La porte de la salle commune de Gryffondor coulissa, laissant sortir une jeune femme rousse aux yeux verts émeraude. Les jambes tremblantes, elle s'élança à l'assaut des interminables couloirs du château dans lequel elle étudiait la magie. Quelques élèves se retournèrent sur son passage, étonnés ou satisfaits, compatissants ou moqueurs, on aimait Lily Evans, ou on la détestait. Ses chaussures noires tapaient contre les pierres froides qui recouvraient le sol, et l'écho de ses pas résonnaient en elle comme une défaite. Elle avait beau courir, elle savait qu'elle ne rattraperait pas ce qu'il lui avait pris. Les larmes qui coulaient sur ses joues n'arrangeaient rien. Elles lui rappelaient seulement qu'elle avait été trop faible, et qu'il avait été fort, très fort. Il avait gagné. Essoufflée, elle s'engouffra dans la bibliothèque et s'adossa contre une rangée de livres pour reprendre son souffle. Elle était au moins persuadée qu'elle ne le croiserait jamais ici. James Potter avait tout d'un ange. Il ne vous laissait pas le choix lorsqu'il se plantait devant vous, plus solide qu'un roc, et qu'il vous regardait avec ses grands yeux bruns. Un sourire en coin ne tardait pas à se dessiner sur son visage, puis il passait machinalement une main dans ses épais cheveux noirs, sachant pertinemment que vous rêviez de faire de même, et bientôt, le coup de grâce, il vous frôlait légèrement le bras, assez pour que vous soyez à sa merci. Tout cela pour passer à côté de vous, et vous glisser à l'oreille que vos yeux sont les plus scintillants qu'il ait jamais vu. Cette technique avait de nombreuses fois prouvé son efficacité, mais Lily ne s'était jamais laissée abuser par ce genre d'attitude. Elle avait résisté jusqu'à la dernière seconde. Elle avait su lui tenir tête pendant des mois, des années même, mais l'amitié s'en était mêlée, et il lui avait montré qu'il pouvait être autre chose qu'un jeune homme prétentieux et charmeur. Elle était petit à petit tombée amoureuse de sa franchise, de son intelligence parfois un peu trop dissimulée, de son sens de l'humour aiguisé et de son regard attentionné. Puis elle avait cédé. Elle avait décidé de lui laisser une chance, la plus grosse erreur de sa vie.
« Lily ? Tout va bien ? »
Elle sursauta, et essuya hâtivement ses yeux encore humides. Rémus Lupin se tenait face à elle, inquiet, mais surtout impuissant. Son meilleur ami venait de lui briser le cœur, il ne pouvait rien y faire. Elle savait pourtant que James n'était pas digne de confiance, elle l'avait vu à l'œuvre plusieurs fois avec d'autres jeunes femmes, mais elle avait voulu croire qu'elle serait celle qui le ferait changer. C'était peut-être un peu trop naïf de sa part.
« Je suis une pauvre idiote, murmura-t-elle. »
Rémus se rapprocha d'elle et l'enlaça en silence. Il n'avait pas besoin d'en entendre plus pour comprendre. James avait un don qui consistait à créer une dépendance presque fatale, et en ce moment, Lily se sentait comme une mouche prise au piège une toile d'araignée. Elle n'avait absolument aucun moyen d'en sortir. En seulement deux mois, il avait répandu un poison en elle pour lequel elle n'avait aucun antidote. Dans chaque pièce du château se trouvaient des souvenirs de leurs moments passés ensemble, où qu'elle pose les yeux, elle était obligée de voir son visage. Il était gravé dans sa mémoire, et elle pouvait clairement l'entendre dire « Ecoutes Lily Jolie, je ne suis pas quelqu'un de sérieux, tu le savais dès le départ. » Si seulement elle l'avait écouté, si seulement elle n'avait pas capitulé, elle n'aurait jamais eu à entendre cette phrase si douloureuse.
