Chapitre I – Pour La Toute Première Fois

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Vendredi 20 mai, 1870

Pour Michaela comme pour Sully, le moment était enfin venu d'étrenner leur magnifique lit, où ils venaient de s'étendre pour la première fois, en s'embrassant sans fin comme si leurs lèvres ne pouvaient plus se séparer. Les secousses régulières du train donnaient à leur étreinte un balancement des plus érotiques que Michaela ressentait jusqu'aux tréfonds d'elle-même. Son cœur battait la chamade, cognant de plus en plus vite à chaque caresse, et elle en vint à se demander si elle n'allait pas tout bonnement mourir d'émoi.

Certes elle avait déjà connu aussi bien la douce chaleur que le puissant frisson du désir – bien que cela lui eût semblé embarrassant et étrange, particulièrement aux premiers temps de leurs amours. Pourtant, jamais elle n'en était arrivée à se sentir à ce point oppressée. Rien ne l'avait préparée à pareil embrasement de ses sens, pas même les nombreuses tentations auxquelles ils avaient dû faire face. Compte tenu de son besoin quasi-maladif de garder le contrôle sur ses propres émotions, Michaela n'appréciait pas vraiment de les sentir lui échapper…

Cependant, dans son ignorance virginale, elle ne pouvait qu'espérer que Sully tiendrait sa promesse de prendre tout le temps nécessaire, et devait s'en remettre totalement à lui et suivre ses indications quant à ce qu'elle était censée faire. Car en vérité, entre les avertissements de sa mère sur les désagréments du devoir conjugal, les conseils de Dorothy, certes bien intentionnés mais néanmoins difficiles à suivre de simplement laisser son instinct la guider, et les messages confus et quelque peu contradictoires que ce même instinct lui envoyait, elle était bien en peine de savoir comment se comporter.

Sully, lui aussi, avait maille à partir avec son propre instinct. Son sang-froid était sérieusement mis à mal par le seul fait de savoir qu'il pouvait enfin faire sienne, dans tous les sens du terme, la femme qu'il aimait. Son cœur aussi battait à tout rompre dans sa poitrine, en coups si puissants que toutes les cellules de son corps en vibraient de concert. Mais il lui avait fait une promesse, qu'il avait la ferme intention de tenir, dût-il s'effondrer sous l'effort pour y parvenir.

Ce fut à grand-peine qu'il se détacha d'elle pour ôter sa tunique de mariage en daim, révélant ainsi son torse en sueur. Il prit un instant pour observer Michaela et tenter de cerner son état d'esprit. Il souhaitait plus que tout qu'elle lui fît confiance, et que cette première expérience fût suffisamment agréable pour qu'elle pût enfin surmonter ses inhibitions et se débarrasser de ces principes Bostoniens si puritains, qui l'avaient conduit à étouffer sa sensualité naturelle, au point qu'elle en était venue à avoir peur de ce qu'elle ressentait.

Sans doute ne saurait-elle jamais à quel point il avait dû faire preuve de patience et de retenue, les rares fois où elle l'avait laissé lui voler un peu plus qu'un simple baiser, pas d'avantage qu'elle ne comprendrait combien ce besoin qu'il avait d'elle était ancré profondément dans sa chair, besoin de tout ce qu'elle représentait pour lui… au-delà de l'amitié la plus étroite, du sentiment d'avoir trouvé une nouvelle famille, ou même son âme sœur, un sentiment si ineffable que même les plus grands poètes n'aurait pu le nommer ni le décrire.

Ainsi était enfin arrivé ce moment de ne plus faire qu'un avec elle, aussi bien par leurs cœurs, leurs esprits… et leurs corps ! Il s'était imaginé ce moment un millier de fois, et pourtant, malgré ses fantasmes les plus débridés, il ne s'était pas attendu à être à ce point tenaillé par le désir qu'il en ressentirait une douleur physique des plus cuisantes. Michaela n'avait jamais été si radieusement belle qu'en ce jour, et Sully se serait presque pincé pour s'assurer qu'il n'était pas mort et monté au Paradis. Non… non, ils étaient bel et bien là, tous les deux, et enfin seuls…

Il s'allongea à ses côtés lentement, avec précaution, afin qu'ils puissent tout deux reprendre un peu leurs souffles, puis petit à petit, du bout des doigts, il repoussa le bustier de satin, découvrant à chaque caresse un peu plus des tendres rondeurs des seins de sa femme.

