Sombres noces...
Le crépuscule commençait à
éclairer la cité d'Edoras.
Eowyn était
recroquevillée sur le drap en lin pourpre de son lit à
baldaquin, la tête emplie de pensées plus
douloureuses les unes que les
autres. Elle serrait contre elle sa
robe de mariage... Une robe
longue,d'un tissus de très
fin velours noir côtelé, qui lui découvrait
les
épaules. Une larme coula sur la joue de la jeune femme, pour
se
loger juste à la commissure de ses lèvres. Cette
robe appartenait à sa
mère... Elle ferma doucement
les yeux. Puis comme dans un rêve,un
brouillard d'images
floues, illustrant les souvenirs les plus sombres
de sa vie,
s'infiltra dans sa tête. Elle, blonde fillette tenant les
mains à sa mère revêtue de cette fameuse robe
noire, assistant muette
de désespoir à
l'enterrement de son défunt père... Puis ce jour où
Eomer, fort imbibé de drogue, avait envoyé quatre
hommes dans sa
chambre à coucher... Ensuite, le visage
pétrifié de Théoden sous
l'emprise de
Saroumane... Enfin, l'indifférence lue dans le regard de
ce
beau chevalier, Aragorn, qui était venu en sauveur... Elle
sentit
d'autres larmes rouler jusqu'au creux de son cou, et
songeant à la
cérémonie macabre qui aurait
lieu le soir même, elle éclata en bruyants
sanglots.
Le
visage de Grima lui apparut alors virtuellement, plus glauque et
repoussant que jamais, un rictus avide se dessinant sur ses
lèvres
exsangues.
"Pas de mauvaise blague... avait
susurré Grima au creux de son oreille.
Si vous tentez de
m'échapper, une fillette ne reverra jamais plus ses
parents..."
La jeune Rohirrim tressaillit en songeant à
ses longues main
décharnées, comme deux araignées
blanchâtres... Un frisson lui
parcourut l'échine à
la pensée de ces horribles mains courant sur sa
peau.
"Oh,
Grima, je vous en prie, ne me touchez pas... Laissez moi vivre...
Laissez moi mourir..." Sa voix s'éteignit faiblement
tout comme la
flamme tremblotante de la bougie posée à
ses pieds. Elle était seule à
présent, seule
dans le noir...
Alors, après quelques instant qui lui
semblèrent une éternité,
quelqu'un frappa à
la porte. On entra. Dans la lumière des torches
flamboyantes,
Eomer se tenait bien droit, le regard haineux. Gravement,
il
annonça :
"Eowyn, Langue de Serpent est aux portes de la
ville, il t'attend."
La jeune femme s'avança
lentement vers lui, silencieuse. Ils se
fixèrent
longuement, tout proches l'un de l'autre, puis s'étreignirent
vivement. "Mon frère" balbutia Eowyn, des sanglots
dans la voix. Main
dans la main, ils descendirent sans un mot les
marches de la cité.
Puis, arrivés devant le grand
portail, Eomer demanda vainement :
" N'as-tu toujours pas
changé d'avis ?
- Non." Répondit la dame du
Rohan d'un ton ferme.
Ils en avaient longtemps parlé
auparavant : Eowyn ne voulait pas de son
frère à la
cérémonie du mariage, elle ne voulait pas qu'il voit
ce
douloureux moment.
"Alors j'attendrai ton retour, et
chaque journée sans toi me semblera
une éternité.."
Dit-il sombrement.
La princesse se hissa sur la pointe des pieds
et déposa un léger baiser
sur les lèvres de
son frère. Ils ne se quittèrent pas des yeux jusqu'à
ce qu'Eowyn franchisse le grand portail. Dehors, Grima
l'attendait avec
une majestueuse monture. Immédiatement,
il s'approcha d'elle et sa voix
doucereuse résonna
dans la plaine.
- Bonsoir ma mie... Comme vous êtes belle ce
soir... Cependant, vous
vous êtes fait attendre... Il lui
baisa la main. Elle la retira
précipitamment, écœurée
du contact visqueux de sa bouche.
"Pardonnez-moi, murmura
-t-elle, pourquoi n'y a t-il qu'un seul cheval ?
