Fait pour le "concours de minuit". Je dois être vaguement hors-sujet et je m'en fiche. Comme le dit le texte, la leçon sur 'faut pas mentir, on l'a déjà eue, moi je veux voir la punition.


Mentir pour mentir

Quand la pouline avait appris que sa sœur se rendait au palais royal de Canterlot, elle avait été super contente. Quand Rarity avait suggéré qu'il y avait moyen de l'accompagner, la petite avait été vraiment super contente. Quand elle comprit que l'invitation allait s'étendre jusque devant la princesse Celestia en personne, devant elle, sur son trône, elle avait crié comme une fillette. Et à présent à l'approche des portes célestes, les petits sabots tout tremblotants d'impatience sur ce tapis velouté qui semblait fait de nuage tout doux, elle trépignait pour ne pas bondir et faire honte à sa sœur.

Elle s'était laissée soigner sa petite crinière de rose léger et poudrer celle-ci comme les perruques jusqu'à briller, et elle avait peur d'éternuer à nouveau. Elle avait peur qu'on entende ses petits gloussements étouffés entre les lèvres, ou que son pas soit trop rapide ou trop lent ou que son cœur batte trop fort mais par-dessus tout elle avait peur de manquer la courbe des fenêtres, les sculptures du hall, les marbrures infinies de l'escalier ou bien le port splendide des gardes dans leurs armures d'or.

Ne surtout pas décevoir sa sœur.

Lorsqu'elles franchirent les portes et que devant les deux sœurs aux robes blanches se dévoila le trône, cette pièce baignée par la lumière d'un jour éternel, étendards dressés et la souveraine assise au-dessus des sources d'eau sur ce symbole du pouvoir régalien, à ce mot qui lui fit tourner la tête la petit cria :

"Regarde, Rarity ! C'est elle, c'est la princesse !"

"Je sais" lui sourit, embarrassée, sa grande sœur en agitant la patte que la pouline tenait à toutes forces.

Sweetie Belle réalisa ce qu'elle venait de faire, se dépêcha de reculer de deux pas et toute raide, s'excusa d'une petite voix avant de suivre sa sœur déjà tendue. Ce n'était pas juste une visite protocolaire, songea la petite en plongeant le regard sur l'allure de ses sabots. C'était le futur du magasin que la talentueuse licorne voulait ouvrir à Canterlot, dans les meilleurs quartiers, c'était le rêve de sa sœur qui devait se réaliser. Elle tourna la tête sur les lumières tamisées, vit ces vitraux et leurs histoires, les jalons légendaires d'Equestria, chacun vrai, et chacun donnant la destinée de milliers de poneys. Si elle empêchait celle de sa sœur, avala la petite angoissée, elle ne se le pardonnerait jamais.

"Princesse Celestia !" La voix de Rarity s'éleva pour saluer la souveraine, et elle attendait les derniers pas pour ajouter d'autres salutations.

"Rarity, la plus talentueuse aiguille du royaume ! Quel plaisir de te voir !"

Et prenant de court sa secrétaire la princesse se leva de son trône – ses ailes frémissant à ce mouvement, ce qui fit bondir la petite encore plus que le regard plein de douceur de Celestia sur les deux sœurs – avant d'en descendre les marches et rejoindre la licorne qui se pressait pour s'agenouiller devant elle.

"Et quel plaisir de te voir, Sweetie Belle !"

À l'instant où la joie aveugle allait la faire crier, la pouline ne laissa échapper qu'un sifflement serré entre ses dents, sourire figé, des regards pleins de panique pour Rarity. Son instinct lui disait de bondir de joie, ses consignes de ne surtout rien faire et prise entre les deux feux de son cœur et de son éducation, elle se contenta de hocher la tête. "Sweetie Belle" murmura longuement Rarity entre ses lèvres, toujours sabots à terre devant la princesse, et Sweetie Belle se rendit compte qu'elle était toujours debout.

Celestia sourit chaleureusement : "Que diriez-vous de nous promener dans le parc ? Nous pourrions y parler tranquillement."

Nouveaux regards de la pouline pour essayer de savoir quoi faire. Sweetie Belle était si tendue qu'à part les tremblements elle paraissait une statue dont le sourire forcé faisait presque peine à voir. Elle ne se détendit qu'une fois que Rarity, remerciant la princesse, se relève puis suive la majestueuse alicorne, que les ailes de plumes si longues et si douces frôlent sa crinière et fassent tomber un peu de poudre sur son museau et la fassent éternuer.

Elle se tourna pour les suivre, se rendit compte que toutes deux avaient déjà atteint les portes et Rarity se tournant : "Sweetie Belle !" Avec un petit sourire encourageant qui lui révéla que sa sœur était contente d'elle.

