Le professeur observait cette rentrée avec la larme à l'œil, comme toutes les rentrées qu'elle eut vécues jusqu'ici. La Grande Salle était majestueusement décorée de bougies et le ciel, en cette fin d'été, brillait de millions d'étoiles étincelantes. Les tables étaient décorées selon les blasons des maisons, recouvertes d'immenses nappes colorées. La chaleur de l'été commençait à s'estomper dans les murs du château. Petite femme replète au visage bon, le professeur Chourave était alignée sur l'estrade professorale en compagnie de tous ses collègues. Elle guettait avec émotion l'arrivée de ses propres élèves. Quand la grande porte s'ouvrit, son cœur rata un battement. Qu'ils avaient grandi en deux mois ! Si cette dame n'était pas la plus organisée des enseignants, on ne pouvait pas nier qu'elle aimait son travail plus que tout. Cette année, elle ne reverrait plus certains visages, en rencontrerait d'autres, et c'est avec plaisir qu'elle avait déjà déposé des boites de chocolat dans les dortoirs de Poufsouffle. Ses yeux vifs tombèrent sur un groupe de six élèves, ceux qui entraient en dernière année. Oh, pas tous de bons travailleurs, ça non ! Ils lui en avaient fait voir de toutes les couleurs, et il y avait eu quelques aventures rocambolesques ! Cependant, elle leur adressa un sourire accompagné d'un petit signe de tête. Que la nouvelle année débute !


Avant l'arrivée des élèves, la salle commune de Poufsouffle respirait la sérénité. Comme prévu plusieurs boîtes de chocolats attendaient devant la cheminée, emballées dans des falbalas de tissus multicolores. Le feu crépitait, enveloppant la salle de sa lumière orangée. C'était une pièce ronde, basse de plafond et recouverte de bois dans ses moindres recoins. Un bois qui grinçait d'une mélodie familière. La lumière se reflétait sur des bouillotes de cuivre dispersées ça et là, elle faisait luire les nombreuses plantes grimpantes. Certaines étaient dans des vases d'étain, d'autres grimpaient le long des murs, où encore tombaient du plafond. Quand on montait sur le balcon de la bibliothèque, elles plongeaient si bas qu'elles vous chatouillaient le haut du crâne ! C'était l'endroit le plus confortable au monde, un foyer fait de lourds fauteuils pâles, de tapis dorés, si moelleux qu'on passait son temps pieds nus. Des fenêtres rondes offraient une vue à ras du sol sur les jardins du château. Quand venait le printemps, une multitude de fleurs écloraient sous les yeux des élèves. L'ambiance particulièrement sereine était parfaite pour s'y épanouir. On retrouvait sur le balcon, juste à côté de la bibliothèque, un chevalet et sa toile. Un peu plu loin, là où le plafond se rapprochait du sol, il y avait une dizaine d'oreillers moelleux qui formaient un cercle. L'ambiance était idéale pour y grandir, pour s'y épanouir. Du moins, tout semblait parfait jusqu'à ce que Jane O'Hagan débarque dans la salle commune en poussant un cri rageur. Elle avait quitté le banquet plus tôt, sous le regard ennuyé de sa directrice de maison, qui ne s'étonnait plus de rien venant de sa part. La jeune paraissait inoffensive, plus petite que la moyenne et d'une maigreur surprenante, elle faisait plutôt peine à voir. Seule sa peau hâlée l'empêchait d'avoir un air maladif. D'une démarche énergique, elle prit la porte ronde au fond de la pièce.

-Putain c'est pas vrai !

