Mademoiselle M

Chapitre 1

Une énigme, un détective et un dîner.

Ce matin, Janis ouvrit les yeux sur sa fenêtre où le soleil n'était malheureusement pas encore présent en ce mois de novembre. Aujourd'hui le travail l'attendait à l'hôpital St Bartholomew's. Elle se prépara rapidement, appliqua un léger coup de mascara sur ses longs cils et se regarda dans le miroir. Son visage laissait transparaître la fatigue qui l'assaillait, des poches sous les yeux, des marques persistantes de l'oreiller sur la joue… La nuit avait définitivement été trop courte. La jeune femme bâilla une fois de plus à cette pensée. Elle prit sa brosse à cheveux et la passa dans sa chevelure obscure, qu'elle attacha rapidement en queue de cheval. Elle se retrouva quelques instants plus tard près de sa porte, une chaude veste sur le dos et une écharpe lui recouvrant le nez. Elle quitta son petit appartement londonien, alors prête à affronter le froid. Sur le chemin de son travail, Janis était complètement coupée du monde, ses écouteurs dans les oreilles, elle ne faisait pas attention à son environnement, concentrée exclusivement sur sa musique. Elle partait toujours en avance afin profiter du peu de personnes qui se trouvait dans la rue à une heure aussi matinale. N'appréciant pas tellement la foule, elle était rarement dehors. La rue qu'elle traversait était encore plongée dans l'obscurité mais rapidement, les lampadaires inondèrent le trottoir de leur lumière, laissant apparaître les maisons, encore endormies.

Le grand hôpital s'offrait enfin à elle, il n'avait rien de spécial mise à par ses façades noircies à cause de la pluie sans cesse présente dans la capitale. Janis n'était pas londonienne, ni même anglaise. Vivant en France, dans le Sud du pays depuis sa naissance, elle avait décidé un jour de tout quitter pour commencer une nouvelle vie en Angleterre. Repartir de zéro. Son pas se pressa pour entrer dans le bâtiment chaud. Il lui arrivait de regretter le climat méditerranéen de sa ville natale. Elle salua l'accueil puis se dirigea vers l'ascenseur. Elle prenait habituellement les escaliers mais le froid avait complètement engourdi ses jambes. L'ascenseur monta et Janis bâilla une fois de plus. Les portes s'ouvrirent le long d'un couloir vide, ses pas résonnèrent sur le carrelage immaculé avant de cesser subitement quand elle pénétra dans le laboratoire. En allumant la lumière, elle entendit un grognement, quelqu'un était présent dans la pièce avec elle. Une crainte irraisonnée s'installa en elle. La jeune femme attrapa alors le premier objet qui se présentait à elle, un imposant livre de science sur le corps humain. Elle déglutit, sentant son cœur s'accélérer et son souffle s'intensifier. Lentement, à pas de loup, elle s'approcha du fond de la pièce, calmant sa respiration comme elle le pouvait.

« Molly ? C'est toi ? »

Aucune réponse. Serrant le gros manuel dans sa petite main féminine, Janis avança encore et aperçut des chaussures. Au début, elle crut à un cadavre mais le pied bougea trop facilement. Encore quelques mètres et la jeune femme vit une silhouette grande et fine se dessiner sur le sol. Le bas de son corps entièrement vêtu de noir, tandis que sa chemise était de couleur violette. L'individu avait le visage pâle et les cheveux d'un jais rare orné de boucles.

« Mais qu'est-ce que vous foutez là ? »

L'homme au sol ouvrit les yeux, laissant apparaître deux iris d'un bleu glacial. Il se redressa puis contempla ou du moins jugea la jeune femme du regard avant de recevoir un léger coup de pied au niveau du mollet de la part de celle-ci.

« Oh, Holmes je vous cause ! »

Sherlock Holmes se leva entièrement. D'un rapide coup de main il ébouriffa ses boucles, ce qui avait le don d'agacer la jeune brune. Puis ses yeux froids plongèrent dans ceux de Janis.

« Cessez vos regards de déduction sur moi. Ou quoi que ce soit d'autre. Je suis et serai toujours une énigme pour vous.

- En effet. Mais un jour je saurai qui vous êtes.

- Janis Mortan, 26 ans, française, médecin légiste à l'hôpital St Bartholomew's de Londres. Point.

- Ce ne sont que des artifices. Non. Je veux en savoir plus. Vous n'êtes pas celle que vous prétendez être.

- Laissez-moi rire. »

Janis sur un air faux, fit mine de rire au nez du détective consultant. Elle haussa les épaules, cessant son ricanement puis posa le gros livre avant de croiser les bras.

« Vous n'avez toujours pas répondu à ma question. Vous faisiez quoi ici ?

- Expérience.

- Vous n'avez pas de maison ?

