Note : L'idée et le début de cette fic appartiennent à Sam Sanders : à lire sous le titre Deliver us.
En voici le lien : s/9633209/1/Deliver-Us
Cette suite ALTERNATIVE est publiée avec son accord, sachant qu'elle est très différente de ce que Sam avait en tête -je devrais dire "a" en tête, car elle n'a pas abandonné l'idée d'écrire la suite.
En tous les cas, je la remercie beaucoup pour son talent et aussi, bien sûr, pour son accord.
Comme pour Pride and Trust / Tremblez maintenant, je reprends la numérotation des chapitres là où Sam s'est arrêtée ainsi que le rating et le genre d'origine.
Bonne lecture.
Disclaimer : Je crois que tout est dit...
OOO000OOO
- Ce n'est pas possible... pas possible...
Statufié à l'orée du camp saccagé, Fili répétait les mêmes mots, sans fin, comme une litanie.
Ses membres lui paraissaient transformés en plomb. Son esprit était vide... sans doute pour limiter les effets du choc, repousser la fatale prise de conscience qui s'ensuivrait et l'inévitable douleur... Car c'était une vision de cauchemar qui s'offrait à présent à sa vue. Les tentes avaient été éventrées, les quelques huttes qu'ils avaient construites achevaient de se consumer, tous les objets que les orcs n'avaient pas daigné emporter gisaient pêle-mêle sur le sol piétiné, foulé par des centaines de pieds. Au milieu des décombres gisaient des corps sans vie, baignant dans leur sang. Des corps d'orcs, il est vrai, mais surtout des corps de nains, des guerriers qui avaient vaillamment lutté à un contre cent, des femmes et tous les enfants, à nouveau. Mais pire que tout, pire que l'odeur de brûlé qui se mêlait à celle, douçâtre, du sang, il y avait la sinistre mise en scène laissée par l'ennemi : pratiquement tous les corps des nains adultes avaient été décapités, et leurs têtes étaient fichées sur de grossiers pieux de bois –de simples branches épointées fichées en terre- sur tout le pourtour du camp. Quant aux corps des enfants, plusieurs étaient déchiquetés, comme s'ils avaient été -et c'était probablement le cas- la proie de bêtes carnassières, comme si les wargs se les étaient disputés.
Pour Fili, outre l'horreur de la découverte et la peur qui montait en lui, ce carnage ravivait avec une effroyable netteté la pire nuit de son existence, celle du Grand Massacre qui, déjà, avait coûté la vie à tant des leurs et notamment à sa mère et à son jeune frère. Hébété, il demeurait là à considérer l'étendue du désastre sans oser avancer quand la voix d'Andlain, qu'il avait complètement oublié, s'éleva juste derrière lui :
- Je suis vraiment désolé, Fili.
Il semblait sincère. Fili tourna machinalement la tête vers lui : dans les yeux sombres qui croisèrent les siens, il lut une compassion bien réelle. Mais peu lui importait, vraiment. Il ne répondit pas et prit sur lui pour s'avancer à pas lents au milieu des décombres. Presque malgré lui, fébrilement, malgré la répulsion qu'il en éprouvait, il s'efforçait d'identifier les morts. Il connaissait intimement chacun d'eux et chaque nouvelle perte lui infligeait une nouvelle souffrance. Cependant, il tremblait de découvrir parmi eux les dépouilles de ses plus proches amis ou encore... N'y tenant plus, le jeune nain mit ses mains en porte-voix et hurla :
- Thorin ! Thorin !
Le seul résultat de ses cris fut un vol d'oiseaux effarouchés dans les arbres alentours. Puis le silence retomba. Un silence de mort, comme on le dit hélas si bien, à peine troublé par le grésillement des derniers vestiges d'incendie.
- Dwalin ! cria encore Fili. Balin !
