Juste la fin du Monde
Note de l'auteur : Le texte qui suit est une fanfiction écrite « au fil de la plume », c'est à dire sans plan pré-établi. Je me contente d'écrire les événements au fur et à mesure, comme ils me viennent avec pour cadre le dernier mois de la vie de Lily et James Potter. Rien n'est fixé d'avance, aussi je vous prie de m'excuser si la suite est longue à venir. S'il y avait des scènes que vous aimeriez lire, des idées de discussion entre certains personnages, n'hésitez pas à proposer.
Disclaimer : Les personnages mentionnés ici sont la propriété de J.K. Rowling. J'ai même honteusement volé le titre de la pièce de théâtre de Jean-Luc Lagarce : Juste la fin du Monde.
Godric's Hollow, 1er Octobre 1981
Dehors, l'obscurité devient lumière, le martèlement monocorde de la pluie disparaît sous un bruit sourd. Peter sursaute. Cela fait maintenant un quart d'heure que l'orage gronde et à chaque éclair, à chaque coup de tonnerre, il sursaute. Rassemblés dans le salon, nous attendons Dumbledore. Lily est assise sur le canapé, Harry sur ses genoux. Peter est recroquevillé à l'autre bout du canapé, l'air effrayé comme si le petit risquait de le mordre. Il est toujours mal à l'aise, en présence de Harry. Sirius est assis sur l'accoudoir d'un fauteuil. Il fait tourner nerveusement sa baguette entre ses doigts. James fait les cent pas à travers la pièce comme un animal en cage. Et moi, je me tiens debout à la fenêtre et je regarde au dehors les arbres ployer sous l'effet du vent. Aucun de nous n'a parlé depuis dix minutes. Au début, c'était parce que nous ne savions pas quoi dire, maintenant, parce que nous n'osons plus. Comme si une sorte d'équilibre précaire s'était établi et que nous avions peur que nos voix le fassent s'écrouler.
Eclair. Tonnerre. Peter qui sursaute. La foudre s'est rapprochée et tombe très près de la maison, à présent. Soudain, je sens plus que je ne vois James s'immobiliser devant la cheminée. C'est le signal que nous attendions tous. En me détournant de la fenêtre, je réalise vaguement que mes muscles sont engourdis par le froid. Une silhouette apparaît dans l'âtre, tournoyant très vite sur elle-même. Quelques secondes après, Dumbledore est devant nous. Son expression est de marbre, mais quelque chose ne va pas. Il n'a pas épousseté sa robe en sortant de la cheminée comme il le fait toujours. Quelque chose ne va pas. Tous nos regards sont posés sur lui alors que nous attendons anxieusement qu'il parle. Il se tourne vers Lily et James.
- Est-ce que je pourrais vous parler seul à seuls ?
Nos yeux se tournent immédiatement vers James qui fronce les sourcils.
- Non.
Dumbledore ouvre la bouche pour protester, mais James ne lui en laisse pas le temps.
- Tout ce que vous avez à dire, ils peuvent l'entendre.
Je suis touché de la confiance qu'il nous accorde. Dumbledore hésite un instant, puis cède. Il sait que quand James est comme ça, il n'y a rien à faire. Après un coup d'œil en direction de Lily qui hoche vivement la tête, il continue.
- Il y a sans doute un espion parmi vos proches.
Le silence retombe. Nous accusons le coup. Les secondes s'écoulent et, à mesure que la surprise se dissipe, nous commençons à nous regarder. Peter, Sirius et moi. Nous ne nous sommes jamais regardés de cette façon, auparavant. Nous n'y aurions jamais pensé. Mes yeux passent de Sirius à Peter, de Peter à Sirius, et je peux lire le doute sur leurs visages. Dans nos trois têtes, il semble se passer la même chose : « Et si c'était lui ? ». Lily fixe Harry avec une concentration excessive et James paraît légèrement perturbé malgré ses efforts honorables pour ne pas le montrer. Dumbledore poursuit.
- Nous pensons que vous devriez recourir au sortilège de Fidelitas.
- « Nous » ?
- L'Ordre… moi.
- Il y a déjà toutes sortes de sortilèges de protection autour de la maison. Les seules personnes qui savent où on est sont dans cette pièce et aucun d'eux ne va aller le répéter à Voldemort !
A ma droite, Peter frissonne. Comme beaucoup, il n'aime pas entendre ce nom. Dumbledore insiste.
- Je ne le pense pas non plus, mais ce n'est pas un risque à prendre. Nous sommes en guerre.
- Exactement ! Je devrais être en train de me battre au lieu de me cacher comme un lâche !
- Il n'y a pas que votre vie, qui est en jeu, M. Potter !
« M. Potter ». Il n'a pas appelé James « M. Potter » depuis trois ans. C'était notre septième année à Poudlard. James avait utilisé le maléfice du Saucisson sur Rogue. Il était tombé la tête la première contre un tapis, il avait failli étouffer. Dumbledore était furieux. James fait un geste vague vers Lily.