- Si, mais John avait un rendez-vous. Je n'ai pas voulu participer à toute cette niaiserie.»

La légiste soupira et Sherlock enfila son manteau avant de partir tel un fantôme. La jeune femme trouvait cet homme beaucoup trop prétentieux à son goût avec ses déductions à tout va. Elle souffla de soulagement quand il quitta la pièce puis elle alla devant son microscope jusqu'à ce que Molly arrive. Sa collègue entra dans le laboratoire une heure plus tard. Son visage laissait paraître une expression que Janis lui connaissait depuis un certain temps. Elle ne manqua pas de lui faire la remarque :

« Janis ! dit Molly en la saluant.

- Il est encore là lui ? dit-elle en redressant ses yeux du microscope pour regarder la légiste.

- Tu parles de Sherlock ? Oui il est là, pourquoi ?

- Monsieur a passé la nuit ici pour faire une expérience.

- Je sais, je lui ai donné les clés.

- Mais tu es folle ! Imagine qu'il fasse des... conneries ? Ça retombera sur nous ! »

Janis se montra très dure sur les agissements de son amie. Et Molly ne sut quoi répondre. Au plus profond d'elle-même elle savait que son acte était irresponsable. La jeune femme ne le connaissait pas vraiment. Mais honnêtement, qui connaissait Sherlock Holmes ? Janis voulait simplement lui ouvrir les yeux pour qu'elle s'en rende compte. Elle prit Molly dans ses bras pour la réconforter de sa dureté.

« Ce n'est pas ma faute si tu as des attirances pour les psychopathes et sociopathes de haut niveau. Nous sommes tous différents. Regarde-moi... »

Elle n'eut pas le temps de finir sa phrase qu'un homme de taille moyenne, les cheveux grisonnant, d'une quarantaine d'année entra complètement paniqué. Janis se détacha de Molly et le regarda.

« Où se trouve Holmes ? demanda-t-il. »

C'est alors le détective apparut sereinement.

« Holmes qu'est-ce qui se passe ? J'ai reçu votre message.

- Oh ça ? Je voulais juste être sûr que vous viendriez Lestrade.

- Vous êtes sérieux Holmes ! Vous fait perdre du temps à l'inspecteur. Regardez dans l'état où il est. En panique. Je n'ose même pas imaginer le message », interrompit furieusement Janis.

Dès la première syllabe tous s'étaient tournés vers elle. Janis remarqua l'attention soudaine qu'elle provoquait et détourna le regard. Une paire d'yeux l'avait mise dans la gêne. Ils se connaissaient bien maintenant mais tout de même. C'était bien la première fois qu'elle agissait ainsi devant lui.

"Allons mademoiselle Morte ...

- La ferme ! Fermez-la idiot ! Je vous ai dit quoi ce matin sur moi ? »

Le sociopathe ne dit rien et soupira, trouvant la situation pathétique. Sans prononcer un mot Holmes quitta la pièce et Lestrade lança un sourire amical à Janis en signe de gratitude. Ce sourire, la fit rougir aussitôt. Molly eu alors un petit rictus et s'approcha de sa collègue.

« J'ai compris. Nous sommes tous différents. Moi j'aime les psychopathes et sociopathes de haut niveau. Toi, les hommes plus âgés et mariés.

- Oi ! Les hommes pour qui j'avais une attirance n'étaient pas tous mariés. »

La voilà démasquée. Il fallait bien qu'un jour cela arrive. Évidemment, ce fut Sherlock Holmes qui le comprit dès le premier jour où il la vit en compagnie de l'inspecteur. Depuis plusieurs années déjà la jeune femme éprouvait une attirance pour les hommes d'âge mûr. Ce policier aux cheveux poivre et sel, aux rides présentes au coin des yeux, à la voix grave et virile et de plus, bien bâti l'avait fait fondre dès qu'elle l'avait rencontré.

La première fois qu'elle vit Grégory Lestrade ce fut un jour de printemps. Cela faisait un an qu'elle vivait dans la ville de Londres sans trouver de travail. Heureusement ses économies lui avaient permis de vivre décemment pendant tout ce temps. Elle cherchait un emploi dans un hôpital mais aucun n'avait apparemment besoin de ses services. Elle était allée demander à tous, sauf un. Il ne se trouvait pas très loin de chez elle, alors elle tenta sa chance. Entrant dans le hall, elle remarqua plusieurs agents de police en cercle autour d'une personne qu'elle pouvait à peine distinguer. Deux policiers s'éloignèrent et là elle vit un homme à terre, le visage en sang tout comme son épaule. L'un des agents, furieux, passa devant Janis et grogna sur la femme de l'accueil pour avoir d'urgence un médecin. Mais elle dut répondre non en s'excusant car le personnel était malheureusement occupé avec d'autres patients.