Il se souvint que Thorin et quelques autres avaient du livrer combat dans la forêt, après leur fuite précipitée. Son oncle lui avait ordonné de courir et lui-même, ainsi que ses compagnons, étaient demeurés en arrière... Pour la première fois de sa vie, Fili regretta d'avoir obéi. Sa place aurait été auprès d'eux pour combattre à leurs côtés et partager leur sort, quel qu'il soit. Il n'était plus un enfant, après tout, pour accepter de s'enfuir quand d'autres se battaient pour le protéger. L'amertume, le regret, la honte même lui emplirent la bouche comme un torrent de fiel.
Cela ne l'empêcha pas de s'orienter rapidement et de prendre sa course à travers bois. Il devait retrouver l'endroit où il avait laissé les autres. Quand bien même ce serait pour découvrir que ses pires craintes étaient fondées, il devait savoir.
ooOoo
- Ils sont peut-être encore vivants.
Après ce qui paraissait être des heures de silence, la voix d'Andlain semblait presque incongrue, bizarre dans la grande paix nocturne, troublée seulement par le crépitement du feu et, par moment, le cri d'un oiseau de nuit ou le lointain hurlement d'un loup.
- S'il n'y a pas de corps... risqua encore l'elfe-nain.
Immobile depuis des heures, jambes croisées, coudes sur les genoux, Fili regardait droit devant lui sans rien voir. Ce fut d'une voix absente, lointaine, qu'il répondit :
- Il vaudrait sans doute mieux qu'ils soient morts.
Le silence se réinstalla.
Andlain se tortilla, mal à l'aise. Alors qu'il ne s'y attendait vraiment plus, Fili reprit soudain, toujours sans bouger, toujours de la même voix lointaine et atone :
- S'ils ne sont pas morts, cela veut dire que les orcs les ont emmenés pour en faire des esclaves.
Il eut une sorte de sanglot, sec, étranglé, sans une larme, sans changer d'expression.
- Jamais mon oncle ne se soumettra... ils le tueront, de toute façon. Et les autres... quelle que soit la raison... tous auraient préféré mourir en guerriers plutôt qu'une mort lente dans les mines.
Nouveau silence.
- De toute façon, reprit Fili d'une voix très basse, même s'ils étaient vivants, même s'ils restaient vivants, qu'est-ce que ça changerait ? Je suis seul... tout seul désormais... ils sont des centaines...
Cette fois, il se plongea le visage dans les mains et un nouveau sanglot souleva ses épaules.
- Tu n'es pas seul, Fili.
Ces mots avaient été prononcés d'une voix très douce. L'intéressé ne parut cependant pas entendre et demeura prostré. Au bout d'un moment, Andlain se risqua à demander :
- Qu'allons-nous faire ?
Fili retint de justesse la réponse cinglante qui lui montait aux lèvres : cette créature commençait à lui échauffer les oreilles et vraiment, ce n'était pas le moment ! Par ailleurs… outre qu'il ne savait vraiment pas ce qu'il allait pouvoir faire à présent, le « nous » l'agaçait prodigieusement. « Nous », vraiment ! Mais à la dernière seconde, les mots se coincèrent au fond de sa gorge… car l'oppressant sentiment de la terrible solitude qui était désormais la sienne venait de le gagner. Oui, il était forcé de l'avouer, avoir de la compagnie n'était finalement pas une mauvaise chose. Aussi n'eut-il pas le courage de rappeler à son étrange compagnon qu'il lui avait préalablement demandé de l'aider à retrouver son chemin pour rentrer chez lui. Chez lui…. Fili éprouva au cœur un pincement de jalousie. Oui, Andlain avait encore un endroit où aller, lui. Des gens à retrouver, même s'ils n'étaient pas vraiment les siens. S'il n'avait pas été aussi bouleversé et anéanti, il se serait d'ailleurs probablement demandé pourquoi ce curieux spécimen paraissait si désireux de rester avec lui, surtout après les scènes de carnage dont il avait eu le triste loisir de voir le résultat ce jour-là. N'aurait-il pas dû, tout au contraire, vouloir fuir au plus vite ce monde hostile et retrouver la sécurité de son foyer ? Mais Fili n'avait pas la tête à ce genre de réflexion.
