LE BODYGUARD

Prologue
Pour le prologue, je vous suggère de lire le 3e chapître de Dialogue de morts:
s/9510969/1/Dialogue-de-Morts

C'est fait? En avant!

Le Bodyguard 1

« On a assassiné le prince ! On a assassiné le prince ! »

Les cris stridents d'une servante, résonnant à travers les corridors du Louvre, avaient ameuté toute la garde royale, celle-ci s'étant précipitée sur le champ vers les appartements du prince Philippe. Ce dernier, agenouillé au sol, tenait sa main ruisselante de sang contre son corps tandis que, couché sur le sol non loin de lui, le présumé meurtrier était secoué de convulsions.

Le mal se propageait dans tout son bras et montait, brûlant et lancinant, jusque dans son épaule. Philippe risqua un regard vers sa blessure : la paume de sa main était complètement ouverte, et le trou, sombre et rouge, crachait des flots de sangs. Le jeune homme recouvrit aussitôt sa plaie avec sa main valide, pressant de toutes ses forces pour arrêter l'hémorragie. La perte de sang lui faisait tourner la tête, et il se demandait s'il aurait la force de ne pas s'évanouir. Il grimaça encore de douleur, mais poussa un soupir de soulagement lorsqu'il vit un garde suisse s'approcher de lui, se mettant automatiquement entre lui et le malfaiteur, son arme prête à pourfendre quiconque s'approcherait de trop près. Un autre s'approcha par derrière et, après avoir délicatement posé la main sur son épaule pour ne pas le faire sursauter, lui demandait où il était blessé. Au loin, on appelait d'urgence le médecin royal pendant que le reste de la troupe fouillait tout l'endroit à la recherche d'un autre ennemi, ou d'indices révélateurs…

Un officier s'approcha de la forme maintenant immobile du criminel, le frappant du bout de sa botte. Les yeux exorbités, la bouche béante d'où s'écoulait un mince filet sombre, la peau couverte de sueur, la physionomie du malfrat était plus que repoussante.

« Du poison… » Une petite fiole teintée d'un liquide rouge, calée dans la main du mort, confirma la déclaration du soldat.

-

« Philippe ! »

Calé contre de nombreux oreillers dans une position semi-assise, dans un large lit tendu de riches draps et couverts de tentures, Philippe se morfondait. Le prince, la main et la cuisse droites enroulées d'épais bandages, regardait le vide avec absence. Son air chagrin frappa le roi qui, dès qu'il eut su ce qui était arrivé à son frère jumeau, avait accouru au chevet de celui-ci.

Attristé, partageant sa tristesse, Louis s'assit doucement à ses côtés et se mit à caresser la tête de son cadet, tentant de mettre un peu d'ordre dans sa chevelure défaite. Maudit soit ce suppôt de Satan qui avait attenté à ses jours ! Son frère, qui venait tout juste de sortir d'une longue mélancolie, semblait y être replongé.

« Philippe…que s'est-il passé ? » questionna-t-il avec une extrême douceur.

Philippe soupira. Est-ce que c'était ça, la Cour ? Non seulement une prison dorée où tout n'était que jeux d'apparence et de faire-semblants, mais aussi de coups par derrière et d'assassins tapis dans l'ombre? D'ailleurs, pourquoi avait-on tenté de le tuer ? N'avait-il pas ouvertement déclaré qu'il renonçait à ses privilèges de succession au trône royal, s'il advenait que Louis meure sans héritier ?

« Il est sorti de nulle part, comme si soudainement il était tout autre…il a tenté de me frapper avec sa dague…j'ai paré le coup avec ma main » - Ce disant, il leva sa dextre handicapée – « Il m'a ouvert la paume, puis la lame a bifurqué et a frappé ma jambe… Mais une servante s'est mise à hurler…Il fut aussitôt pris de panique; voyant qu'il aurait échoué son acte et, sachant qu'il ne pourrait pas s'enfuir, il se serait empoisonné pour éviter la torture… »

« Oui…c'est ce que la garde royale m'a confirmé… Il nous sera impossible de le faire parler…et de savoir si un autre se cache derrière cet attentat…N'ayez craintes, mon frère, je ferai resserrer la garde.»

Louis soupira à son tour, se passant nerveusement la main sur le front. Il avait beau essayer de rassurer Philippe, mais c'était plutôt lui qui avait besoin d'être apaisé. Comment expliquer qu'un courtisan, qu'il connaissait pourtant bien, se soit transformé en assassin ? Il avait l'habitude de l'hypocrisie, des trahisons…mais que quelqu'un s'attaque à son frère était impardonnable.

« Philippe ! » fit soudainement une troisième voix derrière eux.

