Bonjour patients lecteurs,
Ne vous en faites pas, je suis toujours là, j'écris toujours. Je suis simplement extrêmement occupée par trop d'études en cette dernière année de formation. Voilà donc le début de ma nouvelle fic mettant en scène mon commandant préféré et un personnage de mon cru. Moins chevaleresque qu'une Inquisitrice, mais un personnage qui, je l'espère, vous trouverez malgré tout intéressant.
Au plaisir
RavenneLetha
À l'abri d'un renfoncement, semblable aux nids que seuls savaient bâtir les oiseaux Antivans, dans les branches du grand chêne à l'orée de la petite forêt où son clan avait fait halte tout récemment, Syl'dhea scrutait l'horizon, les luxuriantes landes émeraudes qui n'appartenaient qu'aux Marches Libres. Cette verdure généreuse et protectrice que les Dalatiens savaient reconnaître et apprécier à sa juste valeur. Elle avait pris l'habitude de s'installer là, dans ce renfoncement maintenant familier, tous les matins depuis deux longs mois, profitant du confort de cette végétation qui semblait lui avoir ménagé un abri recueillant les lambeaux de ses espérances sans cesses déçues; chaque jour depuis l'arrivée des Elfes nomades entre ces voûtes sylvestres, attendant inlassablement le retour de celui qui lui avait promis, il y avait si longtemps, trop longtemps, de la retrouver avant que ne tombe l'automne, que ne tombe la première feuille rougie sur un sol que l'hiver glacerait paisiblement. Avant que la nature ne ralentisse la vie, avant que de son souffle glacé elle n'oblige les peuples l'ayant investie à contempler sa grandeur, sa noblesse. Avant que le froid n'habite les cœurs, que le givre ne couvre les âmes. Il avait promis d'amener avec lui le même espoir qui avait réchauffé une nation entière, toutes les races qui la parsemaient. Il lui avait juré que le clan Lavellan retrouverait son protecteur, qu'il reviendrait calmer ses craintes, que ses appréhensions s'effaceraient à jamais, aussi longtemps que dureraient leurs retrouvailles.
Les joues de la jeune Elfe étaient, encore une fois, trempées des larmes qu'une absence trop longue avaient si souvent fait coulées. Elle fixait l'horizon de ses iris qu'on aurait dit sertis de lapis-lazulis, d'un vert d'eau chatoyant comme il en existait peu. Les terres luxuriantes qui s'offraient à son regard étaient magnifiques, pourtant, elles ne lui apportaient aucun bonheur, du moins pas celui qui aurait dû s'élever dans le cœur de ceux de son peuple, eux qui savaient merveilleusement bien apprécier la nature, ce qu'elle leur offrait, et la remercier de le faire ainsi, avec générosité, sans rien demander en retour. Pourtant, ces contrées où les elfidées étaient profusion, où chaque pommier, chaque cerisier les choyait de ses fruits abondants, où les Halhs étaient vigoureux, où les sources étaient claires et douces, tout cela lui semblait bien gris, terne comme une nuit sans lune, stérile comme un sommeil sans rêves.
Sur le visage de la jeune Dalatienne, les vallaslins bleutés honorant Sylaise, Gardienne de la Terre, celle qui avait enseigné au siens, selon la légende, le maniement des arcanes, de la magie propre à son peuple, ces vallaslins qu'elle arborait avec fierté depuis sa plus tendre jeunesse, semblables à des bourgeons sur le point d'éclore, s'étiraient sur ses traits, eux-aussi chargés de sa peine. Syl'dhea essuya presque rageusement une nouvelle larme qui s'écoulait lentement sur sa peau doucement basanée par Elgar'nan, le Soleil, qui veillait inlassablement sur les siens lors de leurs longs voyages. Elle se trouvait bien égoïste de ne pas savoir apprécier à leur juste mesure les richesses que lui offrait la nature environnante, ses beautés matérielles, mais aussi la douceur de ce matin doux, empreint de la promesse d'un automne clément. Elle sentait le vent doux sur sa peau, ce vent un peu plus froid, mais calme, encore serein, propre aux matins où l'été s'envolait tranquillement au loin, faisant place à des saisons plus rudes, mais aux beautés incroyables.
