Chapitre 1

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— Ce sera tout, ma Dame ?
— Oui, Gwen, vous pouvez disposer.

Gwen s'inclina et quitta les appartements de sa nouvelle maîtresse, Lady Atkins. Alors qu'elle se dirigeait vers l'étage des domestiques, la jeune femme heurta assez rudement son meilleur ami, Merlin, au coin d'un couloir. Le panier qu'elle portait s'en trouva déséquilibré et Merlin le retint de justesse.

— Désolé Gwen ! s'exclama-t-il aussitôt en faisant un tour sur lui-même. Je suis pressé, je...
— Ce cher Arthur t'a encore demandé de faire quelque chose pour hier ? fit Gwen avec un sourire goguenard. Tu devrais lui dire ce que tu penses de tout ça...

Merlin sembla réfléchir un instant.

— Gwen, c'est tentant mais... c'est mon maître, dit-il avec son haussement d'épaules caractéristique.

Gwen hocha la tête en souriant. Elle connaissait Merlin depuis déjà quatre années, et elle arrivait parfois à anticiper ses réponses. En regardant son ami s'éloigner, les bras chargés d'un sac en toile de jute, la jeune femme soupira profondément. Elle récupéra son panier de linge et reprit son chemin, pensive.

Aujourd'hui cela faisait deux mois que Morgana et Morgause avaient disparu si mystérieusement après un combat épique à la fin duquel, se jetant sur le corps inconscient de sa sœur, Morgana avait déchaîné ses pouvoirs et détruit une partie de la vaste salle où était gardée la Coupe de la Vie que Merlin avait alors tenté de détruire. Le coma de Morgause était dû à Gaius qui, usant de ses faibles connaissances en magie, l'avait envoyée valser contre une colonne, l'assommant proprement, l'empêchant ainsi de tuer Merlin.

Uther Pendragon, le Roi de Camelot, était effondré par la disparation de sa fille chérie et la découverte de sa condition de magicienne. Son séjour dans les geôles humides de son propre château avait eu raison de sa santé physique et semblait avoir aussi attaqué sa santé mentale. Inconsolable, il restait prostré dans sa chambre et interdisait à quiconque de venir sauf à un petit page d'une douzaine d'années qui était à ses moindres désirs. Arthur, lui, avait récupéré le royaume et le portait à bouts de bras du mieux qu'il le pouvait, mais il était au bord de la rupture et cela s'en ressentait à travers Merlin.

Le jeune sorcier n'avait en effet plus une seconde à lui. Il se levait avant l'aube pour faire les corvées dues à Gaius, puis, une heure après le lever du soleil, il allait réveiller son Prince avec un copieux petit-déjeuner, avant de l'aider à s'habiller, puis de partir en commissions pour Gaius, Arthur, et même parfois les autres membres de la cours et les Chevaliers qui semblaient le prendre pour un fidèle coursier ; après quoi, rompu, il rentrait chez lui où l'attendaient encore des corvées et seulement alors, un repas chaud, puis il se couchait, éreinté.

Parfois il ne mangeait rien de la journée tellement il avait à faire, mais heureusement, Gaius veillait sur lui et, malgré ses maigres moyens, le médecin royal faisait toujours en sorte que son fils de cœur mange à sa faim au moins une fois par jour.

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— Merlin !

Merlin déboula au même moment dans la chambre de son maître avec son sac en toile de jute et le lâcha sur une chaise, essoufflé.

— Merlin, j'ai besoin de toi aujourd'hui, fit Arthur en enfilant sa chemise.
— Vous savez lacer votre chemise tout seul, Arthur, fit Merlin, acide.

Le jeune Prince se retourna, surpris. Il le regarda de travers en disant :

— Serais-tu de mauvaise humeur ce matin ?
— Non, pas du tout... Je suis juste épuisé, Arthur, soupira alors le jeune sorcier. Je cours partout depuis le levé du soleil.

Arthur serra les mâchoires. Il s'assit sur son lit et secoua la tête.

— Moi aussi, mon ami... Je n'ai pas une minute à moi depuis le coup d'état de Morgana et je ne sais plus quand j'ai serré Gwen dans mes bras pour la dernière fois...
— Il y a deux mois, Majesté...

Les deux garçons levèrent la tête. Gwen se tenait dans l'encadrement de la porte et Arthur bondit du lit. Il se rua sur elle et la prit dans ses bras avec vigueur. La jeune femme se laissa aller à cette étreinte, même si son dos criait de douleur, puis elle repoussa le jeune homme et, posant ses mains sur ses bras, elle demanda :

— Ne serait-il pas temps de songer à reprendre le trône, Arthur ? Au moins vous auriez du monde pour vous aider... Officiellement, du moins.