Petit saut de joie !

Puis elle regarda encore les vitraux et leur lumière tamisée, ces coins durs marquant le destin passé et futur de toutes les poulines et de tous les poulains. Et elle songea, un instant, que quand la princesse s'était levée plus que les ailes c'était le regard, ce regard si plein de compassion, que Celestia avait posé sur elle, qui l'avait faite bondir. Se l'était-elle imaginé ? La secrétaire quittant à son tour le trône mit fin à sa rêverie, son pas sec poussant la petite à se précipiter dehors pour retrouver sa sœur.

Dans le couloir, pas de grande soeur. Il n'y avait pas même une ombre au coin d'un couloir, pas seulement une rumeur de sabot ou de voix. Le palais était entièrement silencieux et les seules présences, celles des gardes à leur poste, la firent se sentir plus isolée encore. Elle demanda à l'étalon le plus proche, où était partie la princesse. Le garde ne tourna pas même le regard sur elle. "Eh !" S'insurgea la petite, avant de se rappeler la réputation des gardes. Le symbole de la souveraineté, les représentants de la divinité ou quelque chose comme ça. Et quand elle songea à demander à la secrétaire, celle-ci avec son pas sec avait déjà disparu.

Alors Sweetie Belle décida de prendre un couloir au hasard, et elle oublia un moment qu'elle cherchait sa sœur pour admirer les tentures, les sculptures et le marbre carrelé du sol. Puis au tournant elle crut s'émerveiller, tant le couloir avait changé pour les dorures et elle eut l'impression qu'une saison entière était passée, qu'elles étaient en automne.

Continuant, elle trouva un escalier en colimaçon. Descendre, monter, la petite n'en avait aucune idée. Elle décida de monter et toujours plus haut, des centaines de marches et elle sentit soudain, par les fenêtres étroites, l'air frais sauvage lui soulever son crin blanc ainsi que la poudre de sa crinière. Elle eut un petit éternuement par réflexe, se demanda à quelle altitude elle pouvait être. Où elle pouvait être. L'escalier s'achevait enfin, s'ouvrant sur une pièce assez confortable, pleine d'instruments de mesures et ouverte sur un balcon où trônait le télescope. Le lieu semblait peu fréquenté, comme secret.

Elle sentit qu'elle n'aurait pas dû être là.

Mais déjà toute son attention s'était concentrée sur une seule chose : il y avait, près du perchoir où trônait un phoenix endormi, l'image parcheminée d'une marque de beauté. Et son cœur se mit à battre comme jamais. Cette marque lui était totalement étrangère, et plus familière qu'aucune. Elle voulait cette marque. De tout son cœur. Elle s'approcha, regarda le bureau puis un coup d'œil au perchoir pour s'assurer que le phoenix dormait bien, puis de nouveau au bureau et à toutes ses lettres en désordre.

Les sceaux étaient innombrables, la signature gracieuse de la princesse côtoyant celles des bibliothécaires et l'une, tout aussi soignée, d'une autre princesse. Elle vit son nom : elle vit "Sweetie Belle" écrit et cela en quelques instants, puis elle se rendit compte que son nom revenait partout. Et celui d'Applebloom. Et celui de Scootaloo. Alors, le cœur battant toujours, elle se mit à lire et à lire et à lire et à lire encore. Et peu à peu la surprise laissait place à l'étonnement, puis à la peur, à un peu de joie, à beaucoup de peur encore jusqu'à ce que les larmes commencent à naître sur ses yeux. Elle se sentit sangloter, bouscula les pages où s'étalait sa vie entière. Le phoenix se réveilla à ce bruit, tourna sur elle son regard de flammes puis se mit à crier, un cri sauvage de rapace qui la fit sursauter.

"Je suis désolée, je voulais pas…" bredouilla la petite face à l'oiseau flamboyant, ailes grandes ouvertes, qui la regardait reculer.

Alors sans plus y songer la pouline se tourna pour courir par la porte, poursuivie de peu par le phoenix et ses cris, et elle crut échapper de peu aux serres en se jetant dans l'escalier. Dans sa peur ses sabots faillirent glisser : elle parvint à galoper toujours plus bas, les yeux pleins de larmes, sans vouloir comprendre. Elle songeait juste, à cet instant, qu'elle avait été où elle ne devait pas être, et qu'on allait la punir. Et elle n'arrivait plus à contenir ses larmes. Le couloir apparut devant elle, la fin des escaliers. Un garde la vit surgir, l'interpella : elle s'enfuit encore sans plus réfléchir à rien, aussi loin que la porteraient ses pattes. Elle voulait trouver Rarity, le plus vite possible, et se blottir dans ses sabots.

