D'habitude, ce genre de questionnement se confiait à une rassurante figure maternelle. Une mère aimante et attentionnée, sans oublier d'être sévère mais juste, pour remettre les pieds sur Terre à son gamin parfois trop rêveur.

Après tout, en plus de parfaitement savoir préparer les plats préférés et attendre à la sortie avec des légumes, toujours penser aux bonnes surprises pour les anniversaires mais ne jamais oublier les résultats scolaires, une mère servait bien à ça. Une oreille attentive, un sourire rassurant, une présence réconfortante. Sans oublier d'être le pire des dragons en cas de faute grave. Par exemple si son fils indigne oubliait de baisser la lunette des toilettes.

Hélas, quand cette présence maternelle était absente, que son doux sourire aimant demeurait un souvenir, que sa disparition n'était pas étrangère à une de vos action malheureuse et que la seule personne que vous pouvez appeler "Maman" se retrouvait six pieds sous terre, il fallait bien trouver un autre individu pour remplir ce rôle ô combien important. Un rôle parfois trop lourd à porter sur de frêles épaules.

Même la carrure supposée être plus imposante d'un père ne pouvait pas toujours assurer cette mission délicate. Un véritable combat mental où les armes se limitaient aux mots justes, des paroles censées et réconfortantes. Sans oublier des encouragements de circonstance à servir au petit enfant éprouvé par ces confidences.

Clyde aimait sincèrement son père, leur lien s'était silencieusement renforcé depuis le décès de Mrs. Donovan et ils avaient appris à vivre seulement tous les deux au cours de ces dernières années.

Le gamin se retrouvait donc bien placé pour savoir que son père n'était vraiment pas doué pour les conversations sérieuses et profondes, qui le mettraient vite mal à l'aise. Son autorité paternelle ne s'illustrait pas davantage pour punir son fils en cas de mauvais résultats scolaires ou le reprendre s'il regardait trop la télévision et faisait venir des filles à la maison sans son autorisation. Parfois, il se contentait de faire quelques petites remarques pas trop incisives à son enfant, mais ça s'arrêtait là.

Si le style trop gentil et excessivement compréhensif que Mr Donovan avait adopté depuis la disparition de son épouse avait jusqu'ici toujours arrangé Clyde, c'était cette fois tout le contraire. Face à ce problème, le gamin avait besoin d'une personne franche, sûre d'elle, qui n'hésiterait pas à lui dire les choses dures. Quitte à le brusquer ou le choquer. Si ça pouvait l'aider à y voir plus clair et comprendre quelque chose dans toute cette histoire à dormir debout.

Une histoire qui pourrait être confiée sans risquer de se faire huer ou ratatiner de rires assassins. La chose s'annonçait donc terriblement délicate si son choix de confident se détachait du milieu familial (Sa sœur habitait bien trop loin maintenant et ils n'avaient jamais été très proches) et du monde des adultes (Car les personnes trop vieilles ne le prendraient pas au sérieux, ou pire, réagiraient de manière disproportionnée)

Il lui restait donc tous ses petits camarades de classe qui ne demandaient que ça, de pouvoir se mettre quelques ragots et histoires croustillantes sous la dent. Surtout quand les anecdotes en question étaient de nature sexuelle, ça éveillaient doublement la curiosité assez malsaine mais tellement humaine dans ces moments-là. Lui-même adorait écouter les récits plus ou moins exagérés de ses congénères sur leurs découvertes soi-disant incroyables au sujet des filles.

Toutefois, même s'il se sentait un peu seul et presque désespéré face à cette situation encore toute récente, Clyde ne voulait pas ouvrir son cœur à n'importe qui. Pas à un sinistre inconnu avec lequel il avait juste échangé quelques mots.

Le plus grand fan de Bebe avait beau ne pas briller par sa vive intelligence pour les études, il savait reconnaître une situation qui le mènerait à un douloureux coup de poignard dans le dos. En plus de devenir la risée de toute l'école en un rien de temps.