Elle pesta du sable qui recouvrait le sol. Décidément, ce devait être la seule maison de l'école avec un couloir ensablé ! Ses doigts tricotèrent pour enlever ses vieilles bottines, qu'elle balança dans sa chambre-deuxième porte à droite. C'était une pièce en tout point semblable à la précédente, hormis trois immenses lits à baldaquin aux couleurs des Poufsouffle. Un grand et épais tapis trônait au milieu de la salle concentrique. C'est là qu'elle avait l'habitude de s'assoir avec ses amies pour bavarder. Alors c'est ce qu'elle fit, toujours pas calmée. Sa maigre poitrine se soulevait rapidement, pour reprendre sa respiration. Ses grands yeux caramel brillaient de consternation et elle agita la tête de droite à gauche, comme si elle ne pouvait pas croire à tout ça. Ses cheveux s'agitèrent dans le même mouvement, comme une masse informe qui descendait en de nombreux nœuds jusqu'à son dos. Ils semblaient avoir la même personnalité explosive que leur propriétaire : mélangé de rouges, de diverses teintes de châtains et parsemés de mèches blondes, c'était le résultat d'une surenchère de sorts capillaires ratés. Un miaulement brisa le silence et un gros chat roux sortit de sous un lit. Il la rejoignit sur ses genoux et elle s'empressa de le caresser. Elle sembla se rasséréner un moment, jusqu'à ce que la porte de la chambre grince. Alors, le chat feula et rabattit ses oreilles sur son crâne. Melinda Bosman apparut dans l'encadrement de la porte.

-Restons diplomates, conseilla-t-elle d'une voix douce.

Cette jolie métisse était connue pour ses expériences botaniques et sa passion sans fin envers les nouvelles découvertes… Mais aussi pour sa sagesse exemplaire, et son tempérament posé, de sorte que, c'était l'une des rares à pouvoir calmer la sauvageonne. De sa démarche assurée, elle se rapprocha de son amie, recroquevillée par terre, puis lui posa une main sur l'épaule. Un large sourire éclairait son visage couleur chocolat, tandis que son chignon de dreadlocks bougeait à chacun de ses mouvements. Son aura respirait la sérénité. Cependant, à ces paroles, le chat grogna d'autant plus, et sa propriétaire fit de même.

-Tu sais, si on ne réfléchie pas à tête reposée, on ne peut pas trouver de solutions. Alors respire un grand coup, et explique moi ce qu'il se passe.

La colorée resta butée dans son silence et se refusait à le regarder dans les yeux, les bras croisés sur la poitrine. Elle ne voulait pas en démordre, coincée par son ressentiment.

-Si tu ne m'expliques pas, je ne pourrais pas t'aider, reprit la métisse en triturant une dreadlock échappée de son chignon.

Bien qu'elle se doute tout à fait des raisons de cette humeur massacrante, elle préférait l'entendre dire tout haut, histoire de pouvoir répliquer.

-Et ça servirait à quoi ? Cette espèce de nigaud réussit toujours tout alors qu'il n'en fiche pas une et maintenant qu'il est préfet, il va s'en vanter toute la journée, et il va nous tyranniser !

Melinda pouffa en s'étalant à côté de son amie. Elle n'avait pas tout à fait tord, William Gallagher adorait avoir de l'autorité et montrer sa supériorité aux autres. Il n'en restait pas moins généreux avec ses amis, mais elle-même devait admettre qu'elle ne comprenait pas cette décision. Depuis qu'il s'était autoproclamé capitaine de l'équipe de Quidditch, c'était un calvaire pour tous les membres, qu'il obligeait à jouer tôt le matin. Ses entraînements ressortaient plus de la discipline militaire que d'un jeu bon enfant. Cependant c'était une bonne idée, songea Melinda, qu'Eleanor, la jumelle du capitaine, fut nommée au poste depuis déjà deux ans. Elle était aussi douce que lui était vantard, mais sous ces airs parfois froids –dus à la timidité, et son apparence aussi délicate qu'une fleur, c'était la seule à pouvoir le remettre dans le rang.

-T'en fais pas, s'il y a bien quelqu'un qui peut le tenir, c'est Eleanor, tu ne crois pas ?

Jane hocha la tête, moyennement convaincue. Théorie à étayer, et à mettre en pratique pour être validée. Si seulement il avait arrêté de lustrer son insigne de préfet durant tout le repas ! Ca l'avait rendue complètement folle et il ne faudrait pas bien longtemps avant que William se transforme en despote sanguinaire.