Les sabots de Rarity étaient au détour du couloir. "Sweetie Belle !" s'exclama sa sœur en voyant la petite sous sa crinière un peu sonnée par la bousculade. À leurs côtés la princesse regardait, soucieuse, les deux sœurs qui se retrouvaient.

"Nous étions inquiètes." La voix de Celestia portait une sincérité touchante.

"Sweetie Belle, où étais-tu passée ?" Rarity voulut grogner, plus ou moins en vain, son inquiétude encore palpable. Le remord, aussi, était sensible et celui-là ajouta au serrement de cœur de la pouline.

"Vous aviez disparu alors je vous ai cherchées partout et puis il y avait l'escalier et puis…" elle fut étouffée par un sanglot.

"J'espère que tu n'as pas fait de bêtises !" Voulut encore gronder sa sœur en lui frottant la crinière.

Sweetie Belle n'écoutait plus. Elle avait tourné les yeux, entre ses larmes, sur ceux de la princesse céleste. Elle se rappelait les lettres, les signatures, les sceaux et tout ce qu'elle avait lu, et elle cherchait sur ce visage plein de compassion quelque chose qui lui dirait comment réagir. Mais il n'y avait rien qu'une attention sincère, le souci qu'elle aille bien, au point que la petite crut s'être trompée. Entre de nouveaux sanglots elle supplia sa sœur : "Je veux rentrer !" Et à sa surprise sa sœur, après un temps d'hésitation, lui frottant toujours la crinière murmura qu'elle était d'accord.

Le train arrivait à Ponyville le soir même. Sweetie Belle passa la nuit au Carousel Boutique et, le lendemain, après une nuit de geignements, elle tremblait encore. Dans le couloir où les deux sœurs se croisèrent la petite eut un petit sourire en disant : "Je crois que je vais mieux." Une manière de dire, "désolée".

La gracieuse licorne face à elle, encore en robe de chambre, n'en crut pas un mot. Après lui avoir touché le front, jugeant qu'il n'y avait pas de maladie, elle demanda soucieuse :

"Est-ce que tu vas bien ? Tu es une grande pouline" continua-t-elle en se voulant rassurante, "ce n'est quand même pas de t'être perdue qui te met dans un tel état ?"

"Non."

"C'est à cause de moi ?" Suggéra prudemment la talentueuse licorne. "Je suis vraiment désolée de t'avoir laissé-"

"Tu me l'as dit durant tout le voyage de retour !" Coupa brutalement la petite, comme prise d'un accès de rage. Elle se rendit compte de son ton, de l'expression choquée de sa sœur et, rapidement : "Je vais voir mes copines !" La petite se précipita pour sortir.

Toute la nuit les idées avaient tourbillonné dans sa tête, pareillement à une tempête de flammes qui aurait des cris de rapace. À la suite de ces rêves fiévreux, sa seule envie avait été de retrouver ses amies, de leur parler. Et à présent qu'elle se retrouvait devant elles, avec leurs mines habituelles et joyeuses – et un peu inquiètes de la voir un peu agitée – et leurs flancs blancs, dans cette cabane qui serait la leur pour… elle se contenta de répondre "bien" à leur question puis d'aller se coucher dans leur coin à idées, sous la lampe éteinte. À regarder la fenêtre comme s'il aurait dû y avoir un vitrail.

Les deux amies se regardèrent, regardèrent leur amie puis Scootaloo donna une tape à la pouline et son gros ruban. "D'accord, d'accord" grogna celle-ci et dans des hochements de museau entendus Applebloom trotta jusqu'à leur amie effondrée.

"Eh, Sweetie Belle ?" Elle supposa qu'un grognement signifiait de continuer. "Tu t'souviens quand j'voulais tellement ma marque de beauté qu'j'ai triché et volé une potion d'Zecora et-"

"-Je vais bien." Le ton mi-figue mi-raisin de la pouline surprit ses amies.

Mais Applebloom, après un regard à son amie pégase qui se contenta de hausser les épaules, ne se désarma pas. Elle posa son petit sabot sur l'épaule de Sweetie Belle qui releva la tête, tourna les yeux sur elle.

"J'crois que t'as quelque chose sur le cœur, et tu peux m'croire, ça sert à rien de se taire."

Les yeux de Sweetie Belle s'humidifièrent, tremblants, mais elle détourna les yeux. "Allez, dis-nous !" Lança Scootaloo exaspérée. "On est tes amies, tu te rappelles ?" Puis Applebloom, vaguement impatiente aussi, ajouta d'un ton qu'elle voulait le plus réconfortant possible, que le mensonge causerait plus de mal encore.

