« Missing »

Le jour se levait sur Paris en cette matinée de février, il était 9h00 et le ciel était encore teinté de rose orangé issu de l'aube tardive de l'hiver. Yann descendit de sa voiture et immédiatement ses yeux se remplirent de larmes, le froid était glacial,pénétrant, ses dents claquaient, ses mains tremblaient, il hâta le pas jusqu'à l'entrée de leur nouveaux bureaux. Ceux là étaient plus spacieux, plus pratiques et encore mieux équipés que les anciens, mais il manquait quelque chose. L'ambiance avait toujours été bonne chez Bangumi, Dieu merci, mais depuis le déménagement tout semblait moins conviviale, il arrivait que Yann passe certains jours sans voir des gens qu'il avait l'habitude de croiser tout les jours, lorsqu'il traversait l'open space pour rejoindre son bureau, il était accoutumé au fait d'avoir une vue d'ensemble sur sa rédaction, de pouvoir observer ses équipes, regarder les tournages d'Eric et Quentin assis sur sa chaise de bureau, mais tout cela était terminé, maintenant sa rédaction s'étendait dans un labyrinthe de bureaux, de murets et de colonnes.

Lorsqu'il rentra dans son bureau, il fut accueillit par Théodore et Guillaume, rédac chef et chargé de reportage respectivement, qui l'attendaient pour préparer l'émission du soir et débriefer des infos des JT de la veilles. Laurent entra à son tour dans le bureau et il commencèrent leur réunion, comme ils en avait l'habitude depuis tant d'années. Puis vint le moment où Yann et Guillaume devait appeler Martin, pour prendre des nouvelles du nouveau point chaud de la planète, Mossoul.

Martin qui devait normalement suivre la campagne américaine puis rentrer à Paris s'était retrouvé embarqué dans l'actualité chaude bouillante du moment... Après 3 mois aux Etats-Unis et quelques semaines à Cuba, Martin avait tenu à retourner en Syrie avec Clément pour couvrir un sujet qui leur tenait à cœur, le devenir des populations civiles dans un pays déchiré par la guerre, la répression et le terrorisme. Après être retourné pour la 3ème fois à Kobané,pour y retrouver des gens précédemment rencontrés, leur redonner la parole, l'assaut final sur la ville de Mossoul en Irak méritait à leurs yeux d'être couvert d'une manière différente que les JT traditionnels. Ils étaient donc partis il y a une semaine en direction du nord de l'Irak, au plus près de Daech.

Yann avait d'abord posé son Veto pour ce voyage, pour lui la zone était beaucoup trop dangereuse, rien n'était prévu pour assurer la sécurité des journalistes et les fixeurs et traducteurs de confiance se faisait de plus en plus rares. Mais au fond de lui, et même si son cerveau lui criait que les arguments précédant suffirait à justifier son opposition, il savait qu'il avait d'autres raisons pour empêcher Martin de partir. Et ces raisons ce trouvait juste à côté de son bureau. 4 cartons avec écrits : « Dossiers », « Sources », « Administratif », « Orga ». Les cartons de Martin, qu'il avait apporté dans les nouveaux bureau lors de son bref retour sur Paris le 14 octobre dernier. Octobre, cela faisait pratiquement 5 mois que Martin n'était pas rentré. Yann regardait les cartons d'un air absent, le téléphone émettait ses longs « Biiiip » en attendant que son correspondant ne décroche. Cela faisait 5 mois qu'il n'avait pas eu Martin autrement qu'en duplex ou par téléphone, 5 mois qu'il n'avait pas entendu le vrai grain de sa voix, qu'il n'avait pas eu de contact visuel direct avec son interlocuteur, son reporter, son protégé. Martin,lui , parlait à Yann à travers la caméra mais ne pouvait jamais le voir et Yann répondait à une image, un film, ou à son prompteur. Martin lui manquait, beaucoup, énormément. Ils avaient beau se parler tout les jours, s'envoyer des messages, rien ne vaut une conversation de vive voix, des tapes sur l'épaule, des verres trinqués, des fous rire spontanés causés par les mimiques de l'autre. Martin lui manquait, pas le reporter, mais son Martin. Son ami, son confident, sa personne de confiance, celle pour qui il s'inquiétait consatemment à s'en rendre malade lui manquait. Yann fut coupé de sa rêverie par un énième « Biiip » du téléphone, cela faisait plusieurs minutes maintenant qu'ils essayaient avec Guillaume de joindre le reporter mais sans succès. Pourtant le rendez vous fixé à cette heure depuis des semaines avait toujours été respecté et parfois Martin prenait les devants et appelait le premier. Une boule se forma au creux de son estomac et il jeta un regard soucieux à son collègue. Ils crurent d'abord à une coupure de réseaux, la vie sur le front étant assez difficile pour le matériel électroniques et les moyens de communication. Ils décidèrent de réessayer une dernière fois, toujours sans succès, les « Biip » ne s'étaient même pas éternisés, au bout de 3 seulement, l'appel se coupa net.