La situation n'était pas facile. Loin de là. Mais au moins cet ennuyeux cours de science se révélait être le moment parfait pour se concentrer confortablement sur cet épineux problème. En plus, c'était le dernier cours de la journée. Une fois trouvé selon le profil adéquat, l'heureux élu à partager son secret allait pouvoir se faire cueillir dès la sonnerie et aussi vite être à même de répondre à toutes les questions possibles, pour ensuite proposer un panel de conseils rassurants.

Des conseils pour faire bonne figure devant ses amis surtout, car Clyde avait beaucoup de mal à leur cacher la vérité et faire bonne figure.

Tout particulièrement à Craig, qui, en plus d'être la cause directe de ce problème s'apparentant à un séisme, était aussi concerné par ses tourments. Celui qu'il considérait pourtant comme son meilleur ami, mais que le gamin devait lâchement éviter depuis maintenant presque une bonne semaine.

Le très mauvais acteur qu'était Clyde Donovan avait beau mentir finement en racontant à son ami qu'il était très occupé par d'éreintants entraînements de basket avant un match important et surtout imaginaire, ajouter (Au cas où) qu'il passait beaucoup de temps chez Token pour se faire aider dans ses devoirs, son compère n'était pas dupe. Ni insensible. Pas trop délicat non plus, ni armé d'un minimum de tact, pour lui avoir demandé de but en blanc s'il lui faisait la gueule.

Pas vraiment.

C'était plus compliqué que ça. Tellement que l'ami tout à coup très cachottier ne pouvait pas distinctement expliquer sa gêne vis-à-vis de celui qu'il adorait tant. L'ami que ce gars faussement populaire était sincèrement fier d'avoir, mais qu'il évitait volontairement depuis un certain événement. Une demi-révélation, une ombre sur leur idyllique amitié, un brouillard de questions, un mystère parfois plus confortable qu'une accablante vérité. Bien que ça lui faisait également très mal de délaisser son complice, surtout en étant cloué au mur par son regard plus pénétrant que jamais. Tout en comprenant bien mieux pourquoi être l'ennemi du fan de cochons d'Inde pouvait se classer comme une chose particulièrement angoissante.

Pour ne pas complètement perdre la face et encore plus manquer de respect à Craig, Clyde avait finalement marmonné avec un détachement feint que tout allait bien.

'Pathétique', voilà ce que devait se dire celui qui restait tout de même impassible et l'ami de ce fieffé menteur. Certes, ils étaient tous les deux concernés, sauf que Clyde ne facilitait pas du tout les choses malgré son état de victime des événements et d'ami désorienté.

Craig n'avait pas tort de vouloir briser la glace, mais ses manières n'étaient pas vraiment idéales pour obtempérer la situation. Cracher froidement à la figure de son ami qu'il le prenait vraiment pour un con ne se classait probablement pas dans les dix meilleures méthodes pour renouer le dialogue avec son pote.

Et le fameux pote n'était sûrement pas un ami digne de ce nom pour laisser filer son compère aussi facilement. Le regarder s'éloigner sans dire un mot, le mot qui pourrait miraculeusement tout arranger. À la fois peiné par cette glaçante dispute inhabituelle et agacé qu'il ait fallu que ce genre d'embrouille ambiguë leur tombe dessus.

L'unique bon côté de cette altercation était d'avoir réglé le problème de justification auprès de Craig. Ou, en version plus gênante et impossible, aborder avec lui cet étrange rapprochement à avoir eu lieu en même temps que le visionnage du film le plus mémorable de Brenda Love. Jusqu'à en avoir presque fait complètement oublier cette séance de plaisir ultime tant attendue !

Heureusement que Craig Tucker restait malgré tout son meilleur ami, sinon la faute aurait été irréparable.

D'ailleurs, même du côté de ses plus proches amis, l'herbe n'était pas plus verte pour ses affaires. Token et Jimmy étaient des personnes de confiance, assez matures pour aborder des sujets d'adultes et ne souffraient pas d'un vilain penchant à les rendre goguenards à la moindre bizarrerie. Seulement, ces deux-là faisaient justement partie de sa bande d'amis. Trop de proximité et de complicité pouvaient rendre difficile les aveux. Un ami et une connaissance ne jugeaient jamais de la même manière.

