c'est qu'effectivement Roy sentait son ventre gonflé d'irritation envers ces hommes qui la faisaient danser sans relâche, et même s'il refusait de se l'avouer, sans doute beaucoup de jalousie en voyant Riza accepter leurs propositions les unes après les autres, surprenant même une lueur exquise dans ses yeux qu'il ne lui avait jamais connue… Oui… Le Lieutenant affichait toujours un visage strict et digne, rarement il avait pu la voir sourire de cette manière… Il était ébloui tout autant qu'agacé que ce ne soit pas lui qui eût pu faire naître ces étincelles délicieuses et ces rires cristallins… Mais… Il ne se sentait pas le droit de soudainement ressentir de telles choses envers son lieutenant et son attitude… Il se rendit douloureusement compte qu'après tout… Elle ne lui appartenait pas… Mais il brûlait d'envie… d'au moins l'inviter lui aussi au creux de ses bras l'espace d'une mélodie. Rien qu'une mélodie en compagnie de cette facette qui s'était subitement révélée ce soir. Cependant, il avait conscience qu'elle menait les choses à sa façon pour que cela ne puisse pas se produire… Il savait qu'elle aussi l'observait, lui lançant fréquemment des regards furtifs comme un chien aux abois… Mais il attendrait… Il attendrait calmement, sans broncher, dans l'ombre, l'occasion se présenterait… Juste pour quelques minutes qu'il partagerait non pas avec son Lieutenant… mais avec Riza…
Si cela n'avait tenu qu'à elle, Riza se serait arrêtée de danser. Cela faisait un bon moment qu'elle allait de partenaire en partenaire sans prendre le temps de souffler. Heureusement, elle était endurante et elle avait bien l'intention de continuer ce petit manège aussi longtemps qu'elle le pourrait. Elle savait trop bien qu'à ce moment de la soirée, le Colonel n'attendait qu'une occasion de l'approcher. Elle avait également peur qu'il lui prenne l'envie de l'inviter lui aussi à danser, souhaitant à tout prix éviter une telle situation. Elle ne se faisait donc nullement prier par les prétendants qui l'invitaient. Bien qu'elle s'assura de ne laisser aucune ambiguïté planer avec certains d'entre eux qui pouvaient se montrer parfois entreprenants, elle s'amusait beaucoup de son nouveau pouvoir de séduction, se glissant parfaitement dans son rôle d'un soir et laissant entendre son rire enthousiaste face à ses déhanchés parfois maladroits. Pourquoi avait-elle donc honte de ce pouvoir sur Roy ? Parce que lui seul compte, lui souffla encore la petite voix. Elle lança à nouveau un regard dans sa direction… et ne le vit pas. Soudain disparu de l'endroit où il était resté inlassablement immobile et attentif, laissant sur la table la plus proche la coupe de champagne qu'il tenait quelques secondes plus tôt. Elle scanna le plus discrètement possible la salle en réprimant un soudain tournis… sans succès. Aucune trace de Roy. Elle attendit une… puis deux autres danses. Toujours rien. L'heure et la fatigue avançant, Riza finit alors par se permettre une pause, heureuse de reprendre ses esprits. Elle s'arrêta enfin et déclina toute nouvelle proposition, certains prétendants avaient dansé plusieurs fois avec elle mais ne se lassaient apparemment pas de sa compagnie. Elle se retint de reprendre son visage strict et sérieux et se contenta de refuser avec un rire aimable.
Elle partit à l'écart de la piste, dissuadant plus durement quelques derniers tenaces de lui offrir un verre au passage. Elle se dirigea vers une table en retrait et but une gorgée d'eau fraîche. Elle prit une chaise et s'y installa. Elle reprit doucement son rythme cardiaque normal, remit de l'ordre dans ses cheveux, habituée à les coiffer de manière impeccable, et scruta attentivement la foule autour d'elle. Elle ne le voyait décidément plus… Pas l'ombre d'un Colonel. Etait-il parti ? Après tout la soirée se faisait déjà longue… Elle ne put s'empêcher de rester méfiante, pas seulement parce que son tempérament le lui ordonnait, mais parce que le Colonel était un homme qui n'abandonnait pas facilement, elle ne le savait que trop bien. Pourtant, sa perplexité n'eut d'égal que son soulagement lorsque les minutes s'écoulèrent sans plus de traces de Roy. Sa tête bourdonna et Riza se massa doucement les tempes.
Les premiers invités prirent congé de la fête alors que le son qui faisait écho dans ses tympans se fit soudain plus doux. Les musiques qui se firent entendre était clairement destinées à faire danser de jeunes couples. Havoc tenait tendrement enlacée sa femme, tournant lentement sur la mélodie, d'autres couples suivaient leur exemple, d'autres encore parlaient plus discrètement tout en observant les danseurs moins nombreux… Riza fut soulagée d'avoir quitté la piste après tant d'entrain à se laisser aller à l'amusement. Et avant de se retrouver prise au piège par ce genre de danses périlleuses, à son goût, de par les ambiguïtés qu'elles pouvaient sournoisement glisser entre certains partenaires… Elle ne tarderait pas à quitter la fête également. Baissant sa garde, elle ne s'aperçut pas de l'ombre discrète qui s'approchait lentement derrière elle. Un léger sourire se dessina sur les lèvres de l'homme dont les yeux sombres glissaient sur les cheveux d'or et le dos de la jeune femme alanguie. Ce dos dont le tatouage que lui seul connaissait, était dissimulé sous l'étole de la séduisante robe. Que le ciel soit loué qu'il puisse à nouveau voir et contempler tel spectacle.