-Il va le payer, promit la chevelue en plantant ses yeux noirs dans ceux de Melinda.

La métisse se contenta de rire puis changea de sujet. Sa voix douce et son ton posé aidaient à oublier toute cette histoire, qui passa vite à la trappe. Alors elle se lança dans le récit de ses vacances, somme toutes mouvementées. Cadette de cinq sœurs et d'un grand frère, ses parents moldus vivaient séparés et d'ordinaires ses congés à Brighton étaient exécrables. Elle disait souvent que « trop d'hormones féminines dans un si petite espace, ça confine au meurtre ». Pour la sauver, son frère l'avait embauchée comme assistante caméraman et elle pu voyager pendant toutes les vacances ! Que ce soit quelques jours en Allemagne ou deux semaines au Brésil, elle s'était amusée comme une petite folle. Elle avait trouvé le boulot d'assistante caméraman un peu rébarbatif, bidouiller des boutons pendant des heures ça ne la passionnait pas. Surtout que maintenant, elle connaissait le fonctionnement de la photographie magique, qu'elle trouvait beaucoup plus sympa. En revanche durant son temps libre, elle avait fait quelques découvertes botaniques qui l'avaient mise aux anges. Aussi s'empressa-t-elle de tout expliquer à son amie, qui la considéra alors d'un œil circonspect.

-Tu n'imagines même pas ce que j'ai découvert en Australie, ce sont des bui-

-Stooooop ! Même si tu me dis le nom je ne saurais pas ce que c'est, la coupa Jane.

-Des buissons qui dansent.

Jane laissa –enfin- échapper un sourire. Ses propres vacances n'avaient pas été aussi fabuleuses, alors elle préférait ne pas en parler. Après tout, c'était la même chose que l'été d'avant : elle s'était retrouvée à vivre chez sa patronne, et travaillait comme serveuse pour un magasin de glaces sur le Chemin de Traverse. Comme par magie le brouhaha qui se forma dans le couloir sonna comme un gong libérateur, elle n'eut pas à raconter quoi que ce soit. La chambre étant mal insonorisée, on entendait une multitude de questions, des intonations émerveillées. A cela s'ajoutait l'agréable voix chantante d'Eleanor. Elle expliquait avec quelques bégaiements le fonctionnement des chambres, on entendait distinctement : « les filles et les garçons sont séparés et l'accès d'une chambre de fille à un garçon est magiquement interdit, et inversement ». Quand vint l'heure de la répartition, le brouhaha s'intensifia, ça se disputait pour savoir qui prendrait la première porte à l'entrée du couloir, ou celle du fond… Qui semblait l'option la plus alléchante pour tout le monde. Cette année encore le Choixpeau avait envoyé moins de dix nouveaux à Poufsouffle, alors qu'ils étaient une petite douzaine dans les autres maisons. En ces temps sombres, leur renommée baissait de plus en plus avec l'idée que chez eux, on n'y apprenait pas grand-chose, et surtout, pas de quoi se défendre.

-SILENCE ! s'époumona une voix puissante.

Les deux amies haussèrent un sourcil surpris, était-ce enfin William qui prenait ses responsabilités ?

-Les filles iront en début de couloir et les garçons au fond, comme ça c'est réglé.

Une explosion de mécontentement prit place, et la voix de sa sœur en tête qui stipulait qu'ici, à Poufsouffle, on devait choisir tous ensemble, dans le calme. Ils débattirent un moment, et on n'entendait presque plus ce qu'ils disaient. Quand les enfants reprirent la parole dans une cacophonie épouvantable, les deux amies devinèrent que c'était Eleanor qui avait gagné. A leur grande déception, ce fut la bande féminine de premières années qui prit le dessus sur le débat.

-Mais je ne veux pas de ces mioches braillards à côté de moi ! s'exclama Jane, désespérée.

-Et moi non plus, soupira Melinda.