Ce n'était pas non plus la peine de demander l'aide à Tweek. Lui aussi était gentil et fiable, mais être au courant d'un tel secret le mettrait dans un état de stress trop intense. Et puis, ce n'était pas dit qu'il pourrait tenir sa langue avec autant de pression sur ses épaules.

Pour rester dans la lignée des individus sympathiques et compréhensifs, Kenny s'illustrait aussi parfaitement dans cette catégorie. Et puis, à sa manière, le blondinet trouverait tout ça follement romantique. Tout en étant sûrement très amusé de savoir que tout avait commencé à cause du film pour adultes qu'il avait justement confié à son meilleur client. Un client privilégié et un gars avec lequel Kenny s'entendait très bien, tout comme il appréciait la présence de Craig. Tellement que ce satané petit blondinet serait bien capable de laisser échapper des paroles malheureuses devant leur ami commun.

Dans la suite logique, le tarif était le même pour Butters. Trop proche de Kenny et donc, par effet de domino, de Craig.

À cause d'un petit commentaire pas très malin, Clyde était un peu en froid avec Kevin. Mais ce n'était quand même pas de sa faute s'il en avait marre de toujours entendre des références à Star Trek venant de Kevin Stoley, ce gars toujours aussi fanatique de science-fiction et sûrement pas le mieux placé pour comprendre les soucis amicaux.

Cependant, Clyde refusait formellement de se confier à Stan ou Kyle. Et encore moins aux deux réunis.

Non pas qu'ils soient en mauvais terme, les super best friends venaient assez souvent chez Clyde Donovan pour jouer ou regarder des vieux épisodes de Terrance and Phillip, que leur hôte avait soigneusement enregistrés à l'époque de leur diffusion (Et conservait précieusement toutes ses vieilles cassettes).

Il s'agissait plutôt d'un léger problème de fierté et l'anecdote à lui revenir en tête à point nommé illustrait parfaitement la chose.

Ce souvenir n'était pas encore trop poussiéreux ou flou, de toute façon le gamin savait qu'il s'en souviendrait sûrement jusqu'à sa mort. Tellement le constat avait été percutant. Et plus profond qu'un énième râteau balancé par une fille qui ne savait pas ce qu'elle ratait en refusant de sortir avec celui qui se croyait être un parfait tombeur.

Tout avait si bien commencé...

Lors d'un exposé à faire en groupe, le professeur avait eu la merveilleuse idée de mélanger volontairement les élèves peu brillants, ou trop paresseux pour soigner un devoir à rendre, avec les bons éléments toujours très appliqués dans leur travail.

Clyde s'était donc retrouvé avec Token et Kyle, deux des plus doués de la classe. Et les principaux concernés avaient plutôt bien accueilli la situation : Il y avait deux cerveaux survitaminés pour peaufiner le travail et un esprit plus facilement déconcentré qui se chargeait de mettre l'ambiance et d'apporter une touche de bonne humeur. À défaut de trouver toute une liste d'idées détaillées à partir d'un simple livre trop compliqué et ennuyeux à lire, Clyde leur racontait des histoires censées être drôles durant les temps de pause. Ou leur apportait généreusement ses célèbres lemon bars.

Ainsi, le petit groupe atypique avait plutôt bien fonctionné dans la productivité et la bonne humeur grâce à cet équilibre trouvé naturellement et rapidement.

Le fait que ses deux coéquipiers soient également ses amis facilitait aussi sûrement beaucoup les choses. Le moins doué du groupe avait même parié avec son ami Craig que ce cher Kyle aurait été prêt à faire l'exposé tout seul pour être sûr d'avoir un A.

Heureusement pour les heures de sommeil de ce petit rouquin toujours aussi attaché à la perfection de ses résultats scolaires, l'exposé avait assez vite été bouclé. Vite et bien, dans une certaine bonne humeur animée par Clyde. Ce dernier avait même proposé à ses associés de terminer leur travail commun chez lui, dans la soirée du vendredi pour pouvoir tranquillement profiter de leur week-end.

Après avoir vivement approuvé l'idée, ils s'étaient donc retrouvés dans la maison des Donovan pour vérifier les derniers détails et contrôler le travail censé leur donner la note maximale.