Persuadée d'être bel et bien seule, Riza sursauta lorsqu'elle vit quelqu'un s'arrêter à ses côtés. Elle se raidit et se maudit intérieurement, mortifiée d'avoir relâché son attention, de ne pas être partie quand il en était encore temps, honteuse d'avoir commis une telle bévue de débutante. Elle ne leva pas la tête vers le nouvel arrivant mais la violence de sa réaction et les palpitations dans sa poitrine n'auraient su la tromper.
-« Bonsoir Lieutenant. »
Le malaise qu'elle avait dompté réapparut instantanément, décuplé au son de la voix grave et chaude. Son cœur se mit à battre irrémédiablement la chamade. Il n'y avait plus de choix possible. Cette mascarade avait fini par se retourner contre elle et malgré ses efforts pour l'en empêcher, elle se retrouva dans la situation, qu'elle avait certes elle-même entraînée, mais contre laquelle elle avait lutté toute cette soirée. Elle se sentait ridicule et bien désemparée, mais elle se composa soigneusement un visage digne. Elle releva lentement la tête, luttant contre son corps qui s'était figé…
-« … Bonsoir Colonel. », finit-elle par répondre doucement.
Il avait abandonné sa lourde veste, laissant entrouverte sa chemise impeccable pour s'accommoder à la chaleur ambiante, et comme à son habitude, il avait fini par remettre ses cheveux en bataille, ses mèches d'un noir de jais tombant délicatement sur son front. Ils se fixèrent un moment qui parut une éternité, scrutant leurs regards l'un l'autre, immobiles, se retenant presque de respirer.
-« Je n'aurai pas cru vous voir à cette soirée. » Roy finit par rompre leur silence, comme si de rien n'était, entamant ce qui pouvait se rapporter à une conversation banale…
-« … Moi non plus à vrai dire. », répondit-elle sur le même ton, un léger sourire au coin des lèvres. « Mais ce n'était pas convenable de ma part de me défiler. »
-« Oui… On ne fête pas tous les jours un événement si heureux… »
-« Oui… », fit-elle dans un souffle.
Le silence retomba entre eux… Riza avait reporté son attention sur la piste de danse, faisant mine d'être absorbée dans la contemplation des danseurs pour s'éviter ainsi la peine de faire face à son supérieur. Roy lui l'observait toujours, ses yeux remontèrent le long de son bras parfaitement dessiné, sculpté par des muscles discrets mais fermes, résultat de longs entraînements militaires. Puis ils suivirent la courbe de son épaule et remonta le long de son cou avant de s'arrêter à nouveau sur son visage. Il ne put s'empêcher de céder à l'ironie qui lui brûlait la gorge.
-« Vous êtes très demandée ce soir, c'est à peine si l'on peut vous approcher. », reprit-il dans un ton qui se voulait naturel. Riza se crispa un instant, cherchant la parade idéale face à cette première offensive.
-« Oui… J'en suis étonnée moi-même. », fit-elle avec un rire jaune.
-« Vraiment ? », insista malicieusement l'alchimiste.
-« …Oui… »
-« … »
-« … Mais c'est épuisant. Il se fait tard, je vais rentrer. » Avec assurance, elle leva à nouveau les yeux vers Roy, l'amenant volontairement sur un terrain où elle était maître. « Et vous devriez en faire autant Colonel. Vous vous imaginez bien qu'il est hors de question de vous voir dormir au bureau avec toute la paperasse qui vous attend de bon matin. » A son tour, il eut un petit rire jaune.
-« Je vous reconnais bien là Lieutenant. Sens du devoir exacerbé en toutes circonstances ! Fallait-il vraiment que vous me rappeliez au bon souvenir de ces fichus dossiers ? »
Riza n'avait manifestement plus l'intention de se laisser aller ce soir, mais ce qui chagrinait Roy était surtout le fait qu'ils ne pouvaient que rarement parler d'autre chose que de leur travail, ce travail qui les unissait… Certes ils avaient parfois eu des conversations d'ordre privée, ils ne pouvaient pas dire qu'ils ne connaissaient rien l'un de l'autre, loin de là car ils en arrivaient même à se comprendre d'un seul regard, mais… petit à petit, à force de quotidien, ils avaient fini sans le savoir par s'enfermer dans les limites de leur vie professionnelle.
-« Je préférais vous prévenir mon Colonel. », fit-elle un sourire narquois aux lèvres.
La musique douce qui se faisait entendre, comme toutes les autres avant elle, commença à diminuer en volume pour céder la place à une nouvelle mélodie.
Alors que leur conversation était retombée dans le silence et que Riza analysait avec soin les mouvements qu'elle allait devoir opérer pour partir et prendre congé du Colonel, celui-ci s'avança pour lui faire face, la main offerte.
Riza frissonna et leva les yeux vers les siens, incrédule. Roy avait un léger et séduisant sourire sur le visage.
