C'était une belle journée, le soleil filtrait au travers du feuillage épais des arbres et maintenait une température chaude agréable. Du haut du promontoire rocheux, on pouvait apercevoir au loin le bleu profond de la Mer d'Écume derrière les contreforts du château Cousland. Les arbres de la forêt ondoyaient gentiment avec la brise, quelques oiseaux s'envolant en suivant le sens du vent. Le comté de Hautecime était vraiment magnifique en plein été et cette chevauchée était idéale pour le découvrir.

Cailan était marié avec Anora, la fille du tiern Loghain depuis un an maintenant et Alistair et Maric les accompagnaient dans les fiefs bannerets dans le jubilé pour leur premier anniversaire de mariage. Hautecime était la dernière étape de ce tour avant leur retour au palais royal de Dénérim et bien qu'Alistair ait apprécié le voyage, il appréciait encore plus qu'il prenne fin. Côtoyer Anora et sa suffisance de près pendant des semaines était presqu'aussi lassant que de devoir supporter son humeur pincée à chaque fois qu'elle prenait Cailan à flirter avec la moitié des filles nobles à marier du pays.

Elle était certes dans son bon droit d'être en colère, et il la plaignait parfois d'avoir à supporter un époux qui aimait badiner, mais elle lui était irritante même de bonne humeur. Bien sûr, le roi Maric adorait sa bru mais pour Alistair, elle tenait trop de son père. Trop intelligente, trop suffisante, trop habituée à avoir raison sur tout et rien. Elle ferait une bonne reine, il n'en doutait pas – et le Créateur savait qu'elle était plus disposée pour cette tâche que Cailan, mais il espérait pouvoir prendre plus de distance une fois que la routine du palais reprendrait.

Pour le moment, il appréciait juste ce moment de détente entre hommes, loin des commérages de la cour. Leurs hôtes, les Cousland étaient des gens remarquables et honnêtes et plutôt de bonne compagnie. Bryce Cousland et son fils aîné Fergus escortaient Maric et ses fils sur leurs terres pendant que Dame Eleanor, sa bru et sa fille Morwen prenait le thé avec Anora et sa cour.

– La ballade plaît-elle à Votre Majesté et à ses Altesses? Demanda Fergus.

– Ma foi, oui. Les terres Cousland sont toujours aussi riches et belles, Bryce, assura le roi Maric en ramenant une mèche de sa longue chevelure blonde derrière son oreille.

– Vos terres sont plus que magnifiques Tiern Cousland, renchérit Alistair.

– Je crois que ce que mon frère trouve magnifique ne se limite pas à vos possessions terriennes, chers amis, dit Cailan en partant d'un rire franc.

Alistair fronça les sourcils, se demandant ce que Cailan allait dire. Fergus avec qui Cailan s'entendait comme larrons en foire mordit volontairement à l'hameçon qui leur était lancé.

– Vous nous voyez ravis que vous appréciez nos terres, mais j'avoue avoir la curiosité de savoir ce qui les surpasse en intérêt pour le prince Alistair.

– Eh bien, il me semble qu'une certaine jeune fille à château Cousland ait attiré l'œil de notre si prude Alistair. Vous l'auriez vu détournez le regard à chaque fois qu'elle tournait la tête vers lui.

– Mais... mais... Pas du tout, je...je... balbutia Alistair, ses oreilles virant au rouge profond.

Cailan et Fergus éclatèrent de rire de concert et Maric eut du mal à réprimer un ricanement.

– Est-ce vrai, Alistair ? Toi qui n'a jamais cédé aux avances d'aucunes des demoiselles qui t'ont fait les yeux doux pendant toute cette année ? C'est toi qui lorgne la jouvencelle, désormais ? Demanda Maric avec amusement.

Alistair sentit le rouge gagner à la fois sa nuque et ses joues tandis qu'il balbutiait de plus belle sous l'amusement général. Il s'était donc fait prendre à laisser son regard sur elle. Par son frère. Ma-gni-fique. Il était de notoriété publique que quand Alistair se faisait courtiser, il avait toujours coutume de repousser les avances des demoiselles et que bien qu'il flirte de temps en temps, il ne se laissait jamais tenter par aucune femme. Jusqu'à maintenant. D'ailleurs elle ne l'avait pas courtiser du tout, c'est lui qui l'observait à la dérobée sans avoir lui-même le courage de la courtiser.

Il l'avait remarquée un an plus tôt, lors des noces de Cailan où les nobles étaient rassemblés. Elle ne se mêlait guère à la foule et prenait régulièrement ses distances des jeunes hommes qui l'avaient remarquée eux aussi. Il faut dire que malgré sa jeunesse, elle avait déjà des courbes très agréables qui avaient été mises en valeur par une robe en velours bleu. Les boucles brunes de ses cheveux encadré par une couronne de tresses nattées avec des rubans argentés lui retombait nonchalamment sur les épaules. Il avait un peu discuté avec elle alors qu'elle s'était isolée sur un balcon mais elle s'était montrée distante et il n'avait pas osé insister, même s'il le regrettait aujourd'hui.