- Nous
montons à deux, voyons... Maintenant que nous sommes fiancés,
nous devons tout partager... répondit-il, un brin d'ironie
dans la
voix. La jeune femme gémit... elle aurait préféré
éviter le contact de
Grima pendant ce voyage... Elle
n'avait cependant guère le choix. Elle
monta sur la
jument noire lentement et jeta à son fiancé un regard
plein de défi : "Très bien", dit-elle. "Alors
qu'attendez vous ? "Grima
poussa le baluchon qui contenait la
robe d'Eowyn et s'installa derrière
elle, un bras
autour de sa taille "J'aime les rebelles, siffla-t-il à
son oreille. Elle ferma les paupières et Grima donna
l'ordre de partir
à la jument, qui s'enfuit comme le
vent. Sur ses lèvres jouait un
sourire presque moqueur
.Eomer, anxieux, regardait la silhouette du
destrier disparaître
à l'horizon...
La jument filait, filait à toute allure, galopant si
vite qu'Eowyn ne
distinguait plus aucun contour réel du
paysage, mais seulement un
tourbillon de couleurs entêtantes,
qui l'hypnotisait lentement. Grâce à
ce rythme
effréné, les voyageur arrivèrent à la
tour d'Orthanc à
minuit, quelques heures après
leur départ du Rohan. La monture s'arrêta
brusquement
et Eowyn fut projetée sur le sol pierreux à trois
mètres
plus loin : elle se releva lentement, endolorie, et
se retrouva nez à
nez avec un Saroumane à l'air
renfrogné.
"- Vous êtes en retard; siffla-t-il,
glacial.
Langue de serpent fit quelques pas hésitants
en direction du magicien
et reporta la faute sur sa fiancée
:
- Bonsoir, mon cher... Excusez nous pour ce léger
contretemps... Vous
savez comme les femmes sont longues à
se préparer...
Saroumane esquissa un rictus de
convoitise... Eowyn eût alors
l'impression d'être
transpercée de milliers de lances, chauffées à
blanc. Le sorcier l'invita obligeamment à revêtir
ses vêtements de
fiançailles, dans une petite pièce
sombre, où flottait une charmante
odeur de putréfaction.
Quelques instants plus tard, lorsqu'elle poussa
la porte de la
salle pour se rendre à l'extérieur, vêtue de la
robe de
mariée noire qui ne la couvrait pas assez, tous
les regards étaient
tournés vers elle. Saroumane
murmura quelque chose qu'elle n'entendit
pas à Grima.
Celui-ci s'avança, les yeux dangereusement exorbités,
et
glissa un bras sur les épaules nues de sa
fiancée.
"Aurais-je la patiente d'attendre jusqu'à
tout à l'heure ?" Susurra
l'homme, ridicule dans son
costume de flanelle violette. La jeune femme
lui jeta un regard
dégoûté, se dégagea brusquement et il la
conduisit à
l'autel. Leur lieu d'épousailles
était une petite église délabrée, à
côté d'un cimetière aux catacombes
inquiétantes.
Enfin, Saroumane commença à
prononcer son discours officiel. Grima
rayonnait d'un bonheur
malsain, la jeune fille à son bras. Mais elle
n'écoutait
pas. Elle regardait, désemparée, la foule vibrante qui
trépignait quelques mètres en dessous d'eux. Elle
la parcourut d'un
regard las. Dans le fond de l'église,
une silhouette noire et
encapuchonnée, à peine
distinguable dans les ténèbres qui emplissaient
la
salle, différait des autres orcs. Elle scruta la capuche
noire,
essayant de saisir quelques traits de son visage. En
vain.
- Mademoiselle ? fit une voix mielleuse.
La dame
de Rohan tressaillit : perdue dans ses pensées, elle n'avait
pas entendu Saroumane l'apostropher.
- Pardon ?
rougit-elle.
- Je vous ai demandé, clama-t-il d'une
voix impatiente, si vous
acceptiez d'être la femme de
Grima Langue-de-Serpent ici présent, de
vous livrer à
lui corps et âme, et de lui obéir, jusqu'à la
fin de
votre vie ?