Discernant le doux souffle sur sa peau, elle sourit. C'était de lui qu'elle tirait son nom, de la fascination que ses parents portaient à ce moment de la journée, à l'orée du jour, aux aubes pleines de toutes les promesses, de tous les espoirs, quels qu'ils soient et au souffle vif qui les animait. Syl'dhea, Vent du Matin. On l'avait toujours dit vive et joyeuse, à l'image des aurores fraîches qui ne pouvaient apporter que du bonheur, pourtant, depuis un certain temps, sa bonne humeur s'était peu à peu étiolée; l'aube lumineuse s'était teintée d'un clair-obscur qui l'engloutissait lentement.
Elle ferma les yeux et pencha la tête en arrière, s'appuyant contre une solide branche du vieux chêne plein du poids et de la sagesse des âges, respirant à plein poumon l'air encore gorgé de l'odeur rassurante de la rosée du matin, des promesses d'un avenir serein, au côté de celui qu'elle aimait.
Ghi'lan…
-Je reviendrais avant que la première feuille que l'automne aura rougie ne s'arrache du frêne et ne tombe au sol. Je serais là, Sylë. Je te le promets.
Et il était reparti, non sans une grande tristesse dans ses yeux couleur de l'eau profonde et mouvante des grandes mers que parfois leur clan croisait. Il était retourné auprès de l'Inquisition, de ce groupe immense qu'il avait dirigé dans d'illustres victoires, à travers des dangers sans nom, des épreuves inimaginables pour sa jeune fiancée demeurée parmi les siens, protégée par les branches et les arbres vénérables parmi lesquels le clan Lavellan élisait domicile sporadiquement.
Sylë… Il avait été le premier à lui donner ce surnom. Quel chasseur téméraire et frondeur il avait été! Pendant plusieurs années, elle avait méticuleusement repoussé ses avances. Jusqu'au jour où il avait finalement laissé tomber son masque bravache et insolent pour laisser transparaître le cœur tendre et l'infinie bonté qu'il cachait trop souvent, de crainte qu'on le juge moins intrépide, moins courageux. Ce moment où il l'avait rejointe au côté d'une vieille et fidèle Halh qui avait accompagné leur clan depuis leur plus tendre jeunesse à tous deux et qui, comme toute vie en ce monde, achevait son périple ici-bas.
La scène était encore fraîche à son esprit. Sylë se souvenait de la douceur de cette toison blanche dans sa paume, du souffle calme, mais faible qui soulevait encore le ventre de cette vieille amie des leurs, de sa lourde tête au panache élégant, que les années avaient marquée de toutes peines comme de toutes joies, cette joue duveteuse appuyée sur les genoux de la nouvelle et sensible Première Apprentie qu'elle était, Dalatienne qui avait eu la chance de ne voir que peu de morts et jamais aucune qui ne l'ait réellement bouleversée. Mais le départ de cette vieille Halh lui était incroyablement difficile, cette vieille Halh qui l'avait bien souvent, alors que l'animal était jeune et l'Elfe encore enfant, laissée faire une partie de la route sur son dos, endurant ses épanchements de joie espiègles, ne bronchant jamais lorsque la petite fille en venait à malencontreusement la pincer ou lui donner un coup de talon involontaire.
Sylë caressait la toison blanche de sa vieille amie sur le museau de laquelle ses larmes de tristesse venaient se perdre. La jeune Dalatienne écoutait lentement s'éteindre le souffle de son amie. Elle admirait la sérénité qui tranquillement emplissait ses grandes prunelles noires dans lesquelles se reflétaient les étoiles naissantes au-dessus de leurs têtes, loin au-dessus des arbres dans cette forêt touffue où le clan faisait halte.
La mage et la Halh avaient pris place en retrait du groupe compact de leurs compagnons. L'animal s'était dirigé là et celle qui se considérait comme son amie la plus proche l'avait suivi. Et elle s'était couchée dans l'herbe, encore majestueuse mais rendue tremblante par les longues années passées à traîner fidèlement les aravels Dalatiens. Et Sylë avait lu dans ce regard doux les adieux que seuls savent faire les animaux, silencieux et déchirants.
