Une histoire qui me trottait dans la tête depuis 2008, tout comme son prologue. La découverte de plusieurs fics où Light se voyait retirer son chromosome Y pour en gagner un deuxième X au passage avait titillé ma curiosité, sans que je parvienne pour autant à en trouver une qui soit à mon goût, en tout cas à cette période.
Ma tentative d'écrire l'histoire que j'aurais aimé lire en ce temps, en espérant que d'autres pourront l'apprécier.
Au niveau des avertissements : En dehors d'un érotisme que j'espère maintenir léger, l'histoire comportera plusieurs scènes de tortures psychologiques.
Love the way you lie.
Prologue
Celui qui combat les monstres doit prendre garde à ne pas devenir monstre lui même. Quand on contemple les abysses, les abysses vous contemplent en retour.
Friedrich Nietzsche
Le combat contre le mal est semblable au combat contre les femmes...qui s'achève au lit.
Franz Kafka
Soichiro Yagami était trop essoufflé pour articuler la moindre excuse à son épouse. À quoi bon marmonner des excuses, de toute manière ? Cela ne changerait rien au fait qu'il avait été absent lors de la naissance de son tout premier enfant.
Si l'inspecteur n'avait pas laissé ses sentiments l'aveugler lors de la capture de ce tueur en série, le mari…non, le père laissait à présent libre cours à sa rage, sa rage contre celui qui s'était interposé entre lui et son enfant, lorsqu'il avait ouvert les yeux sur le monde pour la toute première fois.
Une rage qui fût instantanément dissipée par l'expression radieuse de son épouse, tandis qu'elle berçait doucement…son fils ?
Son fils… Il avait eu neuf mois pour se préparer à cette idée, et pourtant, il continuait d'être rongé par les doutes tandis qu'il observait sa progéniture. Non pas qu'il puisse soupçonner Sachiko d'avoir accueilli un autre homme dans son lit. En dehors de lui, Dieu seul pouvait savoir à quel point elle avait toutes les raisons de le faire, ne serait-ce que pour faire expier ses fautes à un policier exemplaire…et un mari déplorable, qui ne rentrait au domicile conjugale que fort tard, et s'allongeait dans son lit pour dormir plus que pour exprimer sa tendresse à son épouse.
Mais sa chère et tendre ne lui avait jamais fait de reproches, que ce soit de manière explicite ou implicite. Non, elle l'avait toujours aimé tel qu'il était, pour ce qu'il était, et n'avait jamais essayé de le remodeler d'une quelconque manière pour en faire un époux plus adapté à ses désirs.
Quand bien même des reproches auraient pu assombrir ce visage, ils avaient été totalement éclipsés par le petit ange qui reposait contre le sein de sa mère.
Cet enfant qui faisait déjà rayonner le visage de ses parents… Dès le premier jour de son existence, il se montrait digne de son prénom atypique.
« Light… »
L'émotion qui avait fait vibrer la voix du policier fût suffisante pour détourner une mère de son enfant. Un sourire plissa les lèves de Sachiko tandis qu'elle contemplait le visage hébété du père de son enfant.
Au cours de sa vie, elle n'avait jamais vu une telle lueur briller dans son regard, que ce soit au cours de la confession d'un policier faisant ses premiers pas dans sa brigade, ou même au cours de sa nuit de noce, et des nombreuses nuits qui l'avaient suivi.
Elle aurait du être transpercé par une pointe de jalousie, mais non, au lieu de cela, elle sentit sa joie monter d'un cran. Sachiko était déjà une mère fanatique, dévouée corps et âmes à sa nouvelle divinité, le petit être qui reposait dans ses bras, voir son mari partager pleinement sa foi et sa dévotion était le plus doux des présent qu'elle puisse imaginer sur le moment.
« Tu es en retard. »
S'il y avait eu un reproche pour se dissimuler dans cette remarque, il avait été enrobé d'une telle couche d'amusement et de tendresse qu'il en avait perdu tout tranchant, il n'en fit pas moins toussoter un policier, tandis qu'il refermait la porte de la chambre d'hôpital qu'il avait brusquement ouverte, dans sa hâte de rattraper son retard.