Il savait qu'il la reverrait en arrivant à Hautecime et il l'avait retrouvée encore plus belle que dans son souvenir. Son visage moins enfantin, sa taille plus marquée. Elle n'était pas vraiment plus loquace mais elle n'en était pas moins aussi polie et courtoise que le demandait son éducation. Il se disait qu'il n'avait pas encore eu l'occasion de lui parler plus, mais c'était surtout qu'il craignait son indifférence. Alors au lieu de lui parler, il l'observait, étudiait ses mouvements, ses paroles, ses expressions. Et Cailan l'avait vu faire. Peut-être que quelqu'un d'autre l'y avait surpris aussi ? Il se sentit idiot, tout d'un coup. Son teint écarlate avait donné sa réponse à son père.

– Eh bien, voilà qui valait la peine d'être su. Mon fils cadet a le béguin. Ce n'est pas trop tôt ! Je commençais à me demander si mon fils ne préférait pas les féreldiens musclés aux féreldiennes plantureuses, plaisanta Maric. A-t-elle un nom cette demoiselle si spéciale ?

Alistair avala sa salive de travers et toussota en jetant un rapide coup d'œil inquiet vers le tiern Cousland mais le mouvement n'était pas assez furtif pour tromper Maric qui plissa légèrement les yeux avant que son visage ne s'éclaire subitement. Un large sourire apparut en travers de son visage quand il s'adressa à Alistair.

– Ah, je vois. Tu as bon goût, mon fils car c'est assurément une belle et intelligente jeune fille. Sois correct avec elle et vois ce que le Créateur a prévu pour toi. Pour vous, peut-être.

Le roi n'eut pas l'air de vouloir dire qui s'était et fit taire Cailan d'un regard, laissant Fergus et Bryce dans le flou même si Alistair doutait sincèrement qu'aucun d'eux n'aient le moindre soupçon sur l'identité de celle qui occupait ses pensées. Ils reprirent leur route à cheval discutant avec animation de choses et d'autres pour regagner le château avant les vêpres afin de s'apprêter pour le repas.

Alistair qui était resté aux écuries pour s'occuper lui-même de son cheval l'avait vue passer avec un épervier perché sur l'avant-bras. Elle était habillée d'une tenue de chasse en cuir noir et un arc long avec un carquois à moitié vide pendaient à son dos. Ses cheveux étaient ramenés en une natte austère mais son visage était orné d'un sourire satisfait. Il trouvait que cette tenue lui saillait toute aussi bien que les robes et que cela s'accordait presque mieux à la jeune fille que la dentelle et les jupons. Il la suivit sans vraiment s'en rendre compte et après quelques pas, elle sembla sentir sa présence dans son dos puisqu'elle se retourna et attendit qu'il soit à sa hauteur pour reprendre sa route.

– Prince Alistair, dit-elle simplement en guise de salutations.

– Dame Morwen. Je... vois que vous semblez pratiquer la fauconnerie, répondit-il en voyant les cadavres de trois oiseaux attachés à sa ceinture sans plus de cérémonie.

– En effet, répondit-elle laconiquement mais Alistair aurait-juré qu'elle se retenait de dire quelque chose de plus.

– Vous aimez cela ?

– Évidemment, sinon je ne pratiquerai pas cela, voyons, dit-elle sèchement.

Alistair se sentit tout de suite idiot d'avoir posé la question. Il n'était pas courant de voir de jeunes filles de la noblesses pratiquer des sports de chasses ou savoir combattre d'autant que peu d'entre elles en faisait l'étalage ouvertement. Il s'en voulut, pensant qu'il avait dit quelque chose de déplacé. Morwen, elle, aussitôt les mots sortis de sa bouche, grimaça en se mordant la lèvre en ayant l'air de regretter de les avoir prononcés.

– Je... Je suis navrée, Altesse. Je ne souhaitais pas me montrer condescendante avec vous, c'est juste que... je suis frustrée.

– Frustrée ? Répéta-t-il avec méfiance. Par quoi donc ? Ce n'est quand même pas moi qui vous indispose ? J'ai parfois cet effet là sur les gens.

Elle le regarda étrangement, ne sachant pas comment prendre sa dernière phrase. Elle soupira et évita son regard avant de reprendre sa route, Alistair sur les talons.

– Non, rien à voir avec vous, Prince Alistair. Eh bien, je ne suis pas particulièrement friande des après-midi passés à prendre le thé. Cependant je connais mes devoirs d'hôtesse et je m'y plie. Dès que j'ai pu m'éclipser sans paraître grossière je suis sortie chasser avec Écarlate.

– Écarlate ? Est-ce le nom de votre épervier ?

– Oui. Il est magnifique, ne trouvez-vous pas ?