Ghi'lan avait pris place à leur côté sans que la jeune apprentie pourtant si attentive à son environnement en temps normal ne l'ai senti arrivé. Sa présence incommoda tout d'abord Syl'dhea. Il nuisait à l'intimité de ces derniers instants partagés avec une vieille amie qui quittait doucement ce monde pour rejoindre les anciens Dieux elfiques et parcourir les landes où chassait Andruil pour le reste de l'éternité. Et elle avait vu la tristesse sur les traits habituellement moqueurs du chasseur, une larme avait perlé sur sa joue basanée, traversant les traits couleur de jade du tatouage en l'honneur d'Elgar'nan qu'il portait.
Il lui avait raconté combien cet animal, plus que tout autre, l'avait changé, lui avait montré ce qu'était la bonté, que le bien pouvait se trouver en toute chose et qu'il importait de le propager.
Le chasseur hautain, orgueilleux, trop fier de ses exploits était devenu juste, il avait alors su ce qu'était être réellement courageux. Comment se battre pour ses convictions était importants, plus que jamais ne pourraient l'être ses motivations personnelles.
Il n'avait jamais conçus vraiment pourquoi la contemplation de ces grands yeux sombres l'avait mené à comprendre ce que serait inévitablement sa quête plus tard, guidé par les enseignements de leurs ancêtres d'Arlathan, le savoir presque perdu que leur avaient légué les Dieux. Il avait attribué cette impression à sa tâche qui, en tant que chasseur issu du clan Lavellan, le destinait à approvisionner le camp, à guider les autres chasseurs, afin de leur permettre de pourvoir aux besoins des leurs, des familles qui dépendaient de leurs journées passées dans la nature, à traquer les petites comme les grandes proies dans le but de répondre aux besoins essentiels en nourritures des leurs. Ses parents, fiers guerriers aujourd'hui disparus, ne lui avaient-ils pas donné ce nom pour une bonne raison? Ghi'lan, Guide, professeur… Il s'était évertué à accomplir la tâche qu'incombait ce prénom de la meilleure des façons. Mais trop tard peut-être pour que l'élue de son cœur ne le remarque…
Elle avait cette beauté, cette justesse d'esprit et de jugement qui n'avaient été accordées qu'à quelques privilégiés à travers l'histoire des leurs. Et il avait eu l'orgueil infantile nécessaire pour anéantir tout espoir de pouvoir un jour ne faire qu'un avec cette Elfe qui n'avait cessé de capter son regard que tant d'autres femmes en âge de chercher partenaire cherchaient. Et, selon toute la logique du monde, elle avait été choisie Première Apprentie de l'Archiviste Deshanna. Titre convoité par tant des leurs, mais mérité par bien peu d'entre eux.
Pourquoi avait-il été si sot? Si convaincu de sa supériorité manifeste et irrésistible dans sa prime jeunesse? Pourquoi n'avait-il pas pu se montrer vertueux, attirer ce regard semblable aux étangs calmes, aux côtes maritimes rêveuses que seuls les été calmes pouvaient amener?
Cette Halh étonnante, plus humaine, plus sensible que tant d'êtres qui se disaient pourtant doté des plus sincères émotions, lui avait révélé cette partie de lui que trop longtemps il avait cachée. Cette sensibilité qui avait émue Syl'dhea, Sylë comme il avait pris plaisir à l'appeler, par malice, puis par attachement, affection même. Il lui avait révélé tout cela, sous le regard bienveillant de leur amie qui s'était doucement éteinte, sa majestueuse tête appuyée contre leurs genoux, une lueur d'espoir face à un avenir moins sombre qu'il ne se présageait de prime abord au fond de ses yeux sombres qui tranquillement perdaient leur éclat, rejoignant les astres millénaires qui évoluaient, loin au-delà de leurs têtes, aux confins des voûtes stellaires.