Le choix était fait, et les garçons entrèrent dans la pièce juste à côté, à grand renfort de cris animaliers. Quelques instants plus tard, ce fut la porte de leur propre chambre qui grinça. Eleanor était visiblement fatiguée. Sa peau d'ordinaire caramel avait prit une teinte plus claire, ses yeux d'un gris si pur s'étaient assombris. De toute évidence, ça s'était mal passé. Bien qu'épuisée, elle n'avait pas perdu sa grâce naturelle et c'est avec délicatesse qu'elle enleva son insigne pour le poser sur une commode. Puis, d'un pas lent, rejoignit ses amies et se laissa tomber à leurs côtés, dans un flottement de cheveux blonds. Ses longues mèches presque dorées s'envolèrent dans se dos avant de reposer délicatement sur ses épaules graciles.

-Je n'en peux plus, conclut-elle de sa voix chantante. Mon frère va me faire perdre la tête, il ne les a même pas prévenus pour Peeves !

-Oh, vraiment, ironisa Jane.

La belle blonde lui lança un regard de travers. Ce n'était pas le moment de jouer à la révoltée mais bel et bien de préparer une contre-attaque : les idées fusèrent, les pires semblaient les meilleures. Empêcher les elfes de maison de lui donner ses « suppléments de protéines » pour le grand sportif qu'il était, ou alors faire arriver tout le monde en retard aux entraînements de Quidditch. Pourquoi ne pas verser quelques gouttes « d'Intestins Relaxés » dans son thé matinal ? Le trio riait à gorge déployée.

-Et si on montait Peeves contre lui ? suggéra Melinda avec un sourire malicieux.

L'idée s'avérait aussi dangereuse que prometteuse, mais elle en valait le coup.


Le lendemain matin, le soleil frappait dur contre le parquet, se reflétant contre une casserole de cuivre suspendue au mur. Il éclairait la pièce d'une chaude lumière, très agréable en cette fin d'été. Et prometteur d'encore quelques belles journées. Les rayons brûlants et vicieux de l'astre vinrent chatouiller de près les narines de Nicholas Montgomery, et quelques instants plus tard, se fracassèrent contre ses paupières. Le jeune homme grogna son malaise, puis se retourna face oreiller. Il dépassait de ses draps une épaisse touffe brune. Hors de question qu'il bouge, on était samedi, donc en week-end, et il avait durement mérité ce repos ! Durement mérité un repos, après deux mois de vacances ?

-Nicholas si tu ne te lèves pas, tu vas rater le petit-déjeuner.

Le concerné ouvrit un œil fatigué. La chambre semblait toute floue, il n'avait même pas reconnu la voix de celui qui lui adressait la parole. Tout était pénible en cette belle matinée, rien que le fait de respirer, alors ouvrir les yeux et se lever… Cependant ses neurones entrèrent en connexion et il capta le mot « petit-déjeuner ». Car comme vous l'aurez deviné, seule la nourriture permet à Nicholas Montgomery d'avoir un tant soi peu d'ambition. Le brun s'éveilla lentement et gratta d'une main maladroite sa barbe en désordre. Sans pour autant prendre conscience de son environnement, il enfila, distrait, un pantalon et une chemise froissée. Il avait mit ses chaussures à l'envers et pesta contre ce soleil si brillant… Aujourd'hui, pas d'uniforme ! Peut-être qu'il y aurait de jolies filles avec de jolies jupes ? Et non pas celles, informes, qu'on osait appeler « uniformes ». Cette pensa le réveilla un peu plus. De toute évidence, il était dans son dortoir de Poufsouffle, reparti pour une nouvelle année d'école.

-Tu sais mon vieux, les chemises à carreaux c'est dépassé.