Michaela n'eut guère l'occasion de reprendre sa respiration après un tel baiser, si long et sensuel, si bouleversant, la sensation des doigts de Sully sur sa peau la faisant frissonner si violemment qu'elle en eut le souffle de nouveau coupé. Plaisir trop neuf, trop cru pour son corps encore si peu expérimenté. Bien malgré elle, elle marqua un brusque mouvement de recul, le rouge qui lui était monté aux joues clairement évident malgré la pénombre du jour déclinant. Elle lança un regard suppliant à Sully, comme pour lui demander encore un peu plus de patience et de compréhension.

Sully ravala péniblement sa salive. Il ne s'était pas attendu à un tel recul de sa part, en tout cas pas si tôt. Il allait devoir y aller vraiment, vraiment en douceur. Il dut prendre une profonde inspiration.

Ce que Michaela ignorait, c'était que Sully s'était préparé à l'éventualité que toute la confiance qu'elle avait en lui ne serait pas suffisante pour qu'elle abandonnât d'un coup toutes ses inhibitions. Les nuits précédentes, il avait tâché, par le biais d'exercices et de méditation, de renforcer encore davantage son endurance. Bien sûr, il avait secrètement espéré ne pas avoir à recourir à ces méthodes plus que nécessaires, mais maintenant, il se rendait compte que ses efforts ne seraient pas vains. Il s'avérait que tous deux avaient bien besoin de sa résistance et de sa patience.

Avant qu'elle n'eût le temps de marmonner une excuse, il lui donna un baiser léger et rassurant, s'attardant juste assez longtemps sur ses lèvres pour qu'elle le lui rendît. Alors il lui prit la main pour l'aider à se rasseoir, et en profita pour libérer ses cheveux de leur enchevêtrement compliqué, et continuer à l'embrasser de-ci de-là. Une à une, les épingles, les perles et les fleurs furent retirées, laissant retomber sur ses épaules les belles boucles cuivrées en longues coulées, dans lesquelles il passa ses doigts avec délice. Il ne se lasserait jamais de ce plaisir subtil et quasi-sensuel de caresser la chevelure si soyeuse et chatoyante de sa femme.

Revenue sur un terrain un peu plus familier, Michaela parvint à se détendre quelque peu sous les caresses, ne se raidissant plus lorsqu'à nouveau, elle sentit contre son dos les mains de Sully cherchant à desserrer le laçage de son corset. Sentant qu'il rencontrait quelque difficulté, elle demanda :

"Tu… tu as besoin d'aide ?"

Il cessa ses tentatives maladroites, et la regarda droit dans les yeux. "Ouais. Dis-moi comment défaire les nœuds de ce… machin ! Sans rire, ce n'est pas un corset, mais une véritable ceinture de chasteté !"

À ces mots, Michaela ne put s'empêcher de rougir. "Il me semble avoir aperçu ma sacoche parmi nos bagages. Tu pourrais te servir de mes ciseaux à bandage…" Sa voix s'éteignit dans un murmure, trahissant cette timidité qui l'empêchait d'exprimer verbalement son impatience d'être libérée de ses carcans et de respirer plus normalement, mais qui exprimait aussi sa nervosité à l'idée que Sully était sur le point de la voir dénudée.

Lui, de son côté, eut vite fait de sectionner les lacets qui retenaient sa robe et son corset. Il patienta un instant, attendant un signe d'elle. Émue par l'attention qu'il lui témoignait, elle hocha doucement la tête en guise d'assentiment, en prenant une profonde inspiration pour apaiser sa nervosité. Elle tenait à garder son calme pendant qu'il faisait ce qu'il avait à faire. Ses joues étaient toujours en feu cependant, elle ne pouvait que garder le regard baissé. Elle ne se sentait pas encore prête à soutenir le regard certainement concupiscent qu'il ne manquerait certainement pas de lui jeter lorsqu'il l'aurait entièrement déshabillée.