Et Sylë avait compris que derrière ce masque bravache se cachait un chasseur Dalatien plein d'empathie, pour lequel les intérêts du clan Lavellan étaient la mission principale, l'objectif de vie qu'il s'était fixé. Rien ne lui ferait plus mal que d'être un affront, une honte à demi-tue pour les siens. Et elle avait commencé à l'apprécié, l'avait connu un peu plus et affectionné graduellement de jour-en-jour, avant de, finalement, l'aimer d'amour. D'un amour plus que réciproque.
Le Vent du Matin avait aimé le Guide des siens qui lui manifestait son attachement depuis moult moments, depuis des mois qu'il n'avait eu de cesse de dénombrer.
Le plus illustre chasseur du clan Lavellan s'était alors fiancé à la talentueuse Première Apprentie de l'Archiviste. On n'aurait pu rêver d'un couple plus digne pour assurer la pérennité des leurs.
Et était advenus les évènements du Saint Temple Cinéraire. Il lui avait été arraché. L'Archiviste l'avait envoyé espionner les évènements qui devaient définir les prochaines années du continent, la façon dont tous seraient dirigés. Le Conclave avait pris une tournure dramatiquement différente. Un grand malheur avait envahie des terres où la paix n'était déjà présente qu'en bien peu d'endroits. Et Ghi'lan était devenu le guide de tout Thédas, la figure derrière laquelle s'était ralliée toute une nation dans sa lutte contre un effroyable magister qui semblait sorti des plus sombres légendes Tévintides, de ses histoires les plus honteusement gardées. Et le simple chasseur Dalatien s'était vu confronté à cette menace rougeoyante d'une magie qui, malgré les descriptions les plus animées que Ghi'lan lui en avait faite, était de loin bien plus redoutable que ce que Sylë pouvait se représenter.
Et maintenant, le Guide qu'elle avait espéré, l'amour pour lequel elle avait vécu depuis trop peu de temps, manquait cruellement à l'appel. Son cœur, toute l'âme de Sylë était vide, témoin inconscient de l'absence d'un amour trop grand, d'une amitié qui jamais ne serait remplacée.
La Dalatienne se prépara lentement, difficilement à descendre de son repère, de cet endroit où les espoirs étaient encore possibles. Elle se releva lentement, essuyant les larmes qui déferlaient encore sur ses joues tannées par les longues marches que nécessitaient les voyages de son clan; elle était prête à s'élancer gracieusement d'un saut au pied du grand chêne, mais des mouvements au loin attirèrent ses yeux encore brouillés de chagrin.
Et là, sous le soleil froid d'un matin d'été qui faisait tranquillement place à l'automne, alors que les feuilles alentours se coloraient doucement d'ocre et de pourpre, des silhouettes fantomatiques se dessinèrent au sommet d'une colline, évanescentes dans la brume matinale. Juste assez loin pour que Sylë ne puisse les détailler, mais juste assez près pour qu'elle discerne leur approche. Rapide. Des chevaux surement. Pas des chevaux sauvages. Bien rapidement, elle put deviner les cavaliers qu'ils transportaient. Elle plissa les yeux, la main en visière pour empêcher les rayons d'Elgar'nan de brouiller sa vision.
Une violente bourrasque ébouriffa sa courte chevelure encore plus qu'elle ne l'était déjà. Son cœur fit un bond dans sa poitrine lorsqu'elle reconnut l'étendard que portait haut un des cavaliers. L'étendard de l'Inquisition. Une immense joie l'envahie. Ainsi, Ghi'lan avait tenu sa promesse, il revenait à elle avant que la première feuille ne tombe, avant que l'automne n'engloutisse Thédas, que leur clan ne se déplace vers les contrées plus chaudes, vers des endroits connus que d'eux seuls. Il revenait pour qu'enfin ils puissent être ensembles, pour que plus rien, jamais, ne les sépare. Il revenait pour qu'ils soient réunis à jamais, couple bien-aimé du clan Lavellan, destiné à toujours veiller sur les leurs, à les guider et les protéger.