La semaine était passée mais la souffrance ne semblait pas vouloir la quitter. Elle la suivait, aussi fidèle que son ombre, et au détour d'un couloir, lorsqu'elle croisait James, elle sentait son cœur se briser. En cours, elle essayait de prendre les places du premier rang, évitant ainsi toute tentation de passer l'heure à fixer son dos en espérant qu'il se retourne et lui lance un regard complice comme il avait l'habitude de le faire lorsqu'ils formaient encore un couple. Ils étaient si populaires qu'elle s'était dit que cela durerait peut-être. Il était le capitaine de l'équipe de quidditch, et elle, la préfète en chef, l'une des meilleures élèves de Poudlard. Lorsqu'ils se promenaient dans les couloirs, tous les regards étaient braqués sur eux, flânant comme s'ils étaient seuls, peu conscients de former le couple le plus envié de toute l'histoire de la magie. A présent, les rumeurs les plus folles filaient. Certaines racontaient même que Lily aurait surpris James avec une autre élève. Aucune n'était vraie. James était un mauvais garçon, mais il n'était pas un trompeur. Il jouait avec les sentiments et il aimait cela, mais il n'agissait pas en traître. Chaque fille qui s'engageait avec lui savait à quoi s'attendre, mais toutes avaient l'espoir improbable d'être celle qui prouverait à tout le monde que James Potter était bel et bien doté d'un cœur. Lily laissa échapper un ricanement ironique à cette pensée. Elle faisait partie de ces filles. Elle poussa avec énervement la lourde porte de la Grande Salle et, alors qu'elle s'apprêtait à s'asseoir à côté de Rémus, comme tous les matins jusqu'à présent, son regard s'arrêta sur James. Mélissa Perkins était assise à côté de lui, la tête posée contre son cou alors que le bras du jeune homme entourait sa taille. La jeune femme rousse avança d'un pas rapide, laissa bruyamment ses livres tomber sur la table, face à lui, alors que les yeux de Rémus trahissaient une certaine appréhension, et soupira.
« Par pitié Rémus, es-tu certain de bien connaître la définition de « seul » ? Lui demanda-t-elle. »
Le maraudeur grimaça et pour la première fois depuis une semaine, James observa Lily. Son visage était vide d'expression, mais Mélissa, à côté d'elle, ne put pas contenir une moue dédaigneuse.
« Il n'y a pas de meilleure façon de dire bonjour, ironisa-t-elle.
_ Même pas celle-ci ? Rétorqua Lily en lui montrant son majeur. »
Rémus attrapa hâtivement son amie avant que la situation ne dégénère et l'entraîna dans le parc. Aussitôt que le vent frais frappa son visage, ses yeux se voilèrent, et elle se radoucit. Elle ne pouvait pas croire qu'il avait déjà tourné la page alors qu'elle n'avait même pas réussi à sauter une ligne. Son cœur battait encore très fort dans sa poitrine, comme pour lui rappeler qu'elle en possédait toujours un malgré le nombre incalculable de fois où il explosait en elle, lui provoquant une douleur si atroce que sa respiration s'en trouvait coupée. C'était la seule chose qui la rendait encore humaine, car tout le reste de son corps était néant. Sa tête était vide, son visage de marbre était lisse, ses yeux, ternes, et sa bouche, figée. Elle ne pouvait pas continuer à endurer cette peine, elle n'était pas assez forte pour faire face à ce genre de chagrin. James n'était pas le premier jeune homme avec qui elle était sortie, mais il était le seul qu'elle ait vraiment aimé, et qu'elle était persuadée d'aimer toute sa vie. Un seul regard leur avait toujours suffit à se comprendre. De plus, il n'y avait que lui qui savait comment la calmer lorsqu'elle était excessivement énervée, personne d'autre ne savait la rassurer autant que lui, personne ne trouvait les mots justes qu'il n'avait aucun mal à dire…
« Qu'est ce qui ne tourne pas rond chez lui ?
