CHAPITRE I
Le déni
Il n'arrivait toujours pas à comprendre comment ils avaient pu en arriver là. S'était-il trompé sur toute la ligne ? Lui, si observateur, si perspicace. Il aurait pourtant juré que les sentiments étaient réciproques. Il y avait des signes qui ne trompaient pas.
Sa tendresse, ses mots doux qu'elle venait murmurer au creux de son oreille. Le fait qu'elle l'ait toujours défendu bec et ongles. Devant le conseil d'administration. Devant Vogler. Devant un juge pendant l'affaire Tritter. Elle avait été jusqu'à se parjurer pour lui. À mettre sa carrière en jeu pour lui. Pourquoi avait-elle fait cela, si ce n'était par amour ? Pourquoi tous ces sacrifices pour lui ? Il était perdu face à la complexité de la jeune femme.
En temps normal, il aurait été attiré par l'énigme qu'elle lui offrait et se serait empressé de la résoudre. Mais pas ce matin. Cela faisait à présent vingt minutes qu'il était assis devant son bol de céréales sans pour autant y toucher. Il se sentait perdu. Désemparé. Blessé et humilié.
La femme à qui il avait offert son cœur l'avait quitté. Et il n'était même pas sûr d'en connaître les raisons. La seule chose qu'il savait, qu'il connaissait était cette horrible sensation de vide, cette douleur dans la poitrine. Comme si son cœur en avait été retiré, broyé, déchiqueté en toutes petites pièces avant d'être remis en place. Et il détestait ce sentiment. Cette vulnérabilité qu'il ressentait.
Il finit par jeter son bol intouché dans l'évier et se dirigea lascivement vers sa chambre. Il ouvrit les tiroirs de sa commode et se rendit compte que la plupart de ses habits étaient manquants, restés chez la doyenne. Il donna un violent coup de pied dans l'armoire et se laisse choir sur le lit. Il allait falloir lui parler, l'affronter...
Elle avait passé la soirée à ruminer leur querelle, à se morfondre. Pourquoi avait-il dit cela ? Pourquoi avait-elle réagi ainsi ? Elle avait des réponses, tout un tas. Et ça l'avait rassuré. Peut-être n'était-ce qu'une dispute d'amoureux, une broutille dont ils riraient dans le futur. Certes, elle avait surréagi, s'était montrée blessante. Mais combien de fois l'avait-il été ? Il pourrait bien lui pardonner, comme elle l'avait fait pour lui.
Elle affina son trait d'eye-liner du bout du coton-tige et entreprit d'appliquer une touche d'ombre à paupières. Oui, il allait lui pardonner. Il ne pouvait en être autrement. Elle s'était affolée, apeurée devant la sincérité de ses sentiments. Après tout, ce n'était pas tous les jours qu'un homme, celui dont elle était amoureuse depuis plus de 20 ans, faisait une telle déclaration. Non, il ne s'était pas contenté de leur dire qu'il l'aimait. Il lui avait avoué bien plus que cela. La promesse d'une vie de couple, de famille, ce qu'elle avait toujours désiré. Un véritable engagement, pour la vie.
Elle avait paniqué. Quoi de plus normal ? Elle, célibataire depuis si longtemps. Elle, qui ne pouvait se souvenir la dernière fois qu'un homme lui avait dit les deux mots magiques. Elle avait paniqué, une fois de plus. Sa raison n'avait voulu suivre son cœur. Elle, si sûre de ses capacités en affaires était la dernière des nouilles en amour.
Elle l'aimait. Elle le savait. Pourquoi n'arrivait-elle pas à le lui dire ? Mystère. Elle avait dû faire des efforts surhumains, se battre contre elle-même pour accepter Rachel dans sa vie. Mais avec House, elle avait échoué. Une fois de plus. Une fois de trop.
Cependant, elle était bien décidée à le récupérer, à se faire pardonner. Heureuse, elle ne pouvait l'être qu'avec lui. Il allait l'excuser, il le devait. Et elle avait bien sa petite idée sur comment obtenir son indulgence.
Midi. Jusque-là, la matinée s'était déroulée sans trop d'embuches. Il s'était rendu en consultations de son propre chef, voulant éviter que la directrice n'ait à venir le chercher. Pas de cas pour l'instant. Il croisait tous ses doigts disponibles pour que cela perdure.
