Quand Noël prend un tout autre sens…

CHAPITRE 1

Appuyée contre la rambarde du balcon, emmitouflée sous plusieurs couches de vêtements, Charlie laissait son regard se perdre dans le gris froid de l'immensité de l'océan devant elle. Ses doigts de pieds glacés lui faisaient terriblement mal, au point qu'elle se demandait si elle n'allait pas perdre ses orteils, et l'air glacial qui pénétrait dans ses poumons la gelait de l'intérieur mais tout cela importait peu à cet instant : elle ne pouvait s'empêcher d'admirer le paysage devant elle, de s'en repaître encore et encore sans assouvir la faim de merveille et de splendeur que lui inspirait la cité en cet instant. Dame Atlantis avait revêtu ses habits d'hiver et ainsi parée de ses plus beaux atours, elle scintillait sous le pâle soleil de l'aube. Un épais manteau de neige immaculée recouvrait la cité silencieuse et paisible au petit matin. Atlantis sommeillait encore : nous étions dimanche et le Docteur Weir avait décrété une journée de congé pour le plus grand plaisir de tous, aussi, une grande partie du personnel profitait d'une grasse matinée aussi rare que méritée, et seuls les ronronnements de la cité au minimum de son activité s'élevaient monotones et apaisants brisant le silence hivernal.

« Vous allez attraper la mort, major, » s'éleva la voix du docteur Beckett derrière la jeune femme. Charlie observa le médecin en chef avec un sourire amusé : une doudoune rouge, un bonnet péruvien bleu orné d'un pompon, une écharpe de couleur identique et des gants de ski, Carson avait une allure loufoque tandis qu'il se dandinait d'un pied sur l'autre en se frottant les mains l'une contre l'autre pour tenter vainement de se réchauffer. « Oh ce froid ! » s'exclama-t-il en soufflant dans ses mains. « Il doit faire moins vingt ! »

« Moins quatre, Carson, » rectifia Charlie. « Vous êtes de garde, vous aussi ? »

« Oui, les autres avaient vraiment besoin de repos, » répondit-il comme une évidence. Carson Beckett, pensait Charlie, était de ces personnages étonnants et incroyablement attachants : d'un dévouement sans bornes et doué d'une empathie dépassant l'entendement des simples humains, le docteur Beckett - le major Baxter en était sûre - était le meilleur des hommes. « Et puis, la journée ne sera surement pas très chargée. Quelques bleus et engelures pour ceux qui retomberont en enfance : la neige à ce formidable effet de nous faire redevenir des enfants pour quelques heures, » soupira le médecin avec un air de nostalgie.

« Ajoutez à ceux-là, ceux qui n'auraient pas encore compris que chercher à occuper Ronon quand il s'ennuie est une très mauvaise idée, » ajouta la jeune femme moqueuse, tirant un rire franc de son compagnon. « J'en ai moi-même fais les frais. Il n'est jamais épuisé ? »

« Pas depuis que je le connais, » affirma Carson. « Rien ne semble pouvoir l'abattre. »

« Pourtant, il est comme nous tous : de chair et de sang. Tout le monde a un point faible, une faiblesse qu'un ennemi exploitera pour mieux nous abattre, » rétorqua le major d'une voix basse, égarée dans ses pensées. « Ronon l'ignore encore c'est tout. »

« Avez-vous déjeuné, Charlie ? » s'enquit Beckett que le silence songeur et soucieux de la jeune femme avait mis mal à l'aise. Au hochement de tête négatif du major, il lui proposa sur un ton enjoué : « Alors que diriez-vous de m'accompagner au mess ? Une telle journée doit démarrer avec un bon petit-déjeuner dans l'estomac ! Comme disait mon grand-père : un sac vide, ça ne tient pas debout ! »

Charlie accepta la proposition du docteur avec plaisir et les deux amis se dirigèrent lentement vers le mess, en profitant du trajet pour discuter de tout et de rien. Une fois arrivés à destination, Beckett prévenant, remplit deux plateaux de pancakes, café et jus d'orange et ils s'attablèrent en silence profitant de la sérénité bien rare qu'offrait la cité presque vide ce matin là.

« Vous savez ce qui me manque le plus ici ? » intervint le colonel Sheppard en les rejoignant un plateau à la main. « Noël ! » soupira-t-il bruyamment avec un air nostalgique.