Eowyn sentit un flux de haine d'une
puissance phénoménale bouillonner
en elle. Elle
invoqua de l'aide intérieurement : Pitié, ne
me laissez
pas aux bras de ce barbare, faites quelque chose...
Un lourd silence s'installa. Elle baissa les yeux et
aperçut, comme au
ralenti, une goutte de sang pourpre
toucher le sol poussiéreux de
l'église : Grima
enfonçait ses ongle dans la chair de son avant bras
gauche.
Elle ne s'en était même pas rendue compte. Alors,
d'une voix
sans âme, elle souffla un oui
timide.
Une douleur sourde tintait à présent dans sa
chair. Conformément aux
coutumes, l'époux
approcha son visage de la mariée (mal)heureuse, et
l'embrassa. La princesse n'avait encore jamais ressentit
quelque chose
de plus ignoble, de plus infâme, de plus
répugnant que de sentir les
lèvres mouillées,
tremblantes et visqueuses de Grima se poser sur les
siennes. Si à
cet instant précis elle n'avait pas perdu connaissance,
elle aurait vu la silhouette encapuchonnée au fond de
l'église,
bourdonner de colère.
La jeune
mariée s'éveilla presque une heure plus tard, sur une
natte
tissée de joncs. Son époux lui avait prit les
mains et caressait son
front inondé de sueur. Une nouvelle
vague de dégoût submergea encore
Eowyn : elle venait
de remarquer que les yeux de Grima la dévorait de
perversité.
- Amour... Chuchota-t-il. Vous
voilà enfin revenue à vous.
L'émotion,
sans aucun doute...
- Bien sûr, reprit-elle d'une voix
faible.
L'émotion...
- Mais ne perdons pas de temps...
Si vous permettez, je vais vous
conduire à la forge où
nous échangerons nos alliances... Dit-il, un
sourire
perfide flottant sur son visage.
La jeune femme frissonna : que
lui avait-il encore préparé ? Il la
souleva comme
si elle n'avait pas plus pesé qu'une enfant et la déposa
une minute plus tard à l'extérieur.
Saroumane
était assis dans un trône de métal noir et
froid.
- Qu'on apporte la bague ! Clama-t-il d'une voix
impétueuse.
Alors, deux énormes Uruk-haïs
s'approchèrent, tenant chacun l'extrémité
d'une enclume. Sur cette enclume reposait un anneau chauffé
à blanc,
venant à peine d'être forgé.
Eowyn recula, tremblante. Soudain, un Uruk
passa rapidement
derrière elle et l'emprisonna dans ses bras épais
comme des jambons.
Elle connut alors un instant d'intense
panique : le deuxième Uruk, lui
saisit violemment la main.
Grima s'avança avidement, les mains
enveloppées
dans d'épais gants en cuir de dragon. Autour d'eux,
l'excitation était à son comble. Une chaleur
infernale régnait dans la
forge et la foule bruyante
poussait des hurlements inhumains. Alors
Grima planta ses yeux
glauque dans les siens et lui enfila l'anneau
encore flexible
autour du doigt. Une douleur insupportable la traversa,
elle
hurla comme elle n'avait encore jamais hurlé et tomba à
genoux,
tentant d'enlever l'anneau qui brûlait sa
chair. Hélas, geste bien
futile à présent.
La bague était désormais incrustée à
son annulaire.
Elle était livide comme la mort, déchirée
par les sanglots, agitée de
convulsions. Grima, satisfait,
la releva, humiliée et dévorée par la
douleur.
Il lui montra le simple anneau d'onyx noir que lui portait.
Ça
fait mal ? j'en suis désolé. Mais nous sommes
maintenant
absolument inséparables... Grâce à
l'éblouissante magie des orcs...
Eowyn rassembla les
dernières forces qui lui restaient et lui lança un
regard empoisonné. Vous ne me croyez pas ? Sourit-il.
Voyez par vous
même...
Il s'éloigna d'une
quinzaine de mètres. L'alliance d'Eowyn devint plus
rouge, comme un avertissement. Soudain, elle ressentit la même
douleur
fulgurante que quelques secondes auparavant... A bout de
souffle,
frissonnante de haine, elle cracha sur son mari qui
revenait fièrement
vers elle.