_ Ce n'est pas à moi qu'il faut le demander. Il faut que tu lui parles Lily, la conseilla Rémus. »
Elle soupira. Elle savait pertinemment que son ami avait raison sur tous les points. Ce n'était pas à lui de lui fournir les réponses à toutes ses questions, et encore moins à celles qui ne concernaient que James, elle était assez grande pour se confronter à lui. Seulement elle n'avait aucune idée de la façon dont son comportement évoluerait au fur et à mesure de sa conversation avec lui, du moins si elle réussissait à l'approcher. Elle était imprévisible et la moindre contrariété la mettait souvent dans un état d'énervement assez inégalable, mais elle n'avait pas d'autres choix. Elle connaissait son emploi du temps sur le bout des doigts, et le jeudi était un soir d'entrainement de quidditch, c'est ainsi qu'elle prit son courage à deux mains, et, assise dans les tribunes, soulagée de ne pas y voir Mélissa Perkins, elle attendit que James descende de son balais.
« Est-ce l'on peut parler, deux minutes ? Lui demanda-t-elle en se plantant devant lui. »
Il balaya le parc des yeux comme pour vérifier que personne ne les entendait alors que ses coéquipiers regagnaient un par un les vestiaires en leur jetant des regards indiscrets auxquels James semblaient avoir du mal à faire face.
« Attends moi ici, je reviens dans dix minutes, répondit-il sans même la regarder. »
Il s'engouffra dans les vestiaires, se déshabilla, s'enferma dans une des cabines de douche et savoura un instant la douce chaleur de l'eau sur sa peau. Il n'avait aucune envie de sortir. Rien de bon ne l'attendait dehors. Il avait rompu avec Lily depuis une semaine et il avait eu de bonnes raisons de le faire. Cependant, la voir tourner les talons et partir en courant de la salle commune lui avait totalement fait oublier toutes ces bonnes raisons. Elle était sa meilleure amie. Elle était la personne la plus fascinante qu'il connaisse, et il l'avait blessé. Elle savait pourtant à quoi s'attendre, il le lui avait répété plusieurs fois, elle ne pouvait pas le faire changer. Il en était persuadé.
« Ce n'est pas trop tôt ! S'exclama-t-elle alors qu'il sortait des vestiaires. »
Les mains dans les poches, les cheveux encore mouillés, il s'avança vers elle et la suivit vers le château. Il savait d'ors et déjà que cette discussion allait être pénible. Lily n'était pas du genre à abandonner facilement.
« Ecoute Lily, je…
_ Comment as-tu pu jouer avec mes sentiments de cette façon ? Le coupa-t-elle en l'obligeant à s'arrêter. »
Il leva les yeux au ciel. Le vent faisait voler les cheveux roux de Lily, et ses yeux lançaient des éclairs. Il connaissait cette expression dans son regard, et il savait qu'elle ne présageait rien de bon.
« Je t'avais prévenu… Dit-il simplement.
_ Et tu crois que c'est une excuse valable peut-être ? Nous étions amis, il y avait d'autres façons de…
_ Nous sommes toujours amis. »
La jeune femme secoua la tête de gauche à droite. Ce n'était plus de l'amitié, et cela même si elle l'avait souhaité du plus profond de son être. Elle ne pouvait pas passer du temps avec lui, à le regarder flirter avec d'autres filles, à le regarder leur jouer exactement le même numéro qu'à elle, elle était incapable de supporter cela.
« Est-ce que tu m'as aimé, au moins ? Poursuivit-elle. »
Il détourna le regard et se remit à marcher vers le château, Lily sur ses talons. Cette question était la plus pathétique qu'il ait jamais entendu sortir de sa bouche. Elle qui était pourtant si forte d'habitude.
« Regardes-moi, et réponds, s'il te plaît, murmura-t-elle en se plantant devant lui. »
Il n'avait aucune envie d'obtempérer, mais il savait qu'elle ne le laisserait pas tranquille avant d'avoir une réponse, c'est ainsi qu'il plongea ses yeux dans les siens, et avec une froideur étonnante, il prononça les mots qu'elle redoutait.
« Bien sûr que non Lily. Cela n'a toujours été que de l'amitié.