La déclaration de John fit écho auprès de Carson dont le visage s'illumina soudain, à la manière d'un Rodney pris d'une nouvelle idée brillante : « Mais voilà une excellente idée ! » s'exclama-t-il avec enthousiasme avant de quitter subitement la table pour se précipiter hors du mess. John et Charlie se regardèrent déroutés, puis, le colonel reprit d'un ton égal :

« Chic j'adore les cadeaux. »

« Ça ne vous inquiète pas vous, cet air Rodneysien ? » l'interrogea la jeune femme. « Je serais curieuse de connaitre l'idée qui lui a soudain traversé l'esprit. »

« C'est Carson, » raisonna le militaire, « quelque soit son idée, elle ne fera de mal à personne. »

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« Elisabeth ! Elisabeth ! » s'écria le médecin en courant après la leader d'Atlantis.

« Carson, que se passe-t-il ? » s'inquiéta le docteur Weir en voyant arriver son médecin en chef essoufflé.

« J'ai eu une idée ! »

« Une idée, vraiment ? »

« Noël ! » s'exclama Carson un air ravi et enfantin sur le visage.

« Pardon ? » demanda Liz de plus en plus perplexe.

« Fêtons Noël ! » précisa Beckett de plus en plus enthousiaste. « Cela serait idéal pour remonter le moral des troupes : pour beaucoup d'entre nous, cela fait longtemps que nous n'avons pas revu nos proches et passer les fêtes loin des nôtres nous rend tous moroses : alors fêtons Noël, ici sur Atlantis ! Notre premier Noël dans la cité ! » s'emballa-t-il totalement convaincu par son idée. « En plus il neige ! »

Elisabeth ne put s'empêcher de sourire amusée par l'engouement de Carson et n'y voyant pas la moindre objection, trouvant même l'idée excellente pour le moral du personnel, ne put qu'accéder à la requête du médecin : « C'est une formidable idée Carson. Mais je n'ai vraiment pas le temps de m'occuper de ça, j'ai … »

« Des rapports à lire, je sais, » soupira Beckett avec une moue désapprobatrice. « Je m'occupe de tout. Je vais demander au docteur Lung de prendre ma garde et … enfin si vous êtes d'accord, » s'interrompit brusquement le docteur en réalisant qu'il prenait des décisions qui somme toute ne lui appartenaient pas.

« Vous avez carte blanche Carson, » lui assura le docteur Weir. « Si je parviens à me libérer, je viendrais vous aider. Comment comptez-vous vous organiser ? » s'informa Weir.

« Hé bien, pour commencer avec votre permission Elisabeth, je vais d'abord informer le personnel. »

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« Et donc j'ai juste à parler dans mon micro et toute la cité m'entendra, c'est ça Chuck ? » grésilla la voix amplifiée du docteur Beckett dans les haut-parleurs de la cité. « Mais vous ne pensez pas que je vais réveiller… Oh je suis déjà sur haut-parleurs ! Bonjour à tous ! » cria-t-il à travers Atlantis. « Oh oui bien sûr je n'ai pas besoin de crier… Toutes mes excuses, mon garçon. Chers habitants d'Atlantis, j'ai la joie de vous annoncer que la cité se prépare à un événement exceptionnel qui, j'en suis sûr, mettra de la joie dans le cœur de chacun. Atlantis va fêter son premier Noël ! »

« Il est sérieux ? » s'exclama Charlie en lâchant sa petite cuillère tandis que John recrachait son jus d'orange inondant son plateau.

« Noël ? » les interrogea intriguée Teyla, attablée avec eux.

« C'est une fête terrienne, » expliqua John entre deux quintes de toux.

« C'est une fête religieuse, qui célèbre la naissance du messie. Un prophète, si vous préférez, » compléta Baxter devant l'air perplexe de l'Athosienne. « A cette occasion, de manière générale, nous nous réunissons avec nos proches pour partager un repas et des cadeaux. »

« C'est une très bonne idée, » répondit la jeune femme.

Pendant ce temps, Carson n'avait pas cessé de s'étendre sur les valeurs et les bons sentiments de Noël, et expliquait la manière dont il souhaitait organiser l'événement et n'avait visiblement pas l'intention de s'arrêter en si bon chemin :

« … docteur Zelenka – merci Radek – va lancer un programme aléatoire de tirage au sort pour la distribution de cadeaux, dont le résultat vous sera envoyé sur vos boîtes mails respectives. Ensuite, » continuait inlassablement la voix enjouée du docteur Beckett, « les diverses taches à remplir pour que cette fête soit exceptionnelle seront affichées sur les différents panneaux prévus à cet effet dans la cité : tous les volontaires seront les bienvenus ! Et je suis sûr que… Comment Rodney ? » s'interrompit-il. « Oh je vous ai réveillé, je suis vraiment… Mais enfin Rodney, je n'ai pas terminé de… »

Puis, ce fut le silence radio jusqu'à l'intervention de Chuck :« bien heu… pour plus de précisions, adressez vous directement au docteur Beckett. Attention docteur McKay, vous allez lui faire mal ! »

Puis le silence abasourdi s'abattit de nouveau sur la cité, laissant tout le personnel ébahi.

