Note: Cette fic a été publiée en premier sur le site d'Emeralda, qui a su me faire confiance, je l'en remercie
Chapitre 1: Innocence…
"Oscar ! Vite, réveille-toi !"
Oscar-François de Jarjayes, réveillé(e) en sursaut, dit de sa voix la plus audible:
"Qu'est-ce qui se passe, André ?
-Grand-mère t'appelle !"
Se demandant bien ce qui se passait en cette heure si matinale, elle enfila vite quelques vêtements et courut en bas…
Celle qui l'avait élevée, qu'elle considérait comme sa seconde mère, se trouvait dans la cuisine, fort occupée à s'affairer devant la table…Oscar ne vit pas quel était l'objet de son occupation avant d'en faire le tour et de voir avec stupéfaction qu'il s'agissait…d'un bébé !
La grand-mère sourit à Oscar, qu'elle considérait comme sa fille, et lui dit:
"Désolée de te tirer de ton sommeil, mais tu connais mieux les autres nobles du voisinage que moi…"
André intervint alors:
"J'étais parti chercher quelque chose quand je l'ai trouvée sur le bord du chemin, pleurant…ces langes sont très fins, il s'agit sans aucun doute d'une enfant de noble…"
La petite fille, qui venait d'être changée, gigotait en souriant dans ses langes propres…La grand-mère la prit dans ses bras, et, brusquement, la mit dans ceux d'Oscar:
"Garde-la pendant que je m'occupe de trouver un moyen de la nourrir…heureusement, il y a encore tout ce qu'il faut ici…"
Et elle gloussa…Manifestement la grand-mère était ravie de l'irruption de ce nourrisson dans la maison…mais la pauvre Oscar, bien embêtée, ne savait pas du tout comment tenir un bébé…Son trouble provoqua l'hilarité d'André et, pour bien lui montrer qu'elle était moins niaise qu'elle n'en avait l'air, elle s'assit et appuya la petite fille contre l'intérieur de son coude, comme elle l'avait vu faire par quelques femmes lors de ses passages à Paris. La petite fille avait un duvet blond sur le crâne, et de grands yeux bleu clair…elle jouait avec ses mains et souriait à Oscar, qu'elle semblait trouver très sympathique…
Quand la grand-mère revint, elle sourit et dit:
"Tu as vite compris…tu ferais une bonne mère…"
Oscar rougit imperceptiblement et rétorqua:
"Tu sais très bien que c'est impossible…"
La grand-mère, qui avait décidément réponse à tout, répondit avec un clin d'œil:
"Personne ne connaît l'avenir…"
André, pendant ce temps, observait les lettres brodées sur la couverture de l'enfant:
"Je ne connais nul prénom commençant par 'B' parmi les enfants des nobles du voisinage…à quoi cela peut-il bien correspondre ?"
La grand-mère donna le biberon improvisé à Oscar, et la pria de nourrir la petite fille…empruntée, celle-ci finit par attraper le coup de main…
Puis, repue, la petite fille s'endormit, et la grand-mère l'emmena dans le berceau même où avaient dormi les six filles du comte. Pendant ce temps, Oscar essayait, en remuant ses souvenirs, de voir si elle avait entendu parler à Versailles d'une naissance d'une petite fille dont le prénom commençait par B, mais se dit presque immédiatement que, si l'on annonce avec grand faste la naissance d'un garçon, celle d'une fille est souvent passée sous silence…Comment dans ce cas retrouver les parents de cette adorable chérubine ?
Elle décida néanmoins de faire sa petite enquête…Autant valait commencer par Versailles, qui drainait une grande partie de la noblesse française et où la moindre peccadille, même arrivée en province, se savait, ce qui donnait une énorme source d'information potentielle. De toute façon, il lui fallait s'y rendre pour passer en revue son régiment…
Remontant dans sa chambre pour y faire un brin de toilette et revêtir des vêtements plus conformes à son rang, elle se demandait encore comment une adorable petite fille avait pu se retrouver ainsi, seule, à la merci de tous les dangers. Elle savait par expérience que les routes n'étaient pas sûres, nombreux étaient les voyageurs assassinés sur les routes où la police du Roi ne se risquait plus…les parents de cette petite fille avaient-ils été assassinés ? André n'avait pas rapporté avoir vu de cadavres près d'elle…ce serait plus difficile de savoir qui elle était si ses parents étaient morts…
Elle sortit, habillée de son magnifique uniforme rouge, pour aller à Versailles, où l'attendaient ses gardes. Elle savait que la grand-mère veillerait bien sur la petite fille, elle qui avait élevé les six filles de la famille de Jarjayes.