-« … J'ai attendu toute la soirée de pouvoir vous inviter. M'accorderiez-vous cette danse Lieutenant ?… »
La jeune femme se crispa plus encore, le sort s'acharnant comme impitoyable. Elle se retrouvait précisément face à la situation qu'elle avait tant redoutée ce soir, comme si rien n'aurait pu empêcher que cela se termine ainsi dès l'instant où elle fut décidée à venir à cette fête, quoi qu'elle fasse. Elle aurait pu refuser et arguer une nouvelle fois qu'elle souhaitait prendre congé, mais elle n'avait pas le cœur à froisser le Colonel de cette manière, et elle ne savait que trop bien qu'il ne la laisserait pas se défiler si facilement. Au pied du mur, elle se résigna, une boule à l'estomac.
-« Bien sûr Colonel. »
Elle prit timidement la main tendue qui se referma doucement sur la sienne. Le sourire de Roy se fit plus large tandis que Riza se levait et qu'il l'entraînait sur la piste. Lorsqu'ils s'arrêtèrent, son supérieur garda sa main dans la sienne tandis que son bras libre venait entourer adroitement sa taille, plus fine et plus attirante qu'il ne l'aurait imaginé avant ce soir. Bien plus qu'avec tous les hommes avec qui Riza avait dansé ce soir réunis, ce contact fut électrisant. Elle sentait sa main chaude, si chaude, sur sa hanche tandis que le bras qui l'entourait avec possessivité la serrait près, tout près de Roy. Pourquoi avait-il fallu qu'ils dansent sur ces musiques lentes et douces, propices aux contacts plus intimes ?…
Ils se mirent à tourner lentement. Riza avait timidement posé sa main libre sur l'épaule de son supérieur. Elle était pour le moins gênée, collée comme elle ne l'avait jamais été à Roy et si proche de son visage que son regard insistant semblait lire en elle. La jeune femme ne se souvenait pas avoir déjà eu tant de mal à soutenir un regard dans sa vie, elle se sentait littéralement absorbée par cette nuit d'onyx, toutes ses idées se brouillant dans sa tête en même temps que tout ce qui l'entourait. Elle détourna les yeux, le cœur battant, déboussolée, tentant de reprendre une contenance. Peine perdue tant elle se sentait observée, comme mise à nue et jalousée par cette poigne tendre mais ferme. Elle ressentit l'urgence de briser le silence qui intensifiait beaucoup trop le dialogue de leurs deux corps.
-"Je ne savais pas que vous pouviez vous montrer si habile dans le domaine de la danse. Je trouve cela inhabituel et assez indélicat de votre part de ne pas en avoir fait profiter la gente féminine mon cher Colonel." Puisque la meilleure défense dans certaines circonstances, c'était l'attaque, autant lancer une pointe de sarcasme à l'ennemi afin de se donner confiance.
Mais la balle manqua sa cible et fit ricochet, surprenant Riza dans un angle mort... Roy la fixa de la même intensité, et loin de rétorquer, sans gaspiller la moindre cartouche, lui offrit un sourire, l'un de ces sourires capables de vous désorienter de par le sens qu'ils impliquent. C'était un sourire qui n'était destiné qu'à elle, un sourire qui lui indiquait qu'elle était la seule à avoir de l'importance à ses yeux, que seule sa personne était capable d'engendrer un intérêt, une marque d'affection... une passion même... Qu'elle en était digne et qu'il ne souffrirait d'aucune contradiction. Elle sentit son bras la bercer davantage, comme pour l'envelopper de sa douceur et de sa chaleur réconfortante. Cette fois, elle n'aurait pas le contrôle... Son supérieur savait y faire et son cœur se mit à clamer son existence. A cet instant, Riza oublia tout le poids qui pesait sur elle, ce qu'elle était, ce qu'elle avait fait, son statut, ses devoirs, ses péchés, ses doutes. Il ne restait plus que ses émotions que Roy lui renvoyait comme un miroir. Cet homme était le pilier central de sa vie, sans lui, elle n'avait plus sa place, sans lui, rien ne valait plus la peine, elle le savait... il le savait... et il le lui avait déjà reproché lors de leur affrontement contre l'homonculus Lust. Le désespoir l'avait submergée comme jamais, la clouant de douleur, l'asphyxiant de sa cruauté. A quoi bon continuer de tenter d'expier ses crimes et de construire un monde meilleur, s'il n'en faisait pas partie ? C'était un rêve auquel elle croyait car c'était le rêve de cet homme. Un homme qui n'était pourtant pas un modèle d'exemplarité, un homme aussi rempli de doutes et de remords qu'elle, mais c'était lui qu'elle avait choisi. Elle-même était bien en peine de qualifier une telle relation, c'était sans doute quelque chose de plus fort encore que ce qu'on appelle de l'amour.