_ Tu n'as vraiment pas de cœur… Murmura-t-elle.
_ Par la barbe de Merlin, tu l'as toujours su ! Je te l'ai dis des milliers des fois !
_ Alors il faudrait que je pardonne à saint Potter, qui, après m'avoir harcelé pendant des années, puis après s'être bien amusé pendant deux mois, a profité de notre première nuit ensemble pour se débarrasser de moi ? Il faudrait que je l'excuse pour la simple raison qu'il m'avait prévenu ?
_ Ce n'est pas si…
_ Si James, c'est si terrible que cela. Tu sais ce que l'on dit, il n'y a qu'un pas entre l'amour et la haine, eh bien je pense que je l'ai franchi. »
Voilà comment s'était terminée la sixième année de Lily Evans à Poudlard, et voilà comment elle entamait la septième. Ils ne s'étaient donné aucune nouvelle pendant l'été, et la jeune femme avait passé la majeure partie de son temps à essayer de l'oublier. Elle était sortie, avait rencontré d'autres garçons, aucun à la hauteur de James, mais assez gentils et tolérants pour passer du temps avec elle et supporter sa mauvaise humeur constante. Rémus lui avait envoyé plusieurs lettres, mais elle n'avait répondu à aucune. Elle s'en voulait un peu, il n'avait rien demandé, il n'était pas responsable de sa rupture totale avec James, mais à chaque fois qu'elle pensait à lui, elle pensait à celui qui lui avait brisé le cœur, et cela la rendait incapable de rédiger la moindre phrase. Cependant, en ce jour de rentrée en dernière année, elle songeait clairement à se reprendre.
« Lily ? »
Cette voix qu'elle connaissait particulièrement bien résonna dans ses oreilles. La porte du compartiment dans lequel elle était assise s'était ouverte sur un jeune garçon châtain aux traits fatigués. Elle lui sourit et le prit dans ses bras chaleureusement. Elle était heureuse de le revoir, mais sa joie fut de courte durée car elle aperçut bientôt James dans le couloir de la locomotive, suivit de près par Sirius Black et Peter Pettigrow.
« Comment vas-tu ? J'étais inquiet, tu n'as répondu à aucune de mes lettres.
_ Je vais bien Rémus. Je suis désolée j'ai eu tellement de choses à faire… Mentit-elle.
_ Il n'y a aucun soucis, on se verra tout à l'heure, je dois y aller, je suis avec… »
Il ne termina pas sa phrase et disparut dans un autre compartiment. Soulagée, Lily s'assit sur la banquette, et le front calé contre la vitre, elle s'endormit. Elle n'avait pas de beau rêve à faire, mais elle n'avait pas non plus de cauchemar. Sa tête était vide, elle avait passé l'été à réfléchir, à ses poser des questions sur tout et n'importe quoi, et à présent, elle était fatiguée. Elle n'avait plus envie de penser à quoi que ce soit, pas même à lui. Elle se retrouva pourtant confrontée à ses démons quelques heures plus tard lorsque la seule place assise qu'il restait fut celle que lui réservait Rémus, au centre des maraudeurs, en face de James. Elle fut surprise de voir Mélissa Perkins toujours fermement accrochée à son bras. Cela voulait dire que leur relation avait survécu aux vacances, et surtout, qu'elle avait duré plus longtemps que lorsque Lily sortait avec lui. Seulement pour observer sa réaction, Lily posa les yeux sur lui. Son regard noir ne le mit nullement mal à l'aise puisqu'il lui retourna un sourire moqueur avant de resserrer son étreinte autour de sa petite-amie. Elle avait beau le haïr du plus profond de son être à ce moment précis, le sentiment familier qu'elle avait éprouvé le jour où il avait mit fin à leur relation lui revint en pleine figure, et elle sut qu'elle n'avait aucun moyen de fuir. Il allait lui briser le cœur tous les jours de l'année, inlassablement, à chaque regard, à chaque mot, à chaque silence, et à chaque geste. La guerre était déclarée.
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