Mais justement, Sully ne voulait pas qu'elle se réfugiât derrière une prude résignation. Il la voulait en confiance, à l'aise avec son désir à lui, autant qu'avec le sien. Il lui saisit doucement le menton pour la forcer à le regarder dans les yeux.

"Michaela, regarde-moi… s'il y a quelque chose qui ne te va pas, il faut me le dire. Je ne veux pas faire quoi que ce soit qui te mette mal à l'aise, d'accord ? Si tu n'es pas encore prête à te mettre nue devant moi, eh bien, je peux regarder ailleurs pendant que tu mets ta chemise de nuit, et on peut juste se faire des câlins cette nuit… attendre que tu sois prête. Je t'ai promis qu'on allait prendre tout le temps qu'il faudra, et je tiendrai ma promesse quoiqu'il arrive. Ça te va ?"

Il lui vola un autre baiser avant de se relever et de lui tourner le dos. Il l'entendit se lever à son tour, luttant pour ne pas laisser son imagination divaguer lorsque les bruissements d'étoffe lui indiquèrent qu'elle ôtait sa robe… qu'elle enjambait le rempart nuageux des jupes de soie… Quelle ne fut pas son agréable, et excitante, surprise de sentir les bras de sa femme s'enrouler autour de lui, plus particulièrement la chair tiède et tendre de ses seins enfin dénudés contre son dos… et l'effleurement de ses lèvres, son souffle chaud sur sa nuque, tandis qu'elle murmurait son nom dans un gémissement sourd.

Pour ne pas risquer de rompre le charme, il la laissa faire en lui offrant l'opportunité d'explorer son corps à sa guise. Délicieuse torture qui, il en était sûr, s'avèrerait payante par la suite. Il eut cependant peine à retenir un grondement de plaisir lorsqu'il sentit les petites mains doucement caresser son torse, effleurant ses mamelons au passage. Sans se laisser démonter par cette réaction, Michaela poursuivit ses caresses, laissant ses mains descendre le long des légers sillons que ses muscles dessinaient sur son ventre. Néanmoins, sa timidité l'empêcha d'aller plus bas que la ceinture de son pantalon.

Michaela se trouva la première surprise de sa propre audace, lorsqu'elle laissa tomber ses atours de mariée à ses pieds. Tandis que la partie raisonnable de son esprit lui intimait de se couvrir avec la première chose qui lui tomberait sous la main, fût-ce le couvre-lit, en attendant d'avoir passé une chemise de nuit convenable, son instinct, ou pour être plus exact, son désir la poussait irrésistiblement vers lui, vers la superbe force virile qui se dégageait de ce corps aux muscles si parfaitement dessinés. Et que dire de la sensation exquise de sa chair ferme, lisse et chaude sous ses doigts, contre ses lèvres... Elle en était bouleversée jusqu'à ne plus pouvoir dénier le besoin qu'elle avait de le toucher à son tour. Elle l'avait certes déjà eu plusieurs fois l'occasion de le voir torse nu, mais cette fois, le lieu, les circonstances et jusqu'au balancement régulier du wagon donnaient une toute autre dimension aux caresses qu'elle lui prodiguait. Elle oubliait qu'elle était ce docteur bien élevé, et même un peu collet-monté, ou la chaste fiancée… non, maintenant elle était son épouse. Sa femme. Ils étaient mariés ! Leurs esprits, leurs cœurs et leurs âmes étaient unis à tout jamais, et le moment était venu d'unir leurs corps.

Et comme il était attentionné ! C'était vraiment adorable ! Comment aurait-elle pu lui résister ? Il était prêt à renoncer à satisfaire son désir pour lui permettre de profiter de leur intimité nouvelle à son rythme à elle. Quelle bénédiction que cet homme! Elle se demanda fugacement si les autres hommes qu'elle avait eu l'heur de fréquenter auparavant se seraient montrés aussi prévenants et patients en pareilles circonstances.

