Les vacances me laissent du temps pour écrire et j'aime ça. Je voulais depuis longtemps écrire sur Scott et Peter et je suis contente d'en avoir fini avec eux. Quels amours ! Ce n'est pas du bête Peter/Scott comme je le voulais à l'origine, mais quelque chose d'un peu bizarre, des allers-retours entre deux personnages qui s'essaient, qui s'apprennent. Un caprice différent, d'autres réponses possibles à leur relation. Trois chapitres en deux parties chaque fois, un par semaine je suppose ; je situe ça comme six scènes éparpillées, des instants piochés, peut y avoir des semaines, des mois entre les différents instants. De l'implicite, beaucoup. N'hésitez pas à poser vos questions et bonne lecture à tous !
Fenrir en chiale encore
I.
Un cri, rauque, puissant : « La chienne ! »
Et encore « La chienne ! la chienne ! », il hurle en s'effondrant sur son pieu, comme si s'étouffer le visage dans les coussins dénouera la boule d'élastique qui lui garrotte le corps entier, comme s'il prenait son billet vers un monde sans cet air piquant pour lui ruiner les intérieurs.
Mais le tissu qui lui rentre dans la gorge se fait massacrer par les canines en réflexe, et déjà ce ne sont plus que des lambeaux de coton sur sa langue, des ficelles de draps entre les dents, putain de loup, putain de loup. Il reprend son souffle, tousse, s'enfonce plus profondément dans le matelas. L'électricité statique hérisse ses cheveux en architectures délicates. Sa trachée est gonflée, comme titillée par la pointe d'un stylo-plume : le sang et l'encre, bleu-rouge, schéma anatomique ! Le goût amer, ou non, c'est l'acide qui lui bouffe les muqueuses ! C'est Allison en reine de mort, couronne en lames de rasoirs, c'est sa langue qui ne viendra plus jamais râper son palais pour soigner sa bouche malade. Putain, putain ! La chienne !
Scott hoquète, le souffle lui manque. Ses griffes fermement agrippées aèrent le lit d'épaisses perforations. Le tissu s'effiloche un peu à chaque tremblement, on parlerait presque de convulsions si l'expression n'appelait pas de paire la gueule clichée d'un médecin de show télé. Scott chiale en gloussant, les pleurs lui raclent la gorge, il manque vomir ses entrailles en même lieu que sa rage folle.
« La chienne m'a tué ! Tué ! » s'étrangle-t-il carrément en relevant la gueule une seconde, comme en werewolf hurlant à la lune sur les falaises de BH. « La chienne, la chienne m'a tué… »
La crise a comme pelé sa voix pour n'en laisser qu'un noyau ridicule, trop aigu ; elle s'éraille et se défonce, entrecoupée de sanglots piquetés de lames, elle est pyramide en ruine, elle est piaf qui perd ses pennes. Scott geint comme une pleureuse sur une chemise noire trempée de mer salée, lèvres bleues du fils, plage sicilienne. Scott a perdu son corps, Scott en eaux est en train de mourir. Le reste n'existe pas, il n'y a que la chaleur du nid contre sa trombine, l'oxygène qui s'engloutit trop vite et le laisse à ses suffocations. La garce, la garce et lui seul. Seul ! Scott seul crève. Il n'entend pas sa mère grimper les marches à toute vitesse, entrer dans la chambre sans prendre la peine de frapper, les yeux larges, la panique aux lèvres.
« Scott ? Scott, bon sang, Scott ! Il se passe quoi, Scott ? »
De longs doigts aux ongles courts le cueillent dans son chagrin ; deux pouces sous le menton, trois qui déforment les joues, les auriculaires en suspension tendus dans l'air. Une cage pour son visage de gars brisé, et ses larmes coulent sur les barreaux, et les sanglots font flageoler l'édifice nouveau.
« Scott ! Scottie, bébé, qu'est-ce qui ne va pas ? Qu'est-ce qui ne va pas ? » débite Melissa en pressant la face de son enfant, en palpant toute la peau qui lui vient sous les paumes, en vérifiant sans retenir la moindre information la fièvre, le pouls du garçon.
La mamá a un masque d'horreur. Les cils bruns bordant ses yeux en bouquets n'ont aucune vague pour les submerger, car la peur est trop grande. Elle respire à toute vitesse. L'angoisse de son petit s'est trouvée résonnée en son propre corps sitôt qu'elle a entendu les cris et l'escalier martelé de douleur ; c'est la sueur de son fils qui coule sous sa blouse d'infirmière, c'est sa trouille qui fait pulser son cœur.
Ils sont deux et un, c'est comme une piéta mexicaine de cheveux noirs et de cœurs fendus.
Mais Scott n'a plus de mots en bouche pour rassurer sa mère, d'ailleurs il n'est plus assez dans le vivant pour seulement penser à la rassurer : il n'a aux oreilles que des épines, des phrases tueuses, des cimeterres exotiques prêts à dépecer pièce par pièce l'entièreté de son être. C'est l'enfer, partout l'enfer, et la conscience qu'il a de sa mère se limite à ce que la crise veut bien lui laisser : un étau de plus autour du corps (« Scott »), des prières incessantes qui sonnent entre le chant grégorien et la litanie satanique (« chéri »), les longues boucles noires qui se collent à sa peau trempée (« Scott ! »).