Et pourtant... n'était-ce pas aussi de l'amour qu'elle sentait au fond de sa poitrine ce soir, cette chaleur qui irradiait son cœur au point de le rendre douloureux, ce désir qui semblait consumer son corps au contact de l'autre ? Alors que toute la soirée durant elle avait fui ces bras qui la serraient, elle avait à présent la certitude que non seulement, elle y était la bienvenue mais que c'était à cet endroit précis qu'elle avait toujours appartenu. La peur ne lui nouait plus le ventre d'autant que l'attitude de Roy faisait écho à ses émotions. Leurs regards étaient accrochés l'un à l'autre, leurs corps bougeaient lentement à l'unisson. Elle sentit les doigts du militaire jouer doucement avec les siens. Son sourire avait disparu mais son séduisant visage était aussi tendre que leur étreinte. Ils étaient si proches qu'à nouveau Riza tourna la tête, brisant le contact de leurs pupilles brillantes. L'alchimiste de flamme en profita pour venir doucement caresser sa joue avec la sienne. Elle frissonna mais se laissa faire, fermant les yeux et savourant ce frôlement électrisant. Elle respira son odeur masculine, entrouvrit la bouche dans un soupir et chercha à nouveau le contact de sa peau en relevant légèrement la tête. Enhardi par le lâcher-prise dont elle semblait faire preuve, Roy en profita pour plonger lentement son visage dans son cou, respirant à son tour l'odeur enivrante de sa gorge gracile contre son nez, réprimant l'envie d'y déposer un baiser. Il ferma également les yeux afin de mieux se laisser envahir par les sensations que leur rapprochement faisait naître. Leurs doigts continuaient de jouer tendrement ensemble jusqu'à s'entrelacer comme s'il n'y avait rien de plus naturel au monde. Sans jamais cesser de danser sur la mélodie enivrante, la main libre de Riza qui n'avait pas bougé jusque là, oublia sa timidité et remonta fébrilement le long de l'épaule du jeune homme pour venir l'entourer tandis que sa main vint câliner sa nuque, caressant quelques mèches noires au passage.
Ni l'un ni l'autre ne savaient plus ce qu'ils faisaient à présent, ils n'écoutaient plus que leurs émotions, laissant leurs sentiments devenir maîtres de leurs corps et leur dicter tout ce qu'ils avaient pu renier jusque là. Roy sentait le pouls de la jeune femme battre violemment tandis qu'elle-même pouvait entendre le souffle pesant de son Colonel tout près de son oreille. Sa joue reprit alors contact avec la sienne pendant qu'elle sentait sa main remonter le long de son dos dans une caresse sensuelle. Roy se recula lentement pour regarder à nouveau le visage de son Lieutenant, frôlant presque ses lèvres des siennes dans ce geste. Riza entrouvrit les yeux, s'apercevant sans s'affoler que leurs lèvres étaient toujours dangereusement proches. Les siennes étaient toujours entrouvertes, comme une invitation muette alors qu'elle sentait leurs respirations maintenant agitées se mêler l'une à l'autre. Leurs regards étaient soudés et aussi brûlants que s'ils avaient voulu consumer leur vis-à-vis, tant et si bien qu'ils ne s'étaient même pas rendus compte qu'ils avaient cessé de danser, chacun d'eux noyé dans l'univers de l'autre.
Mais leur hésitation fut trop longue car la musique s'arrêta, des applaudissements retentirent et une forte voix déchira soudainement la douce torpeur qui les enveloppait. Il s'agissait en fait d'Havoc qui était monté sur l'estrade ayant servie aux discours plus tôt dans la soirée afin de présenter de nouveaux remerciements à ses convives avant qu'une foule plus nombreuse ne prenne congé, et de lancer une nouvelle batterie de musiques entraînantes.
Ainsi tirés de leur rêverie, Roy et Riza clignèrent plusieurs fois des yeux, comme s'ils ne comprenaient pas ce qui venait de se produire, puis se dégagèrent l'un de l'autre, brusquement embarrassés et fuyants. Sans réfléchir, elle remit ses cheveux en place, bien qu'ils n'en eussent pas besoin, afin de se donner une contenance. Elle sentait ses joues s'empourprer violemment, vrillant son cerveau d'une chaleur assommante. Elle pensa à vite réinstaurer un dialogue neutre afin de dissiper cette tension qui les avait saisis.
-"Merci pour cette danse Colonel" fit-elle après s'être éclairci la gorge.
-"Hum... De rien. Ce fut... Ce fut un honneur Lieutenant." répondit-il d'une voix bien trop blanche à son goût.
Elle lui adressa un sourire affecté et inspira profondément pendant qu'elle remettait de l'ordre dans son esprit chamboulé. Que n'avaient-ils donc pas failli faire ?! Que s'était-il donc passé ?! Elle se refusa à céder à la panique tout en se repassant le film mental de leur danse.
-"Nous ne devrions pas rester sur la piste, venez, allons à l'écart."
Roy avait parlé doucement mais elle n'avait pu s'empêcher de sursauter. Sans un mot elle suivit le Colonel jusqu'à l'endroit où elle était installée plus tôt avant qu'il ne lui offre sa main. Il ne semblait pas plus à l'aise qu'elle et elle se réjouit intérieurement que la musique se fût arrêtée avant qu'ils ne commettent une grossière erreur. Toute cette soirée était décidément bien trop irréelle à son goût, elle avait besoin de se remettre les idées en place et de se confronter à la véritable réalité. Pour commencer, il était nécessaire qu'elle prenne un peu l'air afin d'oxygéner son cerveau encore bien trop embrumé et il n'en fallut pas plus pour qu'elle décide de mettre un terme définitif à la fête.
-"Bien. Colonel. Cette fois il faut vraiment que je parte. Il se fait tard, la soirée a été suffisamment longue pour moi et je n'aimerais pas devoir poser un congé demain matin pour excès de zèle et de fatigue."
