Chapitre 1 : Archives et Poussière

Tom s'était aperçu qu'il avait contracté le tic de se mordre le coin de la lèvre inférieure lorsqu'il était dans un certain état d'agitation. Le jeune homme, qui s'était appliqué à maîtriser la moindre de ses expressions depuis qu'il était entré à Poudlard, s'employait donc à maintenir ses lèvres immobiles en toutes circonstances, avec un succès jusqu'à présent assez mitigé.

Cependant, alors que ses yeux parcouraient les parchemins qu'il avait sous les yeux, il ne pouvait s'empêcher d'enfoncer ses dents dans la chair à l'intérieur de sa joue, momentanément substituée à ses lèvres, révulsé et furieux.

Les élèves de Poudlard avaient un accès libre à certaines archives de l'école, bien qu'aucun d'entre eux ne s'intéressa vraiment à ces grimoires, qui prenaient la poussière sur les étagères administratives de la bibliothèque. Un ou deux facétieux désiraient de temps à autre retrouver les notes de leur parents afin de faire chanter ses derniers pour quelques gallions de poche de plus, mais c'était tout.

Pour Tom, les choses étaient différentes. Il ne voulait pas faire chanter son père, il voulait retrouver sa trace. Mais après de longues heures de recherches intensives,tout au long des années précédentes, il avait dû se rendre à l'évidence; Tom Riddle Senior n'avait jamais fait ses études à Poudlard. Il n'avait pas non plus eu de tuteur privé puisque les BUSEs était obligatoires et que les résultats de tous les élèves britanniques étaient archivés à Poudlard. Son père n'était donc pas un sorcier. Le jeune homme avait alors du se résoudre à faire des recherches dans le monde moldu lorsqu'il était rentré à l'orphelinat l'été précédent, et avait finalement retrouvé la trace d'une famille de Riddle, habitant un village répondant au nom de Little Hangleton. Sa mère n'avait jamais dit comment elle-même s'appelait à l'orphelinat où Tom était venu au monde; il n'avait à disposition que le nom de son père et l'âge de sa mère, environ une vingtaine d'année à sa naissance, pour découvrir le secret de ses origines. Lorsqu'il avait de nouveau enfoncé son nez dans les archives de Poudlard, au retour des vacances, c'était pour rechercher une étudiante originaire de Little Hangleton, qui aurait commencé ses études à Poudlard environ vingt-cinq ans en arrière. Il finit par la trouver, Merope Gaunt. Une élève médiocre, effacée, troublée, de laquelle ses professeurs n'avaient visiblement jamais fait grand cas. La vieille photographie du trombinoscope correspondait parfaitement au portrait d'elle que lui avait dressé la directrice de l'orphelinat : des traits lourds, patauds, et un sévère strabisme divergent. Merlin, qu'elle était laide. Ainsi, malgré toute sa puissance, malgré tous ses pouvoirs, Tom était le fils d'un moldu et d'une ratée.

Le jeune homme tremblait presque de rage.

Voilà toute son histoire, voilà tout son héritage.

Ses mains se pliaient et se dépliaient sans qu'il puisse les contrôler. Il voulait enfoncer ses ongles dans sa propre peau et l'arracher, déchirer cette enveloppe charnelle pétrie par des incapables et des faibles. Et puis quelque chose se mit à cliqueter dans son esprit. Ce nom, Gaunt. Ce nom ne lui était pas inconnu. Il l'avait déjà croisé à plusieurs reprises au cours de ses études. Mais ce n'était pas des recherches concernant sa famille, il s'agissait de recherches sur son héros de toujours, Salazar Serpentard. Les Gaunt étaient les derniers descendants connus de Salazar, ou du moins c'est qu'un certain Marvolo Gaunt clamait haut et fort près d'un demi-siècle auparavant, dans un article de la Gazette du sorcier portant sur les descendants des grands sorciers d'autrefois : les fondateurs, Merlin, Viviane, Margause, Beedle le Barde, Gwendoline la fantasque... Le journaliste n'avait guère semblé accorder d'importance aux paroles de Marvolo Gaunt, mais Tom, fasciné, avait exploré plus avant les paroles de Marvolo, et tout l'avait poussé à croire qu'il disait la vérité. Cependant, après ses deux enfants, un garçon et une fille, Marvolo n'avait plus d'héritier connu, et Tom avait à l'époque laissé là ses rêves d'être lié à Salazar Serpentard, quoiqu'il partageât le prénom de l'un de ses derniers descendants.