Une multitude d'excuses remonta la gorge de l'inspecteur, pour se presser contre les lèvres tremblotantes qu'il n'osait pas écarter, elles furent instantanément absorbées dans les abysses que contemplait le père de famille, des abysses qui le contemplaient à son tour, les yeux d'un nouveau né.
« L…Light… »
Il avait encore des difficultés à saisir pleinement la signification nouvelle de ce mot, non, de ce nom.
« Mon…fils. »
Des mots plus explicites mais qui n'en demeuraient pas moins vide de sens, enfin non, ils débordaient de sens plutôt.
« Ton fils ? »
Soichiro eût un pitoyable sourire d'excuse.
« Pardon, notre fils. »
Des paroles qui furent loin d'avoir l'effet escompté, au lieu de dissiper l'amusement de son épouse, elles semblèrent l'intensifier.
« Notre fille. »
Le petit être avait déjà sérieusement ébranlé le monde de l'inspecteur, mais le constat de sa mère le fit voler en éclat. Ce n'était pas du désespoir ou de la déception qui se refléta dans les yeux du père, juste de l'égarement.
« Notre…fille ? »
S'il en jugeait au visage de son épouse, elle ne s'amusait pas à le taquiner, elle avait juste énoncé un fait auquel il allait devoir s'adapter.
« Quel dommage que j'ai n'ai pas d'appareil photo pour immortaliser ce moment. Rien que pour ta tête, cela valait la peine de conserver l'ambiguïté pendant tout ces mois. »
Tapotant légèrement la joue de son mari, Sachiko la caressa avec douceur l'instant suivant.
« Allons, cela ne change pas grand-chose, non ? Et dois-je te rappeler l'une des raisons qui nous ont poussé à choisir ce prénom ? Il conviendrait tout aussi bien à un garçon…qu'à une fille. »
Même s'il acquiesça, Soichiro demeure décontenancé. C'était déjà assez difficile de se faire à l'idée qu'il serait le père d'un enfant, mais s'il fallait en plus que ce soit une fille. Pendant quelques instants, le policier s'interrogea sur les raisons de son embarras.
Après tout, il devrait faire face au même difficultés, quel que soit le sexe de son enfant, le temps qui lui serait arraché par sa profession, un temps qui aurait pu être rempli par des anniversaires, des fêtes de noël, ou simplement assister à un match de football où son fils arracherait les applaudissements de la foule.
Bon, il fallait revoir ce dernier stéréotype, il était le père d'une fille, pas d'un fils, en tout cas pour l'instant.
Un héritier qui prendrait la relève lorsqu'il partirait à la retraite après des années de bon et loyaux service ? Il fallait y réfléchir à deux fois avant de faire une croix sur ce rêve qu'il avait caressé, les temps étaient en train de changer, et lorsque ce petit être serait en âge de rejoindre les rangs de la police,ce serait avant tout sur ses compétences qu'il serait jugé.
« Non, tu as raison, ça ne change pas grand-chose… En fait, ça ne change rien… »
Oui, il suffisait de le…de LA regarder pour le comprendre. Cette lueur d'intelligence qui pétillait déjà dans ces petites yeux enfantins, elle allait illuminer le monde entier.
Light, tous les obstacles qui se dresseraient devant elle, cette lumière allait les rejeter dans l'obscurité, ce monde si ténébreux qui provoquait parfois le désespoir d'une policier encore idéaliste, elle allait le faire briller de mille feux.
Pendant un instant, la honte éclipsa l'orgueil d'un père. Un court instant seulement, il sentait, sans pouvoir se l'expliquer, qu'il avait donné naissance à quelque chose qui le dépassait, qui allait le dépasser un jour, quelque chose qui aurait un impact sur la vie de chaque habitant de cette planète, pas seulement celles de ses parents.
Soichiro n'avait même pas besoin de poser des mots sur cette intuition, un simple coup d'œil sur le visage de son épouse le lui confirmait, elle partageait pleinement son opinion, sans qu'il ait besoin de la lui expliquer.
Non, vraiment, fille ou garçon, Light était appelée à une destinée que ses parents n'auraient jamais pu imaginer dans leurs rêves les plus fous…ou leurs cauchemars les plus atroces.