« Eh bien voilà un programme qui m'a l'air fort intéressant, » commenta Teyla brisant le mutisme stupéfait de ses compagnons.

« Ouais. Je sais pas vraiment de quoi il s'agit, mais au moins ça va nous occuper, » intervint Ronon en les rejoignant. Charlie se senti rosir quand le Satédien la frôla pour tirer la chaise voisine et s'installer à ses côtés. « N'importe quoi, » s'admonesta-t-elle se sentant ridicule.

« Vous avez raison, Ronon, » répondit la voix douce et posée de l'Athosienne. « Et puis ce sera surement très intéressant d'en apprendre plus sur les coutumes de votre peuple, » ajouta -t-elle en s'adressant à John et Charlie encore muets. Le premier de surprise la seconde de gêne.

« Toute façon, plus personne ne veut s'entrainer avec moi, alors… » grommela Ronon.

« On se demande bien pourquoi, » répliqua John en sortant enfin de son mutisme. « Ce n'est pas Charlie qui dira le contraire, hein major ? » ajouta- t-il moqueur en jetant un regard équivoque à la jeune femme.

Celle-ci se contenta de fusiller son supérieur du regard et s'entêta dans son silence songeur. L'idée de passer la journée à préparer une fête qu'elle redoutait de célébrer loin des siens ne rencontrait pas beaucoup de succès auprès d'elle. Mais la conversation gaie qui s'animait à sa table sous l'impulsion d'un John visiblement emballé par tous ces préparatifs, l'obligea à reconsidérer sa position. Après tout Carson avait raison : ils étaient loin de chez eux, de leurs proches, dans une galaxie bien éloignée de leur Terre natale, redoutant constamment l'attaque de Wraiths ils avaient bien besoin d'un peu de baume au cœur. Aussi, s'efforça-t-elle d'y mettre du sien et elle se résolu à prendre du plaisir dans ces activités. Charlie suivit donc ses compagnons vers le tableau d'affichage le plus proche pour se mettre immédiatement à l'ouvrage, John souhaitant montrer l'exemple et motiver tous les autres à se lancer dans l'aventure. L'intérêt de Ronon et Teyla fini même par convaincre les plus réticents – hormis le docteur Kavanagh, réfractaire à toute activité de groupe – à participer. Rejoins par Rodney, les cinq comparses décidèrent de s'atteler à la confection de décorations, avant de rejoindre à quatorze heures l'équipe qui partirait en exploration dans l'optique de trouver un ou plusieurs arbres faisant office de sapins.

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Ce fût seulement à treize heures que Charlie pût enfin revenir à ses quartiers, épuisée mais un sourire réjoui et enfantin accroché aux lèvres : la confection de décorations de Noël avait vite dégénéré, et les boules et guirlandes artisanales s'étaient mises à voler à travers le mess, reconverti pour quelques heures en salle d'activités manuelles. La comparaison du docteur Weir à son arrivée sur les lieux était tout à fait pertinente : elle les vit alors comme des enfants au milieu d'un centre aéré, des papiers des couleurs étalés partout, de la colle plein les mains et des créations pour le moins originales. Charlie sourit en y repensant et en se remémorant la bataille rangée qui avait suivi quand le lieutenant colonel Sheppard taquin avait lancé une boulette de papier sur la leader. La première d'une longue série. D'un coup toute la salle s'était animée d'un même élan et l'activité déco s'était transformée en bataille rangée. Tables et chaises furent renversées pour servir de barricades, les plateaux se muèrent en bouclier pour les uns, en raquette pour ceux qui renvoyaient les projectiles. Une sorte de paint-ball géant se mit en marche : les filles prenant l'initiative, s'armèrent de pinceaux et barbouillèrent joyeusement leurs collègues masculins qui ne tardèrent pas à riposter. Ce fût le chaos le plus complet dans la salle, et aucun des deux camps ne voulait abandonner la partie. Rodney fut le premier à se retirer en rouspétant quand le docteur Keller « l'abattit » d'un trait de peinture jaune. Prise par surprise par le colonel Sheppard et le major Lorne, Teyla ne pût résister à l'attaque sournoise des deux hommes et quitta le mess en posant sur la joyeuse troupe un regard indulgent, puis rejoignit ses quartiers pour se débarrasser du vert dont elle était couverte. Le docteur Weir se fit alors un devoir de venger son ami en éliminant Sheppard d'un coup de rose alors que simultanément celui-ci la mettait hors course. Charlie quant à elle préféra s'éclipser voyant que ses compagnes perdaient l'avantage, mais c'était sans compter sur l'intervention d'un pégasien d'humeur joueuse :

« On déserte major ? » lança Ronon en se planta juste devant Charlie.