Les yeux clos, elle savoura de l'avoir tout à elle, si proche qu'elle pouvait sentir son cœur qui battait la chamade. Quel bonheur de savoir que c'était pour elle ! Elle fut prise de nouveau d'une envie folle de l'embrasser et l'étreindre comme s'il ne devait plus y avoir de lendemain… comme s'il n'y avait plus qu'eux deux sur la Terre. Ce fut alors qu'elle comprit, dans un brusque éclair de lucidité, pourquoi tant de gens pouvaient parfois faire les choses les plus stupides, les plus extravagantes pour ça, car à cet instant même, la seule chose qui lui importait, c'était d'être avec lui. Plus rien d'autre ne comptait, et rien n'aurait pu la détourner de lui. Il lui semblait que chaque fibre de son être ne tendait que vers une seule chose, et c'était de se fondre en lui. Et elle comprit enfin le sens véritable et originel du désir. Et le peu de rationalité que ce désir n'avait pas ravagé était pris d'un curieux mélange d'émerveillement et de peur face à un tel phénomène. Oui, elle craignait la puissance de ses propres émotions. Elle craignait par-dessus tout de perdre tout contrôle d'elle-même, et d'agir inconsidérément ou maladroitement sous l'emprise de ces impulsions encore sourdes, mais dont elle percevait la violence aux tréfonds d'elle-même. Elle avait peur qu'en les laissant s'exprimer, elle courrait le risque de choquer son mari, peut-être de saboter irrémédiablement leur relation et perdre son respect et son amour. Elle ne pouvait supporter l'idée de le perdre. Que faire alors, sinon retenir les mouvements instinctifs qui lui auraient fait déboucler sa ceinture, achever de le dévêtir entièrement, et l'entraîner vers le lit. Une dame bien élevée ne doit pas prendre d'initiatives de ce genre, c'est l'homme qui décide, lui dictait la voix de la raison, voix qui résonnait étrangement comme celle de sa mère.

Comme elle ne semblait pas décidée à aller plus loin de son propre chef, Sully la prévint, dans un doux murmure: "Je vais me retourner, maintenant, d'accord ?"

Pour toute réponse, elle déposa à nouveau un baiser léger entre ses épaules, puis relâcha suffisamment son étreinte pour lui permettre de lui faire face. Sully poussa un soupir de ravissement lorsqu'il put enfin contempler le corps à demi-nu de sa femme. Lentement, avec une infinie délicatesse, il parcourut les formes douces de son buste, s'attardant longuement sur ses seins, si délicieusement tendres sous ses doigts, et dont les rondeurs semblaient avoir été modelées pour tenir juste dans ses mains. Le grain velouté et le parfum chaud de sa peau lui donnèrent le vertige, et il ne put réprimer sa réaction naturelle plus longtemps. Son pantalon devenait terriblement inconfortable, au point qu'il ne lui restait que deux alternatives: soit il trouvait un moyen de refroidir momentanément ses ardeurs, et vite, soit il prenait le risque de se montrer plus audacieux dans ses avances.

Le choix fut vite fait. Il reprit ses lèvres, tout en la pressant contre lui, de manière à lui faire sentir la manifestation physique de son désir pour elle. Alors peut-être, peut-être, les réticences de Michaela cèderaient d'elles-mêmes…? Il la serra plus fort contre son torse tandis que son baiser se fit plus ardent.

Michaela pouvait à peine croire ce qui était en train de lui arriver, et que c'était à elle qu'une telle chose arrivait, tant sa propre chair s'embrasait lorsque Sully la touchait. À chaque nouvelle caresse, son cœur s'emballait d'avantage, battant à grands coups irréguliers, tandis que son corps, comme attiré par un aimant, se tendait vers lui, vers ces mains caressantes dont elle cherchait d'instinct le contact. Quand ses bras se refermèrent autour de sa taille, elle se trouva prisonnière autant de son étreinte que de ses baisers, si empreints de passion à peine contenue qu'elle en eut le souffle coupé et qu'elle faillit en perdre connaissance. Ce qui lui serait sans doute advenu, sans la sensation bien réelle, tangible, de cette pulsation sourde contre son bas-ventre qui lui signifiait sans ambages le désir de Sully. Néanmoins, son émoi fut tel que ses jambes se seraient sans nul doute dérobées sous elle, sans le soutien solide et sûr des bras de son mari.