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Aux yeux d'un observateur extérieur, Soichiro Yagami serait apparu comme un criminel, un criminel essayant de cambrioler sa propre demeure. En tout cas, un criminel n'aurait pas déployé moins d'effort que lui pour rendre sa venue la plus silencieuse possible, il n'aurait pas été étreint par une angoisse supérieure à la sienne chaque fois qu'un bruit résonnait autour de lui, un bruit qui aurait pu éveiller ses victimes.
C'était… Non, il était minuit passé d'après la pendule qui lui faisait face. Cela avait été le cinquième anniversaire de son tout premier enfant, et il avait été absent. Totalement absent, sa voix n'avait pas résonné une seule fois dans cette maison, au cours de cette journée unique, une journée unique qui venait de passer et ne se reproduirait pas.
Le matin, il était parti de bonne heure, sans avoir le temps d'embrasser son épouse ou de souhaiter un bon anniversaire à sa fille. Il ne lui avait toujours pas souhaité d'ailleurs, même par l'intermédiaire d'un téléphone.
Et pourtant, il avait tout fait pour éviter cela. S'il était parti trop tôt, c'était pour éviter de rentrer trop tard, pour éviter de se donner mauvaise conscience tandis qu'il quitterait son lieu de travail un peu plus tôt, au lieu d'y effectuer des heures supplémentaires, des heures qui n'était pas toujours comptabilisé du reste, ce n'était pas pour arrondir ses fin de mois qu'il demeurait loin de son propre foyer.
Tout cela en vain. Un prévenu avait arraché son arme de service à une jeune recrue, avant de prendre un civil en otage, une prise d'otage qui avait monopolisé le temps, l'attention et l'énergie d'un commissaire jusqu'à la fin de la journée, oblitérant de sa conscience la fillette qui attendait sa venue.
Oh certes, le policier était ravi, un criminel dormirait aux frais du contribuable ce soir tandis qu'un innocent reposerait sur un lit d'hôpital, pour une blessure légère. Le pire avait été évité.
Mais le père de famille était envahi par le dégoût, si le commissaire avait fait son devoir, il s'était montré indigne du sien.
S'écroulant sur le fauteuil qui lui était réservé, Soichiro laissa échapper un soupir tandis qu'il tendait la main vers le verre qui avait été disposé à son attention, sur le guéridon. Un verre de son whisky préféré, à côté d'une assiette contenant une part de gâteau, un gâteau surmonté d'une bougie.
Comme on pouvait s'y attendre, aucune flamme ne vacillait au sommet de cette bougie, un enfant l'avait soufflé en son absence, à moins qu'elle n'ait laissé la flamme agoniser quand elle avait compris qu'une personne manquerait à l'appel ce soir.
S'il pouvait attribuer le verre d'alcool à Sachiko, elle avait appris à le connaître après toutes ses années, qui l'avait complété par cette part de gâteau ? La mère ou sa fille aînée ? Et quelle signification devait-il donner à ce présent ? Était-ce une accusation ? Ou bien le signe qu'il était d'ors et déjà pardonné pour ses fautes, le signe qu'il avait été présent au cours de cet anniversaire, qu'il y avait eu sa place, et qu'il aurait toujours sa place de père auprès de sa fille ?
La seule personne en mesure d'éclaircir ce mystère…était là, en pyjama, un verre d'eau à la main. Malgré son épuisement, les nerfs du policier étaient encore à fleur de peau après la crise qu'il venait de traverser, aussi manqua-t-il de sursauter devant le regard glacial de sa propre fille.
Un visage innocent mais qui n'avait rien de candide, des yeux qui n'étaient pas illuminés par la tendresse, ni obscurcis par la colère. Soichiro n'était pas accueilli par une fillette débordante d'amour, et il n'était pas non plus en train de faire face à une enfant gâtée. Non au lieu de cela, il faisait face à un juge, un juge dont le verdict silencieux était limpide, elle était déçue, déçue de ce père qui n'avait pas comblé ses attentes.
Lorsque ses enquêtes l'avaient entraîné à fréquenter des membres de la haute société, le policier avait contemplé des enfants traités comme des rois, et agissant en conséquences, leurs désirs étaient des ordres, et un refus opposé à un de leurs caprices était traité comme un crime de lèse-majesté.