Il sentait peser sur ses épaules le poids de tous ces morts, il était oppressé par cette épouvantable conviction d'être, désormais, seul au monde, et puis il y avait la peur qui lui rongeait le ventre comme un acide. Oh, pas la peur de voir revenir les orcs, non ! Au contraire ! Avec quel féroce soulagement il les aurait accueillis ! S'ils devaient revenir, Fili ne prendrait pas la fuite, cette fois ! Il livrerait bataille, comme il aurait dû le faire aujourd'hui, et peu importe qu'il soit tué ou capturé car dans un cas comme dans l'autre, il rejoindrait les siens. Il n'éprouverait plus cette honte cuisante qui s'ajoutait à tout le reste, d'avoir détalé comme un lapin en abandonnant les autres derrière lui. Où étaient-ils, à cette heure ? Qu'était-il advenu d'eux ?
Ils n'avaient eu aucun mal à retrouver l'endroit où les orcs avaient rattrapé son petit groupe : il leur avait suffi de suivre les traces de leur fuite précipitée, doublées par celles du fort contingent d'ennemis lancé à leurs trousses. Bête comme chou.
Et bientôt, sous le couvert de la forêt, à nouveau l'odeur du sang se mêlant à celle du sous-bois. Fili avait senti ses jambes trembler si fort qu'il avait craint de tomber.
La bataille avait été acharnée, comme en témoignaient les branches brisées, les troncs entaillés et la végétation écrasée. Ils avaient été huit à fuir ensemble. Fili avait réussi à s'échapper –grâce à la résistance acharnée des autres, ainsi qu'il s'en rendait compte à présent- et deux étaient étendus morts sur le théâtre du combat, Neirin qui avait eu la colonne vertébrale fracturée et qu'ils avaient dû achever ensuite, et Furmir qui avait le crâne défoncé.
Aucune trace des cinq autres. Ah si, pourtant : Andlain ramassa sur le côté une hache poissée de sang noir et que Fili reconnut aussitôt, c'était l'une de celles de Dwalin.
Ah et puis, il y avait aussi neuf cadavres d'orcs sur le champ de bataille, mais de ceux-là Fili se fichait comme d'une guigne. Malgré tout, il se sentit fier de ses amis : ils s'étaient bien battus, ils avaient chèrement vendu leurs vies ! Accoutumé à déchiffrer les traces des animaux de la forêt, il étudia avidement la trouée dans les feuillages provoquée par les orcs lorsqu'ils s'étaient retirés, mais le sol était tellement piétiné et par de si nombreux pieds que la piste ne pouvait rien lui apprendre. Fili fut tenté de la suivre mais il savait déjà que c'était peine perdue : les monstres était trop nombreux, leur trace parlait d'elle-même, même si les siens étaient encore en vie, il ne pourrait rien faire pour les aider. Par ailleurs, s'il tentait quoi que ce soit (l'image lui était venue d'un archer dissimulé dans un arbre, par exemple, tirant de loin sur les orcs), les autres risquaient de s'en prendre à leurs prisonniers –si prisonniers il y avait… Avec une cruelle ironie, Fili se souvint des paroles de Dwalin, lorsqu'il s'était déclaré prêt à faire des sacrifices….
Désemparé, la gorge serrée, impuissant, le jeune nain balaya une dernière fois du regard les lieux du drame. Andlain se tenait debout à quelques pas de lui, l'air passablement effaré par ce qu'il voyait. Il n'avait pas du souvent se trouver sur un champ de bataille ! Il tenait toujours, au bout de son bras, la hache de Dwalin. Fili franchit l'espace qui les séparait et prit l'arme sans un mot. Ses doigts se crispèrent sur le manche et la détresse l'envahit.