Le jeune homme se tourna vers elle, pris de court. Ils avaient été si proches de franchir l'interdit il y a de cela à peine quelques minutes, qu'il regretta soudain de voir Riza lui filer entre les doigts. Il ne savait pas à quoi s'attendre d'autre ni comment agir ou se comporter, mais il était sûr d'une chose : ils ne pouvaient pas se quitter ainsi... là... comme ça... Réfléchissant à toute allure, il se saisit de sa veste qu'il revêtit et lança d'un air entendu :
-"Vous avez raison et je devrais en faire autant. Le travail n'attendra pas et nous n'avons pas la chance de convoler en justes noces comme certains ici. Laissez-moi vous raccompagner un bout de chemin."
-"Ne vous donnez pas cette peine, ce n'est pas nécessaire je vous assure."
-"Voyons Lieutenant ne soyez pas ridicule, votre demeure est sur ma route, je peux bien vous escorter jusque là."
-"Croyez-vous vraiment que j'aie besoin d'une escorte ?" répliqua-t-elle d'un air de défi.
-"Non évidemment." rit Mustang, se souvenant soudain qu'il parlait à la femme la plus crainte du pays. "Mais si vous et moi partons, nous n'avons d'autre choix que de marcher quelques pas ensemble alors laissez-moi vous accompagner." finit-il avec un sourire penaud.
-"... C'est gentil à vous Colonel." souffla-t-elle devant la constatation évidente qu'ils devaient effectivement emprunter le même chemin pour rejoindre leurs appartements respectifs. Cherchant Havoc des yeux, ils se faufilèrent afin de lui tirer leurs révérences, embrassèrent sa femme, serrèrent machinalement quelques mains et saluèrent de loin les derniers invités, l'esprit déjà bien loin de la fête.
-"Bien... Nous y allons ?" demanda Roy en se tournant à nouveau vers Riza.
-"Nous y allons." répliqua-t-elle d'une voix égale.
Alors qu'ils gravissaient les marches qui les amenaient à la sortie, la jeune femme s'étonna de ne plus être enveloppée par la chaleur qui régnait, bien au contraire... En marchant à côté du Colonel et en se remémorant la chaleur de son corps contre le sien, elle le ressentit du plus profond de son être : à chaque endroit où il avait pu déposer son contact et ses caresses... elle avait maintenant amèrement froid...
Une fois dehors, elle frissonna.
- « Vous avez froid Lieutenant ? »
- « Un peu… Il faisait chaud à l'intérieur », répondit-elle vaguement.
Elle sentit qu'on lui glissait une veste sur les épaules. Elle se tourna vers l'alchimiste, surprise. Il lui sourit.
- « Je vous interdis de prendre froid Hawkeye. J'ai besoin de vous au bureau demain matin à 8h tapantes au plus tard. »
- « Bien Colonel », rit doucement la jeune femme en serrant instinctivement la veste de Roy.
Ils se mirent à marcher silencieusement. Roy laissait ses pensées dériver, tiraillé entre le regret de cette danse au goût d'inachevé et peut-être un certain soulagement à ne pas avoir atteint ce qu'on pourrait appeler le point de non-retour. Riza, elle, était encore gênée et laissait son regard traîner négligemment sur les pavés, vidant ses pensées des images qui tournaient dans sa tête. La nuit était claire et fraîche, la lune veillait la ville endormie et pas un bruit ne venait troubler la tranquillité de la petite rue.
- « Ce genre de soirée vous a-t-il conquis Lieutenant ? », fit soudain Roy.
- « Oh… Je n'y suis pas à ma place Colonel. Je n'ai jamais eu pour habitude de m'attarder sur ce genre d'activité mondaine. De temps à autres cela ne me dérange pas, je me félicite d'avoir un contact facile si le cœur m'en dit mais c'est juste que je ne me sens pas dans mon élément. »
- « Non bien sûr. Vous êtes plus habituée aux stands de tir. »
Riza se mit à rire, heureuse que le Colonel détende l'atmosphère. Son cœur battait toujours plus rapidement qu'à l'ordinaire, elle était stupéfaite de constater qu'avoir encore cette robe sur le dos la faisait se sentir plus vulnérable alors qu'elle aurait pu aisément reprendre le contrôle de la situation. Mais quelque chose s'était produit, quelque chose qui n'aurait pas dû se produire... Et à présent ils étaient seuls. Et la veste de Roy contre sa peau, pleine de son parfum et de sa chaleur, ne la troublait que davantage.
- « C'est fort probable Colonel, je ne le cache pas. »
- « Vous êtes trop forte pour moi Lieutenant. J'ai bien de la chance de vous avoir sous mes ordres. »
- « En effet, sinon je n'ose imaginer quelle monstrueuse pile de dossiers en retard traînerait sur votre bureau sans oublier votre forte tendance à oublier votre vulnérabilité les jours de pluie. » Le jeune homme rit à son tour.
- « Vous me connaissez donc si bien ?!… »
- « Après tant d'années à votre service, ce serait difficile de ne pas connaître vos principales caractéristiques Colonel », répondit-elle d'un ton taquin.