Plus souvent, le lieu d'un crime se situait dans un quartier défavorisé, Soichiro y avait croisé de nombreuses petites âmes en peine, trop terrifiées pour adresser des reproches aux parents qui les maltraitaient, sans avoir pour autant la force de dissimuler le désespoir qui se reflétait dans leur regard, un désespoir qui était la plus terrible des accusations, une accusation dépourvue de haine ou de médisance, simplement l'expression sincère de la plus profonde injustice.
Mais Light ne se situait dans aucune des deux catégories, son attitude n'était pas celle d'un enfant-roi, et son regard n'était pas celui d'une victime.
Cela ne faisait qu'accroître les difficultés du père de famille, un enfant gâté, on pouvait le remettre en place, un enfant terrifié à l'idée que ses parents puisse l'abandonner, on pouvait le rassurer et le réconforter, mais un enfant comme Light…
« Bon… »
Bonsoir ? C'était mal parti pour être un bon soir.
« …anniversaire, Light. »
Mieux vaut tard que jamais, non ?
« Nous sommes le 29 janvier, papa. Mon anniversaire est passé, c'était hier qu'il fallait me le souhaiter. »
Pas la moindre trace de colère ou de rancœur dans ce murmure, elle ne faisait que constater un fait, et elle invitait son interlocuteur à en tirer toutes les conséquences logiques.
Un soupir écarta les lèvres du chef de famille, ouvrant le chemin à des mots.
« J'aurais voulu être auprès de toi, hier, pour te le souhaiter à temps, mais… »
Light secoua la tête.
« Si tu avais voulu, tu aurais été là. »
Dès qu'elle avait été en âge d'exprimer ses opinions, la petite Yagami avait fait preuve d'une curiosité insatiable. Rien d'étonnant en soi, c'était une caractéristique commune à la plupart des enfants. Malheureusement pour ses parents, elle avait complété cette curiosité par une logique qui n'était pas celle d'un enfant, ce qui n'avait pas manqué de déstabiliser bien souvent un policier et une femme au foyer. Impossible de fuir dans un monde imaginaire, pour s'y mettre à l'abri des sempiternelles questions enfantines. Light avait exprimé une véritable haine des contradictions, et elle voulait faire ses premiers pas sur un terrain stable, un sol aussi dur que du roc, certainement pas du sable.
Si on lui marmonnait un pieux mensonge, tel celui des cigognes déposant des nouveaux-nés à la porte des maisons, la fillette ne mettait que quelques minutes à en tirer toutes les conséquences logiques, avant de les pousser jusque dans leurs derniers retranchements, jusqu'au point où les mensonges se déchiquetaient d'eux-mêmes devant la force de cette intelligence précoce.
Si on lui fournissait des réponses vagues ou incomplètes, Light mettait immédiatement en lumière les zones d'ombres et exigeait des éclaircissements.
Essayer de faire preuve d'autorité, en lui répliquant qu'elle était trop jeune pour poser certaines questions ? Elle contre-attaquait aussitôt en exigeant qu'on le lui démontre.
Si elle ne pouvait pas comprendre avant d'avoir vu ou vécu certaines choses, ses parents pouvaient les lui expliquer, non ? Apprendre certaines choses pouvait la faire souffrir ? Mais elle pouvait être confrontée à ces choses malgré la volonté de ses parents, et dans ce cas, un manque de préparation ne ferait qu'accroître ses souffrances. Certaines connaissances pouvaient la pousser à se mettre en danger, ou à mettre les autres en danger ? Mais c'était le manque de connaissance qui nous poussait à nous rapprocher du danger, et à attirer les autres vers le danger.
Pour peu qu'on lui dise où il ne fallait pas aller, et pourquoi il ne fallait pas s'en rapprocher, elle ferait de son mieux pour éviter le danger, elle n'était pas idiote tout de même !
Les deux parents avaient fini par capituler, Sachiko parce qu'elle était l'esclave de ce petit démon qui lui apparaissait comme un ange, Soichiro parce qu'il avait compris qu'il ne servirait à rien de confiner ce petit prodige dans une chambre trop étroite. Si le policier avait imposé des limites aux actions de sa fille, il n'en avait pratiquement imposé aucune à ses questions.