- J'aurais dû rester avec eux, chuchota-t-il.
Il avait la gorge si serrée qu'il pouvait à peine articuler.
- Je n'aurais pas dû écouter Thorin.
- Thorin ? demanda Andlain avec douceur.
- Mon oncle… c'est lui qui m'a élevé après la mort de mes parents. Et c'est aussi la seule famille qu'il me reste.
- Je comprends…
On voyait dans le regard de l'elfe-nain qu'il comprenait vraiment. Ce n'était pas là de simples paroles de politesses.
- Il m'a ordonné de courir, de ne pas m'arrêter, de ne pas regarder en arrière, poursuivit Fili avec un accent désespéré, comme s'il essayait de se justifier. Mais jamais, jamais je n'aurais dû lui obéir…
- Alors tu ne serais plus là, toi non plus.
Fili lui jeta un coup d'œil plein de mépris : ce faux nain s'imaginait-il par hasard qu'il avait peur de se battre ou de mourir, surtout avec les siens ?
- Et alors ?! lui avait-il jeté avec hargne.
Mais aucune rebuffade ne semblait atteindre Andlain. Au cours des heures qui avaient suivi, il avait aidé Fili à dresser un bûcher funéraire et à y porter les corps de tous les nains, afin qu'ils ne deviennent pas la proie des bêtes sauvages. Fili devait le reconnaître, il n'avait pas flanché, il n'avait témoigné d'aucun dégoût devant les carcasses mutilées, seulement une grande peine, que d'ailleurs le jeune prince ne s'expliquait pas, mais il était trop accaparé par la sienne pour y prêter vraiment attention.
Tout cela avait pris très longtemps et la nuit était tombée depuis des heures quand ils avaient enfin terminé leur macabre besogne. Fili avait alors guidé son compagnon jusqu'à un endroit qu'il connaissait, abrité du vent et de la pluie par un léger surplomb de rocher, où ils avaient établi leur sommaire campement. Andlain avait sorti de la légère musette qu'il portait en bandoulière une sorte de pain étrange –du lembas, avait-il dit- et en avait offert à Fili qui avait refusé. Il n'avait vraiment pas faim et ne pouvait rien avaler. Depuis, ils étaient demeurés silencieux jusqu'à ce que, dans l'humidité grandissante qui annonçait l'aube, l'elfe-nain rompe subitement le silence :
- Ils sont peut-être encore vivants…
Aucun des deux n'avait dormi. Lorsque le jour commença à poindre entre les branches, Andlain se leva sans bruit, saisit son arc, passa son carquois à l'épaule et s'éloigna sans un mot. Peut-être en avait-il finalement eu assez d'une compagnie aussi morose que la sienne, pensa Fili, lugubre. Peut-être avait-il compris qu'il ne pouvait l'aider et préférait-il tenter sa chance tout seul. C'était plutôt courageux, il fallait le reconnaître. Surtout après avoir vu ce qui pouvait arriver aux nains dans cette région de la Terre du Milieu.
Fili ne fit pas un geste pour le retenir mais, après que la forêt se soit refermée sur ce curieux personnage, il se sentit si seul qu'il étouffa un gémissement en enfouissant son visage entre ses bras toujours repliés sur ses genoux. Qu'allait-il faire, désormais ? Continuer à vivre ici, seul, dans cette forêt, attendant ou espérant que les orcs reviennent pour finir le travail ? Vivre seul n'est pas tellement dans le caractère des nains. Fili s'imagina sous l'aspect d'un ermite hirsute, rendu à moitié fou par la solitude et eut une grimace de dégoût. Partir, alors ? Mais pour aller où ? Partir à l'aventure, au gré des chemins, sans aucun but précis ? Oui, peut-être. D'un autre côté, il devait le reconnaître, l'idée de s'éloigner des Montagnes Bleues ne lui souriait guère : il aurait l'impression d'abandonner définitivement les siens. Les siens qui peinaient et souffraient sous le joug des orcs. Certes, si Fili avait imaginé avoir une chance de les libérer, il aurait volontiers sacrifié sa vie pour cela, malheureusement, la bonne volonté et l'esprit de sacrifice ne suffisaient pas : un malheureux nain isolé ne pouvait tout simplement rien contre les centaines, voire les milliers d'orcs qui détenaient son peuple en esclavage.
