Les avertissements présents dans le résumé ne concernent que ce chapitre. Le reste sera moins... rude.


Les chasseurs

S'échapper des galeries de la mine de cuivre avait été l'étape la plus facile. Les gardes ne se souciaient guère de compter les prisonniers remplaçant les droïdes en panne, classant les disparus comme morts au fond de quelque puits de forage. Ils ne sourcillaient même pas à voir un détenu partir au travail avec son paquetage sur le dos, les vols étant si nombreux.

C'était ainsi que Poe s'était retrouvé dehors, à l'orée d'une étendue de sable rouge parsemée de petits massifs rocheux et de bouquets de végétation rase, avec pour tout bagage une couverture, un sac de couchage, une lampe et une gourde d'eau, et la combinaison grise et crasseuse que portaient tous les détenus de ce monde paumé.

La partie la plus difficile commençait à présent. Il lui fallait gagner au plus vite la formation rocheuse la plus proche, car rester à découvert pendant la nuit, c'était la mort par hypothermie assurée. Il avait vu au fil des semaines les gardes ramener plusieurs évadés malchanceux complètement gelés faute d'avoir pu s'abriter du vent et des températures négatives.

Il avait passé une semaine à progresser par sauts successifs, jusqu'à atteindre une imposante masse de grès d'un brun orangé piquetée de grottes et de niches. C'était là qu'il avait trouvé de l'eau et un trou à l'abri du vent, ce qui avait décidé de son installation. Il pouvait à peine s'y tenir debout, mais la température y restait assez clémente durant la nuit. Cela faisait deux mois qu'il survivait là, après trois mois dans les mines, sans voir âme qui vive à l'exception d'un rôdeur dont il ne s'était pas approché, car l'homme portait encore une veste d'uniforme du Premier Ordre, et Poe ne souhaitait pas se faire voir des criminels de guerre que l'on avait jetés là trois ans plus tôt. Son nom et son visage étaient connus dans tout le territoire ennemi, et il s'était attiré des haines tenaces par ses actions durant la guerre. De plus, il avait des problèmes plus pressants à traiter.

S'il avait réussi à s'évader, il n'en restait pas moins bloqué sur cette planète. Il était grand temps de partir : la nourriture ne se laissait pas facilement attraper, et Poe avait déjà perdu du poids, sans compter la toux qui le prenait régulièrement le matin. Mais pour trouver un vaisseau, il fallait se rendre à l'unique zone d'atterrissage des navettes, au centre administratif de ce monde-prison, ceint de plusieurs murs et étroitement surveillé. L'endroit se situait en outre à plusieurs centaines de kilomètres du refuge de Poe, sans la garantie de trouver un abri chaque soir, et ce dernier n'avait même pas un couteau sur lui.

Il avait aussi commencé à perdre la notion du temps, restant parfois des journées entières à somnoler sans sortir de son trou, et n'aurait su dire depuis combien de jours exactement il se terrait dans sa caverne quand il entendit un bruit de moteur au-dehors. Risquant un oeil à l'extérieur, il aperçut dans la plaine en contrebas deux véhicules à répulseurs et une vingtaine de personnes qui n'étaient pas des gardes de la prison.

Leurs transports paraissaient récents et bien entretenus, et après s'être un peu approché, Poe remarqua que leurs tenues étaient neuves et de très bonne qualité. Il put aussi distinguer deux groupes bien différents dans la troupe : des hommes casqués portant une veste renforcée, sans doute des agents de sécurité privés, et six personnes, dont deux femmes, vêtues plus richement, leurs habits de chasse donnant un peu l'impression d'un déguisement plutôt que d'un équipement opérationnel, qui discutaient avec animation. Tous étaient armés, et pas avec des blasters légers ; ils portaient tous des fusils-blasters de gros calibre et Poe se demanda quel genre de fauve ils comptaient bien traquer. A part quelques charognards à poils ou à plumes, il n'avait pas vu le moindre gros prédateur dans la région.

Sautant d'une corniche à l'autre, il était presque arrivé au niveau du sol quand ils remarquèrent sa présence. Poe agita la main pour les saluer et montrer qu'il était parfaitement inoffensif. Il allait descendre sur le sable quand un tir de blaster fusa au ras de sa tête pour perforer le grès derrière lui.

- Nom des dieux ?! Mais qu'est-ce qui vous... ?

Il abandonna toute idée de négocier et battit en retraite alors que le reste de la troupe pointait ses armes vers lui. Il avait tout juste gagné le couvert des rochers que plusieurs tirs éclatèrent tout près. Poe se précipita dans la première gorge qu'il rencontra.