Et s'il se réjouissait de l'esprit critique de sa fille, malgré les problèmes que cela lui posait, Soichiro s'inquiétait néanmoins de l'amour excessif de son unique enfant pour la logique.
Ils vivaient dans un monde qui n'était pas toujours logique ou même cohérent, Light haïssait les incohérences et les contradictions, le policier avait craint le moment fatidique de la confrontation, et il semblait arrivé.
Dans l'esprit de Light, les désirs se traduisaient nécessairement en actions, un écart entre les deux signifiait donc l'absence de désir, et si l'écart entre les mots et les faits n'était pas comblé par des explications, elle résoudrait la contradiction en affirmant qu'on lui avait menti. Un enfant normal aurait fini par oublier le mensonge, ou admettre que ses parents n'étaient pas parfaits, mais avec la petite Yagami, les conséquences d'un petit mensonge pouvaient être catastrophique.
Soichiro connaissait par avance la conclusion que Light tirerait de ce mensonge. Si ses parents lui avaient menti une fois, qu'est ce qui les empêcherait de recommencer ? D'ailleurs, qu'est ce qui lui prouvait que toutes les réponses qu'ils avaient donné à ses questions…n'étaient pas d'autre mensonges ?
Après avoir siroté une gorgée de son whisky, le policier se redressa, avant de quitter son fauteuil pour se rapprocher de celle qui le traitait comme un prévenu plus que comme un père.
Regardant son accusatrice les yeux dans les yeux, Soichiro toussota avant de marmonner sa propre plaidoirie, une plaidoirie qui ne susciterait peut-être pas la clémence du juge, mais elle aurait au moins le mérite de ne contenir que la stricte vérité.
« Light, il faut parfois faire des choix dans la vie, et certaines choses sont plus importantes que d'autres. »
« Qu'est ce qui est plus important que moi ou maman ? »
Ni un reproche, ni une accusation, simplement une question, une question n'exprimant qu'une seule émotion, la curiosité.
Après avoir ravalé un soupir en songeant à son épouse, qui semblait avoir souffert de son absence plus que sa fille, le policier s'agenouilla pour être à la même hauteur que son enfant.
« Même si j'ai été absent lors de ton anniversaire, je suis là devant toi, et je serais encore là demain, et tout les autres jours. Pendant que nous parlons, un homme est dans une chambre d'hôpital, un homme qui a des parents, des amis, peut-être des enfants. D'ici quelques jours, il pourra les revoir… Ils pourront le revoir. Si jamais j'avais été là, à te regarder souffler les bougies de ton gâteau, au lieu d'être resté au commissariat, il n'aurait peut-être jamais revu ses proches… »
« Il serait mort. »
Ce n'était pas une question. Il était inutile de dissimuler la réalité à Light, que ce soit à travers des mensonges ou en limitant sa perspective, elle n'oubliait jamais ce qu'on lui avait appris, et savait reconstituer l'ensemble du puzzle à partir des quelques pièces qui étaient à sa disposition. Soichiro ne savait pas s'il devait s'en réjouir ou non.
« Oui, il serait mort. »
Pendant quelques secondes, le silence demeura entre le père et l'enfant, avant qu'une petite voix tenue ne le brise.
« Tu savais que maman serait malheureuse si tu étais absent, et tu savais aussi que je serais déçue de ne pas te voir, alors que tu m'avais promis d'être là. »
Elle ne se comportait pas comme un inspecteur interrogeant un suspect, mais comme un juge énumérant devant l'accusé les preuves irréfutables qui étaient sous ses yeux. Toute négation aurait été un mensonge, et si Soichiro était loin d'être un mari et un père de famille exemplaire, l'hypocrisie et la complaisance devant ses propres fautes étaient exclues de la liste de ses défauts.
« Oui. »
« Mais tu as tout de même choisi de sauver la vie de cet homme. »
Le policier baissa légèrement la tête, pour dissimuler son sourire désabusé à sa fille.