Alors Sweetie Belle, la voix brisée, cria : "On aura jamais nos marques de beauté, d'accord ?!" Puis elle replongea son museau entre les sabots, et sanglota.

"Comment ça jamais ? T'veux dire, jamais jamais ?"

Applebloom complètement perdue se tourna vers Scootaloo. Celle-ci, saisie par le ton de leur amie, avait comme plongé dans un autre monde. Puis elle cligna des yeux et :

"Euh… pourquoi au fait ?"

"Ouais, c'est vrai !" Reprit Applebloom, à nouveau confiante. "Toutes les poulines finissent par avoir-"

"Pas nous !" La petite tapa du sabot sur le plancher de bois. "J'étais au palais, et je suis allée dans une pièce en haut d'une tour, et il y avait toutes ces lettres avec toute notre vie dedans, et puis le passé et puis le futur !"

"Cool !" Lança Scootaloo, sans même réaliser.

"Et ça disait qu'on n'aurait jamais nos marques de beauté ! Que la princesse s'assurait qu'elles viennent jamais, pour instruire je sais plus quel poney !"

Les deux amies se regardèrent, incrédules, avant de revenir à leur amie :

"Sweetie Belle, jamais la princesse-"

"Tu n'avais qu'à être à ma place !" Répliqua la petite obstinément. "Des dizaines et des dizaines de lettres qui détaillent chaque moment de notre vie, et qui les préparent, et elle y écrit même qu'elle se sent coupable de nous faire ça !"

Sweetie Belle réalisait enfin que ses amies refusaient de la croire. Elle pouvait sentir, sur elle, leurs regards inquiets et éperdus, qui cherchaient la moindre excuse pour la contredire. Il fallait la réconforter, et elle aurait beau répéter la vérité, la vérité sonnait si absurde qu'aucun poney ne la croirait. Sa sœur ? Twilight Sparkle ? Et à ce nom un nouveau flot d'émotions la submergea, forçant la pouline à se recroqueviller sur elle, le museau presque contre le ventre, avec l'envie de disparaître.

Le plus douloureux n'était pas de ne pas être crue. C'était déjà une punition horrible. Le plus douloureux était que, jusqu'alors, tant qu'elle ne l'avait pas dit, l'idée qu'elle n'aurait jamais sa marque de beauté n'avait été qu'une idée. À présent qu'elle l'avait entendu proféré à haute voix, elle réalisait.

Elle sanglotait.

Elle galopait au travers des rues de Ponyville.

Elle passa la porte de la bibliothèque du Golden Oak dans une ruade qui fit sursauter quelques poneys devant les étalages. "Twilight !" La voix en colère d'Applejack frappa comme un fouet dans la pièce. "Twilight, je dois te parler !" La colère ne voulait pas s'apaiser. L'alicorne lavande se détourna de la pile de livres pour approcher, le bébé dragon à sa suite crocs serrés face aux cris. Tous avaient ces mines inquiètes, bien plus inquiètes par les clameurs que par leur cause.

"Que se passe-t-il, Applejack ? Quelque chose de grave ?"

La voix de Twilight rappelait tellement celle de la princesse, ce souci plein de chaleur où se sentait à peine encore la petite tension de vie de l'étudiante.

"J'ai entendu… un poney !" Lança la fermière sans se calmer. "Ell- il dit que Celestia lui a volé son destin !"

"Oh, c'est Sweetie Belle."

Face au regard peiné, face au sabot qui frottait le sol de gêne, Applejack réalisa tout de suite que son amie savait. Que son amie n'avait pas eu besoin de se tenir par accident derrière la porte d'une cabane dans le verger pour l'apprendre.

"Par tous les Tartares, Twilight ! Qu'est-ce que ça signifie ?"

Et Twilight, d'un ton quittant le remord pour la leçon : "Quand Luna a découvert que les trois poulines n'auraient jamais leur marque de beauté, elle a supplié sa sœur de changer ça. Celestia œuvre jour et nuit pour changer leur destin, mais…"

"Attends voir une s'conde" La tête d'Applejack se secoua. "Celestia veut leur donner une marque de beauté ?"

Et Twilight, à nouveau gênée : "Je sais, on ne devrait pas changer le destin d'un poney, mais-"

"Non ! Non." Et avec un soupir de soulagement la jument terrestre lui sourit : "J'suis r'connaissante au contraire. J'aurais pas supporté d'laisser les p'tites comme ça."

Elles s'échangèrent encore quelques mots, Applejack s'excusant pour sa fougue puis elles se séparèrent, la terrestre ramenant cette bonne nouvelle aux petites.

"Ce serait pas mieux de dire la vérité ?"

"C'est la vérité, Spike," la voix de Twilight vacilla. "J'espère…"