Tapi derrière un rocher pour reprendre son souffle, il se demanda dans quel mauvais cauchemar il avait atterri. Et surtout, comment allait-il se tirer d'affaire ? Il n'avait aucune arme à part des cailloux.

Avant tout, il lui fallait se déplacer au maximum pour obliger ces chasseurs à se séparer, puis en coincer un et lui prendre son arme. Plus facile à dire qu'à faire, mais c'était sa seule (petite) chance d'en réchapper.

Il se remit en route, le dos courbé, slalomant dans les couloirs de grès taillés par l'érosion. Il entendit des appels à plusieurs reprises mais continua à zigzaguer, jusqu'à ce que le souffle lui manquât de nouveau. Réfugié dans une fissure de la paroi, une main plaquée sur sa bouche pour étouffer ses quintes de toux, il aperçut la silhouette d'un des chasseurs qui approchait. Le sol était jonché de pierres ; Poe se baissa pour en ramasser une assez lourde et attendit que l'homme arrivât à sa portée.

Le projectile atteignit sa cible en pleine tête. Sans lui laisser le temps de reprendre ses esprits, Poe se rua hors de sa cachette, empoignant une autre pierre au passage, et percuta l'autre homme alors que celui-ci se trouvait encore à genoux. Il abattit la pierre contre le crâne du chasseur à plusieurs reprises, jusqu'à entendre un craquement écoeurant et qu'un filet rouge piqué de blanc se mît à couler sur le sol. Le blaster... Il devait ramasser ce foutu blaster. Le poids familier de l'arme entre ses mains le rassura un peu. S'il pouvait en éliminer quelques-uns, peut-être les autres abandonneraient-ils l'affaire ? Poe en doutait mais il était prêt à jouet cette carte ; il ne lui restait guère d'autres options, à part de se terrer dans un trou en espérant ne pas être repéré.

Une heure s'écoula peut-être avant que Poe ne vît un autre chasseur. Il s'agissait d'un des agents de sécurité qui accompagnaient le groupe. Il avait le nez sur ce qui ressemblait à un détecteur et ne regardait pas le sentier. Grossière erreur. Poe l'abattit sans hésiter, ramassa son arme et se remit à courir. Le bruit du tir allait forcément alerter les autres. Il devait se trouver le plus loin possible quand ils découvriraient le cadavre.

Poe avait bon espoir de tenir ainsi jusqu'à la nuit et de décourager ses poursuivants. Mais lorsqu'il déboucha dans une petite dépression entouré de hautes saillies rocheuses, cet espoir partit en fumée. Une dizaine de traqueurs l'attendait. Il eut le temps de lever son arme et de tirer une fois au jugé, puis un choc dans le dos le fit basculer en avant.

Lorsqu'il émergea de l'inconscience, la première chose que Poe remarqua était qu'il se trouvait toujours debout, ce qui ne manqua pas de le surprendre. Puis le contact froid du métal sur ses poignets et ses chevilles lui fit comprendre qu'il avait été entravé dans une position qui l'obligeait à se tenir presque sur la pointe des pieds pour soulager un peu ses bras. Ses vêtements, si sales et fatigués fussent-ils, avaient disparu en cours de route. La situation parvenait, ce qui n'était pas un mince exploit, à être plus inconfortable encore que la salle d'interrogatoire du Finalizer.

Il cligna plusieurs fois des yeux avant de s'habituer à l'éclairage tamisé et de noter qu'il se trouvait sous une vaste tente qui n'avait rien à voir avec les abris minables qu'on distribuait dans l'enceinte de la prison. C'était au contraire un habitat tout à fait moderne dont le tissu synthétique isolait parfaitement du froid et du vent, avec tout le confort qu'un membre de la classe dirigeante exigeait habituellement lorsqu'il partait en vacances.

Tirant légèrement sur ses liens, le pilote comprit vite qu'il n'arriverait pas à les faire céder. C'était là aussi de la bonne qualité, le genre d'équipement qu'employaient les polices du Noyau.

Poe entendit des pas derrière lui et voulut tourner la tête, mais l'individu le contourna et se plaça devant lui. Le visage un peu poupin encadré de boucles soignées, le menton rond et rasé de frais, ne lui étaient pas inconnus. Il avait déjà vu cet homme sur Brentaal... ou peut-être Chandrila, dans l'entourage d'un gros entrepreneur ou d'un sénateur. La famille d'un politicien ?

- Enfin de retour parmi les vivants, dit l'homme d'une voix précieuse. Il était temps, nous commencions à nous impatienter.