Tom reprit le grimoire des archives de Poudlard entre ses mains tremblantes, pour rechercher la parenté de Merope. C'était écrit là, en toutes lettres : Merope Gaunt, fille de Marvolo Gaunt.

La brûlure de Tom ne s'effaça pas, mais s'apaisa un instant. Il l'avait toujours su, dans le fond. Son aptitude à parler Parseltongue, ses pouvoirs hors du commun. Oui, son ancêtre ne pouvait qu'être Salazar Serpentard.

Tom posa ses mains à plat sur le grimoire, parfaitement immobile désormais, se remémorant tout ce qu'il avait pu lire sur son ancêtre.

S'il était son descendant, son héritier, il devrait reprendre le flambeau du travail de son aîné. Tom réprima un tremblement, en songeant que sa propre mère avait fait bien peu cas de son aïeul et de ses désirs en tombant sous le charme d'un moldu, faisant de lui, Tom, le bâtard de Serpentard. Mais il allait rectifier ça. Oh, oui, et sans hésiter. La légende de la chambre des secrets lui revenait en mémoire. Il n'avait jamais vraiment recherché la chambre, songeant que Salazar aurait probablement protégé son accès contre des gens ne partageant pas son sang, mais désormais, Tom se sentait légitime, sûr de lui et de ses droits, sur la chambre, sur la bête endormie, et même sur les né-moldus qui polluaient l'école.

Les nés-moldus comme lui-même, lui souffla une petite voix dans sa tête.

-Non, pas comme moi, murmura-t-il dans un souffle. Moi, je suis le descendant de Salazar Serpentard. Je trouverais le moyen d'arracher de mes veines le sang du chien qui m'a donné la vie. Et toute sa race sera un jour désolée qu'il ait osé séduire... une sorcière.

Tom sentit l'excitation se mêler à la fureur qui avait embrasée toute son âme l'été précédent lorsqu'il avait eu la quasi-certitude que son père était dénué de tout pouvoir. Il allait retrouver la chambre des secrets, lâcher sa bête sur les nés-moldus. Mais pour cela, il devait avant être certain de la généalogie des élèves de Poudlard.

Il referma sèchement le grimoire, puis se dirigea vers la bibliothécaire, occupée à inspecter la reliure d'une copie de Métamorphomages et Hermaphrodites : quelle frontière dans la Grèce Antique ? .

-Je suis désolé de vous déranger...

-Oh, mais pas du tout Tom, s'exclama la jeune femme avec un sourire aimable. Tu as pu trouver ton bonheur dans les archives de l'école ?

-Peut-être, répondit le jeune homme avec une mine triste et fatiguée. Je crois que j'ai découvert le nom de ma mère, mais je n'en suis pas certain.

-Oh, Tom, mais c'est merveilleux ! Après toutes ces années...

-J'ai lu dans les archives qu'elle avait un frère, beaucoup plus jeune qu'elle. Peut-être même qu'il est encore scolarisé à Poudlard, où l'était lorsque je suis arrivée ici. Je sais que je ne suis pas sensé avoir accès aux dossiers des élèves encore scolarisés ou qui l'ont été ces dix dernières années, mais si je pouvais retrouver sa trace... J'ai peut-être ici un oncle qui ne sait même pas que... que... j'existe.

La voix de Tom se brisa sur ses derniers mots, et il garda le nez sagement baissé, tordant sa mâchoire comme quelqu'un en proie à une vive émotion.

La bibliothécaire se mordit la lèvre, visiblement désolée, et aussi un peu pensive.

-Tom, parce que c'est toi, et parce que tu mérites d'avoir une famille et d'être aimé et entouré plus que bien des élèves que j'ai pu rencontrer, je veux bien me promener pendant dix minutes dans la bibliothèque en laissant la porte des dossiers ouverte. Mais tu as dix minutes. Tu rentres, tu trouves le dossier de ton oncle, et tu sors, d'accord ?

-Oh, merci infiniment Mademoiselle Corley !

Tom s'était allongé sur son lit, les rideaux soigneusement tirés. Mademoiselle Corley était un peu sotte. Il lui avait fallu bien moins de dix minutes pour dupliquer avec sa baguette les dossiers de tous les élèves de Poudlard, et fourrer l'importante masse de parchemins dans son sac scolaire, qu'il avait préalablement ensorcelé pour le rendre plus plus grand à l'intérieur qu'à l'extérieur. Tom sentait un frémissement délicieux le parcourir tout entier. Il avait sous ses yeux les résultats et les secrets de toute l'école.

