Prologue

J'inspirai profondément et approchait doucement la lame de mon avant-bras. Et tout en expirant, le tranchant caressa la peau, traçant une ligne de feu. La douce brûlure était exquise, la beauté du sang carmin sur ma peau sombre me fascinait toujours.

Depuis combien de temps durait cette mascarade ?

Une éternité.

Une éternité que je trompais mes amis, ma famille, prétendant m'enfermer dans le travail –ce qui n'était pas tout à fait faux non plus, et ironie du sort, mes points en maths étaient remontés. Par contre, mes résultats dans les autres matières étaient en chute libre. Je ne parvenais même pas à me concentrer pendant les interrogations.

Si la noirceur de mon âme était visible, tous s'enfuiraient en courant, j'en étais certaine. En quelque sorte, me couper ainsi rendait visible un trouble intérieur, cependant je prenais soin de cacher également mes marques par des mitaines.

Mais il avait tout vu. Je ne pouvais pas voir ses yeux, mais j'avais vu son visage se figer. Et lui, qu'avait-il lu dans les miens ? Ma détresse ? Avait-il vu combien j'étais vulnérable ? S'était-il lancé à ma poursuite lorsque j'avais fui ?

Qu'est-ce qu'il allait se passer ensuite ? En parlerait-il ? Comment se comporter après ?

Je secouai la tête. Il n'y aurait pas d'après. Je n'avais plus aucune perspective d'avenir, je n'avais plus la force d'avancer. Quel que soit le domaine. Et j'étais également persuadée que personne ne s'arrêterait vraiment de vivre après ma mort.

Ma sœur ? Elle avait son petit ami. Mes amis ? Quels amis ? Ils m'avaient déjà oublié, j'en étais certaine. Si jamais l'un d'eux s'arrêtait de vivre, les autres le reprendraient. Mes parents ? Eux que je voyais si peu souvent ?

J'étais désespérément seule.

Pire, des gens souhaitaient ma mort, soutenant que j'étais une ordure. Je ne pouvais pas vraiment leur donner tort, mon âme était si souillée que leurs accusations en étaient vraies. Et j'en avais marre de me battre pour prouver mon innocence. Ce n'était pas moi qui…

Une nausée me remua l'estomac.

Je me penchai et vomis le maigre contenu de mon estomac par terre. Je me sentais faible, misérable, penchée ainsi au dessus du sol, un goût répugnant en bouche, tremblant de tout mon corps.

J'étais pitoyable.

Des larmes me montèrent aux yeux et je voulus crier de désespoir, mais je me contins. On aurait pu m'entendre, et je ne le voulais pas. Il n'y aurait personne d'autre au courant. Personne ne s'en doutait de toute façon, que ce soit les domestiques ou mes parents.

Ils ne voyaient pas que je ne mangeais rien le matin sur le trajet de l'école, que je ne mangeais rien non plus à midi. Le seul repas était celui du soir, et dès que je l'avais terminé, je fonçais aux toilettes, incapable de garder une telle quantité de nourriture dans mon estomac.

Je remontai ma manche en marchant machinalement vers le terrain de foot près de la rivière. Je regardai mon corps trop maigre-je mettais plusieurs couches de vêtements pour ne pas flotter dans mon uniforme- et mes cicatrices sur le bras.

Il y en avait trop, certaines avaient même disparu, depuis le temps.

Je descendis les escaliers, tranquillement, et m'assis près de l'eau. Doucement, je m'allongeai et contemplai les étoiles, indifférente cependant à un tel spectacle. Puis, j'attrapai la lame de rasoir que je portais toujours sur moi et l'observai. Il suffisait d'une ligne, plus profonde, pour que tout ce cauchemar s'arrête. Un trait sur les veines, puis se laisser glisser.

Je levai mon poignet gauche et plaçai la lame contre mes veines.

Un seul trait… Un seul geste.

Et tout était terminé.

Ma prise se renforça et la lame commença à glisser.

Un seul trait…

Que j'achevai dans un sourire, en reposant mon bras blessé dans l'eau qui très vite se teinta de rouge.

Et tout est terminé.