- Je vous hais...
souffla-t-elle avec passion.
- Mais vous venez seulement de payer
une année de mépris... Répondit
Grima,
essuyant dignement sa manche. C'est tout ce qu'il y a de plus
juste...
Pendant ce temps, Eomer avait prit le chemin du
Rohan. Et heureusement,
car s'il avait eu le malheur d'assister
à la précédente scène, il y
aurait eu
de fortes chances que Grima ne soit plus de ce monde : plus
aucun
moyen alors de retrouver la petite fille prise en otage...
Mais
Eomer était donc parti, laissant sa soeur à son triste
sort,
respectant ainsi son voeu...
Il faisait trotter son
étalon Brego, abattu, les yeux rivés sur le
sol.
Soudain il sentit la fatigue et la rancœur accumulée
au cours de ces
derniers jours remonter en lui, et il eut le
désir puissant de
s'allonger dans l'herbe douce de la
forêt de Mirkwood afin de s'y
endormir.
Vidé de
toute énergie, il fit arrêter Brego et se laissa glisser
à
terre. Le jeune rohirrim fit quelques pas lents puis
s'étala sur la
masse verte à l'abris d'un
bosquet. Il eût alors la sensation que son
esprit quittait
voluptueusement son corps, et se sentit léger... Tous
ses
soucis s'envolèrent peu à peu pour laisser place à
un intense
sentiment de liberté. La tête lui
tournait et il fut emporté dans un
tourbillon de musique :
il survolait les plaines des terres du milieu,
en dessous de lui,
la forêt de Fangorn, grandiose, et puis le château
d'or
au loin, et ses précieux donjons, qui dominait la blanche
vallée... Il apercevait même, à l'ouest, la
haute tour de Sauron en
Mordor, et à l'opposé,une
limite floue s'interposait avant la mer :
les rivages blancs...
Là où habitait le grand seigneur elfe Leowen...
Leowen... Leowyn... Leowyn... Eowyn...
Eowyn... Eowyn... Tempête
crânienne, ouragan
de douleur, tornade dévastatrice, mistral de folie,
éclair
de délire, naufrage...
naufrage...
- EOWYN ! Un cri
violent l'arracha à son fiévreux assoupissement. Il
sursauta, le front inondé d'une sueur glacée.
Des
bruits de carrosse, une voix d'homme qui hurle le nom de sa soeur,
une faible lumière qui filtre à travers le
feuillage...
Il se leva et s'avança, tremblant, vers la
lueur jaune. Un spectre se
tenait debout près d'un feu
qu'il venait sans doute d'allumer. A ses
côtés
l'infâme Grima qui tenait dans ses bras une belle endormie...
Eowyn... murmura Eomer. Soudain, ce qu'il vit lui coupa le
souffle :
Grima osait poser ses mains impures sur les courbes de
sa soeur. Le pas
était franchi, il osait la toucher.
Imprudent mais surtout gonflé d'une
haine vengeresse,
Eomer se précipita près de lui. Les yeux de Grima
s'écarquillèrent de surprise et le Nazgul brandit
son épée. Mais langue
de Serpent, déposant
la jeune femme sur le sol, s'interposa.
- Doucement,
doucement... Lança-t-il à l'adresse du spectre. Mon
cher
beau-frère à sans aucun doute quelque chose de
très important à nous
dire... N'est-ce pas,
moufflard belliqueux ? Dit-il d'une voix plein
de fiel.
Eomer
lui jeta un regard menaçant.
- En effet, ordure... J'ai à
vous parler seul à seul... marmonna Eomer.
- Très
bien. Vous pouvez disposer mon ami, fit-il froidement au
spectre.
Alors Eomer se jeta sur Langue de Serpent, un poignard
menaçant sa
gorge grise et tremblotante.
- Je vous
interdis de poser ne serait-ce qu'un doigt sur Eowyn ! Je
vous
l'interdit ! Hurla-t-il à plein poumons, arrosant
volontairement
Grima de milliers de postillons. Est-ce bien
clair ?