Le regard de Morwen s'adoucit tout de suite et elle caressa amoureusement la tête de l'oiseau de proie qui était serein et immobile comme une statue. L'expression qu'il lisait sur le visage de la jeune fille éveillait en lui un sentiment étrange et il se sentait vaguement jaloux de l'attention qu'elle portait à l'oiseau. Elle avait une façon de parler très franche qui était tout à fait inédite chez une jeune femme de son rang. Ces paires étaient maîtresses dans l'art du babillage inutile et inintéressant.

– Oui, magnifique. Mon épervier à Denerim fait pâle figure à côté, affirma-t-il.

– Vous me flattez, Altesse. Votre ballade à cheval s'est-elle bien passée ? s'enquit-elle poliment, ne souhaitant pas monopoliser la parole.

Le souvenir de la conversation lancée par Cailan lui revint en tête et il se sentit rougir bêtement. Il se dit qu'il devait paraître bizarre à rester coi quand elle lui demanda :

– Prince Alistair ? Vous vous sentez bien ?

– Oui, oui, s'empressa-t-il de répondre. Je... Le comté de Hautecime est vraiment très beau. Je regrette de n'avoir pas pu venir le visiter plus tôt d'autant qu'il n'est qu'à une journée et demi de cheval de la capitale. Je songerai à demander à père de me construire un château, ou même un simple pavillon dans le coin, c'est déjà plus coquet que Denerim.

– N'est-ce pas ? Vous devriez revenir en automne quand les arbres se couvrent de jaune et que la mer d'Écume se déchaîne, c'est beau et terrible à la fois.

Était-ce une invitation ? Non, il se faisait des idées. Au moins ne grimaçait-elle pas à ses traits d'esprits, c'était déjà ça.

– J'en prends note, dame Morwen.

Morwen leva légèrement les yeux en faisant la moue avant de dire :

– Oh, je vous en prie, inutile de m'appeler dame. C'est bien trop guindé pour moi.

– Seulement si vous cessez de m'appeler Altesse ou Prince, répondit-il franchement.

– Je.. je ne peux pas faire cela, dit-elle avec gêne. Vous êtes de naissance royale, je ne peux simplement pas omettre votre titre... Ce ne serait pas correct. Et ma mère me tuerait.

– Ne pas vous donner votre titre est aussi un manque de correction envers vous si je pars du principe de votre haute naissance. Que dites-vous de ça : Je vous appellerai Morwen uniquement quand nous sommes seuls, proposa-t-il.

Ce fut à Morwen de rougir pour le coup et Alistair réalisa un peu tard l'énormité qu'il venait de dire. Sa phrase ne sous-entendait-elle pas qu'il la voit seul à seule, sans famille ni chaperon ? Une jeune fille en âge de se marier seule avec un jeune homme, ce n'était pas dans l'esprit pseudo-puritain de la noblesse. Il aurait mieux fait de fermer sa bouche plutôt que de parler sans réfléchir. Ne disait-il pas plus de bêtises en sa présence ? Si ? Si.

– Je... je ne voulais pas dire ça dans-dans ce sens. Ce n'est pas que je comptais vous voir en privé ou quoi que ce soit. Enfin... je ne veux pas dire que je n'aimerai pas être seul avec vous. Euh... Non, je me suis mal exprimé. Je …

– Alistair. Calmez-vous. J'ai compris ce que vous vouliez dire, dit-elle avec un léger rire.

Alistair. Elle l'avait appelé par son prénom. Il le lui avait demandé à peine cinq secondes auparavant mais il ne s'attendait pas à ce que ça lui fasse cet effet. L'entendre prononcer son prénom avait fait cesser son verbiage. Il ne sut trop quoi répondre et la regarda bêtement.

– Il faut que j'y aille. Je dois rentrer Écarlate avant de me préparer pour le souper. Si je tarde mère m'arrachera les yeux à la petite cuillère.

– Je ne voudrai pas que vos yeux vous soient arrachés. Je vais moi-même monter me préparer. Je suis toujours couvert de la poussière de notre chevauchée et si je me montre comme cela à table, cette chère Anora me tuera avec ses yeux à elle.

Morwen rigola franchement.

– Oui, il semble que votre belle-sœur ne soit pas à prendre à la légère. Cela me désolerait qu'elle vous tue pour un peu de poussière. A plus tard, Alistair.

– A ce soir, donc … Morwen.

Elle lui adressa un sourire radieux et repartit d'un pas vif vers sa destination. Alistair la regarda disparaître avec un sourire flottant sur les lèvres. Morwen. Elle avait plus de piquant qu'il n'y paraissait mais il se sentait plus à son aise avec elle qu'il ne l'avait jamais été auparavant. Son père lui avait dit d'être correct et de voir ce que le Créateur avait prévu pour lui. Il était peut-être temps, effectivement, de voir ce que le Créateur lui réservait avec la jeune fille. Leur séjour à Hautecime ne durerait pas éternellement.