Il allait partir. Il me tournait le dos et avançait sans regret vers je ne sais trop où. Mon coeur rata un battement quand je réalisais vraiment la situation. Je ne le reverrais plus jamais. J'ai essayé de me taire et de le laisser partir. C'était douloureux; à tel point que j'ai cru mourir. Il m'avait fait son baiser d'adieu. Ce n'était pas suffisant, je voulais me tenir à ses côtés un peu plus longtemps. Une voix étranglée sortie de ma gorge.

- Nezumi...

Il était trop loin à présent, il ne m'entendait plus. J'ai tenté plus fort, jusqu'à hurler son nom désespérément. Ma dernière tentative fut réussie; il se retourna enfin.

- Ne me laisse pas! criais-je le plus fort possible.

Son visage était flou, je ne pu voir son expression. J'avais peur de bouger, peur que le moindre mouvement ne le fasse disparaître.

Il semblait hésiter. L'angoisse qui m'habitait resserra sa prise. Je du le lâcher du regard car quelque chose venait de me frôler la jambe.

Le chien.

Celui à qui j'avais confié le bébé.

J'oubliais temporairement mes sentiments et détachait ma veste du chien. Le petit était vivant et de bonne humeur, si on en jugeait par son sourire. Je le pris dans mes bras et me redressais.

Je tombais pile dans le regard de Nezumi, dans ses magnifiques orbes d'un gris quasi surnaturel. Mon coeur s'arrêta presque. Le vent souffla, une mèche bleutée s'enfuit de sa queue de cheval.

- Redis-le-moi, Shion.

Je rougis et détournais les yeux.

- Ne pars pas, chuchotais-je si bas qu'il n'eut certainement pas entendu.

-Plus fort.

-Ne pars pas, répétais-je les yeux au sol, le cœur battant une chamade effrénée.

- Encore.

- Ne pars pas!

Je relevais le tête et plongeais dans son regard. Des larmes y perlaient. Je ne lui avais jamais vu une telle expression. Il semblait avant tout soulagé.

- Ne pars pas, dis-je une dernière fois, comme pour le convaincre.

Ses lèvres s'écrasèrent contre les miennes violemment; elles goûtaient les larmes. Le bébé s'agita, il n'aimait pas être compressé entre nos deux corps débordant de passion. Je n'y prêtais pas vraiment attention, j'étais trop heureux qu'il soit resté.

Sa langue s'engouffra dans ma bouche pour la première fois, je lui répondis avec entrain. J'avais les tripes tordues, des larmes s'enfuyaient de mes yeux grands ouverts. Je ne voulais pas le lâcher du regard de peur de me rendre compte que ce moment n'était qu'un rêve et rien de plus. J'ai caressé sa joue de ma main libre, il a souris. Les mots étaient inutiles, notre présence nous suffisait.

Mais le petit n'était pas vraiment d'accord. Il se mit à brailler plus fort que ses minuscules poumons ne lui permettaient. Nezumi fixa l'enfant, l'air perplexe.

- Tu vas en faire quoi, de c'machin? Demanda-t-il soudain.

Le machin en question avait arrêté de pleurer et me bavait dessus abondamment.

- Lui trouver à manger, il est affamé le pauvre.

Je souris au bébé et tournais les talon vers le mur en ruine de No.6. Nezumi semblait hésitant mais il finit quand même par me suivre.

OxOxO

Ses cheveux blancs m'aveuglaient. Mais je ne pouvais pas détourner le regard. Il avait enfin été égoïste, il avait pensé à lui, pour une fois. Je n'avais jamais eu l'intention de le quitter mais s'il ne m'avait pas retenu, je serais certainement parti. J'aurais obtenu la preuve qu'il ne voulait pas de moi. Ce ne fut pas le cas et j'étais infiniment soulagé. Un rire s'enfuit de ma gorge. J'étais heureux.

- Pourquoi tu ris, Nezumi? Me demanda Shion, une moue inquiète peinte sur ses traits délicats.

- Pour rien, grognais-je en marchant un peu plus vite.

- Tsundere.

Je le foudroyais du regard. Le gamin n'apprécia pas, cependant, et se mit à gueuler.

Je posais les mains sur mes oreilles meurtries et lâchais:

- Fais-le taire pitié!