« Excusez-moi, je peux vous venir en aide moi. Je suis médecin. »

Il ne fallut pas la faire répéter pour qu'un agent la tire vers l'inspecteur. Elle devait faire ses preuves. L'hôpital manquait sûrement de personnel, alors il fallait qu'elle soit efficace. Sans perdre une seule seconde Janis remonta ses manches puis demanda le nécessaire aux policiers présents. Elle parvint à venir en aide à l'inspecteur. Au fil de sa pseudo-opération elle ne pouvait voir le visage de l'homme. Ce n'est qu'à la fin, une fois le fil sur son épaule retiré et un léger coup d'éponge sur son visage passé, qu'elle le découvrit. Janis eut le coup de foudre immédiatement. Elle s'en voulait à ce moment mais elle n'y pouvait rien. Elle comprit rapidement que son coup de foudre ne pouvait être possible quand elle vit l'alliance à l'annulaire gauche de l'homme. Peu importe, elle venait de rencontrer une personne à son goût. Et même si elle ne le reverrait jamais elle garderait en mémoire son visage si séduisant. Lestrade la remercia plusieurs fois puis demanda à l'accueil s'il manquait de personnel. Elle fut embauchée à l'hôpital ce jour-là. Durant 2 ans elle travailla comme médecin. Mais elle se lassa vite de cette profession et demanda à être légiste, se qui fut accordé. Elle rencontra Molly avec qui elle se lia d'amitié. En soit, avoir changé de secteur n'était pas une mauvaise idée. En tant que légiste Janis avait souvent à subir des opérations sur des cadavres pour Scotland Yard ce qui lui permit de recroiser Lestrade, qui fut surpris de la rencontrer de nouveau, dans ce domaine. Elle savait depuis ce jour qu'elle allait pouvoir revoir le séduisant inspecteur. Au début leur relation était simplement et purement professionnelle. Mais de fil en aiguille ils devinrent plus proches. Et, depuis quelques mois, Lestrade portait un regard différent sur la jeune femme.

Janis était assise sur un tabouret, son coude sur la table et sa main tenant sa tête, elle rêvassait. Elle n'imaginait pas une belle vie avec lui. Ce n'était pas réellement son genre. À quoi bon ? Simplement, elle préférait profiter des moments où ils étaient dans la même pièce pour le regarder, l'observer et examiner le moindre de ses faits et gestes. Elle se surprenait de temps en temps à se mordre la lèvre.

Un son fit sursauter la jeune femme, un fracas puis des débris tombant au sol. Janis sortit de sa rêverie, papillonnant des yeux. Il était là, dans l'entrée le regard confus.

« Bonsoir inspecteur, que puis-je pour vous ? »

Lestrade devant elle montrait une certaine hésitation. Que faire ? Parler ? Ramasser les morceaux de verres ? Ou soigner le doigt ensanglanté du policier ? Janis découvrit un tout autre visage de l'inspecteur. Elle décida de prendre en main sa blessure puis de ramasser les bouts de verre soigneusement sans se couper. Elle voyait bien qu'il était déboussolé et avant qu'elle ne s'occupe des morceaux éparpillés au sol, elle prit soin de l'assoir sur un tabouret. L'inspecteur portait un regard insistant sur la jeune légiste qui le ressentit rapidement, elle lui fit face et remarqua son hésitation par sa bouche légèrement entre-ouverte.

« Inspecteur ? Tout va bien ?

- Hum ...

- Inspecteur, avez-vous eu un choc ?

- Voulez-vous dîner avec moi ? »

En prononçant ses mots il fut rapide et clair. Tout en la fixant, ses pommettes rougirent légèrement. Janis ne trouva sur le moment, rien à répondre bien qu'intérieurement c'était un immense ''oui''. Ses yeux grands ouverts, son visage rouge, son corps fixe, le cœur rapide et retenant sa respiration, elle dut s'appuyer sur la table pour se remettre de ses émotions. Lui, un homme marié, lui demandant un rendez-vous ? Un silence s'installa dans l'immense pièce.

« Pourquoi pas ? A quelle heure ?

- Parfait... disons, 19 heures.

- Je serais là. Mais... votre femme ?

- Elle est absente pour la semaine, et l'ennui commence à venir.

- Alors j'accepte de vous tenir compagnie. »

L'inspecteur lui offrit un sourire plus ou moins timide puis écrivit son adresse sur un bout de papier qu'il arracha négligemment de son calepin. Il quitta le bâtiment et Janis se lâcha totalement. Son visage devint cramoisi immédiatement, sa main posée sur son cœur battant frénétiquement, sa deuxième main tenant le bout de papier qui tremblait sous l'excitation.

Elle ne pouvait pas en croire ses yeux. Ce soir elle allait tenir compagnie à Grégory Lestrade, l'homme qui la faisait tant chavirer.