Il n'y avait rien de très nouveau à Versailles, mais, pour une fois, elle s'intéressa aux bavardages sans fin des courtisans autour d'elle…mais aucun d'eux ne faisait état d'une famille de nobles disparue ou d'un accident survenu.
Passant en revue ses gardes, elle salua la Reine venue elle aussi les passer en revue…Faisant des gestes qu'elle avait tellement l'habitude de faire qu'ils en étaient devenus machinaux, elle réfléchissait…il y avait différents niveaux de noblesse, bien sûr, les nobles de Versailles ne parleraient sans doute pas d'une famille de hobereaux du Haut Poitou…
Mais ce qu'Oscar ne supportait pas par-dessus tout, c'était que l'on touche à un enfant, l'innocence même…
Quand elle rentra au château, la nuit était tombée…Grand-mère était assise devant la cheminée, et avait installé la petite fille sur ses genoux. Celle-ci avait l'air reposé, et observait attentivement un jouet que la grand-mère agitait près d'elle…
Oscar sourit, s'assit dans son fauteuil et dit:
"Je n'ai rien entendu dire à Versailles, je ne pense pas que j'en apprendrai plus de ce côté-là pour l'instant…"
La grand-mère dit alors d'un air triste:
"Pauvre petite ! Saurons-nous jamais qui elle est ?"
Oscar sourit gentiment au bébé et dit:
"Au moins ici elle sera en sécurité…gardons-la ici pour l'instant…"
Regardant le feu, Oscar ne vit pas le regard malicieux de la grand-mère…Depuis que le père d'Oscar avait décidé de faire d'elle un garçon, elle avait toujours trouvé que c'était un gâchis énorme…très belle, intelligente, Oscar eût éclipsé dans un salon parisien d'intellectuels nombres de femmes que l'on disait cultivées. Elle méritait d'avoir une vie normale, un mari aimant, des enfants…
Comme la grand-mère eût aimé passer ses dernières années à élever ses enfants !
Les jours qui suivirent, Oscar eut à subir la colère de son père, revenu au château pour y trouver ce bébé venu d'on ne savait où. Elle lui montra ses langes fins, et lui aussi en arriva à la même conclusion qu'elle…
"Mais à qui donc cette enfant appartient-elle ? " demanda-t-il à sa fille.
Oscar, calme, répondit:
"Je n'en sais absolument rien, Père…Vous qui vivez à Versailles, ne connaîtriez-vous pas un enfant né dernièrement dans le voisinage dont le prénom commencerait par un "B" ?
Il réfléchit un instant, mais dit:
"Non, cela ne me dit rien…"
Pourtant, bien qu'il ne le montrât pas, il était ému par le destin tragique de cette petite fille…
La petite fille resta donc au château, et fut présentée à la mère d'Oscar quand celle-ci vint en visite. Elle la trouva fort jolie et fort éveillée pour son âge, et recommanda de bien veiller sur elle…Bref, personne n'avait envie de quitter cette petite séraphine si gracieuse et si éveillée, même pas Oscar, qui se serait pourtant fait tuer plutôt que de l'avouer…tenir la petite dans ses bras, lui faire des mines lui rappelait si douloureusement ce qu'elle ne serait jamais…Ses contradictions, présentes mais avec lesquelles elle avait appris à vivre tout au long des années, ressortaient douloureusement et la forçaient à se poser des questions et à se regarder en face…Elle se disait maintenant que cela ne lui aurait pas déplu d'être mère, de donner la vie à un angelot aussi joli que l'était ce bébé…mais la réalité était tout autre: pas question d'avoir le moindre enfant, à jamais, un colonel des Gardes de la Reine n'enfante pas !