Grima sentit la pointe de la lame pénétrer
dans sa peau. Il fit oui de
la tête. Éclairée
par les flammes dansantes du feu, la jeune femme
soupira et
bougea dans son sommeil. Eomer reporta son attention sur la
vermine
qu'il tenait appuyé contre le tronc du chêne.
-Si
vous la... touchez, je le saurai. Je le saurai, Grima. La vérité
éclate toujours.
Et à ce moment là... je
reviendrai vous tuer... Menaça-t-il. Il était
effrayant ainsi, tout trempé de sueur, blanc de rage et
les yeux
exorbités... Grima acquiesça vivement,
secoué de spasmes, et partit
rapidement, honteux. Eomer
porta précautionneusement sa soeur jusqu'au
carrosse de
bois noir. Il l'embrassa sur le front. Elle dormait
toujours à
poings fermés, d'un sommeil imperturbable.
- Bonne
chance, petite soeur, lui murmura-t-il à l'oreille. Et il
l'embrassa encore une fois. Il aurait juré qu'un
minuscule sourire
était alors apparu au coin de sa
bouche... Puis, dans les ténèbres,
l'attelage
s'éloigna dans un nuage de poussière laissant à
nouveau
Eomer seul et sans espoir.
La lune éclairait Grima et Eowyn, marchant
seuls en direction du grand
Nord. Ici régnait une étrange
atmosphère fantomatique, sans doute due
aux rayon argentés
de la sphère...
Eowyn s'était éveillée
quelques instants auparavant, et avait ainsi
apprit que son époux
et elle prenaient la direction du Nord, pour vivre
leur voyage
(et leur nuit...) de noces. Elle avait rêvé de... Mais
de
quoi avait-elle rêvé déjà ? Elle
soupira. Dans ce pays de roc et de
glace, les souvenirs heureux
s'estompaient vite. Eowyn se concentra sur
son songe... Oui...
Eomer... Eomer lui était apparu en rêve . Eomer qui
la
serrait tendrement dans ses bras... Mais était-ce vraiment un
rêve
?... A ses côtés, Grima prenait un peu
d'avance, silencieux.
- Où allons-nous ? L'apostropha
Eowyn, d'une petite voix docile qu'elle
ne se connaissait
pas.
- Au pays du ciel de neige, amour... Lança
Langue-de-Serpent.
Le pays du ciel de neige... Là-haut,
froid pénétrant et pluies
torrentielles étaient
maîtres du jeu.
La dame de Rohan en avait déjà
entendu parler : c'était un endroit
glacial et humide,
situé... au-dessus des nuages ! Il fallait prendre
un
tunnel cotonneux et se laisser aspirer jusqu'en haut... alors vous
vous retrouviez au pays du ciel de neige où il faisait si
froid qu'un
homme n'y survivait pas. Mais pourquoi donc Grima
avait-il choisi cette
destination ?
Ils progressèrent
ainsi vers le Nord, toujours en silence, bien après
que
l'homme se soit levée. Eowyn avait faim, et Grima tombait de
sommeil. Alors ils aperçurent au loin l'entrée
d'un immense tunnel
blanc : Langue-de-Serpent attrapa le
poignet d'Eowyn et l'entraîna sans
ménagement
devant le monticule cotonneux.
- A vous l'honneur, ma
Dame
murmura Grima, essoufflé. Il la poussa vers l'entrée.
Eowyn se sentit
alors oppressée entre les murs de coton
immaculé qui se rapprochaient
d'elle avec lenteur. Puis
elle fut brusquement enlevée dans les airs,
comme par
magie, projetée à terre. Elle palpa le sol : il était
mou et
grisâtre, gorgé d'humidité. Elle
regarda autour d'elle, atterrée, ayant
du mal à
réaliser ce qui se passait. La jeune femme dût se rendre
à
l'évidence : elle était assise sur un
nuage. Soudain, une main tiède
posée sur son épaule
la fit se retourner : Grima l'avait rejoint.
Un vent glacial
surgit alors, la prenant à la gorge. Il était si froid,
si terrible qu'elle en ressentit un douleur atroce. L'air
glacé
transperçait sa robe décidément
trop légère et brûlait sa peau... Eowyn
avait
si mal qu'elle accepta pour la première fois que Grima
l'enlace .