Elle vit les chevaux arriver à l'horizon, le long de la ligne qui découpait le ciel de la terre, ornés des armoiries de l'Inquisition, portant fièrement et haut l'immense bannière qu'elle reconnaîtrait maintenant sans hésitation aucune. Et jamais nul être ne fut plus trituré entre la joie et le désespoir. Joie de retrouver l'être aimé ou de se voir annoncer, à tout jamais, son départ du monde des vivants, du monde qui les séparait des Dieux qui, inévitablement, il serait parti rejoindre.
-Fen'harel ver em!, jura-t-elle dans la crainte d'une expectative qui semblait vouloir s'achever.
(Le Loup Implacable me prenne.)
Sylë glissa avec empressement le long du tronc du vénérable vieil arbre qui lui servait de poste de guet depuis trop longtemps. Un sourire étincelant éclairait ses traits fins. Une joie immense l'avait envahie dès le moment où elle avait reconnu l'étendard rouge. Son bien-aimé la retrouverait bientôt. Enfin.
Sylë, de son regard perçant, voyait les chevaux. Elle discerna tout d'abord leurs toisons alezans, bien peu révélatrice des cavaliers qui les chevauchaient, de leurs origines encore incertaines, même pour son regard habitué à scruter le lointain horizon. Et doucement, mais sans doute possible, la cruelle vérité s'insinua en elle. Un voile éclipsa bientôt le destin heureux qui s'était un instant présenté à la jeune mage. Bien qu'incapable d'accepter l'évidence, elle ne put se résoudre qu'à la constatation qu'aucun Elfe ne chevauchait ces majestueuses montures. Aucun des cavaliers qui se dirigeaient vers la forêt n'était un Dalatien. Ils appartenaient tous au peuple des Hommes. La peine, le doute et la colère s'insinuèrent en elle, compagnons et guides trompeurs. Elle tenta de faire le vide dans son esprit, souhaitant faire le point, appréhender les évènements à venir avec l'esprit le plus neutre qui soit, mais bien en vain. Elle trouva refuge dans l'ombre du grand chêne, invisible aux yeux des visiteurs, tentant de comprendre ce que tranquillement, trop lentement, son regard assimilait.
Pourquoi Ghi'lan ne les accompagnait-il pas? Jamais il n'aurait envoyé d'intermédiaires le représenter au sein de son clan, auprès de celle que depuis si longtemps il aimait, celle qu'il n'avait conquis qu'avec bien des difficultés, à laquelle il avait bien des fois prouvé l'étendue de ses sentiments, d'un amour qui n'avait cessé de s'épanouir.
Mais il y avait bien une explication. Il devait bien y avoir une explication. Oui, Ghi'lan devait avoir été retenu. Ce ne devait s'agir que de cela… Ce ne pouvait être que cela. Elle ne pouvait admettre aucune autre hypothèse, aucune autre possibilité.
Était-ce réellement l'Inquisition qui avançait prestement en direction du campement du clan Lavellan, vers les siens… les leurs, ceux que Ghi'lan et Sylë avaient jurés de protéger? Elle savait que le héros de Thédas s'était fait bien des ennemis lors de ses périples, des ennemis redoutables. Se pourrait-il qu'ils aient décidé de tromper les siens, de se présenter en amis avant de les attaquer, de les chasser et les tuer comme de pauvres bêtes prises au dépourvu?
Cette question trouva sa réponse dans le regard du cavalier qui semblait diriger le groupe. Un regard triste. Le regard d'un homme lourdement marqué par les épreuves. Pas celui d'un vulgaire meurtrier ou d'un mercenaire. Des yeux de la couleur des marrons chauds, pleins d'une bonté rare, reflétant une naïveté perdue : la marque indélébile des désillusions que le monde n'offrait qu'aux âmes les plus pures. On devinait dans ces yeux rougies les larmes qui avaient été récemment versées, des larmes encore vivaces, encore brûlantes qui ne demandaient qu'à couler encore.
Une tristesse qui fit écho dans l'âme de Sylë. La sage Dalatienne refusant d'accepter le raisonnement qui semblait vouloir s'imposer si violemment à elle. L'âme déchirée, tentant vainement de ne rien admettre, de ne rien s'autoriser à craindre pleinement avant qu'elle n'ait questionné les visiteurs, elle se concentra sur les cavaliers, détaillant leurs physiques respectifs, ce qu'ils laissaient transparaître d'eux-mêmes, de qui ils étaient, repoussant pendant un court moment les appréhensions qui s'installaient en elle.