« Pas du tout, officier technicien Dex : c'est un repli stratégique, » répliqua-t-elle en souriant franchement.

Puis, d'un même mouvement, ils reprirent chacun une position de combat comme si une impulsion silencieuse, un accord tacite s'était installé entre eux : adversaires jusqu'à l'élimination de l'un d'entre eux. Caché derrière une table, Ronon élimina négligemment un jeune technicien téméraire qui l'avait prit pour cible et ce concentra sur sa nouvelle proie. Pour l'avoir déjà combattue et vue à l'œuvre, il connaissait ses talents : mobile, silencieuse et rapide, elle était capable de terrasser des individus deux fois plus imposants qu'elle, car leur force et leur puissance était entravées par leur lourdeur, tandis qu'elle, se déplaçait vite et faisait preuve d'une précision exemplaire. Mais il connaissait aussi sa faiblesse. Si elle était redoutable sur de courtes durées, l'endurance lui faisait défaut. Conscient qu'il ne pouvait user de sa force destructrice pour maitriser la jeune femme – car même prit au jeu, il n'oubliait pas que justement, ce n'était qu'un jeu – il opta pour une tactique plus subtile – ce dont il s'étonna lui-même – et décida de faire durer la partie pour épuiser son adversaire.

Pendant plus de quinze minutes, Ronon la fit courir, se déplacer, esquiver sans jamais lui offrir une ouverture, et Charlie enrageait. Mais qu'attendait-il au juste ? Charlie se savait moins efficace à mesure que le temps passait et que son corps en continuelle tension, fournissant de gros efforts pour à la fois échapper aux derniers joueurs et poursuivre sa proie, commençait à faiblir. Elle trouva étrange que le Satédien se soit lui-même mit en position de proie : ce n'était assurément pas dans ses habitudes. Mais au moment même où Charlie comprit qu'elle s'était-elle-même jetée dans un piège, Ronon lui sauta dessus et la plaqua au sol. Désarmée, les mains maitrisées par une seule de celles de Ronon, et maintenues au dessus de sa tête les jambes serrées et bloquées dans l'étau puissant des cuisses du Pégasien, Charlie était vaincue et contrainte à assister immobile au sourire impertinent de victoire qui naissait sur les lèvres de son adversaire.

« J'ai gagné, » murmura-t-il apposant sa marche victorieuse d'un point de peinture turquoise sur le nez du major tandis qu'il fixait son regard noir dans le sien. Un regard qui réveilla en Charlie un ballet explosif de sensations, toutes plus violentes les unes que les autres. Baxter senti son estomac se tordre dans son ventre faisant fi même des lois métaphysiques, ses mains devinrent moites, elle frissonna violemment alors qu'une boule de chaleur intense naquit au creux de ses reins tandis qu'elle prenait conscience des cuisses puissantes du satédien enserrant les siennes dans une position ambigüe. Ce corps si désirable collé au sien, qu'elle mourrait d'envie d'amener plus encore contre elle, de le sentir plus encore sur elle, en elle. Elle rougit violemment à cette image et détourna brusquement son regard de celui de Ronon qui, saisissant la gêne de la jeune militaire se releva pour la libérer. Et bien que celui-ci lui tendit une main amicale pour l'aider à se remettre sur ses pieds, Charlie se mit en frais de se remettre debout seule sous le regard goguenard de Sheppard qui, au vu du sourire équivoque qu'il lui adressa, n'avait rien manqué du spectacle. Le major marmonna de vagues excuses et prit la direction de ses quartiers en contrôlant tant bien que mal son envie de courir pour se cacher dans la quiétude de ses appartements.

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Affalée sur son lit, les yeux rivés au plafond, Charlie, apaisée par une interminable douche chaude, ne cessait de repenser aux instants troublants qu'elle avait vécus une heure auparavant. Des images revenaient de manière incontrôlable dans sa tête, et les yeux noirs du Satédien qui la regardait alors intensément hantaient ses pensées. Elle tentait de se remémorer les instants où elle avait rencontré ces yeux. Elle cherchait à se rappeler depuis quand le fait pourtant anodin de deux regards qui se croisent la bouleversait ainsi.