Encore cette fichue voix ! Nicholas releva les yeux pour tomber sur Cameron Summers, co-chambreur et vieil ami. Il jeta un regard circulaire sur la chambre, de toute évidence, le troisième lit était vide et ils étaient seuls. L'étudiant, assis dans un coin, tenait un de ses livres préférés à la main, sûrement Alice au pays des merveilles… Le retardataire grogna. Il avait eu très envie, tout l'été, de revoir ses amis, et même la sale petite tête de Jane, mais il n'avait aucune envie d'étudier. Il avait même oublié ces étranges bouillottes de cuivres qui pendouillaient aux murs. Et ces incessantes plantes grimpantes qui lui donnaient mal au crâne. Rajustant sa chemise à carreaux –dite de « bûcheron-, il tangua un peu puis regarda son ami, ses yeux de fouine plissés sous la suspicion.

-Cette chemise m'est plus précieuse que vous tous réunis, grogna le concerné.

Cameron éclata d'un rire tonitruant. La seule raison pour laquelle Nicholas portait des chemises… Eh bien, c'était parce qu'elles étaient assez larges pour cacher quelques bourrelets disgracieux. Le paresseux n'était obèse, ni même gros, mais il prenait plaisir à prendre soin de son corps, souvent à l'aide de siestes et de malbouffe. De toute façon, il n'envisageait pas de souffrir, pour quelque chose d'aussi superficiel que l'apparence.

-Et tu pourrais aussi te raser, continua son ami encore secoué par son rire. Tu ressembles à un chou-fleur.

Encore une fois, Nicholas grogna. Tout le monde ne pouvait pas être un apollon, tout le monde ne pouvait représenter une beauté sculpturale digne des plus grands dieux grecs. Surtout pas lui. Avec sa barbe mal taillée, ses cheveux emmêlés et sa gourmandise… Tout le monde n'était pas Cameron Summers. Grand et fort, sa peau bronzée était typique de nombreuses activités d'extérieur. Ses cheveux, bruns –taillés en brosse-, étaient impeccables, tandis qu'il portait une élégante chemise blanche parfaitement repassée. Sa mâchoire carrée faisait craquer un nombre incalculable de filles et les garçons le détestaient sincèrement dès qu'il souriait. Et encore, ce n'était pas le pire ! Ses yeux d'un vert profond semblaient aspirer l'âme de n'importe quelle femelle. Même au réveil avec encore un peu de bave aux lèvres, on pouvait le trouver séduisant.

-Eh bien, pourquoi tu me regardes comme ça ? s'étonna le concerné. Tu n'as pas faim ?

« Pas faim » et « Montgomery » dans la même phrase, ça n'existait pas. Aussi, il lui jeta un regard noir, auquel Cameron répondit par un grand éclat de rire.

-Allons manger alors !

Le sportif l'entraîna dans les dédales du château. Pourquoi fallait-il aller jusqu'à la Grande Salle, alors que les cuisines étaient juste à côté, se demanda Nicholas. C'était ridicule de se lever aussi tôt pour manger, et en plus, c'était si loin! Quand il pensait aux Gyffondors ou au Serdaigles, perchés là-haut dans leurs tours, il en avait mal au ventre. Tous ces escaliers à descendre puis à remonter ! Sûrement qu'avec ce système ingénieux, il aurait pu perdre quelques kilos…Cependant son estomac le fit revenir à la réalité, et il déboula pleine balle dans la Grande Salle. Les tables étaient bondées, et les garçons se frayèrent un chemin jusqu'à la leur avec difficulté. Il y avait là Eleanor avec les huit premières années, qui leur expliquait le fonctionnement de l'école. Ils s'assirent juste à côté et la saluèrent rapidement pour ne pas la perturber. Aucune trace de William, le dernier des trois garçons. Si, à cette heure-ci, il n'était ni dans la chambre, ni au petit-déjeuner, il était alors sur son balai. « Dès le premier jours », pensa le flemmard, atterré. Il y avait là un bruit à rendre fou, avec les pépiements insupportables des petits nouveaux et leurs questions incessantes.

Le Poufsouffle désactiva toute trace de sociabilité et se plongea dans la nourriture. Comme tous les repas à Poudlard, c'était un festin. On y trouvait de la mélasse, de la tarte au citron, du pudding, des fruits frais, du flocon d'avoine, du café, de nombreuses sortes de thé… Un mélange incroyable de couleurs et de saveurs, que Nicholas s'empressa de mettre dans son assiette, avec un penchant non dissimulé pour les saveurs salées, faites de charcuterie et de flageolets en sauce. Alors qu'il se goinfrait à en perdre la raison, un coup de coude inopiné lui déchira les côtes.

