One-shot écrit dans le cadre de la cent-neuvième nuit d'écriture du FoF (Forum Francophone), sur le thème "Plainte". Entre 21h et 4h du matin, un thème par heure et autant de temps pour écrire un texte sur ce thème. Pour plus de précisions, vous pouvez m'envoyer un MP !


Il y avait cette plainte qui ne cessait de résonner dans sa tête... un gémissement déchirant, ininterrompu, désespéré, qui pulvérisait le coeur de Robin à chaque inspiration. Cette plainte dans sa tête, elle lui faisait encore plus mal que tous les mauvais traitements qu'il avait subis en Terre Sainte, car là, la douleur qu'elle lui occasionnait se logeait dans son âme et dans son coeur. C'était insupportable. Cette plainte ne voulait pas le quitter.

Alors, dans l'espoir d'arriver assez vite pour l'empêcher de continuer, il dévalait quatre à quatre les volées de marches qui s'enfonçaient toujours plus bas dans les entrailles du château. Il ignorait comment le cruel shérif et sa sorcière avaient appris que Gilles était son demi-frère, mais ils s'étaient servi de lui pour l'empêcher d'aller sauver Marianne et cette perspective rendait Robin fou de rage et de douleur. Tandis qu'il essayait de délivrer sa bien-aimée, sa sorcière et son bourreau étaient là, à côté, qui arrachaient à son frère des hurlements et des plaintes de douleur tellement atroces que Robin n'avait pas pu se résoudre à attaquer le shérif et aggraver le tourment de son cadet. La mort dans l'âme, il l'avait laissé s'enfuir avec Marianne, et puis, comme un forcené, il avait essayé de parvenir jusqu'à son frère, retenu dans la pièce d'à côté, mais la sorcière et le bourreau l'avaient emporté dans leurs prisons...

A bout de souffle, le flanc scié par un point de côté brûlant, Robin défonça la porte des geôles et s'engouffra à l'intérieur. Les plaintes de Gilles heurtèrent ses oreilles, elles emplirent son coeur et firent s'enflammer son instinct protecteur qui, déjà fou de rage d'avoir entendu son frère souffrir sans pouvoir réagir, et perdu sa bien-aimée, lui fit perdre totalement le contrôle. Il se jeta en avant et, d'un coup de poing, il projeta le bourreau en arrière, l'assommant contre les pierres du mur derrière lui. La sorcière du shérif, ses yeux laiteux exorbités de surprise -ils avaient sans doute pensé qu'il se lancerait à la poursuite de Marianne au détriment de son frère, et le shérif avait dû ordonner à sa sorcière de tuer le second fils de Locksley de la manière la plus cruelle qui soit- le dévisagea, et ouvrit la bouche pour parler, juste avant que Robin ne l'empoigne par les cheveux et lui écrase la tête contre le mur. Elle s'effondra au sol en poussant un râle. L'archer ne prit même pas la peine de vérifier si elle était morte ou vive; il se dirigea en tremblant vers son frère, soudain vidé de ses forces.

Gilles gisait au sol, les mains encore emprisonnées par une chaîne qui lui avait entaillé les poignets. Le sol autour de lui était souillé de son sang, qui s'écoulait encore comme un ruissèlement de pluie de toutes les blessures qui entaillaient son corps maigre et affaibli. Il haletait en tremblant et ses yeux, opaques et remplis de terreur, cillèrent un instant avant de se poser sur Robin.

"Gilles..., commença l'archer, et ce fut tout ce qu'il put dire avant de s'effondrer à genoux sur les dalles."

Il se mit à trembler et un râle, autant de rage que de désespoir, s'échappa de sa gorge. Il crispa les poings et les abattis violemment sur les dalles, blessant dans le même coup ses phalanges et ses articulations endommagées par ses combats violents contre les hommes du shérif. Un instant, il fut tenté de se laisser submerger par son désespoir et sa rage d'avoir laissé le shérif enlever Marianne, d'avoir laissé un homme aussi cruel supplicier son frère, mais Gilles gisait toujours devant lui, se vidant de son sang et poussant dans l'air des plaintes de douleur tout bonnement insupportables.