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Premier jour dans la cité. Charlie n'en pouvait plus de s'ébahir devant la splendeur d'Atlantis. Les yeux constamment rivés au sol ou au plafond, il y avait un bon moment déjà que le major ne regardait plus où elle mettait les pieds, jusqu'à ce qu'au détour d'un couloir, le choc d'un corps massif et puissant contre le sien l'expédie plusieurs mètres en arrière. Un juron fit écho au sien et une grande main calleuse apparut devant son visage : aide aussi silencieuse et suggérée que les excuses qui l'accompagnaient. Mue par le désir de savoir qui elle avait ainsi bousculé – s'il l'on peut dire – et de présenter à son tour des excuses, audibles celles-ci, Charlie accepta de bonne grâce, l'aide proposée et la force de traction mise en œuvre par l'inconnu la remit sur ses deux jambes avec une déconcertante facilité : Charlie avait pourtant conscience de ne pas être un poids plume, son entraînement intensif ayant densifié sa masse corporelle. De plus en plus curieuse, elle leva les yeux pour dévisager l'homme. Et elle dût les lever bien haut ! D'une taille imposante – « au moins deux mètres, » songea le major – vêtu d'une manière bien étrange – « une chose est sûre, ce n'est pas un marine, » considéra-t-elle – de longues dreadlocks qui parachevait le tableau « homme des cavernes » que l'individu semblait vouloir présenter. Aucun son ne sorti de sa bouche, et Baxter fut la seule à parler pour s'excuser de son étourderie, s'enquérir de la « santé » de l'homme et se présenter. Mais l'homme restait muet et se contenta de la fixer et la jauger du regard. Un regard qui d'emblée interrogea Charlie. Intriguée. C'est la première émotion qu'elle ressentit en croisant ces yeux énigmatiques.

« Je vois que tu as fait connaissance avec Ronon, » lança le lieutenant-colonel Sheppard en arrivant à sa hauteur. « Pas très causant, mais quand tu apprendras à le connaitre, tu verras qu'au fond c'est un garçon formidable, » ajouta-t-il laissant Charlie perplexe, avant de l'entrainer au mess.

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« Je ne suis pas sûr que ce soit une très bonne idée, Bax, » insista John tandis qu'il l'accompagnait dans les couloirs en direction de la salle d'entrainement.

« Sauf votre respect, colonel, je suis une grande fille, je peux parfaitement me débrouiller, » rétorqua la jeune femme maintenant agacée par les interminables avertissements de son supérieur.

« Il va te mettre en pièces, » la prévint encore Sheppard au grand dam de sa collègue.

« Prévoyez la glue alors ! » répondit-elle avec humeur. « Et même si il me réduit en bouillie, s'il est aussi fort qu'on le dit, ce sera pour moi une occasion d'apprendre. Et puis, il paraît que personne ne veut plus s'entrainer avec lui et qu'il s'ennuie. Voyez ça comme ma BA du jour! » affirma Charlie en pénétrant dans la salle d'entraînement.

Ronon ne pût s'empêcher d'afficher un sourire carnassier en voyant la jeune femme frêle mais déterminée entrer dans la salle. A l'air qu'elle affichait, il sut qu'elle venait se mesurer à lui et il était ravi d'avoir enfin trouvé un adversaire, bien qu'il craigne qu'elle ne tienne pas longtemps et qu'à l'avenir elle refusât de combattre de nouveau avec lui. « Peut-être que je devrais me modérer un peu, » songea-t-il avant de repousser cette idée. Il était ainsi et il n'avait pas l'intention de changer. La jeune femme prit des bâtons de bambou et se mit en position devant lui.

« Allez-y mollo, Ronon, » lança Sheppard au moment où le combat débutait.

Le Satédien fut agréablement surpris par la résistance du major, et malgré les multiples échecs qu'essuya la jeune femme, elle ne lâcha pas prise et continua jusqu'à ce qu'enfin elle prenne le dessus. C'était sans compter les reflexes aiguisés de Ronon, que de longues années d'expérience forcée avaient endurci, et une dernière fois, il prit l'avantage et expédia son adversaire contre le mur à l'autre bout du dojo.

Sonnée par le choc, Charlie vit de petites étoiles danser devant ses yeux, et entendit le grondement de colère de Sheppard qui se précipitait déjà à ses côtés : « Qu'est-ce que vous n'avez pas compris quand je vous ai dit d'y aller mollo Ronon ? » tonna le colonel.

Un grognement ressemblant vaguement à des excuses parvint de Ronon qui se penchait sur elle.