Les portes de l'appartement s'ouvrirent dans un fracas. Un homme à la longue chevelure noire, aux traits similaires aux jumeaux, pénétra dans la chambre sans se faire annoncer. Tentant de l'empêcher d'entrer, un valet se faisait rudement bastonner par le nouveau venu.

« Gaston ? Vous ici ? » Louis se leva d'un bond, son visage exprimant aussitôt son agacement de voir son autre frère au palais. S'il y avait une personne qu'il ne voulait pas voir en ce moment, c'était bien lui ! « Que voulez-vous ? »

« Quelle question ! » répondit le cadet, hautain. « Je viens m'enquérir de la santé de mon frère ! »

Philippe avait pu rencontrer son jeune frère Gaston plusieurs fois. La réputation du duc d'Orléans était plutôt mauvaise en ce qui avait trait aux affaires royales : Ouvertement comploteur, cherchant par tous les moyens à discréditer son aîné…mais il était d'une franchise rafraîchissante, et son enjouement naturel était contagieux. Parfois le prince, dans ses moments d'ennui, s'imaginait partir et fêter avec Gaston pour échapper au trop-sérieux des obligations imposées à Louis…

Du coin de l'oeil, il regarda, secouant la tête en signe de désapprobation, les deux hommes qui s'insultaient.

Son regard se refit absent tandis que, juste à ses côtés, Louis tentait de faire sortir Gaston de la chambre. Profitant de ce moment, une jeune servante, portant un large plateau sur lequel fumait une épaisse soupe au fumet alléchant, s'approcha à pas de loup du lit du prince.

« Votre repas, Votre Altesse… » murmura-t-elle.

« Merci… » fit-il en tentant vainement d'aider la femme à se départir de son fardeau. « Oh, faites venir le barbier, vous voulez bien ? »

« Oui, Votre Altesse. »
Elle le salua et alla aussitôt s'occuper de la requête princière en quittant la chambre sur le bout des pieds.

Lorsqu'il fut seul, Philippe se retourna vers ses frères : Le roi, toujours en train de se quereller avec Gaston, plissait les yeux. « Qu'est-ce qui ne me dit pas que vous êtes derrière cet attentat ? »

« Oh, Louis ! La ferme ! »** se plaignit le duc, très contrarié, en remuant les bras pour accentuer ses paroles. « Tu ne veux que le monter contre moi Jamais je n'oserai tuer mon propre frère !»

« Pourquoi pas ? Vous ne cessez de comploter contre moi ! » répondit Louis, dont la voix avait monté d'un ton sous l'apostrophe peu polie qui lui avait été dédiée.

« Pour te renverser et prouver à la France que tu es un mauvais roi, certes, mais je n'ai jamais attenté à tes jours, que je sache ! » répliqua Gaston, ne se gênant pas pour tutoyer son frère, sachant pertinemment que cela le ferait bouillir.

« Sois poli envers ton souverain ! » hurla Louis en brandissant vers son interlocuteur un doigt raide et menaçant. Comme il aurait envie de l'envoyer en prison pour lèse-majesté, celui-là ! En guise de réponse, Gaston, dans un geste de provocation délibérée, le balaya du revers de la main.

« Peuh ! Avant d'être mon roi, tu es mon frère !…et je te traiterai comme bon me semble ! »

Ils étaient sur le point de s'insulter de plus belle lorsqu'ils perçurent un petit rire à leurs côtés. Ils se tournèrent donc vers un Philippe souriant.

« Avant d'être mon roi, tu es mon frère… C'est charmant, et très touchant comme déclaration ! Gaston vous apprécie beaucoup, mon frère ! »

« Vous divaguez, Philippe ! » grogna le roi, le visage rouge de colère. Il pointa le duc qui souriait fièrement de voir le jeune jumeau prendre son parti. « Il-il me déteste ouvertement depuis qu'il est né ! Tout ce qu'il veut, c'est le trône !»

« Si c'est le cas, je ne suis aucune menace pour lui, puisque j'ai renoncé à mes droits… »

« C'est vrai ? » demanda doucement Gaston au prince, soudainement intéressé.

« Ha ! Vous voyez ? Il ne le savait même pas ! » renchérit Louis. « Gaston, je vous le jure sur la tête de notre père, si vous avez attenté à la vie de Philippe, je vous fait embastiller avant de vous envoyer sur l'échafaud ! »

Tandis que Louis et Gaston se prirent dans une seconde querelle verbale, Philippe soupirait de plus belle. Que n'aurait-il donné pour avoir passé sa jeunesse avec un frère… Les deux avaient eu cet immense honneur, - ils avaient même connu leur père ! - mais ils le gaspillaient dans de perpétuelles chicanes futiles et immatures, se chamaillant même avec leur propre mère… Avec un noir sarcasme, il se disait qu'elle méritait bien d'être dépréciée de ses enfants. En effet, quelle mère abandonnerait son rejeton puis, plus de vingt-cinq ans plus tard, voudrait agir avec lui comme s'il ne s'était rien passé ?