-Mais ça va pas, espèce de cinglée ! grogna-t-il la bouche pleine de bacon.

C'était Eleanor, qui juste à sa droite, fronçait les sourcils d'un ton réprobateur. A côté, la ribambelle d'enfants levait sur lui de grands yeux pleins d'espoir.

-Quoi, encore ?!

-Je crois que les enfants t'ont posés une question.

-AH ouais et c'est quoi ?

Cameron retint un rire, puis plongea les yeux dans son café. La jeune femme, bien que très douce et timide, était probablement la seule à pouvoir ordonner quoi que ce soit à n'importe qui, Nicholas Montgomery compris. Et bien qu'il ne paraisse pas très coopératif en cette belle matinée, il écouta néanmoins les interrogations des enfants. Sûrement à cause d'un sentiment de culpabilité, parce que Eleanor, si gentille, on ne pouvait rien lui refuser.

-Est-ce que Poufsouffle c'est vraiment la meilleure maison de Poudlard ? demanda une petite fille au teint glabre. Mes parents disent que c'est la plus nulle en tout cas.

-Tes parents sont stupides, rétorqua le concerné.

Encore une fois il se prit un coup de la préfète, qui insista de ses yeux gris. Selon elle, il ne fallait pas briser leurs espoirs. Bon sang, ces gamins ne voyaient-ils pas qu'ils étaient rejetés ? N'étaient-ils pas capables de remarquer sa tenue misérable et son air blasé ? Comment osaient-ils encore poser ce genre de questions ? Poufsouffle n'était pas juste la maison des rejetés, c'était celle des êtres affranchis des codes sociaux, un peu d'enthousiasme bon sang ! Quoiqu'en regardant son co-chambreur si présentable...

-Et combien tu as eu de BUSES ? questionna un garçon bien trop grand et trop joufflu pour son âge.

-Suffisamment pour faire ce qu'il me plait.

Les épaules de la préfète s'affaissèrent, elle semblait complètement démoralisée.

-Bon, bon, ça va ! se reprit-il. J'en eu trois, mais c'est pas le nombre qui compte.

-Et toi, tu en as eu combien ? fit le même garçon à Cameron.

Toutes les petites filles le regardaient avec les joues rougies et de grands yeux admirateurs, certaines même, faisaient semblant de ne pas s'y intéresser en plongeant le regard vers leurs souliers toutes les deux secondes. Il répondit avec toute la douceur dont il était capable. Il en avait eu six, dans des matières aux renommées très disparates, considérées comme l'excellence ou comme matière « pour les nuls » (comme la botanique), mais il n'en n'était pas moins fier d'être à Poufsouffle, car il s'amusait beaucoup. De toute façon, l'important, c'était de se faire des amis. Suite à cette tirade, Nicholas lui lança un regard étonné. Lui qui connaissait les recoins les plus sombres de son ami, il n'en revenait pas d'un discours aussi beau concernant l'égalité, l'amitié et le soin de son prochain. Après tout, il le reconnaissait plutôt comme un être irréfléchi, cynique à ses heures et mauvais blagueur… En bref il était capable de s'investir dans tout et n'importe quoi, avec une préférence pour le « n'importe quoi ». Le barbu s'engouffra alors dans une myriade de grommellements internes.

-Et toi, c'est quoi ta matière préférée ? fit encore une fois le garçon bien trop grand et trop joufflu pour son âge.

-On peut pas avoir la paix, ici ? postillonna Nicholas, la bouche pleine de gâteau à la carotte.

-Cameron, je crois que tu ferais bien de ramener l'homme des cavernes dans sa chambre, s'il te plait. Et les enfants, nous on va visiter le parc et je vais vous montrer … le stade de Quidditch !


