La ligne Londres/Pré-au-lard, contrairement à ce que croyait la plupart des élèves, ne fonctionnait pas seulement pour desservir Poudlard. En fait elle marchait plusieurs fois par jour et transportait bon nombre de voyageurs qui, pour une raison ou pour une autre, n'avaient pas d'autre moyen de transport: cracmols, familles avec de jeunes enfants, sorciers trop âgés pour pouvoir transplanner ou emprunter sans risque les réseaux de cheminette, simples touristes peu pressés, moldus vivant dans les villages de sorciers... la ligne était donc un transport de secours et comportait plusieurs arrêts.

Gilda avait pris le train à Oxford, et s'était installée dans la dernière voiture avec ses deux enfants qui s'étaient bientôt endormis, tandis qu'elle même regardait défiler le paysage dans le soleil couchant de cette après midi d'hiver. Son visage fatigué se reflétait dans la vitre sombre du compartiment, fin et délicat comme son cou, en forme d'œuf, constellé de taches de rousseur avec des pommettes un peu marquées et encadré par une courte chevelure brune à reflets roux. Elle avait un petit nez en pointe, une bouche coquette et de grands yeux couleur taupe, qui pour l'heure étaient mi-clos et soulignés de cernes, signe d'une ou deux nuits passées à ruminer de sombres pensées.

Rien de bien étonnant, lorsqu'on se retrouvait soudain veuve à trente-trois ans, avec deux enfants de six et un ans dont-elle avait bien du mal à s'occuper à cause de son travail de femme de ménage.

Elle avait toujours su que cela risquait fort de lui arriver, mais elle avait pris le risque car elle était une intello passionnée et que l'histoire de la magie était sa drogue, l'histoire tout court en fait et en particulier l'histoire du crime. D'Hitler à Gridelwald en passant par Jack l'éventreur, Voldemort et bien d'autres, elle avait élaboré un schéma de pensée qui la conduisait à classifier les meurtriers et à démontrer que le fait d'être sorcier ou moldu n'avait que peu d'incidence...

Le contenu d'un tel travail lui avait attiré de nombreuses foudres venues de toutes parts, ministère, sangs purs auxquels elle appartenait d'ailleurs, académiques barbus qui la traitaient de folle...

Gilda avait bien dû s'y résigner, personne ne voudrait jamais la prendre au sérieux, aussi elle n'avait pas cherché plus loin et s'était refusée à en devenir malheureuse. Il y avait bien assez de bonnes choses dans la vie pour qu'elle tourne la page. Aussi elle s'était faite oublier mais avait continué ses recherches sans trop rien dire.

Et puis Yannick était apparu dans sa vie, lui le chauffeur de taxi babacool qui n'avait jamais été capable de réciter correctement ses tables de multiplication et encore moins ses dates d'Histoire, qui la surprenait lorsqu'elle travaillait et lui piquait ses lunettes. Mais surtout, qui ne laissait jamais cramer le repas, sortait vis et perceuse pour remettre en place la rampe branlante de l'immeuble, au lieu de râler contre la copropriété et laisser les personnes âgées se faire mal en tombant dans l'escalier, il faisait mettre des bonnets aux petits, jouait au foot avec les jeunes qui traînaient devant l'immeuble lorsque cela lui était possible...

C'était un joyeux oiseau qui avait maintenant pris son envol pour toujours, et chaque nuit le cœur de Gilda se transperçait lorsqu'elle se réveillait en sursaut à cause d'un bruit quelconque et sentait sa place vide et froide à côté d'elle. Sa respiration lui manquait ainsi que la chaleur qu'il dégageait, elle en rêvait toutes les nuits.

Tandis qu'elle regardait le soleil disparaître complètement derrière les montagnes d'Écosse, le paysage devint peu à peu de plus en plus familier, on approchait de Pré-au-Lard. Aussi la trentenaire se leva, lissa un peu sa robe de sorcière qu'elle avait remis pour la première fois depuis une dizaine d'années. Grise foncée avec des manches en fuseau un peu plus claires et une ceinture de la même couleur, c'était sa plus jolie. Sebastian et Moon en revanche étaient habillés à la moldue, jean, baskets et sweat-shirt rouge pour le premier, sous-pull blanc cassé et salopette prune en velours pour la seconde.

Gilda sortit les affaires de ses enfants puis réveilla Sébastian:

-On va bientôt arriver Canard, murmura t-elle.

L'enfant grimaça et sortit péniblement de sa torpeur en baillant et en s'étirant, puis un fois bien réveillé, il se dirigea sans bruit vers son manteau et le goûter que sa mère avait posé à côté, un jus d'orange et deux cookies.

Gilda essaya alors d'habiller sa fille qui dormait dans son cosy sans trop la réveiller, elle lui enfila les manches de son gilet qu'elle avait ôtées dans le train puis s'assura d'un simple regard que Sebastian ne mette pas des miettes de cookies partout.

