Poney, je t'aime !
Il aimait les flacons. Il les adorait. De toutes les formes, de toutes les couleurs. Car de la même manière que deux âmes identiques n'existent pas, deux flacons identiques n'auraient pas leur place dans une telle collection.
Dès leur acquisition, quand ce n'est pas lui qui les crée lui-même, il les observe à la lumière, d'un air songeur, puis les place sur telle ou telle étagère. Il n'est jamais satisfait de son rangement. Souvent, il en prend un, le dépoussière délicatement et le berce. Le flacon dans les bras, il se balance dans son grand fauteuil et raconte des histoires : ce sont souvent les histoires des vies qu'il a recueillies dans sa caverne jalousement préservée. Les autres le prennent pour un original, pour un fou, mais après tout, ne le sont-ils pas tous ? Et puis, ils savent bien qu'aucun autre ne pourrait faire ce travail.
Une clochette de mythril tinte. Il se lève de son fauteuil à bascule. De nouvelles vies lui sont confiées. Une grande bataille fait rage, là haut, et les têtes couronnées tombent aux cotés de paysans boueux. Il en a l'habitude. Il a tenu en ses mains l'âme de chaque roi, de chaque reine...
Couronne ou non, les flacons sont distribués comme lui le décide. Tout le monde aura le sien. Il tient entre ses mains l'âme d'un maraîcher gondorien, tombé sur le Pelennor... mais il se moque de son histoire et de sa vie, non, ce qui importe, c'est sa teinte grise, d'un très joli gris. Alors, après avoir longtemps hésité, il le verse dans un petit flacon de cristal, finement ouvragé, serti d'un petit saphir. Flacon en main, il déambule parmi ses étagères, lui cherche la place idéale. Il finit par le placer entre Boromir -flacon en forme de boucle- et celui d'une jeune femme du Belfalas morte en couches plus de dix ans auparavant ; il ne se souvient pas de son nom, mais peu importe, son petit flacon vert lui a toujours plu.
A Theoden, en revanche, il en attribue un opaque, sans fioriture. C'est loin d'être son préféré, mais c'est une petite vengeance. Manwë veut que tous les rois soient placés ensemble, et triés par famille, dédaignant tout coté esthétique. Soit, les rois reposent ensemble, mais surtout, qu'on n'en espère pas d'avantage. Il ouvre la porte d'un petit placard dans le noir et le place à coté d'un autre, couvert de poussière, celui de Thengel. Puis, il ressort, veillant à bien refermer la porte derrière lui, que nul improbable visiteur ne puisse penser que certains de ses flacons ne sont pas bien beaux. Le collectionneur a sa fierté.
Et Mandos plus que n'importe quel autre. Mettre la mort en bouteille est le plus beaux des arts, et ça, Manwë semble incapable de le comprendre. De toute façon, il a toujours eu mauvais goût. Autant s'amuser à ses dépends une fois de temps en temps. Mandos ricana.
