Pour elle, il n'y avait de plus bel instant que la tombée du jour, là où les dernières lueurs du jour teintaient les lames d'un reflet doré.

Ainsi, du haut d'une des passerelles du château, elle pouvait épier à loisir les bretteurs, entrechoquant leur lame et leur bouclier sous de bruyants fracas. La plupart des gardes s'étaient délestés de leur cotte de maille, dévoilant leurs torses aux muscles saillants sous l'effort, la fine sueur drapant leur peau scintillait sous la lueur du Crépuscule. Mais la raison de cette observation, interdite, presque honteuse, n'était nullement ces hommes arborant l'emblème d'Hyrule, sous une tunique brune. C'était ce jeune homme à la chevelure aux couleurs des blés partiellement dissimulé sous une coiffe verte, à l'image des bois. La lame purificatrice fendait l'air pour se fracasser contre le fer d'une lame vulgaire, aux bords crantés par la rouille avant de la dévier habilement. Rien ne pouvait détacher ses yeux de ce spectacle envoûtant. Ah, comme elle aimait lorsque ses mèches blondes virevoltaient lorsqu'il décrivait un ample mouvement circulaire de son épée. Elle aimait aussi lorsqu'il essuyait d'un revers de sa main gantelée la sueur qui perlait sur son front, menaçant de troubler sa vue. À chaque entraînement, elle venait observer avec minutie, le visage de marbre mais le cœur en feu.

Quelle ironie. Elle, Zelda Princesse guerrière, dont la fine rapière et les flèches d'or fusaient comme le vent des plaines, se plaisait à observer un jeune homme qui ne lui était promise, comme une jeune fille en fleurs. Elle le couvait de son regard bleu d'acier, amoureusement, et lorsqu'un autre croisait son regard, ses yeux se faisaient d'acier dur et elle revêtait de nouveau le rôle de cette Altesse altière, si loin de cette femme amoureuse de tantôt. Alors ces sentiments qu'elle ne pouvait clamer, ceux qui embrasaient son cœur et faisaient flancher sa raison, rongeaient malicieusement son être. Cruel mais doux amour qui faisait tomber amoureuse la Princesse d'un gueux, comme le qualifieraient ces bourgeois gorgés d'or et d'opulence. Pauvres fous qui se mariaient par intérêt que par vrai attachement, ceux-là ne pouvaient comprendre le feu qui l'animait, puisqu'ils étaient obnubilés par leur descendance. Ces fous ne pouvaient pas voir, ni même y songer. Ils étaient bien trop vaniteux, trop portés sur les richesses, l'apparence.

La première qu'elle vit en lui, bien avant ces traits fins dignes des anges, fut sa bravoure. Ce fils de rien, cet orphelin qui vivait à l'orée d'une forêt, était celui qui était prêt à sauver leur terre là, où elle et tous les autres avaient lamentablement failli. Alors qu'elle fit tomber sa rapière sous le glas de la défaite, lui, béni des Déesses, brandit la Sainte Lame qui pourfendra les Ombres. Cette relique oubliée de tous, cette épée qui s'était enfoncée dans un sommeil millénaire, les lierres recouvrant la lame brillante nullement émoussée par le temps, l'avait reconnu comme nouveau maître. Quelle fut son étonnement lorsqu'elle le vit de nouveau paraître devant elle, la poignée pourpre de l'Épée de Légende dépassant de son dos droit. Elle retint son souffle lorsqu'elle vit le jeune Hylien, chérubin aux cheveux en bataille, dégager une mèche de sa vue. Ah qu'il était beau sous l'auréole chaude du Crépuscule…

Maître de son cœur sans en avoir conscience, ce gueux -cracheront certains - était la Terre Sainte qu'elle voudrait tant fouler ne serait-ce qu'un bref instant, les mains dénuées de ses gants satinés qui tromperaient ses sens, dissiperaient la chaleur de cette peau lumineuse ou elle ne savait quelle autre maléfice. Qu'importe les soieries, les richesses, les dorures, sa vertu… Que les Déesses elles-mêmes prennent sa vie pour lui accorder cet instant fugace. Qu'elles la dispersent aux quatre vents si telle était leur volonté, mais qu'elles le lui accordent. Le toucher de cette si-jolie peau lisse, comme celle de ses enfants gais jouant dans la citadelle, et l'annulation de ce mariage maudit.

Dès lors que cette pensée traversa son esprit, elle sentit ses doigts se crisper sur les broderies de sa robe à la teinte lavande. Maudit soit le scélérat qui aspirait à la prendre pour épouse. Un rustre abreuvé par le sang de batailles qu'ils menaient, qui n'avait de noble que de nom, et dont l'opulence n'égalait la soif de combat. Un épéiste sans pareil, lui avait-on également vanté, lors d'un de ces simulacres bourges. Fadaises ! Deux ne pouvaient porter à leur ceinture l'Épée Légendaire en un même temps ; c'était la lame divine qui élisait son maître. La Légende fut racontée ainsi et l'Histoire le prouva. Alors que ces ignorants, qui se croyaient érudits car ils avaient fait déchiffré des parchemins anciens, se taisent. Ah, si seulement elle n'était pas obligée de les côtoyer ces pauvres sots.

Si seulement elle n'était pas promise à un autre, si seulement elle était née fille de paysans, elle aurait pu goûter à ce qui lui était interdit par les mœurs.

Avec des si, on refaisait le monde disait-on ? Douces illusions. Si seulement…