Quelques jours après, la grand-mère vint la voir alors qu'elle prenait son petit déjeuner et lui dit:
"Il faudrait tout de même que nous la nommions, cette petite…Nous avons déjà son initiale, trouvons le reste…"
André dit alors:
"Appelons-la Béatrice…"
La grand-mère fit la grimace:
"Pas ça…voyons…Benjamine, ça, c'est joli…"
Après moult délibérations, toutes les parties tombèrent d'accord sur le prénom Bertille, qui avait un petit charme désuet…
Bertille, comme on l'avait nommée, prit donc sa place dans le quotidien de la maison. Tout le personnel avait fini par s'attacher à cette petite fille si jolie et si gracieuse…Mais Oscar n'en continuait pas moins son enquête. Elle passa des heures dans les archives de Versailles, au grand étonnement de l'Historiographe du Roi, très étonné de voir un soldat plongé dans des livres d'héraldique et de généalogie…Il ne dit rien, mais elle sentit très fort son étonnement.
Mais certains des livres traitant des liens familiaux entre différentes familles de nobles du royaume n'étaient souvent pas à jour, ce qui n'aidait pas sa tâche…
Ne trouvant rien de ce côté-là, elle demanda à André de l'emmener à l'endroit précis où il avait trouvé Bertille…Elle entreprit d'examiner soigneusement le voisinage pour essayer d'y trouver un indice quelconque…
André l'appela alors :
"Viens voir ! J'ai trouvé quelque chose !"
Le quelque chose en question était un morceau de parchemin plié déchiré…bien qu'elle ne fût pas sûre de l'utilité de ce triste objet, elle décida tout de même de le prendre avec elle, on ne savait jamais.
Une fois rentrée au château, elle demanda au vieux bibliothécaire de bien vouloir essayer de nettoyer ce parchemin et de lire ce qu'il y avait dessus…c'était peut-être un indice.
Quelques jours passèrent encore, où elle fut de service à Versailles et donc logea aux casernes. Elle escorta la Reine lors d'un de ses déplacements, rencontra des ministres influents…Pourtant, ce qu'elle voit autour d'elle la préoccupe, ce mécontentement, cette pauvreté grandissants…Elle qui appartient à l'élite de la société, donc à la partie chanceuse de la population, elle ne peut s'empêcher de voir son cœur se serrer en voyant ces enfants faméliques qui mendient dans la rue…et, malheureusement, elle sait que ce sont en partie les folles dépenses de la Reine qui ont conduit le royaume à cette triste extrémité, ce qui ne l'empêche pas de lui rester fidèle et d'espérer qu'un jour peut-être elle prendra conscience de ses erreurs…
Quand elle rentra au château, son bibliothécaire l'attendait, l'air fatigué mais satisfait. Il avait réussi à déchiffrer une partie du parchemin…
Mais il ne voulait pas en parler devant tout le monde…elle l'emmena dans le grand salon, et lui demanda:
"Qu'y a t il de si grave ?"
Il ôta ses lunettes et dit:
"Ce parchemin que vous m'avez apporté est un acte de naissance, malheureusement incomplet, et de plus très récent. "
Oscar lui fit signe de continuer:
"Il ne comprend que quelques informations: Nous n'avons que les prénoms de l'enfant, Bérénice Charlotte Marie, sa date de naissance, le 5 avril de cette année, le lieu est en blanc, malheureusement…pourtant, on dirait qu'il a été effacé, mais je crois qu'avec encore un peu de travail je devrais réussir à le déchiffrer…"
Oscar sourit et remercia le bibliothécaire…tout devenait un peu plus clair dans sa tête: le "B" sur les langes de la petite fille signifiait donc Bérénice, et elle avait donc cinq mois et demi, vu sa date de naissance…
Mais de nombreuses inconnues restaient encore: quel était son nom ? qui étaient ses parents ? si le bibliothécaire parvenait à retrouver le lieu de sa naissance, ce serait sans doute plus facile de retrouver son nom…Oscar avait confiance en lui, il était au service de sa famille depuis de nombreuses années…
Une partie du rideau concernant Bertille-Bérénice se déchirait, mais il en restait encore une bonne partie, c'était maintenant à elle de jouer…
A suivre…