Elle lut dans le regard de son fils la même anxiété qu'au départ d'Oxford et se demanda ce qui pouvait tant l'effrayer, lui qui d'habitude ne craignait pas l'inconnu. Malheureusement elle peinait à comprendre, en effet Sebastian n'avait pas dit un mot depuis la mort de Yannick et avait une forte tendance à se refermer sur lui-même.

Lorsque les freins du convois grincèrent de façon sonore, la petite Moon grimaça dans son sommeil et poussa un gémissement contrarié. Gilda se leva, souleva délicatement sa fille et l'enroula dans une couverture avant de lui mettre un bonnet, puis elle attrapa de sa main libre sa valise qui était bien lourde et la traina péniblement de son compartiment à la porte du wagon. Sebastian la suivit avec son sac à dos magique qui contenait une bonne partie de ses jouets et surtout de ses livres, ainsi que quelques effets personnels et son bloc à dessin avec ses crayons de couleurs, il portait également le cosy vide.

Bientôt, le train fut immobile et la porte du wagon s'ouvrit.

Dumbledore en personne les attendait devant le wagon, la jeune femme descendit les marches et fit léviter sa valise avec précaution jusque sur le quai, Sebastian la suivit.

-Bonsoir professeur Dumbledore.

-Je suis heureux de te revoir Gilda, dit le vieil homme en s'avançant, cela faisait très longtemps.

-Depuis ma lamentable présentation de thèse si je me souviens bien, répliqua la jeune femme avec un humour ambigu.

Dumbledore inclina la tête sur le côté avec une moue septique:

-Si je puis me permettre, répliqua t-il, elle n'avait de lamentable que la qualité de son public et de son jury.

-Quoi qu'il en soit, il est peu probable qu'elle devienne un jour un ouvrage phare dans la culture sorcière.

-Qui sait...

Gilda lui fit signe de clore le sujet et ils arrivèrent à une diligence tirée par les traditionnels strombals.

Sebastian eut un mouvement de recul en apercevant l'animal rachitique, noir et luisant, sa mère le poussa en avant d'un air rassurant et tous grimpèrent. La valise disparut de son côté, le petit garçon ouvrit de grands yeux mais Gilda savait qu'elle la retrouverait dans son bureau.

Dumbledore s'installa en face d'elle et rengagea la conversation:

-Les enfants poussent à ce que je vois.

-Oui, en effet professeur, répondit Gilda, voici Sebastian, et la petite s'appelle Moon. Sebastian je te présente le directeur de Poudlard, le professeur Dumbledore.

Sebastian acquiesça en silence en regardant le vieil homme avec intérêt, puis il fouilla un instant dans son sac et en sortit une carte de chocogrenouille qu'il montra à Albus Dumbledore en lui jetant un regard entendu.

Le vieil homme sourit puis se tourna vers Gilda:

-Comme je te le disais dans ma lettre, il va te falloir être prudente pendant le reste de cette année. J'ai préféré te prévenir bien que tu connaisses déjà Dolores Ombrage...

-J'ai une idée de ce qui m'attend en effet, j'ai entendu dire qu'elle faisait du dégât à Poudlard...

-Elle a révoqué Sybille et cherche à faire de même pour Rubeus, je suis très heureux que tu aie si vite accepté le poste quand Binn a disparu, mais fais extrêmement attention, à toi et à tes enfants.

-Elle ne s'en prendra pas à eux, répliqua la trentenaire soudain plus agressive, je ne lui en laisserais pas l'autorité quand bien même elle aurait un décret du ministère à me présenter. Plutôt mourir! Quant à moi je sais me défendre, nous le savons toutes les deux depuis que j'ai mis une bonne tarte à son stupide neveu.

Dumbledore sourit mais lança tout de même un avertissement:

-Certains disent qu'elle n'hésite pas à utiliser de puissants maléfices contre ses ennemis Gilda, et je sais fort bien que dans ce domaine tu aurais des difficultés à te défendre si elle s'en prenait à toi.

-Le genre de personne qui applique la loi aux autres mais pas forcément à elle-même, compléta la jeune femme d'un air indifférent. Je connais ça, c'est assez répandu au sein du milieu sang-pur... J'y prendrais garde, ne vous inquiétez pas professeur.

Gilda se pencha vers la fenêtre, peu à peu le château de Poudlard apparaissait à l'horizon et une vague d'émotion inexpliquée l'envahit, il y avait tant de temps qu'elle n'était pas revenue ici...

Elle avait été admise à Poufsouffle et s'était toujours efforcée de faire honneur à sa maison ce qui lui avait valu le trophée de major de sa promotion en Histoire de la Magie, Arithmencie, potions, astronomie, étude des moldus et étude des runes anciennes.

Contrairement à Dumbledore, elle ne se sentait pas vraiment soucieuse, sa seule appréhension étant les élèves qu'elle devrait enseigner. Toutefois, si elle se montrait captivante, cela passerait sûrement et elle n'avait guère de problème pour cela.

Elle espérait juste pouvoir discrètement déroger à ce foutu programme réductif voulu par le ministère! Qu'allait-on apprendre aux jeunes de nos jours...