Et si c'était son père qui avait pris la décision de l'écarter de sa famille ? Dans ce cas, le vieux avait bien mérité de mourir sous le poignard d'un fou ! Philippe se maudit aussitôt d'avoir eu de telles pensées…il était si jaloux de Louis, de Gaston, qui avaient eu la chance de connaître cet homme dont il n'avait entendu que des bons mots…

Il ferma les yeux. Un enfant abandonné…il était un enfant abandonné dont on avait brutalement retiré la seule famille de remplacement qu'il avait eu…Tout ça pour une affaire de pouvoir…

Après quelques instants, le barbier se présenta timidement dans l'appartement: un vieil homme aux cheveux déjà blancs, au dos un peu courbé, tenant en main une petite mallette de chirurgien.

« Vous m'avez fait demandé, Votre Altesse ? »

« Philippe, vous avez assez perdu de sang ! Ne vous faites pas faire une saignée ! » le gronda le roi en apercevant le nouvel arrivant.

Le prince, ignorant le souverain, se leva silencieusement malgré sa jambe blessée et, avec précaution, fit quelques pas avant de s'asseoir sur un fauteuil.
« Monsieur…coupez-moi la moustache. Coupez-la comme vous le voulez, mais taillez-la pour qu'elle ne ressemble en rien à celle que porte ces deux-là. » Du dos de la main, il désigna ses frères.

Le barbier rougit furieusement et prépara son matériel, évitant à tous prix de croiser les regards des hommes précédemment désignés.

« Vous avez la chance d'avoir eu quelqu'un près de vous, dans votre jeunesse… » maugréa Philippe à l'intention de ses frères, sans toutefois les regarder. « Quelqu'un de votre âge pour vous amuser, pour discuter, pour vous souvenir ensemble ! Mais vous ne faites que cracher sur cet honneur en vous battant pour des futilités…Messieurs, vous ne savez pas la chance que vous avez eu, et votre ignorance me blesse ! »

Non, il ne sera jamais comme ceux-là ! Un jour, il fonderait une famille…et il aurait des enfants dont il ne se séparerait jamais.

Penauds, Louis et Gaston furent pris de remords et se turent, laissant leur frère affirmer son désaccord en voulant arborer une physionomie différente de la leur. Le barbier ne mit pas long à finir son travail et bientôt présenta au prince un petit miroir. Lorsqu'il vit son reflet, Philippe s'assombrit de plus belle La nouvelle moustache ressemblait en tous points à celle qu'avait François…Le barbier, de son côté, paniquait à l'idée que son œuvre ne soit pas à la hauteur des attentes princières.

Je n'ai personne avec qui me souvenir de mon passé…pensa Philippe avec amertume, la mine basse. Il releva soudainement la tête. Oh non…si, j'ai quelqu'un!

« Sire...vous voulez bien faire venir Monsieur de Tréville ? » fit-il d'une voix plus forte, aussitôt revigoré.

Il voulait revoir cette femme…cette Renée, celle que François avait aimé, et qu'il avait eu le bonheur de rencontrer quelques semaines plus tôt. Elle avait égayé sa vie…peut-être lui accorderait-on de lui tenir compagnie, le temps qu'il guérisse ?

Voyant le regard de son jumeau s'illuminer, le roi fut prit d'enthousiasme.
« Vous avez raison, Philippe ! Je mettrai un mousquetaire à votre service, pour assurer votre sécurité ! Il faudra bien quelqu'un pour vous défendre, étant donné que vous êtes présentement dans l'impossibilité de manier vous-même une arme. » Le duc d'Orléans renchérit de plus belle la proposition de son aîné.

Le prince voulu protester et mentionner que la raison pour laquelle il voulait rencontrer Tréville n'était pas pour avoir une escorte, mais il arrêta ses mots dans sa gorge, songeant subitement à l'agréable opportunité qui se présentait à lui.

« Je…pourrai choisir moi-même l'escorte qui me convient le mieux ? » questionna Philippe en essayant de ne pas paraître trop intéressé, tout en regardant vaguement son image dans le miroir.

« Mais bien sûr ! » jubila le roi, voyant bien que son frère sortait de sa tristesse.

Le prince allongea les jambes et se cala dans son fauteuil, incapable de réprimer son sourire.
« Merci, monsieur… » fit-il à l'endroit du vieux barbier, en lui remettant son miroir. « C'est parfait comme cela ! »

(**) Lestat à Louis, dans Entretien avec un vampire :p

A suivre!