Une vague de chaleur malsaine l'envahit
alors... Grima ne semblait pas
souffrir du froid. Bien au
contraire... Sa peau était tiède. Mais
toujours
aussi sale et rugueuse... Songea Eowyn, qui se surprit
elle-même
de pouvoir encore penser alors que son cerveau était ankylosé
par le froid. Grima dû lire dans ses pensées car il
déclara avec fougue - Oui... Comme vous le constatez,
chérie, le froid n'a aucun effet sur
moi... Pour la
simple et bonne raison que j'ai ingurgité avant notre
départ une impressionnante dose de liqueur des orques...
Un petit
sourire mauvais apparut sur ses lèvres gercées
:
- Mais vous n'en aurez pas besoin, jolie pucelle... Car vous
disposerez
de ma chaleur...
- Vous attendez sans doute une
réponse ? S'enquit Eowyn, horrifiée. Le
piège
se refermait à présent sur elle... Elle allait bientôt
devoir
s'abandonner à lui... Elle frissonna de terreur.
Grima enserra sa
taille et la souleva.
- Une réponse ?
S'insurgea-t-il. Je n'en ai guère besoin. Mais nous
n'allons pas rester ici... Dans un château tenu par
d'anciens amis
d'Isengard, notre chambre nous attend. Il doit
être tout près...
En effet, non loin de là se
dressait une tour noir, acérée de remparts
agressifs.
Eowyn remarqua que ce monument n'était pas
là tout à l'heure : elle en
était
absolument certaine. A la pensée que ce pays puisse être
hanté,
elle tressaillit... puis se reprit. Après
tout, aucun revenant ne
serait aussi inhumain que le monstre qui
la tenait déjà dans ses bras;
Grima.
Celui-ci
avança jusqu'à l'intérieur du château
noir, portant toujours
la jeune femme qui tremblait de froid.
Puis elle se dégagea et l'homme
alla parler à
l'orque qui semblait diriger tout les autres. Eowyn se
recroquevilla dans un coin de mur poussiéreux, le plus
loin possible de
tout ces visage pourris par la vermine, qu'elle
haïssait au plus
profond d'elle-même. Son corps
s'engourdissait lentement... Elle se
sentait si faible, si
impuissante... Elle avait si faim... Ne
retrouvant plus assez de
courage pour se tenir debout, elle se laissait
glisser contre le
mur, déchirant ainsi sa robe, puis s'assit sur la
pierre
glacée. Elle ferma doucement les yeux et saisit quelques
bribes
de la conversation...
Grima parlait... avec un
Uruk-haï. Certains mots parvinrent,
désarticulés,
vides de sens, jusqu'à ses oreilles :
- Chambre...
mariage... vite... plus longtemps... nourriture...
vierge... puis
un éclat de rire malsain. Ces mots sortaient de la
bouche
de Grima : Parmi mille, elle aurait reconnu cette voix blanche
et
cruelle. Puis son interlocuteur prit la parole :
- ... clé...
chambre rouge... matin... aide... elle ?
Eowyn ouvrit les yeux et
vit que l'orque qui parlait avec son époux
lançait
un regard interrogateur en sa direction. Grima acquiesça au
loin. Tout redevint flou et les paupières d'Eowyn
s'abaissèrent, malgré
elle. La dame de Rohan,
autrefois si digne, avait perdu toute fierté.
Elle
entendit un sifflement admiratif. Alors Grima revint vers elle et
la
releva d'un geste rapide. Cependant elle défaillit sur le
sol,
incapable de se lever. Grima sourit nerveusement et railla à
l'attention des orques agglutinés autour de la jeune
femme blanche
étalée par terre, dont la robe
déchirée laissait apparaître le dos nu :
- Si
elle ne tient plus debout, elle tiendra bien allongé sur le
dos !
Mais Eowyn devenait de plus en plus pâle, presque
exsangue; et son
époux, posant un doigt sur son cou,
sentit que son poux s'emballait :
son cœur battait beaucoup
trop vite. Il aboya un ordre sec qu'Eowyn
n'entendit pas, et
bientôt un orque avec un plateau de nourriture en
équilibre
sur sa main poilue arriva en courant près d'eux.