- Elle est d'accord. Pas vrai, Lily ?
Elle ne répond pas. Il se retourne. Elle le regarde.
- Tu n'es pas d'accord ?
- Désolée, non.
Elle a parlé d'une voix très faible, comme un enfant qu'on aurait pris en faute. James la regarde avec une expression sévère que je ne lui connais pas.
- Tu sais bien que s'il n'y avait que moi, j'irais me battre avec les autres. Tu le sais. Mais, James, il y a Harry, maintenant, et il a toute sa vie devant lui.
James ouvre la bouche comme pour parler, mais il la referme sans avoir prononcé un mot. Il y a un long silence. Je me sens de trop, et à en juger par la façon dont Peter et Sirius fixent leurs pieds, eux non plus ne savent pas trop où se mettre. Lorsque James reprend la parole, sa voix est rauque comme s'il y avait des mois qu'il n'avait parlé.
- On va le faire. On va faire le sortilège de Fidelitas.
Dumbledore acquiesce.
- Il va falloir que vous choisissiez un Gardien du Secret.
Les yeux de James se posent une fraction de seconde sur Sirius. Dumbledore le remarque.
- C'est entièrement votre décision, mais je me permets de vous rappeler que l'espion se trouve très probablement dans votre entourage le plus proche.
Il adresse à James un regard appuyé, lourd d'avertissement, que James soutient de cet air de défi qui lui est propre. Je jette un coup d'œil à Sirius. Il comprend visiblement très bien ce qui se passe et semble un peu irrité de la méfiance de Dumbledore à son égard.
- La prochaine réunion de l'Ordre est dans quatre jours. Je sais que c'est une décision importante, mais le plus tôt sera le mieux…
Sur quoi, il se retourne, marche jusqu'à la cheminée et disparaît dans un tourbillon d'étincelles vertes. Silence. Douleur. Lily et James se regardent. Ils communiquent sans se parler. Ils se comprennent. Il y a entre eux une complicité, un lien touchant. Nous étions tous très proches depuis des années et pourtant, l'annonce de Dumbledore semble avoir creusé un large fossé au milieu de la pièce. A présent, quand mes yeux se posent sur Sirius ou sur Peter, il se passe une fraction de seconde avant que je parvienne à leur sourire. Une fraction de seconde avant que j'arrive à m'empêcher de les imaginer en traîtres. Une fraction de seconde, c'est long.
Eclair. Tonnerre. Cette fois, nous sursautons tous. Harry se réveille. Il nous fixe tour à tour et, peut-être qu'il comprend ce qui se passe, peut-être qu'il ressent la tension, il se met à pleurer. Etouffant un gémissement fatigué, Lily se lève et commence à marcher à travers la pièce en le berçant doucement.
- Peut-être qu'on devrait y aller, dit Peter.
Il semble sur le point de pleurer aussi. James hoche la tête. Nous marchons jusqu'à la sortie. Nous sommes presque dehors lorsqu'il nous rappelle. Nous nous retournons d'un même mouvement.
- Il a tort. Il n'y a aucun traître, ici.
Nous le remercions silencieusement. La porte se referme derrière nous. Immédiatement, un mélange de vent et d'eau nous fouette le visage. Il pleut à torrent. Derrière moi, un craquement caractéristique retentit. Sirius vient de transplaner. Je resserre le col de mon imperméable et commence à traverser la rue. Je pourrais l'imiter. En un clin d'œil, je pourrais être à l'abri chez moi. Mais pas cette fois. Cette fois, je préfère rentrer à pieds. Je suis pris d'une vague de dégoût envers notre monde, envers la magie. Je ne sors même pas ma baguette pour éclairer mon chemin. De toute façon, la pleine lune approche et mes yeux percent l'obscurité sans difficulté. Peter me rattrape. Il doit presque courir pour se maintenir à ma hauteur. Je ralentis légèrement.
- Tu ne transplanes pas ? demande-t-il.
- Pas envie.
- Moi non plus.
Il hésite quelques secondes.
- Est-ce que… est-ce que je peux faire la route avec toi, ou tu préfères… ?
- Tu peux rester.
- Merci.
Pendant un long moment, nous marchons en silence. Nous coupons par le parc et nous engageons sur un chemin assez inégal. Peter trébuche pratiquement à chaque pas. Il manque de tomber. Je le rattrape de justesse. Il s'arrête et plonge la main dans la poche de sa robe à la recherche de sa baguette.
- Tu y vois quelque chose, toi ? Comment tu fais ?
- C'est bientôt la pleine lune.
- Oh…
Peter arrête de chercher sa baguette, me regarde, puis recommence avec des mouvements un peu tremblants, un peu désordonnés. Je vois bien qu'il a peur.
- Ah ! dit-il en tirant finalement sa baguette de sa poche. Lumos !