- « Sans doute… »
Tant d'années… C'était vrai pourtant. Elle était à ses côtés depuis si longtemps qu'il ne se souvenait que difficilement de la vie qu'il menait avant de la voir quotidiennement. Elle avait su se hisser à ses côtés de telle façon qu'elle lui était devenue indispensable dans son ascension. Il l'admirait pour ça. Elle avait toujours veillé sur lui et était l'une des rares personnes sur qui il pouvait se reposer. Mais malgré tout ce temps et cette confiance, il n'y avait jamais eu entre eux que leurs incessants jeux de chat et de souris. Ils étaient passés maîtres en la matière et cette situation les avait toujours inconsciemment contentés. Sauf qu'il n'y avait jamais véritablement réfléchi jusqu'à ce fameux jour où il avait failli la perdre... par deux fois… Car sa présence avait, du plus loin qu'il se le rappelait, toujours représenté un acquis, jamais il ne lui serait venu à l'esprit d'envisager de ne plus voir son Lieutenant, de ne plus la savoir prête à le soutenir, de près ou de loin. Ainsi, il en avait perdu de vue à quel point il tenait à cette présence. Ne dit-on pas que c'est lorsqu'elles nous échappent que les personnes chères à nos yeux nous paraissent plus précieuses encore ? Et c'est ce que les dernières épreuves passées contre les homonculus lui avaient appris. Mais ce que cette soirée, hors de son contrôle, lui avait appris de plus, c'est qu'il ne supporterait pas de voir sa présence se tourner vers un autre, et qu'égoïstement, il voulait sa personne tout entière.
- « En ce qui me concerne, j'ai l'impression ce soir, de vous connaître moins que je ne le croyais. J'avoue que j'en suis frustré. »
- « Ha ha ne dites pas de sottises Colonel, nous avons tous une face cachée, si tant est qu'on puisse l'appeler ainsi. Je n'ai pas dit que je connaissais tout de vous non plus ! »
- « Je suis sûr que vous en êtes soulagée ? », répondit-il avec un sourire malicieux. Riza rit à nouveau.
- « Effectivement je crois que j'en sais suffisamment en tant que Lieutenant ! »
- « En tant que Lieutenant… », laissa-t-il échapper dans un murmure presque inaudible.
Plus encore qu'il ne se l'avouait, il avait besoin d'elle… Tant besoin d'elle que ce n'est certes pas un simple supérieur qu'il désirait représenter. Un frisson le parcourut à cette pensée. Peut-être était-ce finalement pour cela qu'il ne s'était inconsciemment jamais lié à une femme, et non pas parce que, comme il se plaisait à le croire, ses hautes fonctions ne lui laissaient pas le loisir d'y consacrer son temps et son esprit. Il papillonnait d'une fleur à une autre et jouissait de ce que la vie lui offrait sans jamais y attacher son cœur. Etre un Don Juan et en jouer, aimer séduire et maîtriser son art, se laisser attendrir par la douceur de l'une ou l'insouciance de l'autre, c'était une chose, mais tomber sous le joug de l'amour en était une autre. Une chose plus effrayante qu'on ne se l'imagine… Mais Riza ne se tiendrait pas éternellement dans son ombre quoi qu'il fasse. Devait-il cesser de s'accommoder de cette vie confortable pour risquer de se perdre dans l'inconnu ? Même si elle lui avait fait part de son attachement de façon explicite et poignante lorsqu'elle avait tenté de le raisonner face à Envy l'homonculus, rien ne stipulait qu'elle souhaitait voir cet attachement se développer dans l'interdit d'une relation passionnelle, intime... amoureuse tout simplement... Devait-il risquer de perdre sa présence rassurante à ses côtés ou prendre enfin ses responsabilités et se battre pour elle ? L'habitude de l'autre pour chacun d'eux s'était tellement ancrée qu'il avait peur de briser cet équilibre. Cependant, une petite voix lui soufflait qu'il n'appartenait pas qu'à lui d'en décider, et il ne lui fallait pas davantage que cette danse partagée avec elle pour en être certain. Car il avait senti cette intensité, ce courant électrique entre eux, puis ce rapprochement comme lorsque l'on apprivoise un animal peureux et cette hésitation, cette attente presque… Jamais ils n'avaient franchi autant de ces barrières qu'il y avait entre eux et jamais ils n'avaient été aussi proches de s'abandonner à l'autre. Cela il en était persuadé.
Ils marchaient toujours lentement dans la rue calme et déserte, l'ombre des arbres qui bordaient leur route semblait vouloir protéger les demeures endormies et quelques lointains grillons chantaient paisiblement. Mais Roy s'arrêta soudain.
- « Riza… »
Elle s'arrêta à son tour, quelques pas plus loin.
- « Oui Col… »
Elle s'interrompit brusquement, un choc soulevant sa poitrine, réalisant que Roy l'avait appelée par son prénom. Elle resta interdite, le cœur battant. Son sourire s'évanouit devant le regard fixe et intense qu'elle croisa.
Il ne se passa rien pendant un moment. Riza ne savait que faire ni même que penser, le regard de Roy était insoutenable mais elle savait qu'elle se sentirait plus désorientée encore si elle s'en détachait maintenant.