« Suis désolé, » marmotta le Satédien une fois de plus. « Vous allez bien ? » demanda-t-il inquiet sans plus se soucier des soupirs furieux de John. Ronon posa sur la jeune femme un regard repentant et inquiet qui la fit frissonner. Se fustigeant de la réaction inappropriée de son corps, le major se fit un devoir de se relever et de faire bonne figure, mais en vain. A peine se fut elle rétablie sur ses jambes, que celles si refusèrent de la porter, et elle s'écroula de nouveau, heureusement rattrapée par les bras puissants du Pégasien.

« Ça va aller Ronon, merci, » balbutia Charlie mal à l'aise, sous le regard narquois de son supérieur. Gênée par la proximité troublante de ce corps contre le sien et par le regard intense dont il la transperçait, Baxter se remit tant bien que mal sur ses jambes pour se défaire de l'étreinte protectrice du Satédien. Une grande inspiration et quelques pas mal assurés plus tard, Charlie quittait la salle sous le regard réprobateur du colonel et celui pénétrant et troublant de Ronon.

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« Code d'identification : alpha-cinq-neuf-trois-six, » annonça la voix grésillante de Charlie dans l'oreillette de Chuck.

« C'est le code d'identification du major Baxter, » transmit ce dernier à sa supérieure.

« Baissez le bouclier, » ordonna le docteur Weir d'une voix anxieuse.

L'équipe du major Baxter avait rejoint l'équipe de Sheppard en difficulté sur P5C-2309 quatre heures plus tôt, et n'avait pas donné de nouvelles depuis. Elisabeth poussa un soupir de soulagement en les voyant revenir au complet soulagement qui se mua aussitôt en une nouvelle vague d'angoisse en voyant le colonel Sheppard maculé de sang, soutenu par Ronon. Ils avaient tous l'air en piteux état et Weir demanda d'urgence une équipe médicale en salle d'embarquement. Le regard qu'elle surprit entre Ronon et Charlie tandis que l'équipe du docteur Beckett emmenait John à l'infirmerie était lourds de sous-entendus et la dirigeante d'Atlantis décida de leur laisser du temps pour se remettre avant de les convoquer en salle de réunion pour un débriefing et inquiète pour Sheppard elle se précipita à l'infirmerie.

Tandis que Charlie s'assurait que les membres des deux équipes se portaient bien et allaient tous à leurs quartiers pour prendre un repos bien mérité, Ronon l'attrapa doucement par le bras – douceur qui surprit la jeune femme, habitué à la rudesse du Satédien – et l'entraina vers l'infirmerie.

« Il faut faire soigner ça, » dit simplement le pégasien en désignant la vilaine entaille sur le bras du major.

« Ce n'est pas nécessaire Ronon, » l'assura la jeune femme. « C'est trois fois rien, pas besoin de… » Mais elle s'interrompit là en voyant le regard sans appel que lui adressait Ronon.

Vaincue, elle le suivit docilement et se laissa tomber sur l'un des lits de l'infirmerie, complètement épuisée.

« Vous allez bien ? » s'inquiéta son compagnon. Ronon l'avait vu combattre les Wraiths avec un acharnement et une énergie qu'il admirait, et s'étonnait que la jeune femme ait encore la force de tenir debout.

Charlie marmonna quelque chose que le Satédien – un virtuose des grognements et autres marmottements – pût traduire comme un oui. Néanmoins, toujours soucieux pour le major, il la couva du regard.

Un regard qui troubla Charlie. Décidément, le major Baxter n'était pas habituée à autant de douceur et de sollicitude. Les yeux de Ronon fixés sur elle la mirent mal à l'aise et elle se tortilla sans pouvoir pour autant détacher son regard de celui de l'homme en face d'elle. Mais ce qui perturba Charlie plus encore, fut la chaleur fugace et rassurante qui naquit dans son ventre quand le Satédien frôla sa main.

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Encore une fois, l'insomnie avait eu raison du major Baxter et incapable de rester une minute de plus à tourner dans son lit sans trouver le sommeil, la jeune femme enfila un pantalon et sorti en soupirant dans les couloirs de la cité. Depuis son retour de P5C-2309, Charlie ne dormait plus. Ou presque. Les horreur dont elle avait été témoin là bas la hantait constamment et les cauchemars envahissait les rares heures de sommeil que le major parvenait à grappiller. Le Docteur Becket lui avait bien proposé des somnifères, mais la jeune militaire refusait ce genre de traitements parfaitement consciente de l'accoutumance qu'ils provoquaient. Baxter avait la responsabilité d'une équipe, et dans une galaxie qui réclamait à tous d'être constamment sur le qui-vive, elle refusait de se risquer à une quelconque dépendance qui pourrait amoindrir ses réflexes. Aussi, elle s'était résolue à supporter ses nuits d'insomnie et mettait ce temps à profit pour se mettre à jour de ses rapports ou redécouvrir la cité. Ce soir, elle n'avait aucune envie de se plonger dans la paperasse, mais à l'approche des fêtes de Noël, elle préférait se noyer dans la douce mélancolie que provoquait l'éloignement des siens pour ces temps qu'habituellement elle passait en famille.