Un petit halo de lumière éclaire la route et nous recommençons à marcher. Je m'efforce de garder les yeux fixés sur le sol, mais je sens que Peter me jette régulièrement des petits coups d'œil effrayés. Le chemin jusqu'à notre rue me paraît interminable. Quand nous nous arrêtons enfin devant chez Peter, il y a un court moment embarrassant pendant lequel nous ne savons pas trop quoi faire ou quoi dire.
- Remus…
- Oui ?
- Est-ce que tu crois qu'il y a vraiment un traître ?
J'hésite un peu, puis :
- Je ne sais pas.
- James a l'air de penser que non.
Je soupire.
- J'ai peur qu'il ne se méfie pas assez.
- Comment ça ?
- Et s'il y avait un traître ? Je veux dire, on ne sait jamais. Peut-être qu'il est un peu trop sûr de lui.
Peter acquiesce. Silence gênant.
- Remus…
- Oui ?
- Si c'était toi le traître, tu me le dirais, pas vrai ?
Je le regarde. Il me regarde de côté avec un demi-sourire. Et soudain, l'atmosphère se détend d'un coup. Nous éclatons de rire en même temps. Pendant plusieurs minutes, nous rions tous les deux sans retenue sous la pluie battante, trempés jusqu'aux os. L'idée me traverse vaguement l'esprit que si quelqu'un regardait à sa fenêtre en ce moment et nous voyait comme ça, il penserait sans doute que nous avons bu.
- Bon, dit Peter en essayant de reprendre son souffle. Va… falloir que… je rentre.
- Bonne nuit, alors.
- Bonne nuit.
Il range sa baguette, marche jusqu'à sa porte, l'ouvre et disparaît derrière. Je réalise alors que j'ai froid. Je commence à marcher d'un pas rapide le long de la rue. Brusquement, la foudre tombe si près de moi que l'espace d'une seconde, je ne vois plus rien. Après avoir secoué la tête pour chasser la tache de lumière blanche qui danse devant mes yeux, je me mets à courir. J'habite un petit immeuble un peu plus bas sur la même rue, ce n'est pas très loin. Au moment où j'arrive sous le porche, la pluie se transforme en grêle et redouble d'intensité. Je referme la porte derrière moi avec un soupir de soulagement et, me retournant, je ne suis qu'à moitié surpris de constater que l'ascenseur est toujours en panne. C'est un vieil appareil moldu que personne ne sait exactement comment réparer. Je me résigne à gravir la soixantaine de marches qui me sépare de mon appartement. J'atteins le haut des escaliers et, légèrement essoufflé, je marche jusqu'à la porte où est inscrit dans une peinture à moitié effacée le numéro neuf. J'ouvre la porte et entre en faisant le moins de bruit possible pour ne pas réveiller mes voisins de palier.
Une fois à l'intérieur, je retire mon imperméable trempé, je jette machinalement ma clef sur la table et je me laisse tomber sur le canapé. Je n'ai que quelques pas à faire : l'appartement est très petit. Le visage entre les mains, je masse lentement mes tempes. J'ai mal au crâne. Les événements de la journée se bousculent dans ma tête. « Il y a sans doute un espion parmi vos proches. »… « Parmi vos proches »… Sirius ? Peter ? Je ne peux pas le croire. Après tout, Sirius et Peter ne sont sûrement pas les seuls proches de Lily et James. Ca pourrait être quelqu'un d'autre. C'est forcément quelqu'un d'autre. Les secondes passent. J'ai beau chercher, je n'arrive pas à penser à un autre espion potentiel. Ces temps-ci, les seules personnes à être en contact direct avec les Potter sont Dumbledore, Sirius, Peter et moi. Ils sont cachés. Ils n'assistent même plus aux réunions de l'Ordre, c'est nous qui leur rapportons des comptes-rendus. Je fais tout ce que je peux pour m'empêcher d'y réfléchir, mais des scénarios, des hypothèses se forment automatiquement dans mon esprit malgré tous mes efforts. James va vouloir choisir Sirius comme Gardien du Secret. Quelque part, j'espère que Lily ne sera pas d'accord. Et si c'était Sirius ? Ils devraient choisir Dumbledore. Ce serait plus sûr. S'il y a une personne avec laquelle le Secret serait en sécurité, c'est bien Dumbledore. Je commence à comprendre que je ne fais plus confiance à mes amis. Un bourdonnement sourd résonne désagréablement dans ma tête. Il faut que je dorme.
Je vais à la salle de bain, ouvre l'armoire à pharmacie et en sors un comprimé de somnifère. En refermant la porte, j'aperçois mon reflet dans le miroir qui y est fixé. Il y a des rides sur mon visage, des cernes sous mes yeux. J'ai l'impression d'avoir vieilli de dix ans d'un coup. Tout d'un coup, l'évidence me frappe, l'évidence que je refusais d'admettre : la guerre va détruire les Maraudeurs et il n'y a rien qu'on puisse faire pour empêcher ça. J'avale le somnifère.