Langue-de-serpent soutint sa jeune fiancée, un plateau
posé en
équilibre sur son autre bras, et l'amena
à l'étage. Après avoir
traversé
maints et maints corridors décorés de manière
assez macabre,
ils parvinrent à une petite chambre où
tout était rouge. Les draps de
lin, le paravent miséreux,
les tentures de velours fixées au mur...tout
était
d'une intense couleur rouge.
Grima fit asseoir Eowyn sur le lit,
puis l'aida à manger. Elle avala un
petit pain de blé
noir, d'origines douteuses, une pomme bosselée, un
verre
de lait de chèvre et quelques morceaux de sucre brun. Il la
regarda se nourrir d'un air courroucé puis vit qu'elle
perdait sa
transparence, que ses joues devenait un peu moins
pâles. Il émit un
grognement de satisfaction et se
leva. Eowyn, revigorée, leva les yeux
et croisa le regard
de l'homme, debout devant elle, où brillait une
étincelle
de désir. Il la déshabillait du regard.
Alors
Eowyn sut ce qu'était la véritable terreur. . Un
frisson
parcourut le long de son échine, puissant,
douloureux. Son corps était
comme un secret qu'elle
n'avait révélé à personne... Elle ne
voulait
pas se livrer à lui. Elle ne pouvait pas. Et
pourtant, Grima s'assit à
ses côtés, posant
ses mains légèrement tremblantes sur ses épaules.
-
Allongez-vous. Dit-il d'une voix rauque.
" Eowyn, Eowyn...
Détends-toi. Ferme les yeux et pense aux prairies du
Rohan
quand elles sont en fleur, au goût de la tarte aux abricots, au
sourire de ton frère... Pense à la petite Cäemilsa,
qui va retrouver sa
liberté... Quand tu les rouvriras tout
sera terminé... Tout sera
fini... Bientôt..." Pour
se donner du courage, Eowyn parlait
intérieurement... Mais
elle ne parvint pas à se calmer et elle fut
prise de
nausée.
Comme elle n'obéissait pas, Grima dégaina
un court poignard et fendit
sa robe en deux... Tout doucement
pour ne pas lui faire mal. La jeune
femme décida de
prendre les choses en main : elle devait se rendre à
l'évidence, d'une manière où d'une
autre elle finirait dans ce lit...
Alors autant que le cauchemar
se termine vite. Elle enleva avec dégoût
la chemise
de Grima qui pressa sa tête sous son corsage avec un soupir
de
satisfaction. Pendant qu'il portait la chair tendre à sa
bouche,
Eowyn ôta son pantalon à Grima,qui, saoulé
par le désir, se laissait
faire comme un enfant. Grima
était nu à présent. La jeune Rohirrim
n'osait
même pas le regarder, de peur de s'évanouir à
nouveau. Il
releva la tête, les yeux brûlants, et se
glissa sous les draps avec
elle, en l'embrassant
langoureusement.
- Eowyn...susurra-t-il, une main caressant sa
hanche. J'attends ce
moment depuis si longtemps... Depuis le
temps où je vous ai vue assise
à côté
de votre gueux de frère, dans la salle du trône au
château
d'or... Il faisait beau, chaud, c'était
un soir d'été... Vous étiez si
belle, si
attirante dans votre petite robe à bretelles... Je m'en
souviens comme si c'était hier. Vous vous êtes
levée, provocante,
tellement sensuelle dans cette petite
robe serrée, et alors votre
regard a croisé le
mien... Et mon cœur a chaviré. Acheva-t-il d'un ton
sec.
Eowyn gémit. Grima la serra contre lui et elle ne tarda pas à
sentir quelque chose de dur effectuer de petits va-et-vient
contre sa
cuisse. Il poursuivit tout bas :
- Depuis cette
instant, je n'ai qu'une obsession : vous posséder. Et
cette nuit enfin je vais pouvoir assouvir ma passion... La jeune
femme
se débattit, impuissante. Chacune des paroles
susurrées par Grima
faisait saigner son cœur comme s'il
était criblé de flèches. Elle
tremblait de
tout son corps, de toute son âme... Et n'avait plus qu'une
envie : partir, s'en-aller et mourir loin de cet être
semi-humain qui
la salissait. Sans bruit, une larme scintillante
roula sur sa joue,
puis deux, puis trois. Grima s'en aperçut
et les essuya doucement, puis
lécha son doigt.