Fili en était là de ses tristes réflexions lorsqu'un léger mouvement se fit parmi les arbres. Il tendit aussitôt la main vers son épée, avant de reconnaître Andlain qui revenait vers lui d'un pas souple. Il rapportait un magnifique faisan, qu'il entreprit aussitôt de plumer et de vider avant de fabriquer une broche improvisée. Tout cela sans un mot.
Fili se fit la réflexion que pour quelqu'un qui s'était perdu dans les bois, très profonds, il est vrai, ce drôle de coco ne paraissait pas avoir eu beaucoup de mal à le retrouver. Enfin, il ne s'était peut-être pas éloigné non plus.
Le jeune prince ne se croyait pas capable d'avaler quelque chose, pourtant, lorsqu'une appétissante odeur de viande grillée se répandit dans la lumière du petit matin, il commença à saliver. Après tout, il n'avait rien avalé depuis la matinée de la veille !
Les deux garçons mangèrent sans rien dire puis, une fois qu'ils furent rassasiés, Andlain essuya ses mains grasses dans l'herbe, regarda Fili et avoua :
- Je t'ai menti.
Malgré lui, Fili éprouva une déception.
- J'aurais dû m'en douter, bougonna-t-il.
- Je ne me suis pas perdu. Je ne suis pas un elfe mais les elfes m'ont appris à ne jamais me perdre dans une forêt. Je t'ai suivi parce que tu étais le premier nain que je voyais. Je voulais en savoir plus sur toi, sur les tiens… sur mon peuple.
Il fit une pause et acheva :
- J'ai quitté ma famille adoptive pour cela : retrouver les miens.
Il poussa un profond soupir et ses yeux se remplirent de tristesse :
- Je n'avais jamais pensé que les premiers nains que je trouverais seraient morts.
- Mais tu savais donc que nous vivions ici ? demanda Fili, interdit.
L'autre opina :
- Je n'en étais pas certain mais il y avait des rumeurs au sujet d'une colonie de nains qui aurait trouvé refuge dans ces bois après le Massacre.
- Des rumeurs ! répéta amèrement Fili. Inutile de demander pourquoi les orcs nous sont tombés dessus. Ces rumeurs, ils devaient les avoir entendues, eux aussi. Mais je me demande qui a pu les répandre… qui pouvait savoir ?
Andlain haussa les épaules :
- Ca, je l'ignore.
Il y eut un nouveau silence, que Fili se força à rompre :
- Comment se fait-il que tu aies vécu parmi les elfes, au point de leur ressembler ? Je veux dire, t'habiller comme eux, porter les mêmes armes qu'eux…
En toute honnêteté, il ne pouvait pas prétendre que la vie de cet être hybride l'intéressait beaucoup, mais mieux valait discuter que broyer du noir et ressasser des idées qui ne menaient nulle part. Andlain soupira.
- Ils m'ont recueilli après le Massacre, dit-il.
Fili dressa l'oreille mais, en même temps, il éprouva une réticence : l'idée que ce semi-elfe puisse avoir appartenu à son clan lui était désagréable. Peut-être parce que les survivants avaient si longtemps vécu en autarcie, coupés du reste du monde, et n'étaient pas prêts à accepter un nouveau venu dans leurs rangs. Ou peut-être seulement parce qu'un nain à moitié elfe couvrirait de honte sa famille d'origine. C'était, il fallait le reconnaître, passablement écœurant.
- J'ignorais que des elfes pouvaient se soucier d'un nain, commenta-t-il.
