INTRODUCTION
Cela faisait trente-deux ans que Isabella était morte, vidée de son sang par James. Lorsque nous étions arrivé, la famille Cullen et moi, le chasseur était encore là, les lèvres pleines du sang de Bella. Je me souviens de Carlisle s'approcher du corps de Bella alors que Emmet et Jasper réduisaient James à néant, et me faire un signe négatif de la tête, les yeux emplis de douleur.
Trente-deux ans.
Je ne pourrais dire si j'ai tourné la page. Pas vraiment. J'ai voulu mettre fin à mes jours, mais le regard et les pensées d'Esmée m'en ont empêché, ceux-ci dévoilant que sa souffrance serait bien plus grande de me voir mort que triste mais vivant. Ainsi, je suis resté avec ma famille adoptive pendant près de dix ans. Nous avons tout de suite déménagé de Forks, après l'enterrement de Bella. Je me suis rapproché de Rosalie, qui, si elle avait toujours Emmet, n'a pas essayé de me faire déculpabiliser comme les autres. Je suis entièrement responsable de la mort de Bella. Je ne peux dire si aujourd'hui je ressens encore de l'amour pour elle, la culpabilité ayant pris part sur mes autres sentiments. Mais je mérite de souffrir dans l'immortalité pour sa disparition. Comme Prométhée sur le mont Caucase qui fut puni à se faire dévorer son foie par un aigle pour l'éternité, je dérive entre les décennies sans but précis, une douleur indescriptible au ventre.
J'ai quitté ma famille dix ans, jour pour jour, après la mort de Bella. Je ne pouvais pas partager leur tristesse et leur empathie en plus de la mienne. Trop d'émotions. Les vingt années qui ont suivies, je les ai passé dans diverses universités, me mêlant aux humains et fuyant mes congénères. Je n'aurai jamais changé de régime alimentaire, par respect par Carlisle, mais surtout en honneur de la mémoire de Bella.
Et voilà qu'aujourd'hui, nous sommes en 2043, je me retrouve en Islande, à la recherche de Victoria, la compagne rouquine de James. Celle-ci a essayé de s'en prendre à moi il y a deux ans, alors que je suivais des cours de médecine à Oxford, en Angleterre. Elle criait vengeance pour la mort de James. Curieux qu'elle ne se soit pas réveillée avant. Enfin, les immortels ont tout le temps, et la vengeance est un plat qui se déguste froid... Elle a failli m'avoir, dans la petite chambre de bonne que je louais et dans laquelle elle m'attendait. Il faut dire aussi que je cherchais à me jeter dans le piège, afin d'en finir par une main vengeresse plutôt que par la mienne. A vrai dire, elle ne sait pas vraiment combattre. Son don repose plutôt dans la fuite. Voilà donc deux ans que je la traque, pour m'occuper l'esprit, il est vrai, mais surtout pour honorer la mort de Bella. Elle était avec James, j'ai donc le droit de crier vengeance moi aussi.
Un coup de tonnerre me fait sortir de mes pensées. Quel curieux pays, l'Islande. Il y a de l'orage alors que une neige épaisse tombe dru. Je baisse la vitre de la voiture afin d'humer les alentours, à la recherche de l'odeur de Victoria. J'approche. Je gare la voiture sur le bas côté, et m'enfonce dans l'épaisse forêt alentour. Elle est passée par ici, il y a quelques heures à peine. Cela fait plusieurs mois que je n'ai été aussi proche de l'attraper. Soudain, je sens autre chose, une odeur de lys et de menthe poivrée. Est-ce l'un des nôtres ? Victoria n'est pas accompagnée, je l'aurai vu. Encore plus étrange, je n'entends rien, aucune pensée, alors que l'odeur se fait d'avantage présente. Sur mes gardes, j'avance d'un pas discret et prudent, m'orientant avec mon odorat vers une petite clairière. En son centre, une femme aux longs cheveux bruns se trouve dos à moi. Et je n'entends toujours rien. Cette absence de pensée de fait mal, elle me rappelle Bella. La femme se retourne soudainement, dans une position d'attaque. Son visage est splendide, et je prends conscience qu'il s'agit d'une immortelle. Mais elle a quelque chose de bizarre. Alors que nous nous toisons, je détaille son visage aux traits fins, sa carrure élancée, bien qu'elle ne soit pas très grande, sa peau mate et ses immenses yeux noirs. Elle doit avoir faim.
- Vous avez trente seconde pour me dire qui vous êtes. Si vous venez de la part d'Aro, sachez que ça va mal finir.
Sa voix est basse mais pleine de force. Son regard lumineux mais d'une tristesse infinie. Comme si quelque chose avait été brisé en elle. Je me demande durant quelques secondes ce qu'elle doit penser de moi.
- Je m'appelle Edward Cullen. Je connais les Volturi mais je ne suis pas avec eux. Je ne vous veux aucun mal.
Elle a un léger sourire, comme si elle ne croyait pas un seul instant que je puisse parvenir à lui faire du mal.
- Prouvez-le. Que vous n'êtes pas avec eux.
- Comment ? Elle me fait signe d'approcher, tout en gardant une position de défense. J'ai l'impression qu'elle voit des choses qui me sont totalement étrangères. Elle me regarde au fond des yeux pendant quelques minutes, dans un silence de mort. Puis, elle hoche imperceptiblement la tête.
- Très bien, je vous crois. Je suis Elena. Elena Molière. Elle me sourit et finit par me tendre la main. Elle porte le nom d'un célèbre écrivain français, pourtant, son physique traduit des origines exotiques.
- Enchanté. Je souris à mon tour. Puis-je vous demander ce que vous faites ici ?
- Je pourrais vous retourner la question. J'habite à proximité. J'ai senti l'odeur d'une immortelle, alors je suis sortie...
Elle a senti Victoria. Mais sur le moment, je suis tellement fasciné par ce visage fin qui offre un mur à mon don que je ne m'en soucie guère.
- Je cherche la femme dont vous parlez. J'ai... des comptes à régler avec elle.
- Un amour qui s'est mal terminé ? me demande t-elle, un brin sarcastique. Vu le visage que je dois exprimer, elle se reprend. Désolée, s'excuse t-elle. Je ne suis pas spécialement douée pour faire de l'humour.
Nous restons encore quelques minutes sans rien dire. Elle semble plus détendue mais reste méfiante. J'ai envie de savoir ce qu'elle fait ici, seule, dans ce milieu reclus. Mais aussi de comprendre pourquoi elle s'appelle Molière, dont elle a l'accent lorsqu'elle parle anglais, sans aucun doute, alors que sa peau mate et ses yeux en amande traduisent un autre vécu.
Pour la première fois en trente-deux ans, je suis intéressé par quelque chose. Je ressens même une curiosité maladive envers cette immortelle.