Accoudée au balcon, frissonnant de la légère brise qui caressait les hautes tours d'Atlantis comme si le vent, tel un amoureux patient et romantique, faisait une cour sans fin à la cité Charlie songeait à sa famille, qui lui manquait terriblement et tentait d'appréhender ce que serait ce premier Noël loin d'eux. Perdue dans ses réflexions mélancoliques, elle n'entendit pas les pas qui s'approchaient derrière elle et sursauta quand une voix grave et calme s'éleva dans son dos :

« Encore une insomnie ? » l'interrogea Ronon tandis que le major faisait brusquement volte face. « Désolé. Voulait pas vous effrayer, » s'excusa maladroitement le Pégasien en marmonnant.

« Ce n'est rien, j'étais un peu ailleurs. J'ai été surprise, » répondit doucement Baxter, d'une voix basse, craignant qu'un son trop fort brise l'apaisante quiétude de la nuit. « Oui, encore une, » ajouta-t-elle pour répondre à la question du Pégasien. « Et vous ? » s'enquit-elle à son tour.

« Pareil. »

Charlie ouvrit la bouche pour continuer la conversation, mais se ravisa aussitôt. La brièveté de la réponse de son compagnon d'insomnie laissait présager que, comme à son habitude, il ne souhaitait pas se lancer dans l'exercice social de la conversation. Ce dont la jeune femme ne lui tint pas rigueur : elle-même préférait demeurer dans le silence. Un silence qui se prolongea ainsi de longues minutes durant, sans qu'aucun des deux n'en ressente une gêne quelconque. Puis, surement qu'il ressentit à ce moment le besoin de la confidence, Ronon déclara :

« Je pensais avoir tout vu dans ma vie. Toutes les horreurs que l'ont puisse imaginer. Mais c'était avant ça… » Sans même avoir besoin de le questionner, Charlie sut que, comme elle, il avait été profondément marqué par le massacre auquel ils avaient assisté sur P5C-2309. « Tout ces corps, ces enfants, ces… »

« Ils étaient devenus fous, Ronon, » intervint Charlie quand elle entendit la voix du Pégasien se briser à l'évocation des enfants qu'ils avaient vu massacrés par leur propres parents. Une expérience menée par les scientifiques de la planète avait mal tournée. Ils avaient tenté de créer ce qu'ils appelaient un sérum anti-wraiths qui auraient empêché leurs prédateurs de se nourrir d'eux. Mais tous ceux qui avaient été « vaccinés » étaient devenus fous et ils s'étaient entretués, les parents massacrant leurs propres enfants, sous le regard impuissant des Atlantes qu'ils avaient emprisonnés. Ces derniers ne devaient leur salut qu'à leurs capacités au combat et à leur supériorité armée. Et tous étaient revenus profondément marqués par ce drame.

Un sanglot étouffé, presque inaudible si Ronon n'avait pas été si proche d'elle, lui parvint et se tournant vers son compagnon, Charlie pu suivre à la pâle lumière des lunes atlantes la naissance d'une unique et douloureuse larme, s'échappant du coin de l'œil du Satédien, roulant sur sa joue pour venir s'écraser en silence sur ses lèvres pleines. Ronon, sentant le regard de la jeune Terrienne fixé sur lui, se tourna vers elle, et Charlie fut touchée en plein cœur par ces yeux emplis tour à tour de colère, d'incompréhension et de tristesse. En cet instant, elle ressentit une irrépressible envie de toucher cette joue souillée par le sel de cette larme et d'effacer cette douleur qui crispait le visage de l'homme devant elle. Tout son corps déborda d'un sentiment qu'instantanément elle souhaita refouler sans le pouvoir.

Et quand, s'étant séparés sans un mot sur le balcon, laissant là leurs tourments partagés sous le regard indulgent des lunes atlantes, témoins à jamais muets sur leurs confidences, Charlie rejoignit sa chambre, regagna son lit pour retrouver un sommeil qui depuis longtemps n'avait pas été aussi paisible. Un sommeil sans doute encouragé par son cœur plus léger d'avoir pu partager sa peine avec un autre, et ses habituelles terreurs nocturnes laissèrent place à une paix bienfaitrice que seul vient troubler ce regard embué de larmes qui la troublait plus que de raison.