Puis elle vit le Colonel esquisser un sourire et s'approcher sans la quitter des yeux. Elle fit instinctivement un pas en arrière et eut un léger sursaut lorsqu'elle sentit la main de Roy glisser sur sa joue. Dans son esprit embrumé, elle eut juste le temps de repenser au papillon de nuit joueur venant se brûler les ailes dans les flammes incandescentes, avant que ce qu'elle redoutait tout autant qu'espérait n'arrivât. Elle sentit deux bras puissants la serrer contre un torse large, lui interdisant de reculer davantage, elle sentit à nouveau la chaleur masculine de ce corps contre le sien… Elle était à sa merci… Elle sentait son parfum, son souffle caresser ses lèvres, elle entendait sa respiration et ces yeux qui brillaient d'une lueur qui la transperça de part en part, ces yeux dans lesquels brûlait ce feu qu'elle n'approcherait jamais de si près… Un feu de désir qui s'apprêtait à la consumer… Fébrile et vaincue, elle s'abandonna dans ses bras, Roy prit lentement ses lèvres. Un long frisson parcourut l'échine de la jeune femme qui laissa leurs lèvres jouer un instant, à l'unisson, se rencontrer, se réunir, découvrir leur contact, leur goût, leur texture. Puis l'échange s'approfondit peu à peu, son souffle se répandant dans ses veines, une langue venant doucement à la rencontre de sa jumelle, la faisant frémir… Le baiser était tendre et passionné, elle savoura chaque seconde de cet irréel instant, ses mains agrippées aux larges épaules comme pour ne pas perdre pied avec la réalité. Elle se sentait enivrée, la nuit, les arbres, les grillons, le vent d'automne, plus rien n'existait, il ne restait que leur deux corps serrés l'un contre l'autre, et ce contact voluptueux, cet échange suave et grisant, ce baiser qu'ils avaient, sans se l'avouer, attendu depuis si longtemps…
Riza ne se souvenait pas d'avoir été prise un jour dans une telle étreinte. Elle avait déjà eu des aventures certes, mais jamais elle ne s'était sentit aussi vibrante… aussi vivante… Et jamais, ô grand jamais, le corps qui la serrait si passionnément n'avait été si doux et aimant. Seuls au milieu de cette rue, leur étreinte ne semblait pas vouloir prendre fin. Leur baiser continua sa danse langoureuse, une main se posa sur sa joue, caressante, tout son être se faisant prisonnier de ce corps rempli de désir… Lorsqu'enfin leurs lèvres se séparèrent doucement, les joues rougies et les poumons en feu, elle n'ouvrit pas tout de suite les yeux, sentant toujours la main caressante sur sa joue. Puis lorsque son regard enfiévré croisa enfin celui de Roy, elle frissonna et réalisa soudain la situation dans laquelle ils se trouvaient. Son expression se changea en surprise et elle se dégagea brusquement des bras du militaire, s'arrachant à la chaleur de son étreinte et s'éloignant brutalement de ce visage trop près du sien. Décontenancé, il la regarda avec un mélange d'étonnement et d'incompréhension. Mais Riza ne prononça pas un seul mot, couvrant ses lèvres de sa main comme si elle regrettait de les avoir offertes quelques secondes plus tôt.
-"Riza ?" souffla Roy encore lui-même étourdi par leur échange et l'audace dont il avait fait preuve. Mais cette dernière recula davantage, les yeux fixés sur lui de façon presque alarmée. Elle secoua la tête, comme pour insister sur le déni qui naissait en elle. Puis elle tourna les talons et se mit à courir. Roy amorça un geste pour la retenir mais son ombre se fondait déjà dans la profondeur de la nuit, le laissant seul à ses interrogations.
Il était tôt… Le QG était encore silencieux et les couloirs froids de l'absence d'activité. Mais le Colonel Roy Mustang était déjà plongé dans ses paperasses. Il cherchait autant à se débarrasser au plus vite de ces documents que s'occuper en attendant l'arrivée de son Lieutenant. Il avait pensé à elle toute la courte nuit qu'il venait de passer, pensé à leur baiser, à cette ligne qu'ils avaient enfin franchie, à cette passion qu'ils s'étaient offerts l'espace d'un instant, puis à cette réaction inexplicable de Riza, à cette peur qu'il avait vue dans son regard. Timidité ? Submergée par trop d'émotions ? Ou… regrets ? C'était ce qu'il avait bien l'intention de découvrir lorsqu'elle franchirait le seuil de son bureau ce matin, car déjà il ne rêvait que d'une chose : pouvoir à nouveau la serrer dans ses bras. Il était trop tard pour faire marche arrière, et rien ne l'empêcherait de quérir son amour à présent. Il avait réveillé un feu inextinguible, un feu qu'il avait redouté car c'était le seul qu'il ne puisse maîtriser, le seul qui puisse le dévorer.
Les rayons du soleil matinal balayaient doucement la pièce vide et silencieuse. Seul le grattement de la plume sur le papier se faisait entendre. Lorsque le silence fut rompu, quelqu'un frappant vigoureusement à la porte, Roy lança un faible « entrez » sans même relever la tête.
-« Riza Hawkeye au rapport. Je viens vous apporter un dossier urgent mon Colonel. »
Roy leva enfin les yeux vers le visage de la jeune femme qui avait glissé le document sur le bureau. Il n'en fit rien paraître mais il se trouva surpris de constater qu'Hawkeye avait sa mine solennelle de tous les jours. Elle était calme et décidée, pas l'ombre d'une gêne, rien qui eût pu faire croire qu'un événement troublant s'était produit il y avait à peine quelques heures. Bien loin de ce que Roy aurait pu imaginer aux vues de la réaction qu'elle avait manifesté la veille.