Robin leva les yeux vers lui et tendit les mains. Elles tremblaient. Il ne savait pas comment les poser sur son frère sans lui faire mal, mais à la façon dont Gilles le fixait, de ses yeux verts remplis de souffrance et de peur, il ne pouvait pas le laisser par terre comme ça. Alors, il se rapprocha en glissant sur les dalles, et souleva le corps ensanglanté de son cadet. Le ruissellement rouge déborda sur ses doigts, sa veste et ses genoux; malgré l'effroi que provoquait en lui cette vision, il attira avec précaution son frère contre sa poitrine.

"Gilles, je suis désolé, murmura-t-il tandis que le sang de son frère coulait sur ses doigts. Je suis désolé... Je suis désolé... Ça n'aurait pas dû arriver..."

La voix de Robin s'enroua dans des sanglots, et des larmes s'échappèrent de ses yeux. A travers sa vision devenue trouble, il regarda le corps supplicié de son cadet.

"Je suis désolé, répéta-t-il d'une voix chargée de sanglots, en caressant doucement, du dos de la main, la joue de son frère. Je suis désolé, Gilles..."

Ses doigts laissèrent une traînée de sang sur la joue du jeune homme. Le sien, ou celui de son cadet ? Quelle importance... Gilles saignait de partout... Il allait... il allait sûrement mourir...

"Rob... Rob..."

Les lèvres du jeune voleur essayèrent de laisser passer le nom de son frère, mais elles n'y parvinrent pas. Il n'avait plus de force, n'était plus qu'une loque faible et sanglante étendue dans les bras de son frère.

"Pardon..., répéta Robin, et il attira la tête de son cadet contre son coeur."

Et il demeura là, à genoux sur les dalles, entouré de chaînes et de deux cadavres, à tenir son frère couvert de sang dans ses bras.

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"Chrétien...

-Hein ? A... Azeem ? Qu'est-ce que...

-Ton frère...

-Gilles ?"

Robin se redressa, hagard, le corps en feu après avoir traversé le château sans prendre le temps de se remettre de ses combats, et d'avoir perdu connaissance en position assise, à même le sol dur et inégal des cachots. Il regarda autour de lui. Les hors-la-loi avaient envahi la pièce, ils fouillaient les geôles à la recherche d'autres survivants, et il y avait Petit Jean qui soulevait le corps de Gilles dans ses bras...

"Non ! cria Robin en se redressant d'un bond. Rends-le-moi, Jean ! Je ne peux pas... Je ne peux pas le laisser comme ça, tout seul, je..."

Il s'embrouillait. Il ne savait même plus s'il croyait son frère vivant ou mort. Il voulait juste le récupérer. Le prendre dans ses bras... C'était à lui de le tenir dans ses bras !

"Chrétien ! le reprit Azeem en le ceinturant fermement pour l'empêcher de se jeter sur leur ami. Reprends-toi !

-Lâche-moi, Azeem ! Je ne peux pas le... Il doit rester avec moi !

-Chrétien ! Ton frère est vivant !

-Hein ?

-Il est vivant ! Mais il a besoin de soins.

-Il est vivant ? Il est... vivant ?

-Oui. Mais tu dois te calmer, Chrétien. Nous devons sortir d'ici au plus vite.

-Gilles... Gilles..., répéta Robin, encore et encore, incapable de croire que la providence accomplissait un tel miracle, que son frère... que son frère n'avait pas succombé à ses terribles blessures. Jean, s'il te plaît, laisse-moi... laisse-moi le porter... Je ferai attention..."

Azeem et Petit Jean échangèrent un regard. Le maure hocha la tête et leur ami remit précautionneusement le corps poisseux de sang de Gilles dans les bras de Robin. Qui le dévisagea, incapable de contenir la puissante allégresse qui envahissait son coeur... incapable aussi de combattre la souffrance et la culpabilité d'avoir perdu Marianne. Il ne savait plus exactement ce qu'il ressentait. Il était très fatigué.

"Chrétien, nous allons sauver ton frère, assura Azeem en posant sa main sur son épaule. Et nous allons récupérer Marianne. Je te le promets."