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Le bip de la sonnette de ses appartements la sortit de ses souvenirs, plus troublée encore que lorsqu'elle s'y était plongée. Elle songea tout d'abord à ne pas répondre, mais visiblement, l'importun de l'autre côté de la porte s'impatientait et ne cesser de déclencher la sonnerie. Avec un soupir agacé, elle décida enfin de se lever et passa sa main devant les détecteurs pour ouvrir la porte qui coulissa pour laisser le passage à un John visiblement tout guilleret. Pour le connaitre depuis plusieurs années, alors qu'elle n'était encore qu'un simple troufion et lui son supérieur tyrannique, elle identifia tout de suite ce sourire malicieux qui cachait toujours quelqu'entourloupe.

« Je ne sais pas ce que vous voulez, Colonel, mais c'est non, » l'avertit-elle, en lui tournant le dos pour reprendre sa position initiale : affalée sur son lit, les yeux clos, pour bien signifier à John qu'elle n'était nullement disposée à entrer dans son jeu.

« Wahou ! C'est d'avoir perdu contre Ronon qui te met de si mauvaise humeur, Bax ? » la taquina-t-il, en se laissant tomber à ses côtés sur le lit, lui faisant faire un bond. Baxter poussa un grognement sans le vouloir. Elle savait bien que John n'avait formulé cette réplique que dans l'intention de la piquer au vif et de la faire réagir. « Fais gaffe, tu commences même à t'exprimer comme lui, » renchérit-il.

« La ferme Sheppard ! » râla-t-elle en ramenant son bras sur ses yeux. « Sauf vot' respect, bien sur, mon Colonel. »

« Ouais, ouais… N'empêche, tu t'es inscrite pour faire partie de l'expédition qui doit aller chercher un sapin, ou tout du moins un truc qui y ressemblerait, donc bouge ton… »

« Je me suis inscrite à rien du tout ! » s'exclama-t-elle en se redressant pour fixer son supérieur et ami d'un regard noir.

« C'est p'tête McKay qui l'a fait alors. Ou moi. Enfin peu importe, on y va. » Voyant que la jeune femme n'avait pas l'intention de bouger, il attrapa le matelas et le retourna, jetant le major rouge de colère à terre. « Allez ! On se remue major ! Et c'est un ordre, » ajouta-t-il quand Charlie ouvrit la bouche pour protester. Lassée, elle abdiqua et enfila sa veste d'uniforme et ses rangers sous le regard triomphant du colonel. « Ben, t'es pas très difficile à convaincre, Charlie, » la taquina-t-il.

« Fermez-la ou je change d'avis Sheppard, » grogna-t-elle. Puis elle lui emboîta le pas a travers le couloirs. Presque parvenus au hangar à Jumpers, Sheppard réattaqua :

« La prochaine fois que vous et Ronon aurez des choses à faire : prenez une chambre ! C'était carrément indécent votre petite exhibition au mess toute à l'heure. Ou alors faites participer les autres… »

« Sheppard ! » tonna-t-elle rougissante, sa voix résonnant dans le hangar où ils étaient enfin parvenus.

« Un problème major ? » l'interrogea Teyla à quelques mètres d'eux, surprise par la contrariété dans la voix de la jeune femme.

« Pff, » soupira-t-elle en lançant un regard noir à son supérieur. « Faut croire que passer colonel lui a ôté toute bonne manière, » railla Baxter.

« Major Baxter ? » les interrompit la voix de Chuck dans les oreillettes.

« Baxter. J'écoute Chuck. »

« Le sergent Mehra vous demande en salle de contrôle, Major. »

« J'arrive tout de suite. Fin de communication, » répondit Charlie dans son oreillette. « Ben ça alors, c'est trop dommage colonel ! Moi qui me faisais une telle joie de vous accompagner ! » lança-t-elle sarcastique à John. « Mais le devoir m'appelle : je suis de garde, et la sécurité d'Atlantis n'attend pas. Amusez-vous bien ! »

« Vous ne venez pas avec nous ? » s'exclama McKay avec une tête d'enfant privé de cadeau. « Bon ben tant pis, » acheva-t'il en retournant à ses occupations, bien vite remit de sa déception.

Sur ce, évitant consciencieusement de croiser le regard du Satédien qui arrivait au hangar avec le dernier groupe de volontaires, elle quitta le groupe pour rejoindre la salle de contrôle, pour une fois ravie d'être de garde.