— Maman ?
Je dois avoir environ six ans. Mes cheveux noirs sont plaqués sur ma tête par l'eau de l'étang, que je viens de quitter pour m'approcher de ma mère. Elle est assise sur le patio, une bouteille d'eau froide à la main, et nous regarde nous amuser dans l'eau, mes cousins et moi.
— Qu'est-ce qu'il y a, mon Jamesie ?
— Qu'est-ce que tu fais ?
Son visage, dans l'ombre créée par son chapeau à large rebord, se fend d'un sourire.
— Je profite.
Je fronce les sourcils. Je ne comprends pas.
Et je n'ai jamais compris avant aujourd'hui, quinze ans plus tard. Mes meilleurs amis venus passer cette belle journée de fin juillet avec moi, mon fils emplissant la cour de son rire, ma femme allongée contre moi, un verre de thé glacé ensorcelé pour ne jamais réchauffer entre les mains.
Aujourd'hui, c'est à mon tour de profiter.
J'écoute d'une oreille Millicent Bagnold, ministre de la Magie, défendre à la radio son projet d'estampiller tous les Gallions créés à partir d'aujourd'hui d'un dragon à trois cornes, plutôt que deux, comme le veut la tradition – quand un gouvernement n'a rien à faire, ça a tendance à paraître – en sirotant ma boisson.
— James ?
Je baisse les yeux vers Remus, qui joue à la balle avec Harry, assis dans l'herbe non loin du rosier.
— Hm ?
— Tu avais quel âge quand tu as eu tes premières lunettes ?
— Euh… huit ou neuf ans. Pourquoi ?
— Parce que…
Il lance doucement la petite balle en mousse orange vers mon fils. Harry tend les mains devant lui, mais ne réussit pas à empêcher le projectile de le frapper entre les yeux.
— Bah, il a aucune coordination, c'est tout.
À côté de moi, Lily se redresse.
— Et hier, quand tu voulais qu'il marche vers toi et qu'il s'est précipité vers la table basse, c'était un manque de coordination aussi peut-être ?
— Bah… oui…
— James, ça fait plusieurs semaines que je te dis qu'il faudrait l'amener voir un ophtalmo à Ste Mangouste !
— Il a juste un an, c'est beaucoup trop jeune, franchement ! Je vous dis qu'il voit très bien ! Je suis son père quand même, s'il avait un problème je le saurais !
Sirius, assis sur les marches du perron, envoie un clin d'œil à Peter avant de se tourner vers son filleul.
— Hey, Harry ! Il est où tonton Mumus ?
Les sourcils froncés, le garçonnet réfléchit un instant, avant de tendre un doigt potelé vers Peter, qui rougit jusqu'à la racine des cheveux. Sous les éclats de rire, Remus prend Harry sur ses genoux.
— Et tonton Sirius, tu peux me le montrer, mon petit ?
Cette fois, c'est le ficus en pot planté à gauche de la porte qui se fait pointer du doigt. Même Sirius ne peut s'empêcher d'en rire.
— Non mais ça veut rien dire, je hoquète en enlevant mes lunettes pour essuyer quelques larmes de rire. Il a le même humour foireux que son parrain, c'est tout. Tenez, regardez…
Je m'accroupis devant mon fils et lui pose mes lunettes sur le nez. Aussitôt, ses sourcils se lèvent et ses lèvres s'écartent en un immense sourire.
— 'Apa ! s'exclame-t-il en tendant les bras vers moi.
— Merlin, Lily !
Je me tourne vers elle, effaré.
— Est-ce que ça veut dire que… je suis un mauvais père ?