Yann sentit alors une forme de panique s'installer en lui, il leur était déjà arrivé d'avoir des problèmes de communications, mais la dernière fois que c'était arrivé, c'était en Ukraine en 2013, Martin et Felix avait été retenu toute une nuit par des séparatistes proRusses, privés de téléphone ils avaient loupé leur avion pour Kiev et la compagnie aèrienne avait appelé la rédaction au milieu de la nuit pour annoncer aux producteurs que leurs reporters ne s'étaient jamais présentés. Si en Ukraine ils s'en était tirés indemne, Yann avait peur que l'Irak ne joue pas la même mélodie.

Ils réessayèrent quelques dizaines de minutes plus tard, puis encore une demi heure plus tard, et une dernière fois quelques heures plus tard. Il était maintenant 15 h 00, Martin était toujours injoignable, Clément non plus, et le mot commençait à circuler dans la rédaction, des regards inquièts étaient jetés en direction du bureau, Hugo et Camille ,partis sur le terrain pour la campagne présidentielle française, avaient du prendre connaissance de la situation puisqu'ils commencèrent à envoyer des textos aux équipes de la rédaction pour demander des nouvelles.

Mais rien, pas de nouvelles, l'AFP ne savait rien, Reuters était injoignable … Leurs contacts présents sur place ne les avait pas vu depuis la veille. Yann commençât alors à sérieusement paniquer aux alentours de 17h30 quand il dut se rendre à la répétition de l'émission du jour, préparée dans des conditions particulières. Il devait ce soir prendre l'antenne en ne laissant rien passer, ni stress, ni inquiétude.

La boule qu'il avait au ventre ne le quittait plus, il regardait sans cesse son téléphone, dans l'espoir vint que le nom de Martin ou Clément ne s'affiche. La répétition suivit son cours habituelle, la pause musicale du jour répétait, les jingles défilaient, les sketchs aussi. Mais tout semblait plus fade, plus tendu, la voix d'ordinaire joviale dans l'oreillette de Yann était crispée, pressante, stressée.

L'heure d'enregistrer l'émission arriva, Yann ne laissa pas de place à l'improvisation, tout était millimétré sur son prompteur, pas de vagues, pas de stress. La routine quoi. L'émission suivait son cours, le public ne se doutait de rien, pourtant Yann s'était retenu de toute ses forces de ne pas faire remarquer l'absence de la petite télé de Martin pendant la présentation de l'équipe. Vint l'heure des 4Q, toute son équipe était présente devant lui, il les appréciait tous, et ferai n'importe quoi pour eux, comme ils le font pour lui. Mais Martin revenait sans cesse dans son esprit. Martin qui était on ne sait où en Irak, Martin qui était peut être en danger, Martin qui a des parents qu'il faudra inévitablement appeler, prévenir. « Votre fils est dans l'une des zones les plus dangereuses du monde actuellement et il est injoignable depuis l'émission d'hier, soit 24h. Bonne soirée », ça sonne bien ça non ?

« - Yann ? Tu ne lances pas les 4Q ? lui demanda Hugo en le tirant de ses rêveries

Pardon ? Si si bien sûr ! Ce sont les principes du journalisme : Qui ? Quoi ? Quand ? Mais surtout mais Qu'est ce que c'est ? Voici les 4Q qui aujourd'hui sont sponsorisés par … Hollande, Hollande et sa côte de popularité qui remonte en flèche depuis que les français savent qu'ils ne risquent pas de se le retaper 5 ans de plus !

Yann reprend toi, lui dit la voix dans l'oreillette »

Yann récita alors son prompteur, machinalement, par réflex quasiment, le public riait, applaudissait, son équipe souriait, mais eux aussi savait que cette émission n'était pas comme les autres, qu'il y aurait du avoir un duplex, mais qu'aujourd'hui les gens n'auront pas la réponse à « Mais il est où Martin » puisqu'aujourd'hui personne n'en avait la moindre idée, sauf peut être Martin lui même.

Les chroniques humoristiques se succédèrent, puis vint enfin la fin de l'émission. Yann dit au revoir au téléspectateurs, le public commençât à quitter le studio quand une voix résonna dans son oreille, une voix qu'il avait l'habitude d'entendre, celle de Téo, qui à travers l'oreillette lui annonçât : « -Yann, l'AFP vient d'appeler, deux véhicules contenant du matériel de tournage ont été retrouvés au nord de la zone sécurisée, ils pensent à un kidnapping … Yann … Ils ont trouvés des papiers à l'intérieur... C'est à eux, c'est à Martin et Clément. Ils ont été enlevés Yann. ».