Sully sentit sa femme trembler et s'alanguir dans ses bras, et n'eut aucun mal à comprendre la raison d'une telle défaillance. Il l'enleva de nouveau dans ses bras pour aller l'étendre sur le lit, en l'embrassant toujours avec ardeur. Puis, ses lèvres descendirent le long de son cou, la naissance des épaules, plus bas vers le creux entre ses seins, où il s'attarda un moment pour respirer les divers effluves enivrants qui émanaient de sa peau. Il ne put réprimer un autre grondement tandis qu'il se laissait griser autant par son parfum, subtil et fleuri, que par son odeur de femme, le savon à la lavande qu'elle utilisait y ajoutant une note aussi familière qu'envoûtante. C'était ce mélange redoutable qui avait bien failli le rendre fou lors de leur expédition à la concession de Harding.

Tandis que les lèvres de Sully exploraient sa poitrine, Michaela sentit ses cheveux lui effleurer les seins, là où la peau est la plus sensible, et cette sensation la fit frémir violemment, presque douloureusement. Elle en eut la chair de poule, partout, et même ses mamelons se durcirent instantanément. Oppressée et étourdie, elle eut un moment de panique en sentant ses propres réactions, ses sens, jusqu'à ses propres pensées, échapper à son contrôle. Puis, brusquement, son esprit sombra dans l'oubli de la volupté, et la tension nerveuse qui s'était accumulée en elle se dissipa pour ne laisser place qu'au désir. Chaque parcelle de peau que les mains ou les lèvres de Sully touchaient, s'embrasait, tout comme son sang dont le flot brûlant, déchainé par les battements frénétiques de son cœur, affleurait à la surface en cette rougeur si particulière qui caractérise l'appétit charnel.

Sully perçut ce changement d'attitude et s'arracha un instant à ses délicieuses explorations pour observer amoureusement sa femme. Quelle vision elle lui offrait, alanguie sur le couvre-lit, sa peau rosie par le désir; sa poitrine qui se soulevait, haletante et si attirante; ses lèvres, écarlates d'avoir été meurtries de baisers, et ses narines délicates que faisait frémir son souffle; ses yeux qui brillaient de fièvre amoureuse… Tout ce que Sully put faire pour se retenir de la posséder immédiatement fut de se détourner d'elle. Et ce fut presque désespérément qu'il se concentra sur l'action de retirer ses chaussures, son pantalon et les braies de coton qu'il portait en-dessous, se forçant à respirer aussi profondément et calmement que possible. Il lui fallait se calmer, en effet, s'il voulait pouvoir lui ôter ses sous-vêtements à elle, sans exploser ! Il ravala péniblement sa salive, tentant de ne pas se laisser envahir par le fantasme presque tangible, quasiment à sa portée, de sa femme entièrement nue et abandonnée dans ses bras.

Lorsqu'elle sentit Sully s'éloigner d'elle, Michaela reprit ses esprits avec un soupir de frustration, mais se retint néanmoins de lui en demander la raison. Elle le comprit assez vite, par ailleurs, en le voyant finir de se dévêtir complètement. Bien qu'elle ne pût le voir entièrement, puisqu'il était assis à ses pieds et qu'il lui tournait le dos, elle sentit sa gorge se serrer d'une émotion mal définie, rien qu'à imaginer à quoi ce magnifique corps viril pouvait bien ressembler dans la manifestation de son désir pour elle, ce qui lui fit monter une nouvelle vague de chaleur au visage. Les battements de son cœur n'eurent guère plus de temps de s'apaiser, que déjà Sully se tournait de nouveau vers elle, les yeux rivés sur ses pieds. Il délaça une bottine, puis l'autre… puis ses mains remontèrent le long d'une de ses jambes, jusqu'à la jarretière qui maintenait son bas de soie blanche en place. Tandis qu'il s'évertuait à dégrafer l'attache, elle sentait le frottement léger de ses doigts sur l'intérieur de sa cuisse, et son cœur bondit plus que jamais dans sa poitrine, s'arrêtant presque sous la cadence démente. Et elle trembla encore d'expectative grandissante lorsque le bout des doigts de Sully s'approcha près, tout près, de ce qu'elle avait de plus intime, là où elle n'avait jamais osé imaginer que qui que ce soit pût la toucher un jour. Cet endroit si secret qui maintenant palpitait impatiemment et semblait réclamer quelque chose dont elle n'avait pas idée, ajoutant un peu plus à sa confusion. Il lui fallait encore apprendre qu'une femme pouvait ressentir le besoin d'être satisfaite, et y parvenir au même titre qu'un homme.