Le porte-étendard était une femme au port de tête altier, mais aux traits farouches. Son visage était marqué de plusieurs cicatrices profondes. Sa chevelure brune était coupée courte, à la garçonne, excepté une longue natte qui les ornaient à la manière d'un diadème. On devinait à la fois ses origines nobles et ses aptitudes guerrières redoutables.
À ses côtés chevauchait un homme basané transportant un bâton orné d'une imposante pierre qui ne laissait aucun doute quant à sa nature de mage. Ses cheveux ailes de corbeaux soigneusement coiffés et sa moustache élégamment taillée s'agençaient parfaitement à ses vêtements brodés de riches dorures qui ne semblaient correspondre ni à la mode excentrique d'Orlaïs, ni aux habits simples privilégiés en Férelden. Un Tévintide?
Et, à leur tête, cet homme qui semblait posséder toutes les caractéristiques d'un dirigeant, d'un chef d'armée compétent. Son regard, bien que triste, reflétait une grande détermination, voire un certain entêtement. Ses cheveux dorés aux boucles souples miroitaient des reflets du soleil levant. Il n'était plus de la première des jeunesses, mais ne pouvait pas être considéré comme vieux non plus. Son visage était beau, même marqué par le poids des nombreuses batailles livrées, des tristesses innommables, des souvenirs néfastes que seules les guerres pouvaient procurer.
Les trois cavaliers étaient maintenant très près de l'orée de la petite forêt, à peine à quelques foulés de l'endroit d'où Syl'dhea les observait avec une certaine appréhension, mais aussi la curiosité qui lui était propre, ce besoin de ne jamais laisser une question, quelle qu'elle soit, en suspens.
Elle les voyait longer lentement la lisière des arbres, cherchant de toute évidence quelque chose. Probablement la présence, ou plutôt le signe de la présence, de son clan. De leur clan, à elle et Ghi'lan. Son cœur se serra une nouvelle fois dans sa poitrine, encore plus douloureusement.
Elle ne pouvait plus supporter l'attente. Peu importe quelles seraient les réponses, les nouvelles que venaient porter ces cavaliers, elle devait savoir. Sylë sortit de l'ombre du grand chêne, le soleil l'éclaira de ses reflets vermeils alors qu'elle levait les paumes vers les visiteurs en signe de bienvenue.
Alors qu'il approchait de ces bois trop calmes, de ces forêts qui projetaient à leur bordure les milliers de regards que les années y avaient fait croître, ces arbres plus vieux que tout le peuple de Thédas, ce royaume végétal qui avaient vu s'écrouler des empires, s'ériger des cités maintenant oubliées; alors que son regard longeait respectueusement la frange de ces bois millénaires, Cullen sentait la tâche qu'il venait y accomplir peser plus lourdement sur ses épaules. Il venait priver ce peuple que trop de deuils avaient déjà malmené d'un espoir qui lui avait jusque-là été légitime.
Il venait jeter une autre pierre au fond de l'abîme des déceptions de ce camp qui en avait déjà connues suffisamment. Et, au-delà des peines communes, il venait annoncer à cette jeune Elfe qu'il n'avait pas encore rencontrée, mais dont bien souvent il avait entendu narrer les exploits, que la douce attente, la destinée légitime que longtemps elle avait effleurée de ses pensées ne pourrait plus être. Ce futur impossible s'était envolé avec les dernières étincelles de vie de celui qui avait été, pour lui, pour eux, pour Thédas dans toute sa grandeur, un héros. Un ami pour le Commandant. Le guide que son nom elfique avait prédestiné.