L'ambiance n'était pas aussi studieuse dans la chambre des filles. En réalité, Melinda, vêtue de l'immonde tunique verte qui lui servait de pyjama, retenait la porte de la salle de bains de toutes ses forces. Sur son front perlaient de grosses gouttes de sueur, et ses joues rougies par l'effort, se contractaient par intervalles. Des veines étaient apparues sur ses mains et ses avant-bras, et son habituel et large sourire s'était transformé en une grimace de douleur. A ses côtés, Jane tournait les pages d'un livre de sorts à toute vitesse, ses yeux noirs s'agitant de façon frénétique sous la pression.

-Alors ? J'y arrive plus moi ! s'exclama la métisse.

-Si tu crois que c'est simple de fermer un verrou ! couina Jane et s'écorchant les doigts sur le papier.

-Je croyais que tu l'avais abandonné !

-Bien sûr que non, il serait mort de faim sinon.

Melinda lui jeta un regard en biais, offusquée.

-Je préfère qu'il meure de faim plutôt qu'il nous mange !

Comme par enchantement, la petite colorée trouva enfin la formule et l'appliqua sur la porte, qui bloqua sa serrure dans un grincement sinistre. Derrière, les miaulements de consternation devenaient de plus en plus fort, et la poignée bougeait à un rythme effréné. L'animal se jeta plusieurs fois contre le rond de bois, provoquant des bruits sourds dans la pièce. Les deux amies soufflèrent de soulagement, puis se laissèrent tomber sur le sol. Le fin visage de Jane portait encore les marques de l'angoisse, tandis que la métisse respirait trop fort, à grand renfort de sifflements. On pouvait penser, de loin, que cette situation était beaucoup trop exagérée… Une telle terreur d'un chat, ça pouvait même prêter à la phobie, et donc, à des réactions extravagantes et insurmontables.

Ca, c'est sans connaître Rocky. Rien que chaton, quand Jane lui donnait ses croquettes, c'était une terreur. Il gonflait son pelage roux quand on approchait de sa gamelle, et feulait à la moindre caresse déplaisante. Ce n'était le chat de personne, en fait, il voulait juste qu'on lui fiche la paix. Cependant, ce n'était pas possible. Cet animal obèse, teigneux, mangeait TOUTE chose vivante : que ce soit les rats, les crapauds et tentait même avec les elfes de maison… Combien de fois les filles avaient du se protéger de ce monstre ? En vrai, Rocky n'était pas méchant, il avait ses jours et il y avait des choses qu'il détestait. Aujourd'hui ? Aucune idée, ce n'était peut-être pas son jour. Ou alors était-ce parce que Jane lui avait écrasé la queue en se levant ?

Bref, c'était un combat de tous les jours pour que le professeur Chourave ne s'en rende pas compte, et donc, ne l'envoie très loin du château à coups de pieds aux fesses. Parce que cet animal avait une réelle utilité dans le fonctionnement de la maison : il attaquait quiconque n'avait pas assez d'hygiène corporelle. De même qu'il pouvait servir d'arme de destruction massive en cas de vengeance (là, il suffisait de l'asticoter un petit peu, et le tour était joué). Mais Melinda, les jambes couvertes de griffures, pensa tout de même, que ça n'en valait pas la peine.

-Bon, il va mettre du temps à se calmer, mais au moins, on sera tranquilles ce soir, soupira Jane.

-J'espère ! hoqueta la métisse en reprenant son souffle. Tu aurais pu le laisser dans une ruelle ou que sais-je, où il aurait fait sa loi et serait devenu le prince des matous…

-Blablabla ! Il est beaucoup mieux ici, n'est-ce pas mon minou ?

Un miaulement rageur sortit de la salle de bains.

-Bien, entonna Jane d'une voix plus gaie, une chose dangereuse après l'autre ! Maintenant que le problème du chat est réglé, allons trouver Peeves !

-On n'attend pas Eleanor ?

-Non, elle ne sait pas mentir de toute façon.