Alors que le moment fatidique se rapprochait plus que jamais, le fil ténu qui retenait encore ses pensées lui rappelait tout juste ce que Dorothy lui avait dit au sujet de cette étape particulière de leur rapport. Plus sage et plus expérimentée, son amie avait cru bien faire dans sa tentative de rassurer une future mariée des plus nerveuses, en lui assurant qu'elle n'avait strictement rien à craindre, pas même la rupture de l'hymen, et que la douleur n'était guère plus persistante que la piqûre d'une aiguille. Voyant que Michaela n'avait pas eu l'air convaincue, Dorothy avait tenté une approche plus pragmatique en suggérant que de monter à cheval et galoper sans cesse par monts et par vaux comme elle le faisait depuis son arrivée dans le Colorado, il y avait fort à parier que la membrane était déjà déchirée, ou suffisamment effacée pour qu'elle n'en éprouvât qu'une gêne minime au moment où Sully et elle s'uniraient charnellement. Pour finir, Dorothy lui avait assené un dernier conseil: celui de laisser faire la nature, autrement dit de permettre à son corps d'écouter cet instinct vieux comme le monde qui poussait hommes et femmes à s'aimer.

Son esprit trop embrumé pour qu'elle eût pu déterminer si elle parvenait à suivre ou non les recommandations de son amie, Michaela ne pouvait que se soulever une seconde, par réflexe, pour permettre à Sully de lui retirer sa culotte bouffante. Le besoin ineffable de s'unir à lui était si puissant, magnétique même, qu'il surpassait la gêne qu'elle était pourtant encline à ressentir de se trouver entièrement nue et exposée au regard de son mari, regard qu'elle chercha pour tenter de le distraire du spectacle de sa nudité, et qu'elle trouva assombri. Le joli bleu myosotis des prunelles de Sully avaient à présent la teinte d'un océan tumultueux, comme pour mieux refléter le désir impétueux qui le consumait, qui les consumait tous les deux.

Le simple fait de lui avoir ôté tous ses sous-vêtements avait été, ainsi qu'il s'y été attendu, une véritable séance de torture; le besoin qu'il avait d'elle confinait à la douleur et en devenait quasi insupportable. Il n'avait rien éprouvé de tel, ni même n'en avait entendu parler. Le Corps Électrique ? Quand il s'agissait de l'attirance qu'il ressentait pour cette femme, c'était un euphémisme, car cela avait davantage la force d'un millier d'éclairs…! Il reprit ses caresses, sur tout le corps de sa femme, enfin, tour à tour déférent et possessif, cherchant ses points les plus sensibles. Il sourit avec malice, se voyant soudain comme un musicien qui apprend à maitriser son instrument. Il ne pouvait qu'espérer qu'un jour, les rôles s'inverseraient, et qu'alors Michaela lui rendrait la pareille.