Cullen ferma les yeux, refoulant avec peine les larmes que ses émotions lui intimaient de plus en plus impérativement à verser. Des pans de souvenirs ne cessaient de lui brouiller la vue. Ce sourire insouciant qu'avait affiché un Messager d'Andrasté qu'il avait trop sous-estimé. Puis cet Inquisiteur dont il avait trouvé le charisme nonchalant bien peu approprié en maintes occasions. Et finalement cet ami dont il avait reconnu la qualité incroyable. Cet ami qui l'avait écouté comme peu l'avaient fait, comme aucun de ses anciens collègues Templiers n'avaient pris soin de le faire. Pas même lorsque l'héroïne de Férelden -celle qui la première avait captivé ses sentiments chevaleresques, ses émotions puériles, mais pures- s'était sacrifiée pour les sauver du joug implacable de l'archidémon, il y avait de cela si longtemps lui semblait-il. Lorsque, pour de bon, il avait sombré dans les dédalles houleux d'une dépendance qu'il avait eue bien du mal à abandonner. Une dépendance que cet ami inespéré l'avait aidé à surmonter. Ce chasseur Dalatien qui, contre toute attente, avait été le dirigeant, le guide dont tous avaient eu besoin.
Ses souples boucles blondes s'agitèrent sous le vent clément qui annonçait un hiver doux alors que Cullen tentait d'organiser ses pensées, se préparant à la rencontre inévitablement triste de ce clan dont si souvent il avait entendu l'éloge sans nuance. Encore une fois, lui revinrent les images de ces chopes de bières savourées à l'auberge de Fort Céleste, échangeant de tout et de rien avec Ghi'lan, mais écoutant surtout les descriptions rêveuses et tendres de son ami alors qu'il lui peignait tendrement celle qui l'attendrait à chaque endroit que sillonnerait le clan Lavellan. Cette fiancée Dalatienne qu'il se surprenait lui-même à pouvoir déclarer sienne, cette Elfe extraordinaire pour laquelle il avait déployé tant d'efforts, pour laquelle il avait appris à être le meilleur de lui-même. Celle qui avait fait de lui l'homme qu'il était devenu.
Ghi'lan, l'Inquisiteur qui avait sauvé Thédas au prix du plus grand des sacrifices.
Une nouvelle fois, Cullen tenta de lever les yeux en direction de l'orée de ces bois où on lui avait indiqué la présence d'un clan Dalatien qui, selon toutes vraisemblances, s'avérait être le clan Lavellan, le clan de Ghi'lan, son ami. Une nouvelle fois, ses yeux s'emplirent des larmes de la douleur des souvenirs que ce nom ravivait en lui. Encore une fois, comme toutes les fois depuis le début de son périple depuis Fort Céleste où, dans un quelconque village dont il avait déjà oublié le nom, on lui avait indiqué la présence à proximité de tel ou tel village des Marches Libres visité dans lesquels ils avaient cherché des indications, des directions toutes plus vagues l'une que l'autre, encore une fois, il espéra que les paroles de celui qui les avait envoyés vers ce lieu se révèleraient fausses, comme toutes les autres fois, depuis maintenant presque deux mois.
Mais cette piste-là semblait juste.
Cullen devait se préparer à une tâche pour laquelle jamais il ne se sentirait prêt, que jamais il ne souhaitait accomplir, une mission habitée d'une telle tristesse qu'elle ne semblait pas avoir de sens.
Alors qu'un regain d'espoir aveugle lui faisait espérer que le but de sa quête soit une nouvelle fois repoussé, puisqu'aucune flèche Dalatienne de semonce n'était encore venue se nicher dans le sol près d'eux, alors qu'une nouvelle fois il voyait repoussée cet ultime tâche confiée par cet Inquisiteur tant admiré, il entendit les feuille du grand chêne qui semblait marquer l'entrée des bois frémir doucement et vit une jeune Elfe blême, mais d'une beauté qu'il avait si souvent entendue narrée se mouvoir le long du tronc millénaire avec une redoutable aisance féline.
Elle s'appuya sur le bâton de bois ouvragé caractéristique des mages de son peuple, ses yeux de lapis-lazuli fixés résolument sur les trois humains qui lui faisaient face.
-Andaran atish'an, les salua-t-elle d'une voix claire, à peine chevrotante malgré les doutes qui la tiraillaient.