La passion c'est l'enfer des hommes, et ça William l'avait bien compris. Samedi matin, première journée à Poudlard, il était sur son balai à six-heures et demi tapantes. Du matin. Oh bien sûr, il avait voulu réveiller Cameron, qui l'avait copieusement insulté. Alors il était parti, seul dans la fraîcheur de l'aube. Il appréciait d'être seul dehors à cette heure-ci, quand tout était silencieux et qu'il se sentait comme le maître du monde. Au stade, personne n'était pas le déranger. Pas un type qui s'entrainait en individuel, pas d'espions adverses dans les gradins, juste lui, son talent et le pouvoir de voler au dessus de tout. Il avait commencé l'entraînement par quelques tours de terrains à pieds, histoire de s'échauffer et de se mettre en souffle. Vêtu de sa tenue de Quidditch –qu'il portait autant que son uniforme-, ses longs cheveux dorés étaient noué en tresse bien serrée. De ses yeux aussi gris que celui de sa sœur, il examinait le moindre détail du terrain. Celui-ci n'avait bougé depuis de mois. Enfin, on avait redonné un coup de jeune à la cabine des professeurs, mais ça ne comptait pas dans ses calculs tactiques.

Ah, si, on avait rajouté une épaisseur de sable supplémentaire autour de l'ovale de verdure. Ca amortirait mieux le choc de ses adversaires. Sur cette considération et ses joues hâlées désormais teintées de rouge, il se mit à faire quelques pompes. Rien ne valait une condition physique au top pour être les meilleurs ! Quel dommage que ses coéquipiers ne soient pas si attentifs quand ils s'entrainaient. Du moins, si jamais ils s'entrainaient. L'an dernier, il avait eut un mal fou à rassembler tous les joueurs à chaque cour. Ce qui expliquait leur avant dernière place sur le podium. D'un côté, perdre face à Serdaigle, c'était la honte. Tout de même, il déplorait que son équipe ne se montre pas plus motivée. Dépité par ce genre de comportement, le jeune homme secoua la tête, méprisant.

On l'avait mis sur un balai avant ses six ans, il était batteur pour Poufsouffle depuis sa deuxième année, et capitaine auto-proclamé depuis sa cinquième. Et depuis tout ce temps, pas l'ombre d'une médaille ! William récupéra sa batte, un Cognard, et commença à frapper dedans. De cette façon, il expulsait sa colère et son mépris. Et chaque coup un peu plus fort, il écumait de rage. Sa natte bougeait dans tous les sens. Puis, il arrêta de frapper et sauta sur son balai. En moins de deux secondes, il vrillait dans les airs, se coupant du monde. La brise frappait contre chaque centimètre de sa peau, appuyant des pressions inégale le long du manche en bois et de sa queue touffue. Ces pressions, il les connaissait désormais par cœur, et d'un simple report de poids, pouvait les corriger ou changer de direction. Autrement dit, c'était un virtuose. Jusqu'à ce qu'il vit sa sœur, Eleanor, à l'autre bout du terrain, entouré d'une bande de premières années.

-Ah.

Ah oui, c'est vrai, maintenant il était aussi préfet. Ce qui ne l'arrangeait pas, car monsieur n'avait rien demandé, et tout lui était tombé du ciel. C'était un choix qu'il avait du mal à comprendre. Il n'était pas mauvais élève, mais pas non plus brillant, il ne se démarquait dans aucune matière en particulier. Il n'était pas non plus très responsable - 48h de retenue l'an passé. Considérant qu'il devait presque être neuf heures et donc, qu'il s'était assez entraîné, le jeune homme rejoignit sa sœur. Les enfants semblaient impressionnés et levaient vers lui des yeux admiratifs.

-Les enfants, vous reconnaissez sûrement William, votre autre préfet ? Peut-être qu'il pourrait nous aider à continuer la visite du château ? Ensuite, on continue par vos salles de cours, comme ça vous ne vous perdrez pas lundi.

William acquiesça, de toute façon, elle ne lui laissait pas vraiment le choix. Ah, encore une nouvelle année à Poudlard !