S'allongeant près d'elle, Sully passa tendrement son pouce sur les lèvres de Michaela, puis y pressa un baiser, leurs bouches s'ouvrant, affamées, leurs langues se rencontrant, se caressant… Michaela frissonna plus que jamais, mais se complut très vite dans le mouvement nouveau de ce baiser charnel, le rythme duquel préfigurait clairement celui qui accorderait bientôt leurs corps. Et puis… La main de Sully glissant de nouveau sur l'intérieur de sa cuisse jusqu'à atteindre les replis de chair si tendre et sensible de son sexe, qu'il explora avec une douceur prudente et attentive. Mon Dieu… Des caresses aussi intimes troublaient son innocence au point que de nouveau, son cœur manqua de s'arrêter. Pourtant, tandis que les caresses de son amant se faisaient plus pressantes, elle ne pouvait que se laisser prendre par ces assauts voluptueux, son corps agité de délicieuses convulsions. Peu lui importait sur le moment à quel point il était inconvenant et indigne d'une dame bien élevée d'exprimer son plaisir par des soupirs et des gémissements de plus en plus forts… Elle en oubliait même qu'elle n'était même pas censée éprouver le moindre plaisir en accomplissant son devoir conjugal, ni de désespérément en vouloir davantage.

Sully ne pouvait que se réjouir de sentir sa femme réagir ainsi, sans retenue, mais cela signifiait aussi que lui ne pourrait plus se retenir très longtemps. Aussi, il interrompit son baiser, et risqua une caresse plus osée entre ses jambes, la regardant se raidir, trembler et se tordre sous l'effet de ses attouchements, observant le beau visage de sa femme refléter son plaisir, et écoutant avec ravissement le chant d'amour qu'il avait fait naître, et qu'elle psalmodiait d'une voix rauque de désir et de plaisir. Il la flatta et l'embrassa encore un peu, jusqu'à ce qu'il lût dans ses yeux, agrandis et voilés par la convoitise, qu'elle était prête, et qu'elle attendait l'étape suivante.

Bouleversée par l'afflux de sensations inédites qui l'assaillaient, et absolument incapable de contrôler sa réaction, Michaela ne pouvait rien faire d'autre que d'attendre, allongée là, en proie à une curieuse sensation de vide qui se faisait en elle, de plus en plus profondément, qui la taraudait avec insistance depuis quelques minutes, et dont son instinct l'avertissait que seul Sully pouvait venir combler ce manque. Elle se laissa faire sans opposer de prude résistance, lorsque d'une main enjôleuse, il lui écarta les jambes afin de venir se placer entre elles. Mais quand elle sentit le membre viril de son mari tout contre elle, quand elle en sentit la pulsation chaude et musquée, elle eut un gémissement étranglé. Elle le voulait en elle, il n'y avait pas d'autre moyen de qualifier ce besoin puissant, irrésistible, primaire, qui l'envahissait telle une lame de fond. Il lui semblait presque entendre ses entrailles criant leur faim de cette chair d'homme. Et surtout, le vide qu'elle avait éprouvé plus tôt se changea en une autre sensation, autrement plus déconcertante, celle de s'ouvrir comme si son corps était une fleur s'épanouissant de l'intérieur. Comme c'était étrange – et excitant !

"Prête?" Sully demanda, la voix si oppressée de désir qu'elle était réduite à un murmure rauque.

Le cœur de Michaela fit un nouveau soubresaut sous l'effet de l'anxiété mêlée d'empressement. Elle hocha la tête en assentiment et noua ses bras autour de lui, sentant les muscles tendus du dos sous ses paumes lorsque ses mains remontèrent jusqu'à sa nuque. Sully comprit que le moment était venu. Il se pencha un peu le temps de lui prendre un baiser léger, puis, dans un geste qu'il espérait rassurant pour elle, il alla chercher l'une de ses mains pour la serrer dans la sienne au moment où il la pénétra, toute son attention focalisé sur un seul but: faire que ce moment si décisif et unique se passe sans douleur ni difficulté.

