Cette fic est partie d'une série de drabbles, inspirée par le fait que l'une de mes collègues fait les bébés nageurs avec sa fille (oui, il ne m'en faut pas beaucoup, et oui, je l'ai discrètement interrogée sur le déroulement d'une séance sans lui dire que c'était de la recherche pour une fic potentielle ! Même pas honte. XD).
Si la saison 4 de la série est globalement plutôt inégale, elle fourni quand même un terreau inespéré aux kidfics et donne plein de problématiques et de traumas divers à résoudre aux personnages... et l'occasion d'écrire Sherlock en slip de bain en train de jouer avec un bébé était trop belle pour la laisser filer. :)
Je vais essayer de poster un chapitre toutes les semaines, j'ai pris un peu d'avance donc ça devrait-être faisable.
Bonne lecture, et comme toujours les reviews sont hautement bienvenues !
Séance 1
La caisse de résonance de la piscine amplifie le brouhaha des voix, le bruit des éclaboussures et rien dans le déroulement de la vie de Sherlock Holmes ne l'avait préparé à la situation dans laquelle il se trouve.
Le court-bouillon tiédasse du petit bain lui arrive à mi-mollet, il est en tout et pour tout vêtu d'un maillot acheté pour l'occasion et porte, calée sur son bras droit, un bébé gazouillant occupé à baver sur son épaule et à essayer d'attraper une poignée de cheveux bouclés pour tirer le plus fort possible dessus. Il est également l'objet de tous les regards (et murmures) intrigués du groupe de mamans en train de préparer leurs progénitures pour la séance des bébés nageurs, mais les ignore avec son mépris habituel.
Il est bien plus intéressant d'observer du coin de l'oeil la source de tous ses maux (ou du moins de sa situation actuelle) : John est affairé à déposer au premier rang des gradins les serviettes et le sac absolument faramineux qui accompagne Rosamund Mary Watson dans le moindre de ses déplacements. Il a dans la ligne de ses épaules une rigidité qui trahi sa tension, et à la brusquerie précise de ses mouvements, Sherlock sait qu'il s'apprête à aborder l'heure qui vient comme un soldat en territoire ennemi, déterminé à endurer l'épreuve et à encaisser les coups sans frémir...
Ni le stress ni sa réaction à ce dernier ne sont surprenant au vue des circonstances, mais Sherlock est d'avis que John aurait tout aussi bien pu s'épargner la corvée, ce qui aurait eu comme avantage non négligeable de l'y soustraire également… Làs, c'est bien le docteur, d'affronter ses peurs bille en tête : une fois décidé que retourner aux bébés nageurs était bon pour Rosie, rien n'aurait pu le faire changer d'avis… et du coup Sherlock s'est retrouvé embrigadé à son corps défendant dans l'aventure.
Il aurait pu dire non, bien entendu, quand cinq mois après la mort de Mary et à peine deux mois depuis qu'ils aient recommencé à se parler, John lui a demandé son aide pour emmener Rosie à sa séance de bébé nageur… Il aurait pu trouver un prétexte, ou même simplement balayer l'idée d'un revers désintéressé... mais il sait désormais ce qu'il a à perdre, et il n'est pas aveugle au geste que représente pour John le fait de lui confier ce qu'il a de plus précieux au monde. Il a râlé pour la forme, débité des statistiques sur les taux de champignons et autres bactéries dans le bouillon plébéien des piscines publiques, mais au final il est là, un courant d'air baladeur lui chatouillant les cuisses, sans même le bouclier de la cocaïne pour l'aider à supporter cette expérience d'un ennui abject. Il est clean depuis deux mois, mais une rechute aurait presque pu être séduisante au vu de la situation... si John n'avait rendu extrêmement clair les conséquences rédhibitoires si Sherlock devait se trouver un jour en présence de Rosie en ayant pris de la drogue.
Un trille plus aigu et un tortillement vigoureux de sa charge forcent Sherlock à ajuster sa prise afin d'empêcher sa filleule de se jeter tête la première hors de ses bras dans l'eau peu profonde, puis, lorsque John le rejoint, dans la direction de son père. John prend sa fille quand Sherlock la lui tend, et la tension qui l'habitait disparaît un instant derrière un sourire attendri et une série de baisers papillons. Bien.
Sherlock profite du répit accordé par la démonstration de mièvrerie pour observer le petit groupe, déduire que le maître-nageur a une aventure avec l'un des pères présents, que l'une des mères est diabétique, une seconde en cours de divorce, et trois autres, femmes au foyer. Pour douze bébés présents -Rosie exclue- et un petit assortiment de frères et soeurs d'âges divers, les accompagnants sont une bonne vingtaine, et les mères ne sont presque jamais seules. Sherlock compte six pères (mais John et lui étaient les seuls à avoir le bébé avec eux dans les vestiaires homme), un grand-père, deux grand-mères, une amie... et l'un des petits garçons un peu plus âgé que Rosie est là avec ses deux mamans. (Sherlock est devenu étonnamment bon à juger l'âge d'un bébé en nombre de mois et se console en se disant que ça pourra lui servir pour une enquête.)