Alors qu'il se mettait à dresser la liste des nés-moldus qu'il se proposait de prendre comme exemple, il se prit aussi à s'intéresser aux résultats des élèves d'une manière plus personnelle. Il voulait s'assurer qu'il était le meilleur, dans toutes les matières, et que personne ne lui faisait de l'ombre, ou pire, ne serait assez brillant pour potentiellement se trouver sur son chemin à sa sortie de l'école, et tenter de lui mettre des bâtons dans les roues. En plus de sa liste de nés-moldus, il se mit aussi à prendre note des élèves doués, sur un parchemin en haut duquel il écrivit "Séduire ou Abattre."

Il inscrivit certains noms sur les deux listes. Tom n'était que peu dérangé par l'idée de prendre à son service des né-moldus, à condition qu'ils soient puissants et sachent reconnaître la supériorité des sorciers.

Cependant, rien ne l'inquiéta ou ne le titilla vraiment avant qu'il ne prenne en main la liste des élèves de 7ème année de gryffondor, de deux ans ses aînés. Jusqu'à ce moment là, il n'avait trouvé aucun élève qui soit de son niveau, aussi, les notes et les appréciations portant sur le travail d'une étudiante en particulier le prirent de court. Minerva McGonagall était aussi douée que lui; avec même un avantage plus ou moins léger en métamorphose, en défense contre les forces du mal, en sortilèges et en botanique. En fait, elle était le première élève depuis Albus Dumbledore à n'avoir obtenu que des optimals pour ses BUSEs, et d'après ce qu'il avait sous les yeux, Tom se doutait qu'à moins d'une attaque de troll sur le château le jour de ses ASPICs, elle suivrait probablement les traces de son professeur de métamorphoses en obtenant derechef une ribambelle d'optimals lors des examens finaux.

Tom savait pertinemment qui était Minerva McGonagall, tout le monde dans l'école savait qui était Minerva McGonagall, à la fois préfète-en-chef et capitaine de l'équipe de Quidditch de Gryfondor.

Tom avait toujours entendu dire qu'elle était brillante, un peu dure, pas très populaire chez les vert et argent mais très respectée au sein de se propre maison. Il ne s'était jamais vraiment soucié d'elle jusqu'à ce qu'il voit les impressionnants résultats de la sorcière. Comment avait-il pu l'ignorer à ce point ? Tom ferma les yeux pour mieux se remémorer tout ce qu'il savait au sujet de la gryffondor. Elle remplissait son rôle de préfète-en-chef, et avant cela, de préfète, avec une autorité naturelle confondante. C'était une jeune femme assez fine, qui se déplaçait le dos droit et le menton levé. Ses cheveux noirs, longs et épais, étaient toujours impeccablement attachés, tantôt en un chignon bas, tantôt en tresse c'était la personne la moins échevelée du monde, sauf sur un terrain de Quidditch. Tom songea que c'était probablement à cause du Quidditch qu'il avait méjugé Minerva McGonagall; la plupart des élèves adeptes de ce sport étaient brillants en cour de vol, mais académiquement peu intéressants. Les deux capitaines qu'il avait connus à serpentard, deux garçons débonnaires plus portés sur la rigolade que sur les études, l'avaient également conduit à penser qui quiconque touchait au Quidditch n'était pas vraiment digne d'intérêt. Qu'elle soit élue Préfète-en-chef aurait dû lui mettre la puce à l'oreille. Quelle regrettable erreur...

Tom se rendit compte que, sous l'effet de l'agitation, il s'était mit à mâchouiller l'intégralité de sa lèvre inférieure, et cessa aussitôt, plus agacé que jamais.

Il fallait qu'il s'occupe du cas de Minerva McGonagall. Qu'il se mesure à elle et qu'il la surpasse, ou bien qu'il la charme et la transforme en pantin, comme il avait charmé la moitié de l'école. Ou qu'elle soit la première victime de la chambre.

Une fois ses listes terminées, Tom se laissa retomber sur ses oreillers. Un grande excitation s'était emparée de lui. Enfin, il allait véritablement faire quelque chose. Depuis sa première année, il s'était appliqué à jouer les anges avec tous les habitants du château, et maintenant que sa réputation d'élève brillant, consciencieux et charmeur était établie, il allait pouvoir passer à l'action. Rendre à son ancêtre, l'hommage qu'il méritait. Commencer à recruter sans en avoir l'air ceux auxquels il avait déjà prévu de donner le patronyme de Mangemort. Paver la route vers la puissance et la pureté.