Bien qu'ayant lui aussi participé, même de loin, au projet, le membre le moins brillant du groupe avait préféré laisser ses amis se charger des ultimes vérifications. Même en sachant que Kyle allait sûrement encore tout relire minutieusement une fois que le dossier serait chez lui, en attendant de le remettre dès le début de la semaine prochaine.

À vrai dire, Clyde avait eu trop peur de provoquer une catastrophe en osant poser ses mains sur le précieux exposé à frôler la perfection. Il préférait de loin féliciter ses camarades pour ce beau boulot et jubiler discrètement en se disant que cette note allait faire un très bon effet dans son dossier scolaire.

Perdu dans ses pensées, l'éternel soupirant de Bebe Stevens n'avait pas tout de suite remarqué l'écart de conduite notable de Kyle Broflovski. Au lieu de consciencieusement garder le nez dans ses relectures, ce dernier se laissait distraire par son téléphone portable.

N'ayant pas entendu de sonnerie, Clyde considérait que Kyle avait donc lui-même décidé d'arrêter momentanément cette mission de la plus haute importance pour passer ce coup de fil. Il devait vraiment s'agir d'un cas d'extrême urgence ou d'une personne importante. Et d'un sujet pas franchement marrant, vu son air soucieux. Sans oublier ce petit froncement de sourcils très révélateur de son agacement à peine masqué. Jusqu'au dénouement final quand Kyle avait simplement expliqué que Stan était malade, qu'il préférait donc s'assurer que tout allait bien pour son meilleur ami.

Traduction : Stan était une fois de plus complètement bourré, son super best friend (à l'identité à peine masquée de super boyfriend) se chargeait donc de voler à son secours.

Si ses deux amis à le seconder dans son exposé s'étaient montrés d'une compréhension exemplaire, une fois l'ange gardien de Stan Marsh parti, les remarques plus moqueuses avaient fusé. Bien qu'elles restaient très bon enfant et peut-être un brin réalistes. Les deux gamins trouvaient ça tout simplement A-DO-RABLE que Kyle soit si attentionné envers son petit ami, telle une épouse dévouée qui devait prendre soin de son alcoolique de mari.

À l'époque, malgré son fou rire et ses surenchères de plaisanteries au sujet de ces deux amis d'enfance, Clyde s'était senti vaguement envieux. Pas ce sentiment d'amère jalousie, plutôt ce léger sentiment de tristesse causé par une envie après tout bien naturelle quand il était question d'une amitié qui se voulait fusionnelle.

Avec peu de chose, à peine quelques mots, au son d'une intonation ou grâce un simple coup d'œil sur l'autre, Stan et Kyle arrivaient à se comprendre. Savoir quand l'un des deux avait des problèmes ou était mal. Alors que Clyde n'avait même pas remarqué que celui qu'il osait définir comme son meilleur ami était gay... !

Tout comme ce pauvre ami abusé et déjà dépassé par la situation qui n'avait trouvé personne à qui confier ses doutes. Ou n'avait pas encore mis la main sur la bonne personne, pourtant bel et bien présente dans cette salle de classe. Celle toute désignée, que Clyde n'osait pas effleurer même en pensée, par peur de lui faire gaspiller de son temps si précieux ou sa divine sagesse.

Ou, en étant tout à fait conscient de son action, le gamin voulait retarder le plus longtemps possible le moment d'imaginer cet élément problématique comme son confident. Le seul à être au courant de cette affaire en or pour toutes les mauvaises langues et les rapaces de cette école.

Un camarade de confiance. Avec du talent pour écouter les autres et savoir à son tour trouver les bons mots. Les mots parfaitement justes venant d'un gars qui n'avait pas peur de parler avec franchise, jusqu'à peut-être choquer son interlocuteur, mais uniquement pour son bien.

Il lui fallait un individu très particulier. Le genre de personnage totalement chaotique, mauvais, qui se donnait des airs de protagoniste loyal bon pour berner son monde de manière à mettre la future victime dans sa poche.

Et cette fois sa victime attitrée, Clyde Donovan, se livrait d'elle-même.

Par douce inconscience issue de sa naïveté qualifiée de stupide. Ou par amitié toujours sincère et loyale tournée vers Craig. Seul son futur confident allait pouvoir juger.