"Oooh…" haleta-t-elle dans un gémissement enroué… Elle en avait oublié de se tenir prête pour affronter la douleur quasi-inévitable, et finalement, se rendit à peine compte de la brève sensation de tiraillement, tant elle était stupéfaite, émerveillée… ça y est… Oh, ce qu'elle ressentait à ce moment-là ! Il semblait la compléter si parfaitement ! Rien de ce qu'elle avait pu vivre au cours de sa vie, rien de ce qu'on n'avait pu lui dire à ce sujet, ne pouvait se comparer à cette sensation bien réelle de ne faire qu'un avec lui… alors, depuis les limbes les plus profondes de son âme, s'éveilla la certitude qu'il en serait toujours ainsi entre eux deux, comme si une partie de lui était venue s'ancrer en elle, destinée à y rester pour toujours…

Ne sentant pas de résistance comme il s'y était attendu, et comme elle ne manifestait aucun signe de douleur ni même de gêne, Sully se permit un profond soupir de soulagement. Cependant, il lui demanda, par sécurité : "tout va bien?"

Un léger sourire un peu rêveur aux lèvres, elle hocha la tête avec empressement, ce dont il se réjouit. Sans plus attendre, il commença à se mouvoir en elle, aussi lentement qu'il lui était possible, attentif aux moindres nuances des réactions de sa femme, et veillant à ne pas trop se laisser déborder par ses propres sensations. Cependant, peu importait le nombre de fois où il s'était laissé aller à rêver à ce que cela lui ferait d'être en elle, il n'avait jamais imaginé à quel point cela serait si doux, d'une chaleur si accueillante… comme si elle avait était faite juste pour lui, à la perfection. Perfection, oui, c'était exactement cela. Il l'embrassa à nouveau, encore, et encore, avec adoration, ses baisers adoptant le même tempo que leurs corps, en un rythme de plus en plus rapide et intense.

Hélas, leur étreinte s'acheva bien trop tôt dans un torrent de flammes. Tout ce que Sully ressentait – l'amour, le désir, le plaisir – le dévorait vivant et malgré sa volonté de donner à Michaela suffisamment de temps pour découvrir elle aussi le plaisir charnel, il ne put tenir plus longtemps et dut s'abandonner à l'abîme de la jouissance, dans un grondement faible, le nom de sa femme la seule chose demeurant en son esprit et sur ses lèvres avant qu'il ne sombre.

Michaela n'avait aucune idée du temps qu'avait duré cette première union. Tout ce qu'elle savait, c'est que le vertige enivrant qui l'avait submergée, cette sensation de tout son être baigné d'un soleil intérieur, s'étaient évanouis avant d'avoir atteint leur apogée, lorsque Sully ne put retarder d'avantage le moment de sa jouissance. Michaela en éprouva le même genre de vague regret qu'elle avait déjà ressenti à quelques occasions… un peu comme cette fois-là, quelques semaines auparavant, dans leur nouvelle maison, alors que la bienséance l'avait emporté sur ses envies, ou encore, l'année précédente, ce moment où ils avaient scellé leurs fiançailles par un baiser particulièrement fiévreux, sous la tente de sudation. Néanmoins, le sentir doucement frémir ainsi en elle, tandis qu'il prononçait son nom d'une voix brisée de passion, lui donna une curieuse forme de satisfaction. Elle soupira, sereine, resserrant son étreinte autour des épaules de Sully. Il transpirait abondamment, et il l'écrasait presque de tout son poids, mais elle s'en moquait éperdument. La seule chose qui lui important, ici et maintenant, c'était ce sentiment d'être à sa place auprès de lui… peut-être même, d'une certaine façon, d'être à lui.

Quand enfin Sully eut suffisamment récupéré, il roula sur son dos, entrainant Michaela avec lui, de façon à ce qu'elle trouvât blottie tout contre lui. Elle lui avait coupé le souffle, et pas seulement physiquement parlant, mais émotionnellement aussi, et il ne savait comment lui exprimer ce que cette toute première fois représentait pour lui, ce qu'elle, sa femme, représentait pour lui. Il pouvait seulement la serrer plus fort contre lui, et laisser parler son regard, empreint de tout l'amour qu'il avait pour elle.

Le soleil couchant jeta ses derniers rayons flamboyants sur le wagon, enflammant pendant un court instant la demi-clarté qui régnait à l'intérieur. Puis l'obscurité grandit, pour de bon, cette fois, encourageant les amants à prendre un peu de repos avant leur arrivée à Denver. Avant d'entamer un tout nouveau chapitre de leur vie.