Il tousse encore, la pomme d'Adam qui grimpe et se coince.
Entre ses yeux qui clignent, le visage de sa mère lui apparaît et lui fait peur. Il les referme, aimerait les savoir scellés à tout jamais. De la cire brûlante. Oui ! En reniflant, il s'agrippe enfin au corps qui le tient, niche son museau dans le creux du cou. L'odeur relevée, épicée, le change des parfums printaniers d'Allison, qui s'alignent en verres polis sur les étagères. Il respire toujours la bouche ouverte, haletant comme un louveteau assoiffé. Les secousses ébranlent la fusion familiale de temps à autre, puis s'espacent doucement. Melissa se mord les lèvres comme si elle voulait se les arracher, et le sentiment qui la noie tient presque de la phobie.
« Ca va aller, Scottie. Ca va aller… »
C'est en enfant de deux ans, garçonnet aux genoux écorchés, qu'il pleure maintenant dans les bras de sa mère.
Sans oser dire quoi que ce soit, sans parvenir à quitter l'étreinte quasi fœtale, il pleure ; son grand corps de pantin de dix-huit ans emballé dans les bras tremblotant de sa mamá, Scott chiale et chiale.
Allison est une chienne.
II.
« Elle dit qu'elle comprend pas. »
Une semaine que la colère le perce, le troue si fort qu'à côté de lui Saint Sébastien passe pour un comédien total.
« Elle dit que c'est pas ça. Elle dit des tas de conneries, elle me démolit carrément. Elle parle de son père et elle s'arrête en se mordant les lèvres parce qu'elle sait que ses arguments sont à chier. Elle dit qu'il n'a rien à voir avec ça, en fait, qu'elle aurait fait pareil sans lui. Elle dit non, et que je sorte, que je la laisse. Elle dit non, et presque, que je meure. Elle ponctue tout ça de petits s'il te plaît, Scott, du genre invocation de pitié parfum vomi. Moi je chiale, et elle, elle : « s'il te plaît, Scott ».
— Et il te plaît pas ? »
Les prunelles de Scott s'improvisent mitraillettes. Allongé sur le canapé, la nuque à cheval sur l'accoudoir, Peter mord avidement dans une pêche jaune à faire chialer de jalousie le moins prolo des vendeurs de couleur. Le fruit crache son jus dans un bruit presque obscène, suinte sur ses dents pour les peindre d'un or collant de sucre. L'ancien alpha essuie sa figure empoissée d'un geste du poignet, les sourcils haussés à la Hale.
« Quoi…?
— Elle m'a dit non. Sur un ton de pièce de théâtre, elle m'a dit non.
— Et alors quoi ? » le pique Peter en levant les yeux au ciel. Le fruit coule de plus belle sur son menton, mais le suc se fait gober par sa langue de passage dans le coin. « Arrête de faire comme si elle avait, je sais pas, moi, vendu votre enfant ou une saloperie du genre ! T'as putain de dix-huit ans, Scott. Elle en a dix-neuf. C'est encore plus dingue que toi, toi tu comprennes pas ! Elle a même pas à te dire oui. Je veux dire, elle te doit rien. C'est une fille libre, Allison est une fille libre. »
Les yeux durcissent encore. Les dents se serrent tellement autour du goulot de la bière qu'il est en train de vider que le plus âgé croit que le verre va lui péter dans la bouche, que les bris coupant vont se planter dans ses lèvres en tranches et qu'il faudra les lui retirer à la pince à épiler comme on déploie les ailes froissées d'un papillon de collection. La scène douillette a des airs de scène religieuse ou familiale. Peter s'imagine sans difficulté agenouillé devant l'enfant. Scott le regarde, derrière ses lèvres esquintées on aperçoit sa langue repliée, qu'il ne sait pas où ranger. Le sang a tâché ses dents, il coule sur son menton en minces filets qui rappellent l'hémorragie délicate du front épiné du Christ… Mais Scott s'essuie à son tour la bouche du revers de la main, d'un geste qui fait penser qu'il se tord la mâchoire du même coup, et le fantasme disparaît. La bouteille vide tinte sur la table en verre du loft.
« Tu comprends rien, » crache-t-il habillé de toute l'amertume du monde, grimace en masque, narine qui grimpe de dégoût. « Tu sais pas, » en secouant la tête avant de se lever. « Tu comprends rien et je vois même pas pourquoi je te parle de ça, » en esquissant deux-trois moulinets avec ses bras engourdis, des ersatz de lancers qui rappellent à Peter des souvenirs de baseball à Beacon Hill Highschool.