Cette diction empruntée fit remonter d'autres souvenirs à la surface et Poe finit par l'identifier.

- Waldon ? bégaya-t-il. Dien Waldon ?

- Oh miracle, le héros des foules se souvient de moi ! On peut dire que vous avez dégringolé bien bas, Commandant. Votre statut de chéri du peuple n'est plus qu'un vieux souvenir. La roue de la Fortune, tout ça... C'est amusant, non ?

Il continuait à examiner Poe de la tête aux pieds, ses lèvres plissées dans une petite moue boudeuse de gamin irrité.

- Vous avez été un gibier très agaçant, vous savez ? Vous tuez deux de mes hommes et un de mes invités... vous nous faites tourner en rond pendant des heures... une compensation s'impose. Et une sévère.

Poe sentit une sueur froide lui couleur dans le dos. C'était pire que sur le Finalizer. Il n'y avait personne sur ce monde pour le tirer du pétrin et contrairement aux militaires du Premier Ordre, Waldon était un sale gosse pourri gâté et fêlé sur les bords. Un genre de Kylo Ren sans la Force et avec beaucoup d'argent.

Le pilote faillit vomir de dégoût quand la main de Waldon glissa le long de ses côtes pour s'arrêter sur sa hanche et la serrer légèrement avant de palper ses fesses.

- Ne vous inquiétez pas, susurra le jeune nabab. Si vous survivez à notre récompense, vous serez jeté dehors et vous passerez la nuit prochaine à poil en plein désert. Autant dire que vous ne tiendrez pas longtemps.

- Vous vous emmerdez à ce point dans le Noyau que vous êtes obligé d'organiser des chasses à l'homme dans ce trou perdu ? cracha Poe, sans trop savoir pourquoi il cherchait à gagner du temps.

Waldon considéra un instant la question.

- Hé bien, ce n'est pas que je m'ennuie vraiment, mais il est bon d'échapper à l'emprise de mon cher papa, de temps à autre, dit-il d'un ton négligent. Sa vertu, elle, est horriblement casse-pieds. Mais assez discuté. Nous devrions passer aux choses sérieuses.

Argumenter ou supplier ne servait à rien avec ce genre de taré. Poe ne cessait de se répéter qu'il avait connu pire, que ce ne serait rien à côté de Kylo Ren fouillant son esprit... Il entendit le cliquetis d'une boucle de ceinture et serra les dents quelques instants plus tard lorsque Waldon le pénétra pratiquement sans préparation. Le reste de la troupe regardait sans honte. Sans intervenir non plus. Poe ferma les yeux, essayant de se rappeler les consignes de ses instructeurs pour se détacher des événements, partir très loin... mais les à-coups irréguliers des va-et-vient de Waldon rendaient la tâche impossible.

Celui-ci termina en quelques minutes et céda la place au chasseur suivant, qui tira violemment la tête de Poe en arrière pour tenter d'en obtenir une réaction. Puis le suivant... Poe se rappela vaguement qu'on l'avait détaché à un moment ou un autre pour que ces dames puissent elles aussi avoir leur livre de chair fraîche.

Une gifle soudaine le ramena à la réalité, puis on le remit brutalement à genoux. Waldon se tenait à nouveau devant lui, le visage contracté.

- Vous êtes contrariant, Dameron, lâcha-t-il avec un agacement certain. On dirait que vous vous ennuyez.

- Vous êtes... pas spécialement à la hauteur... grinça le pilote. Vous avez oublié... vos pilules magiques à la maison ?

Un coup de poing dans le ventre lui coupa le souffle et permit à deux gardes de le fixer de nouveau aux piquets métalliques. Quelque chose de froid courut le long de son dos avant d'être remplacé par une brûlure intense, lui arrachant un cri.

- Vous voyez bien qu'il chante, fanfaronna Waldon.

La brûlure se répéta plusieurs fois sur son dos et ses jambes, l'affolement le poussant soudain à tenter de se libérer, sans autre effet que de profondes entailles aux chevilles et aux poignets. Il comprit finalement qu'il allait mourir sous cette tente, loin de tout ce qui avait fait sa vie, désespérément seul.

Il perdit toute notion du temps. Il lui sembla que des heures s'écoulaient tandis que Waldon et ses invités inventaient de nouvelles tortures qui le laissèrent bientôt incapable de tenir debout, suspendu uniquement par les poignets. Il referma les yeux.

Tout juste s'il sentit qu'on le détachait pour l'allonger par terre, quelqu'un parlant à voix basse tout près de lui.