- Vous
devez penser que je vous déteste pour vous faire souffrir
ainsi,
amour. Et pourtant... Je vous aime. Je vous aime, belle
vierge du
Rohan... Qui ne l'est plus pour longtemps... Un
sourire machiavélique
l'éclaira. Il s'allongea
complètement sur elle, caressant ses joues
moites puis
poursuivit :
- Vous comprendrez un jour que je vous aime comme
jamais un autre homme
ne vous aimera. J'ai juste une manière
un peu particulière d'...
- Abrégez, je vous en
supplie, le coupa Eowyn dans un murmure.
- Ainsi vous êtes
impatiente, souffla Langue-de-Serpent en descendant
dangereusement
ses mains vers son ventre.
- Bien sûr... Impatiente d'en
finir ! Cria-t-elle.
Grima sursauta brusquement et glissa soudain
ses bras sous elle,
l'enserrant comme un étau. Après
tout, si elle ne voulait pas de lui,
c'était son
affaire, songeait Grima. Le principal était qu'il puisse
disposer d'elle à volonté, et c'était le
cas. Alors, dans un râle de
plaisir, il s'empara de son
corps.
Il faisait
jour quand Eowyn se réveilla. Dans un demi-sommeil, elle
se
demanda vaguement où elle était et ce qu'elle
faisait ici, mais fut
rapidement ramenée à la
réalité quand ses yeux se posèrent sur l'homme
qui dormait à ses côtés. C'était
fait. Une forte migraine à la tête ,
elle se leva,
emportant avec elle le drap de lin qu'elle noua autour de
sa
taille. Au coin de la pièce gisait une immense glace rouillée.
Eowyn
s'en approcha lentement et lança un regard triste
à son reflet.
Immobile, elle se dévisagea,
désabusée. Ses yeux étaient rougis d'avoir
versé tant de larmes et ses cheveux blonds un peu emmêlés.
Mais elle
s'en moquait éperdument. L'étoffe
glissa soudain sur le sol et Eowyn
n'amorça aucun geste
pour le retenir. Ce qui lui importait c'était ce
corps
nu, le sien, souillé, abusé, humilié. Ces
adjectifs sonnaient
douloureusement à l'intérieur
de son crâne. Toutes les images de la
veille refirent
tout-à-coup surface dans son esprit : les baisers
mouillés
de Grima, ses caresses, ses paroles ensorcelantes, ses regards
enfiévrés... Une douleur insoutenable la prit à
la tête, et elle vomit
par la fenêtre. Elle se pencha
un peu, désemparée, et laissa la pluie
fine et
glacée la laver de ses pêchés. C'était
si doux... Comme si
cette douce fraîcheur la purifiait. Un
souffle de vie dans ces heures
si sombres...
Elle enjamba le
rebord de la fenêtre et sauta souplement sur le toit;
puis
s'allongea, laissant la bruine couler sur sa peau."La chose"
était
faite. Accomplie.Subie.Terminée. Alors,
étrangement, un mince sourire
se dessina sur ses lèvres.
Elle avait réussi. Dans quelques instants,
elle saurait
l'endroit où la pauvre Caëmilsa était retenue
captive. Et
alors, libre comme l'air, elle rentrerait au Rohan,
briserait les liens
du mariage, heureuse d'avoir sauvée
une vie, fière. "Fière ?"
chuchota une petite
voix désagréable dans sa tête. Non... sa fierté,
sa
dignité, ce qu'il y avait de plus précieux au
creux de son être,
étaient partis en fumée
avec sa virginité... Oui, mais elle était libre
tout
de même. C'était fait. Libre ! Libre !
Définitivement
débarrassée de cette ordure
de Grima, de ses sourires gras, de ses...
gestes..
C'était
fait.
A suivre.