« Alors pourquoi tu me racontes ça ? »
L'adulte goguenard touche aussi juste que les vieilles balles de Derek au square, que ses doigts à lui en cavale sous les jupes des cheerleaders, celles-là qui lui laissaient leurs odeurs de charcuterie sur les mains et lui claquaient le poignet lorsqu'il lâchait l'idiotie de trop.
« Ton hyperactif de meilleur ami est barré en vacances ? Laisse-moi deviner, avec mon crétin de neveu ? »
Le sourire du loup est vainqueur, élastique. Il ne retombe pas lorsque Scott enchaîne, en se passant les deux mains dans les cheveux :
« Lâche-le. Rentre chez toi, t'as rien à foutre ici.
— Excuse ma répartie mais toi non plus, mon grand, il me semble pas que t'aies signé le bail… Alors sois aimable, tu vides le frigo de Derek en silence, moi la coupe de fruits que Stilinski s'obstine à remplir en croyant que son steak sur pattes de copain va bouffer sainement, et tu me lâches deux secondes. T'étais comme ça avec Allison, aussi ? Ca aide à comprendre pourquoi ça s'est fini comme ça. »
La pièce pue le mâle à en crever. L'odeur est montée d'un coup, le musc animal s'est répandu partout pour tapisser les murs, imbiber les coussins, enrober les peaux comme la sucette dans le caramel. L'appart devient jungle, et Peter a à peine le temps de balancer Scott contre les briques pour l'empêcher de lui offrir un collier aux perles sanglantes. L'ado se redresse à moitié dans la poussière, tousse un coup sans que son regard ne faiblisse. Ses yeux ressemblent aux assiettes sales de boue et de paillettes des chercheurs d'or les plus tenaces.
Peter s'avance d'un pas lent, impertinent, et s'agenouille face à lui dans une position qui ne parvient pourtant pas à lui faire perdre de sa superbe. Sa main chope celle de l'enfant, qui sursaute doucement au contact. Il sent en agrippant la peau l'hésitation qui gonfle dessous, mais Scott choisit à raison de ne pas réitérer l'attaque et reste à terre. Peter se sert des doigts puissants du garou pour essuyer la goutte écarlate qui tombe de sa lèvre fendue. Il la lâche sans ménagement. Il profite sans cas de conscience de la théâtralité de l'instant pour murmurer :
« N'en veux pas à Allison, tu ferais une connerie. Tu peux pas l'emmerder avec tes lubies de mariage alors que vous êtes à peine sortis du lycée, c'est trop terrible, on croirait que tu la marques d'un sceau pour prendre en pute la séparation de fin d'année.
— Tu comp…
— Rien, je sais. Et ça change rien. Même si t'as fait ça parce que tu l'aimes vraiment, parce que c'est ce qu'on t'a appris ou je sais pas quelle autre connerie. Alors tu rentres chez toi, et tu files prendre une douche. Tu sautes dans ton costard et même si tu ressembles à un Beatles satiné, même si t'as personne d'autre que ton Stiles sous caféine au bras, tu vas à ton bal à la con comme un mec. Tu douilles dans tes chaussures trop serrées comme tout le monde. Tu profites de ta dernière nuit parmi les loosers de ton lycée, t'applaudis la Reine en fronçant les sourcils parce que tu l'as jamais vue de ta vie. Tu laisses passer les petits fours devant ton nez en rageant de pas réussir à en choper. T'essayes de te soûler au punch et tu sors du gymnase à l'heure des slows. »
Impossible de savoir si c'est le bleu polaire des yeux de l'aîné qui a soulagé ceux de Scott de leur or en feu, si c'est ce sang séché sur le coin de sa main ou le discours tellement terre à terre qu'il a dû faire s'évaporer une partie des océans de la planète, mais l'odeur enivrante en suspension dans l'air est morte, dead comme le démon. Scott se relève en s'époussetant, marmonne un « Laisse tomber » fatigué et sort du loft en laissant sa bouteille derrière lui.
Peter ricane en aparté et se laisse tomber sur son canapé dédaigné le temps de la brouille, la bière oubliée à la main. Il fiche le verre frais dans le creux de son cou, laisse les gouttelettes imbiber le col de sa chemise.
« Va, fiston, » déclare-t-il dans le vide. « Va. »
Il espère que son mordu de héros romantique préfèrera la sobriété de la cravate de soie noire déposée sur son lit plutôt que le nœud pap en velours bleu de son costume de location.
I : Scott meurt / II : Peter mère
Allison aussi est au centre de cette histoire. J'entends vachement de gens se plaindre d'elle alors que je la trouve assez extra, déjà avant la saison 3, alors maintenant c'est carrément une déesse ! Pas une chienne. Pas une chienne, Scott.
(Edit : Je viens de voir le final 3a – après avoir écrit toute cette fic, donc les délires de Peter alpha non merci. Je devrais juste écrire un article entier dessus tellement j'ai de choses à lui reprocher, à reprocher à cette saison 3 entière au final. Teen Wolf reste un de mes shows préférés, coude à coude avec Supernatural, et la saison 3 a eu ses passages formidables ! Mais j'ai de grosses déceptions et ça craint.)
