La nature avait un certain sens de l'humour. Shizuo détestait la violence pourtant il faisait partie de ces rares créatures dotées de pouvoirs extraordinaires. Le commun des mortels hésitait à les qualifier d'humains, pourtant notre bien-aimé protagoniste voulait croire qu'il en faisait partie intégrante. Il aimait son côté humain. A vrai dire, il était convaincu qu'il possédait deux faces. Une humaine et une dite « mutante ».

Ces dernières décennies avaient été décisives dans la mutation humaine. Personne ne savait réellement dire si elle avait été provoquée de manière artificielle ou s'il s'agissait seulement d'un autre pas hasardeux de l'évolution.

Finalement peu lui importait. Il était un homo sapiens sapiens. Du moins il en était convaincu. Il ressentait toutes les émotions humaines et possédait une enveloppe corporelle similaire, même si sa vitesse de cicatrisation était un peu plus élevée que la moyenne. Il n'aimait pas trop l'introspection de toute manière. Il prenait la vie comme elle venait et il voulait simplement être heureux, quoi de plus humain ?

Il se débrouillait plutôt bien. Son côté mutant ne ressortait qu'à de très rares occasions, notamment lors d'émotions trop puissantes, tout particulièrement sous l'effet de la colère. Son dit pouvoir n'était autre qu'une force hors norme. La population de cette petite ville canadienne pouvait s'estimer heureuse que ce don soit tombé entre les mains d'un pacifiste, un esprit vicieux aurait pu l'utiliser à mauvais escient.

Izaya aurait cependant souligné le fait que l'utilité bénéfique d'une capacité ne relevait que d'un point de vue relatif. L'Histoire est écrite par les vainqueurs et ils n'ont pas toujours eu un cœur tendre. Izaya n'était qu'un simple humain mais il était loin de se considérer comme tel. A cause ou grâce à ce sentiment d'isolement, très bien vécu, il était devenu physionomiste. Il aimait voir la diversité des émotions et il avait beau les connaitre par cœur il était toujours autant fasciné. Beaucoup de personnes ayant fait les frais de sa « curiosité » dévastatrice auraient juré qu'il savait lire dans les esprits et les manipuler à sa guise, mais en réalité il était aussi bon orateur qu'observateur.

Cpendant le destin avait réuni ces deux êtres contraires dans la même petite ville canadienne. Tabernoucle avait connu trois siècles de paix. Mais la haine féroce qu'entretenaient Izaya et Shizuo avait achevé cette si paisible époque. Les habitants redoutaient particulièrement les lampadaires volants et autres objets qui auraient dû rester au personne n'osait s'en plaindre ouvertement de peur de réveiller le monstre. Tout le monde se demandait comment un gamin à l'air si calme avec ses cheveux blonds et ses grands yeux miel pouvait se transformer en animal si sauvage. Shizuo avait quand même pas mal d'amis. Il faisait de son mieux pour s'intégrer.

Pour l'instant la saison était venue, il était temps de couper du bois. Shizuo était accoudé au bar et sirotait son verre de lait. Le propriétaire du bar, qui connaissait la force de ce jeune homme lui demanda :

-Dis gamin, ça te dis du boulot ?

Le blondinet leva les yeux soudain intéressé, il venait de se faire virer du bar d'en face pour avoir légèrement ébrécher la porte.

-Yep, papi, t'as besoin de moi comme barman ?

Ses yeux brillaient d'espoir. Le vieux le regarda gêner. Il tenait beaucoup trop à son bar pour le remettre aux mains de Shizuo.

-Nan, petit, pas pour l'instant, mais mon frère a besoin de grands gaillards comme toi pour faire un peu de bois.

Le dit gamin s'avachit un peu sur son siège, il aurait tellement aimé être barman. Mais l'appel de l'argent le poussa à accepter.

-Si je peux être utile.

-C'est si mignon de ta part Shizu-chan.

Il se crispa. Cette voix emplit de guimauve et d'ironie ne pouvait appartenir qu'a ce connard. Il lâcha avec précaution son verre, il sentait déjà la colère monter en lui et ne voulait pas le casser.

-Qu'est-ce que tu veux encore ?, demanda-t-il menaçant sans se retourner.

Un jeune homme de son âge était accoudé à une poutre. Ses cheveux de jais assombrissaient son regard caramel. Izaya s'avança vers le blondinet.

-Tout ne tourne pas autour de ta petite personne. Je sais que tu as du mal à l'admettre mais je ne suis pas obsédé par toi et il m'arrive aussi de me promener sans but. Après si tu ne crois pas que je suis là par hasard prends toi en à une divinité extérieure qui aurait sûrement guidé mes pas jusqu'à ta pestilentielle odeur, lança-t-il en retroussant légèrement le nez dans un signe de dégout.

Il se tourna vers le propriétaire et lui demanda avec un immense sourire :

-J'ai entendu que votre cher frère avait besoin de main-d'œuvre, je suis de la partie !

Le pauvre vieux était effrayé. Voir les deux ennemis aussi proche l'un de l'autre n'augurait rien de bon pour son bar. Il pensa à tous les efforts qu'il avait investi dans son établissement. S'il était détruit il devrait sûrement s'endetter et ne pourrait offrir à son fils la chance d'aller à l'université, sa femme serait ravagée, elle qui avait tout quitté pour le suivre dans cet endroit si reculé. Il resta immobilisé par la peur et ne répondit même pas.

Izaya le dévisageait avec un air rusé et dit :

-Plus vous ruminerez sur votre future faillite, plus vous aurez de chance de la voir se réaliser sous vos yeux, ce n'est pas moi qui vais vous rappeler la violence et le manque d'intelligence de notre ami ici-présent. Plus vite vous direz ce que je veux entendre plus vite je m'en irai.

Le propriétaire avait entendu les rumeurs sur le don télépathique du jeune brun mais n'en avait jamais fait les frais. L'expérience était loin d'être agréable mais sa voix revint :

-Oui, vous…tu…, il se racla la gorge. On te prend…, murmura-t-il, tremblant.

Izaya tapa sur la table avec le plat de sa main et le fit sursauter.

-Merveilleux ! Vous ne savez pas combien vous me faisez plaisir ! Je m'en vais ! ria-t-il.

Il partit dans un froissement de fourrure en jetant un dernier regard à Shizuo. Ses lèvres esquissèrent un sourire en coin.

Durant tout l'échange Shizuo était resté les yeux fermés et n'avait pas bougé d'un pouce. Il se leva et demanda au vieux un autre verre de lait pendant qu'il allait s'en griller une.

La nicotine lui redonna un semblant de sérénité. Izaya l'avait à peine insulté et il avait fait en sorte de trouver le même boulot que lui. Plus Izaya se montrait innocent plus son plan était tordu. Qu'est-ce que cachait ce bâtard encore… ?