Tout ce petit monde est en maillot de bain -parfois enfilé par dessus une couche étanche, parfois couvert d'un paréo en fonction de l'âge et des degrés de pudeur- et si les accompagnants ont tendance à rester proche de leur charge, il est clair que l'occasion est également sociale. Du brouhaha des conversations, Sherlock peut capter des bribes de discussions sur la durée des nuits, la purée de brocoli Tesco versus celle de Waitrose, la crème anti-vergeture ou encore l'épuisement constant qui semble être la norme des parents d'enfants en bas âge. Chiant.
Chiant mais aussi difficilement évitable, quand une maman se détache du groupe, un bébé sur la hanche, et vient saluer John d'un grand sourire. Sherlock peut le sentir se tendre à ses côtés sans même avoir à le regarder.
"John, Rosie, ça faisait longtemps ! Comment ça va ? Mary n'est pas là aujourd'hui ?"
Heureusement pour John, Sherlock n'a aucun scrupule à s'insérer de force dans une conversation et tend la main avec un sourire aussi contrefait que le roux des cheveux de la femme, la forçant à jongler un instant avec son rejeton pour pouvoir lui serrer la main.
"Sherlock, je suis le parrain de Rosie. Ravi de faire votre connaissance. Et qui est ce grand garçon ?
- Nigel, dis bonjour !"
Nigel ne dit évidemment pas bonjour mais cache son visage contre l'épaule maternelle. La femme se présente (Ailsa : Sherlock met une alerte mentale sur les prénom pour les effacer à l'instant où il n'en aura plus besoin) et s'extasie sur le fait que Rosie a beaucoup grandi, et qu'elle est absoluement choupinette avec son petit maillot à rayures par dessus sa couche étanche et son bonnet de bain orné d'une fleur en plastique rouge. Sherlock n'a que peu d'avis (et un mépris de principe) pour la question de la mignonitude des humains juvéniles, mais il doit reconnaître que Rosie est selon les critères en vigueur relativement susceptible d'être jugée adorable par des gens n'étant ni son père ni sa famille proche, et qu'elle a effectivement beaucoup grandi. La différence était flagrante quand il l'a revue pour la première fois après la mort de Mary, John silencieux et triste malgré sa fille babillant sur ses genoux, et elle n'a fait que pousser depuis, avec la vigueur d'une mauvaise herbe. Elle se déplace maintenant en position assise en poussant sur ses jambes (il paraît que la marche avant ne devrait pas trop tarder), rampe avec dextérité, et sait exactement avec qui elle peut faire des caprices quand elle n'a pas envie de manger sa purée. (Indice : John et Molly sont les maillons faibles. Sherlock a bien trop l'habitude de s'éclipser dans son palais mental pour que quelque chose comme des pleurs aigus de bébé puissent l'en tirer…)
"Je vais donner à boire à Rosie avant qu'on commence", annonce soudain John d'un ton ferme avant de s'éloigner en direction des gradins, laissant Sherlock avec Ailsa et l'équivalent d'une invitation avec embossage et dorure à chaud.
Il attend que John soit hors de portée, puis se penche vers Ailsa.
"Puis-je vous demander une faveur ?
Elle est surprise, mais la politesse instinctive instillée dans l'Anglais de base prend le dessus et elle répond "Bien sûr !" sans avoir le temps d'y réfléchir à deux fois.
- Mary est morte il y a cinq mois, annonce Sherlock de but en blanc. John craignait de revenir aux bébés nageurs car il ne voulait pas affronter les questions, la compassion, et à avoir à expliquer encore et encore. (Pour d'autres raisons, aussi, mais ça il ne le dit pas.) Est-ce que je peux compter sur vous pour passer le message aux autres mamans du groupe ? Des condoléances courtes sont acceptables, mais pas plus. C'est trop douloureux pour lui d'en parler…
La manipulation éhonté et l'appel à la fibre émotionnelle fonctionne parfaitement et Ailsa porte une main à sa bouche, manifestement horrifiée.
- Ho mon dieu le pauvre… Je comprends, bien sûr… Je vais le dire aux autres, et m'assurer que personne ne mette les pieds dans le plat… Seigneur, c'est horrible… et Rosie qui est si petite… N'y a-t-il rien que nous puissions faire ?
- Vous assurer que la séance soit la moins douloureuse et la moins stressante pour lui est déjà énorme Ailsa. Il a besoin d'espace, et si vous pouvez m'aider à le lui donner…
- Bien sûr, bien sûr… Je vais mettre les autres au courant...Comptez sur moi… Je vous laisse vous préparer pour la séance !"
Elle s'éloigne en serrant convulsivement son rejeton contre elle, l'expression bouleversée, et Sherlock ressent une étincelle de triomphe quand elle rejoint le reste du groupe et que les murmures et les regards en coin vers John commencent. Le comportement de chaque individu n'est pas garanti, bien entendu, mais Sherlock est là pour interférer si besoin et il sait d'expérience que dans des situations émotionnellement lourdes la plupart des gens veulent bien faire, et répondent positivement quand on leur indique une ligne de conduite particulière en la présentant comme une faveur accordée.
Quand il le rejoint John ne dit rien, mais lui tend de nouveau Rosie quand le maître-nageur fait signe au groupe de se rassembler et aux parents de le rejoindre les pieds dans l'eau du petit bain.
