Le pourquoi du comment

- Si je m'étais attendu à ça ! Je ne pourrai plus jamais le regarder de la même façon, marmonna Yousouf plus pour lui-même que pour rompre le silence tendu qui s'était abattu depuis maintenant cinq minutes à leur table.

Eames, les sourcils froncés, la mine grave et songeuse, fixait la porte par laquelle avait fui leur point man presque dix minutes auparavant. C'était la première fois qu'Ariane le voyait autrement qu'enjoué et ouvert. Il faut dire que les évènements de la soirée n'avaient rien eu de très joyeux non plus.

Quel choc cela avait été pour elle d'apprendre que leur Arthur, si taciturne et asocial, avait eu autrefois une vie ordinaire et rangée, pleine de rires d'enfant et de joie conjugale, et qu'il s'était vu devoir tourner le dos à tout ça. Que ce qu'elle pensait savoir de cet homme n'était que le sommet de l'iceberg dont la fondation même était sciemment dissimulée. Cette part d'ombre qui s'était finalement éclaircit à leurs yeux. Yousouf avait raison d'une certaine façon, plus rien de serait comme avant. Arthur, qui détestait attirer l'attention sur lui, qui n'aimait pas se dévoiler, afficher ses sentiments ou s'exprimer plus que de raison, Arthur en quelques minutes venait de lever le voile sur son passé, dans un métier où moins on en disait sur soi et plus les chances de survie étaient garabties. Arthur qui dans un moment de pure honnêteté, de folie? avait fait fi de cette recommandation et venait en quelque sorte de changer la donne, de bousculer les acquis et de bouleverser leur dynamique d'équipe. Si elle se sentait à ce point perdue et déstabilisée elle n'osait imaginer ce que pouvait ressentir Cobb et Eames, eux qui le côtoyaient depuis des années.

D'ailleurs Cobb semblait aux abonnés absents, sans réaction. Elle ne put s'empêcher d'éprouver une pointe de colère à son encontre. Toute cette histoire avait débuté à cause de lui, lui et ses propos blessants. Elle ne l'aurait jamais décrit comme quelqu'un de vindicatif et hargneux il faut croire que ce soir était la soirée des découvertes, certaines mauvaises, d'autres troublantes, toutes inattendues et d'une façon certaine déstabilisantes et malvenues.

Un brusque mouvement sur sa droite la tira de ses réflexions. Cobb s'était levé, semblant s'être extirpé de son état d'apathie et à son tour tira silencieusement sa révérence sans leur adresser la moindre attention, perdu dans ses propres pensées.

Le regard que posa Eames sur la silhouette de l'extracteur la fit frémir involontairement. C'était là celui que le forger réservait aux personnes et projections qui osaient s'attaquer à un de ses collègues, du moins ceux pour qui il avait un minimum d'estime. Et il ne faisait pas l'ombre d'un doute, même avant cette soirée, que Eames était particulièrement attaché à leur point man, certain irait même jusqu'à dire que cela dépassait le simple stade de la camaraderie.

Pourtant en cet instant ce n'est pas l'amour qui animait leur forger. La fureur glaciale qui illuminait ses prunelles grises, d'habitude pétillantes d'humour et de malice, et l'aura de violence contenue qui l'enveloppait tout entier incita presque Ariane à prier pour le repos en paix de leur extracteur. Si Eames avait son mot à dire, et il ne faisait pas un pli qu'il se l'octroierait d'une manière ou d'une autre, il allait y avoir de la casse ce soir. Mais après tout ce n'est pas comme si Cobb ne l'avait pas cherché.

C'est ainsi qu'en digne gentleman qui se respecte Eames se décida à ne pas trahir les attentes et expectations de la demoiselle il se leva lentement, déposa quelques billets sur la table, se pencha pour embrasser Ariane sur la joue, adressa un hochement de tête à Yousouf et se lança à la poursuite de Cobb.

Yousouf et Ariane le regardèrent disparaître rapidement. Le chimiste poussa alors un soupir avant de grommeler :

- Je ne sais pas pour toi fillette, mais moi j'ai besoin d'un autre verre ! En fait, je vais même prendre la bouteille. Tu es avec moi ?