« J'imagine que tu m'en veux d'avoir fait ce choix, n'est ce pas ? Ce serait compréhensible, tu sais. Tu peux même me le dire franchement, je ne te jugerais pas. Je n'ai jamais demandé à avoir une fille parfaite, et je serais mal placé pour le faire. Tout ce que j'exige, c'est un enfant qui serait honnête avec moi…tout comme je le suis avec elle. »
Même si Soichiro semblait porter toute la misère du monde sur ses épaules, une fillette de cinq ans n'eut aucun mal à soulever ce fardeau d'une seule main, la main qu'elle posa sur les cheveux de son père pour le forcer, doucement mais fermement, à relever la tête.
« Pourquoi est ce que je t'en voudrais ? Tu as fais le bon choix. »
Soichiro fût estomaqué, autant par les mots de sa fille que par leur sincérité.
« Maman était triste aujourd'hui, mais tu as tout le temps qu'il te faut pour la rendre heureuse à nouveau. Tu n'étais pas là hier, quand je voulais que tu sois là, mais tu a été là quand quelqu'un avait besoin de toi. Demain, je ne serais pas la seule petite fille à avoir son papa à la maison, mais si je t'avais eue avec moi, juste un jour de plus, une autre petite fille ou un autre petit garçon n'aurait pas eu son papa demain, ni le jour d'après, ni le jour qui aurait été après. »
Light tira la conclusion qui découlait de ses propres paroles, avec la même expression que si son père lui avais demandé d'additionner trois chiffres et de lui donner le résultat.
« Tu as fait quelque chose de mauvais, mais grâce à ça, tu as évité quelque chose d'encore plus mauvais, donc, tu as fais quelque chose de bon. »
Décontenancé par le verdict du petit juge, Soichiro demeura silencieux avant de poser les mains sur les épaules de sa progéniture.
« Light… »
« Pourquoi est ce que tu pleures ? Tu as fait une bonne chose, hier, no… »
La fin de la question fût absorbée par un gémissement, tandis qu'un commissaire avait refermé les bras sur le dos de sa fille, pour comprimer ce petit corps frêle contre le sien, et enfoncer son nez dans la petite chevelure soyeuse.
Une petite fille gâtée par un père trop faible aurait fait semblant de comprendre le dilemme tranché par un commissaire, une petite fille normale n'aurait compris qu'une seule chose, la tristesse de son père, et si elle aurait acquiescé pour lui faire plaisir, elle n'aurait réussi à effacer ni la tristesse, ni l'incompréhension qui aurait brillé dans son regard. Mais Light… C'était de la joie qui avait brillé dans les yeux de ce petit prodige, une joie que ses parents avaient appris à déchiffrer. La joie d'avoir établi une connexion entre deux pièces de ce puzzle, deux pièces qui ne pouvaient pas s'emboîter l'une dans l'autre l'instant d'avant, le bonheur d'avoir supprimé une zone d'ombre de son petit monde, le plaisir d'avoir appris quelque chose.
Aveuglé par sa fierté de père et l'émerveillement légitime devant le prodige qui lui devait son existence, Soichiro en oublia une chose.
Chaque fois qu'une nouvelle donnée pénétrait dans la conscience de Light, elle s'empressait d'en tirer toutes les conséquences, absolument toutes, jusqu'au point où la nouvelle idée aurait prouvé sa fragilité ou sa solidité face à l'intelligence qui l'étirait indéfiniment. Au cours des ans, elle ferait de même avec la nouvelle idée que son père avait implantée dans son cerveau fertile, cette nuit là.
Une idée que Light jugerait suffisamment solide. Tellement solide que le monde réel lui semblerait bien fragile en comparaison.
Si on envisageait les choses dans une autre perspective, une corde démontrerait finalement sa fragilité en se rompant net, à force d'être étirée à l'extrême : l'esprit d'une jeune fille qui briserait tout les liens existant entre elle et l'humanité. Pour un nombre non négligeable de personnes, cette jeune fille aurait pénétré dans un monde réservé aux divinités, pour le reste des hommes, elle aurait franchi une autre frontière.
Celle qui marquait la distinction entre le génie et la folie, les convictions et le fanatisme…le bien et le mal.