- Je n'étais qu'un bébé, précisa Andlain. C'est sans doute pour ça.
- Un bébé ? Mais comment as-tu pu survivre au Massacre ? Jusqu'à ce jour, je croyais être le seul enfant à avoir survécu cette nuit-là. Et à quel prix, soupira-t-il encore.
- Je ne sais pas trop. Ma mère adoptive m'a raconté qu'elle m'avait trouvé dans un panier qui dérivait au fil de la rivière.
Fili devint d'une pâleur mortelle et son visage se figea. Il crut même que son cœur avait cessé de battre. Sans se rendre compte de l'effet que suscitaient ses paroles, Andlain poursuivit :
- Elle a d'abord pensé que mes parents étaient à ma recherche. Elle a laissé le panier sur la rive pour leur laisser une piste et m'a emporté, pensant me rendre lorsqu'ils viendraient me réclamer. Mais quelques temps plus tard, les elfes ont appris ce qui s'était passé cette nuit-là et Elrïdel a alors compris que ma présence sur la rivière n'était due ni à un accident ni à une négligence, mais qu'une malheureuse, ma vraie mère sans doute, avait imaginé ce moyen désespéré de me soustraire au Massacre.
Fili ne respirait plus. Ses poings étaient si serrés que le sang commençait à s'en retirer et ses doigts à blanchir. Pourtant, ce fut un cri de révolte et de déni qui résonna dans son esprit, dans tout son être :
- IMPOSSIBLE !
Il aurait voulu se jeter sur ce menteur, cet affabulateur, marteler de coups de poings ce visage trop semblable à celui d'un elfe, lui enfoncer n'importe quoi dans la gorge pour le faire taire… Mais il ne pouvait bouger, il était paralysé, glacé, il tremblait…
- Elrïdel m'a élevé continuait Andlain, imperturbable. Elle ne m'a jamais caché mes origines.
Il eut un petit rire désabusé :
- De toute façon, il aurait fallu que je sois aveugle, ou complètement idiot, pour ne pas voir à quel point j'étais différent des autres !
Cette fois, il esquissa un petit sourire triste et acheva un ton plus bas :
- Ce n'est pas tous les jours facile, d'être différent.
Fili n'écoutait plus. Le tumulte de ses émotions, de sa révolte, l'assourdissait.
- C'est un mensonge ! songeait-il avec force. Une histoire qu'il a entendue raconter n'importe où… C'est n'est PAS lui !
Depuis la nuit funeste du Massacre des Innocents, il était arrivé assez souvent à Fili de rêver -il n'y croyait pas mais rêver n'est pas défendu- qu'un jour, peut-être, il retrouverait son petit frère, miraculeusement sauf. Et il s'était toujours plu à imaginer que dans ce cas, tous deux se reconnaîtraient du premier coup d'œil. En tous les cas, jamais au grand jamais il n'avait eu l'esprit assez tordu pour aller se raconter que Kili pourrait un jour apparaître sous l'apparence d'un elfe raté !
- …. Les elfes me toléraient, terminait Andlain. Mais sans plus. Et nombre d'entre eux ne manquaient jamais une occasion de me faire remarquer que je n'étais pas des leurs. J'ai fini par en avoir assez et j'ai décidé de partir à la recherche des miens.
- Tu n'es pas des nôtres non plus !
La voix de Fili était si rauque qu'elle en était totalement méconnaissable et il fixait sur Andlain, déconcerté, un regard injecté de sang et brûlant de haine. Il n'y avait rien ni personne en cet instant qu'il détestait autant que ce… que cette… cette créature ! Il éprouvait la sensation d'étouffer, à tel point qu'il en avait le souffle court. Il se leva brusquement et ajouta, méprisant :
- Tu ne trouveras pas ta place ici non plus, surtout plus maintenant. Va-t'en !
Sur ce, il tourna les talons et s'éloigna à grands pas sous le couvert de la forêt.