Merlin haussa les sourcils. Il regarda Arthur qui semblait pensif. Si jamais le Prince montait sur le trône, il y aurait alors un espoir de voir la magie revenir à Camelot et Merlin pourrait ainsi espérer révéler sa vraie nature à celui qu'il considérait plus comme un ami que comme son maître.

— Je ne sais pas, répondit soudain Arthur en s'asseyant sur la chaise la plus proche.

Il passa un bras sur la taille de Gwen et appuya son front contre son ventre en soupirant. La jeune femme lui caressa la tête.

— Votre père est inconsolable, Arthur... dit Merlin.
— Il a perdu sa fille, fit le jeune Prince, un peu amer, en relevant la tête. Et de la pire façon qui soit pour lui, à cause de la magie.

Gwen recula. Elle regarda Merlin d'un air suppliant. Si jamais Arthur se mettait à haïr la magie comme son père, Merlin n'aurait plus qu'à partir de Camelot et aller se cacher.

— La magie n'y est pour rien, tenta alors le jeune sorcier. Enfin pas totalement...
— Morgana est une sorcière ! s'exclama Arthur.
— Et alors ? C'est aussi votre sœur !

Arthur regarda Gwen, surpris. Elle n'avait jamais haussé la voix en sa présence, ou alors simplement pour se faire entendre au milieu du bruit.

— Gwen... ?
— Arthur, malgré tous les sentiments que j'ai pour vous, nombre de fois vous m'avez terriblement déçue, fit la jeune femme en s'approchant de la cheminée. Morgana vous aimait de tout son cœur et vous avez grandi avec elle, et moi aussi. Je la connais mieux que personne, mieux qu'Uther lui-même et je peux vous dire que, magicienne ou pas, elle est toujours restée elle-même face à ceux qu'elle chérissait. Uther l'a déçue, terriblement, à de nombreuses reprises, mais c'est quand elle a découvert qu'elle était la fille illégitime du Roi qu'elle a irrémédiablement plongé du mauvais côté. En réalité, vous accusez Lady Morgana, mais tout est de la faute de Morgause qui a profité de la faiblesse de ma maîtresse, bouleversée par ses rêves, pour l'empoisonner avec ses idées tordues, et ce il y a bien des années. Elle a abusé d'une jeune femme gentille et sincère et en a fait un monstre de méchanceté et de cruauté sans aucune inhibition. Si... si Morgana avait découvert sa magie d'une autre manière, rien de tout cela n'aurait été... Elle est loin d'être profondément mauvaise... Je le sais.

Le silence accueillit cette diatribe plus qu'acide.

— Comment sais-tu tout cela, Gwen ? demanda alors Merlin.
— Je le sais, c'est tout. Là n'est pas la question. Si vous aviez été un peu attentif, Arthur, vous auriez vu son changement de comportement. Et si vous vous demandez pourquoi je n'ai rien dit, c'est simplement parce qu'elle est ma meilleure amie que j'ai protégé son secret.

Arthur baissa le nez. Il regarda ensuite Merlin et soupira.

— Alors toi aussi tu savais qu'elle était une sorcière ? dit-il, dépité.
— Oui, répondit Merlin. Elle m'a demandé de l'aider... Elle ne pouvait pas se confier au Roi, pour les raisons que nous savons, car fille ou pas, il n'aurait pas hésité à la condamner au bûcher...

Gwen hocha la tête.

— Je ne suis qu'une servante, Arthur, mais si je peux vous donner un conseil, ce serait celui de monter sur le trône maintenant, avant que votre père ne reprenne ses esprits. C'est votre unique chance avant longtemps de refaire de Camelot le pays qu'il était autrefois...

Arthur serra les mâchoires. Il congédia alors brutalement les deux autres et s'enferma dans sa chambre. Merlin et Gwen se retrouvèrent à la porte et Merlin soupira.

— C'était brutal, dit-il.
— Mais il le fallait. Ça va l'obliger à réfléchir...

Merlin hocha la tête, pensif.

— Et... S'il monte sur le trône, crois-tu qu'il rétablira la magie dans le royaume ? demanda-t-il.

Gwen hocha la tête.

— En tous cas, je ferais en sorte de l'en convaincre, pour toi, parce que je te dois beaucoup de ton temps et de ton don...

Le jeune homme eut un sourire puis il inclina la tête et tourna les talons. Gwen soupira alors profondément et retourna vaquer à ses occupations, songeant qu'elle aurait bien vite l'occasion de se prendre la tête avec de telles questions quand elle serait Reine, ce qui semblait ne plus être dans très longtemps...