Un claquement. Un bruit sourd de talons lui parvint. Il espéra quelques instants s'être trompé quant à la propriétaire des souliers. Cameron ? Thirteen ? Une chevelure brune bouclée apparut au-dessus de baie vitrée. Cuddy. L'enfer. La confronter, il n'avait plus d'autres choix. Quoique... Il regarda avec envie le balcon. Mais déjà la porte de son bureau claquait. Il était pris au piège.
Il la regarda, intrigué, fermer les stores de son bureau. Elle verrouilla également les deux portes. Il sentit une pointe d'angoisse le saisir. À quoi jouait-elle ? Elle s'approcha de lui, la démarche assurée, le regard fixé dans le sien. Elle posa une main sur son épaule et fit pivoter son siège afin qu'il soit en face d'elle. D'un geste élégant, sensuel, elle ouvrit sa blouse médicale. Et le laissa sans voix.
Elle se savait très peu douée avec les mots, dans ces moments-là. Elle avait donc opté pour le langage du corps. Elle devait lui dire, lui montrer à quel point elle avait envie de lui. Dans sa vie, dans son cœur, dans son corps. Elle s'était originellement vêtue d'un chemisier largement décolleté ainsi qu'une jupe bien plus courte que celles qu'elle arborait à l'accoutumée. Puis elle s'était ravisée, trouvant sa tenue pas assez explicite. Elle avait alors attendu la pause déjeunée, ne souhaitant pas être dérangée.
Il passa un regard approbateur sur son corps. En soutien-gorge et porte-jarretelle, elle était diablement sexy. Il sentit son sang quitter son corps pour affluer vers son membre le plus viril. Il n'avait plus qu'une envie : l'embrasser à pleine bouche et la faire basculer sur le bureau. Il leva ses yeux jusqu'au visage de la jeune et se souvint en un instant des circonstances de sa venue.
«À quoi tu joues ? » Lui hurla-t-il, en refermant sa blouse.
« Je ne te plais pas ? » Demanda-t-elle d'une voix charmeuse, tout en ouvrant à nouveau son vêtement.
« Là n'est pas la question. À quoi joues-tu ? » Hurla-t-il une nouvelle fois tout en désignant son maigre habit.
« Je pensais qu'on aurait pu enterrer la hache de guerre sous la couette... » Minauda-t-elle.
« Tu es folle, ma parole ! » S'écria-t-il en se dressant sur ses pieds.
« Quoi ? » La colère commençait également à la gagner. Elle se reboutonna avec rage.
« Tu sais qu'il ne s'agit pas là d'une simple dispute. On ne s'est pas chamaillé pour le programme TV ou pour le menu du souper. Alors, si tu n'as pas d'excuses à me faire, je crois qu'on n'a vraiment plus rien à se dire. » S'énerva-t-il de plus belle.
« Mais... je... je... pensais que... » Bafouilla-t-elle, surprise de lire autant de douleur et de rage dans son regard.
« Tu pensais quoi ? Que tu allais jouer les allumeuses, écarter les cuisses et que tout serait réglé ? Désolé de te décevoir, mais je ne suis pas un de tes donateurs ! » Dit-il d'une voix venimeuse.
« Sale fils de p***! » Cria telle, les larmes aux yeux. De colère, elle avait levé son bras droit. Elle avait cependant eu assez de jugeote pour arrêter sa main avant qu'elle ne heurte sa joue.
« Tu allais me gifler ? » Demanda-t-il, fou de rage.
« Non... Oui... Oui, j'allais t'en mettre une ! » Elle avait voulu apaiser les choses, mais sa fierté avait repris le dessus.
« Laisse-moi te dire une chose : toi et moi, c'est fini. Over, finito. Je t'aurais tout donné. De l'amour, une vie de famille. Je t'aurais même fait un gosse si tu avais voulu. Mais tu as tout gâché, tout. » Murmura-t-il, quelques larmes tombant de ses yeux. Il tourna les talons et s'avança vers la sortie, grommelant un dernier « C'est fini. »
Il sécha à la hâte ses joues et ouvrit la porte. Une foule compacte s'était entassée devant son bureau. Il croisa le regard interrogatif de son meilleur ami puis baissa la tête tout en continuant sa marche effrénée vers la sortie.