Shion avait arrêté de marcher et fixait un point par-dessus mon épaule. Curieux, je me retournais à mon tour. Des gens enjambaient les décombres du mur qui les séparaient du monde à peine quelques heures plus tôt. Nous étions encore à une certaine distance d'eux, mais une femme retînt mon attention. Brune, petite, les traits doux… Ceux de Shion. Elle courait, à bout de souffle.

Shion me fourra l'enfant dans les bras et couru à sa rencontre.

- Maman! Cria-t-il d'une voix tremblante et émue.

Cette femme était donc sa mère…

Le parasite s'agita en couinant. Je le regardais dans les yeux.

- On va les attendre plus loin. Qu'en penses-tu, microbe?

Il me répondit d'un « gaah! » enjoué. J'en conclu son accord et allait m'assoir sur un rocher en retrait.

L'échange poignant se déroulant devant mes yeux ne m'intéressait pas, je jetais donc mon dévolu sur la créature qui tentait de me bouffer les doigts.

- Tu perds ton temps, bonhomme. Ou alors t'as l'intention de dissoudre ma main dans ta salive puante?

- Plllluu.

- Je vois. Attend encore un peu sagement et t'auras un repas de roi.

Il rit et son sourire me réchauffa profondément. Décidément, cette journée s'annonçait pas trop mal, vu la matinée désastreuse que nous avions tous passé.

OxOxO

Elle m'avait manqué. Vraiment. Je me sentais comme dans un rêve, d'avoir ma mère et Nezumi près de moi et à l'horizon, le mur effondré de No.6... c'était irréel.

- Shion, tout ce sang ne t'appartient pas, n'est-ce pas? Dit soudain Karan, le regard inquiet fixé sur ma chemise.

- Non, mentis-je, pour ne pas l'inquiéter.

Il n'y avait pas de raison de lui dire la vérité de toute façon; je me sentais bien, sinon très fatigué. Je me demandais soudain si les blessures de Nezumi avaient elles aussi guéries. Je lui jetais un coup d'œil en biais et le surpris à sourire niaisement au bébé. Je couvrais ma bouche pour retenir un fou rire, mais je n'ai pas réussi. Je riais comme je ne l'avais pas fais depuis longtemps, trop longtemps. Des larmes me roulèrent sur les joues, l'air parvenait avec peine à mes poumons. Nezumi, pas con, me fit la gueule.

- Maman, j'ai quelqu'un à te présenter.

- C'est Nezumi, n'est-ce pas, dit la brune en fixant le susnommé.

J'hochais la tête et l'attirais près de l'homme à qui je devais beaucoup. Ce dernier ne se leva pas de son caillou, je le savais un peu nerveux.

Karan le prit toutefois de court en le remerciant, le dos courbé très bas et beaucoup d'émotions dans la voix.

Nezumi fit son dur avec un « C'est rien » un peu sec, mais je le savais ému par tant de reconnaissance. Ma mère ne se redressa pas tout de suite et cela l'irrita, bien sûr.

- Maman, c'est bon, soufflais-je avant que mon ami ne le lui fasse remarquer moins gentiment.

Un Nezumi mal à l'aise est un Nezumi agressif. Mais il ne pouvait plus me cacher ce genre de chose, j'avais tant appris de choses sur lui… Et en particulier aujourd'hui.

Elle se releva et remarqua soudain la présence du bébé, qui dormait à moitié dans les bras de Nezumi.

- Cet enfant… à qui appartient-il? S'inquiéta-elle en se rapprochant encore.

- Ses parents sont décédés… annonçais-je sombrement.

Karan tandis les mains pour prendre le gamin et à ma grande surprise, l'acteur l'en empêcha.

Il s'était attaché si vite?

- Je vais le garder pour l'instant. D'ailleurs Shion, il faudrait trouver le nécessaire pour le nourrir avant qu'il ne se réveille.

La femme qui m'avait fait voir le jour sembla un peu choquée.

- Tu es sur? Tu es encore trop jeune pour prendre soin d'un si petit être!

- J'aime pas qu'on me dise quoi faire, maugréa Nezumi en se levant.

J'eus envie de rire en le voyant partir vers No.6 en bougonnant mais je jugeais qu'il était plus important de convaincre ma mère que Nezumi était un type bien.

- Ne fais pas attention, à l'intérieur, il est plutôt du style marshmallow.

Elle me cru mais je savais qu'elle était tracassée par la présence du bébé. Et par plusieurs autres choses, certainement.

Je la rassurais avec mon plus beau sourire et l'entraînais derrière Nezumi. Enfin, c'était mon intention.