Harry sortit du bureau, suivi de Ron et d'Hermione. Arrivé en bas de l'escalier, il s'arrêta, brusquement étourdi de n'avoir plus rien à faire. Tous les événements qui venaient de se dérouler et auxquels il n'avait pas encore eu le temps de repenser se mirent à défiler dans sa tête : l'attaque du château, le cercle des Mangemorts dans la Forêt, son duel avec Voldemort…

Il démarra soudain, marchant à grands pas dans le couloir désert. Il lui restait encore une dernière chose à faire.

-Où vas-tu, Harry ? cria Ron, surpris.

-Veiller Tonks et Remus, répondit-il sans se retourner. Personne n'est auprès d'eux.

Hermione le rattrapa en courant et lui agrippa le bras.

-Harry, qu'est-ce que tu racontes ? J'ai vu Tonks il y a cinq minutes, elle cherchait Lupin !

Harry accéléra de plus belle, sans rien comprendre, le cœur battant. Pourtant, il avait vu les deux corps étendus l'un près de l'autre, et le fantôme de Remus lui avait parlé…

Ils débouchèrent dans la Grande Salle. Elle était encore bondée de morts et de blessés. Ceux qui étaient indemnes allaient de l'un à l'autre, aidant une Mme Pomfresh surchargée, ou restaient prostrés près des corps en pleurant sans bruit. Apercevant sa famille qui entourait le corps de Fred, Ron s'y dirigea, suivipar Hermione. Harry les laissa faire et se dirigea vers la fenêtre Est. Dans l'obscurité, il devinait les corps de Lupin et Tonks, si paisibles et si beaux dans leur dernier sommeil. Il entendit soudain des pleurs entrecoupés de sanglots, venant d'un coin d'ombre près de la fenêtre. Harry s'approcha et distingua une petite forme sombre, surmontée d'une masse bleu vif. Son cœur fit un bond dans sa poitrine ; il sortit sa baguette et la pointa sur les deux cadavres.

-Ici ! commanda-t-il.

Crac ! Les corps disparurent et un Détraqueur s'éleva dans les airs.

-Riddikulus ! hurla Harry, partagé entre la colère et le soulagement.

Crac ! Le Détraqueur tomba à terre et se transforma en cafard. Harry l'écrasa rageusement avec sa chaussure. Puis son regard se tourna vers le coin d'ombre ; les pleurs avaient cessé. Il s'approcha et se pencha doucement vers la petite forme.

-Bonjour, Teddy.

L'enfant le regarda d'un air étonné, puis sourit, ayant déjà oublié l'horrible vision de la mort. Il avait le teint pâle et les traits fins de sa mère, mais ses grands yeux bleus et ses sourcils légèrement arqués le faisaient le fils incontestable de Lupin. Harry se retourna et aperçut Tonks près des Weasley. Il l'appela ; elle accourut, le visage tendu d'inquiétude.

-Tu as vu Remus ? Il…

Elle eut un cri de surprise en apercevant Teddy ; elle le prit tendrement dans ses bras en demandant à Harry :

-Mais comment est-il arrivé là ? Je l'avais laissé à la maison, sous la garde de ma mère !

-Je ne sais pas, répondit Harry, encore sous le choc de la voir bien vivante -l'image de son cadavre n'avait pas encore déserté son esprit-. C'est comme s'il avait transplané tout seul pour venir vous rejoindre ! D'étonnants pouvoirs se révèlent chez les sorciers tout jeunes, n'est-ce pas ? C'est ce qui a dû arriver.

-Peut-être, dit Tonks en se levant, Teddy enveloppé dans sa cape. Je rentre chez moi, ma mère doit être morte d'inquiétude, et je reviens tout de suite. Sais-tu où est Remus ?

Après la réponse négative d'Harry, elle tourna sur elle-même et disparut. Harry tourna la tête et regarda de loin la famille Weasley autour du corps de Fred : Mme Weasley sanglotait entre son mari et Percy ; Georges tenait la tête de son frère entre ses mains avec un visage presque fou ; Ginny, Bill et Charlie se serraient les uns contre les autres, comme pour former un mur devant le malheur qui leur arrivait ; Ron était assis, le visage entre les mains, et Hermione lui caressait silencieusement les cheveux. Harry n'osa pas s'approcher. Il se serait senti de trop auprès de la famille en deuil, et il ne parvenait pas à chasser de son esprit la pensée que Fred était mort un peu par sa faute.

Harry se mit à errer dans le château, donnant un coup de main au besoin, cherchant toujours Lupin. Au deuxième étage, il s'arrêta près de la fenêtre défoncée et respira avec plaisir l'air vif de la nuit, qui lui rafraîchissait le visage. Le parc était obscur et agréablement silencieux après le fracas des combats. La lune miroitait sur le lac en filaments argentés, mais elle se cachait de l'autre côté du château.

Harry s'accouda sur le rebord effrité, soudain perdu dans ses pensées. Ce qu'il avait attendu, comme tant de gens depuis des années, avait fini par se réaliser : Voldemort n'était plus qu'un souvenir, le monde des sorciers n'était plus menacé … mais à quel prix ? Et quelle vie s'offrirait désormais à Harry, maintenant qu'il n'avait plus la responsabilité de détruire un quelconque mal ?

Se retournant, il aperçut trop tard un grand loup se relever parmi les décombres. Son long pelage était hirsute, et il avait une touffe de poils de chaque côté du museau, qui rappelait désagréablement les favoris de Greyback. La gueule plissée de haine, les yeux cruels, il se jeta sur Harry avec un hurlement.