Durant cette courte réflexion, il garda le silence, observant les iris ambre qui ne sillèrent pas jusqu'à ce que Riza reprenne la parole.
-« Et… J'ai oublié de vous rendre ceci. »
Elle tendit la veste de son supérieur, le visage toujours sévère, tout en accrochant du regard un point fixe sur le meuble de bois. Le jeune homme esquissa un léger sourire qu'elle put néanmoins apercevoir, se leva et fit le tour de son bureau pour reprendre son bien. Elle sentit vivement qu'il l'observait d'un regard qu'elle ne souhaitait absolument pas croiser à ce moment précis. Elle garda les yeux obstinément fixés sur le bureau, même lorsqu'il lui prit doucement la veste, frôlant sa main. Roy resta à côté d'elle, posant négligemment le vêtement sur le meuble.
-« … Et ? », l'incita-t-il plein d'espoir, espérant un geste, une parole sur cette soirée. Elle posa enfin son regard sur lui, un regard impassible…
-« C'est tout mon Colonel. » Elle le salua et se dirigea vers la porte.
Roy était abasourdi. Il avait envisagé et passé en revue toutes les éventualités possibles… sauf celle-ci. Cependant, il se retourna vivement vers elle, loin de lâcher prise, c'était mal le connaître que de penser qu'il reculerait si vite.
-« Attendez… Lieutenant !… » Elle se saisit de la poignée. « Riza attends ! »
L'interpellée stoppa son élan et se tourna vers lui, la mine fermée. Roy s'approcha lentement d'elle, peu rassuré par son silence mais fort de sa témérité. Il s'arrêta si près qu'elle dut se coller contre la porte et rassembler tous ses efforts pour ne pas paraître embarrassée. Elle s'était préparée à faire face…
-« Riza… A propos de ce qui s'est passé hier soir… »
-« Il ne s'est rien passé. », coupa sèchement la jeune femme.
Cette phrase eut l'effet d'une douche froide sur le militaire. Il en resta sans voix pendant quelques instants qui lui parurent plus pesants que n'importe quel dossier accumulé sur son retard.
-« Pardon ?! », rétorqua-t-il abasourdi.
Riza soupira, résignée à devoir s'expliquer.
-« Il ne s'est rien passé Colonel. Nous ferions mieux d'oublier cette soirée, c'était une erreur. Vous en conviendrez certainement comme moi. C'était une grande fête, une grande occasion, il y avait beaucoup de monde, nous avons dansé, nous nous sommes laissés entraîner par l'atmosphère et l'allégresse, mais aujourd'hui nous redevenons Colonel et Lieutenant, en d'autres termes, nous redevenons tels que nous sommes réellement. Il n'y a plus de musique, plus de piste de danse, plus de paillettes, plus d'esprit embrumé par l'alcool, bref plus rien pour troubler notre jugement. Ainsi, à présent que nous avons recouvré des idées claires et objectives, le mieux pour vous comme pour moi est d'oublier l'erreur que nous avons commise. La soirée nous a simplement tourné la tête, mieux vaut cesser d'y songer et juste conserver un bon souvenir de cette fête. »
Roy n'en croyait absolument pas ses oreilles. Il s'indignait intérieurement d'une telle méprise. Comment pouvait-elle lui dire de telles choses alors qu'il avait enfin fait un grand pas en avant, après toutes ces années à nier l'évidence et à se mentir à soi-même ? Tiraillé entre ses démons intérieurs et sa volonté de vivre ? Ses devoirs et ses désirs ?
-« Vous… Vous croyez vraiment que j'ai fait cela sous l'emprise de la danse, de la fête, de l'alcool ou de je ne sais quoi ?! » siffla-t-il entre ses dents.
-« Colonel je vous en prie soyez réaliste !… »
-« … De quoi ? », fit Roy déstabilisé sans savoir ce qu'il questionnait.
-« Ce n'est que moi ! », s'emporta-t-elle aussitôt alors qu'il s'était reculé comme pour mieux la détailler, espérant peut-être ainsi mieux saisir le sens de ses paroles. « La vérité c'est que vous êtes tombé, l'espace d'un instant, sous le charme d'une belle robe, d'un peu de laque et de maquillage ! Mais ce n'est que moi… Je ne suis pas différente de celle que vous connaissez Colonel… Je ne suis que votre Lieutenant Riza Hawkeye, je n'ai pas d'autre rôle que celui de vous soutenir, et croyez-moi je veux vous soutenir ! Mais vous savez tout ça. Vous savez bien ce que nous sommes n'est-ce pas ? Alors s'il vous plaît... Oubliez... Vous avez simplement croisé le chemin d'un mirage… »
Sous le coup de ces paroles lancées avec un mélange d'affliction et de véhémence, Roy se retrouva complètement figé, incapable de parler, son cerveau assimilant peu à peu la douloureuse vérité qui lui avait éclaté à la tête. S'était-il réellement fourvoyé ?
Devant le silence et l'expression hagarde de son Colonel, Riza comprit que la balle avait cette fois atteint sa cible et qu'il réfléchissait sérieusement à tout ce qui venait d'être dit. Satisfaite, elle en profita pour se retirer.
-« Mon Colonel. » Elle salua puis se glissa hors de la pièce, le laissant à ses réflexions, perplexe au milieu de son bureau.
A suivre...
