Note d'auteur : Début d'un petit recueil centré sur un Harry Potter vieillissant, et inspiré des chansons de Léo Ferré.

La mélancolie - Léo FERRE

La mélancolie
C'est un' rue barrée
C'est c'qu'on peut pas dire
C'est dix ans d'purée
Dans un souvenir

Lorsqu'Harry retourne pour la première fois depuis longtemps à Pré-au-Lard, il se perd. James vient de rentrer à Poudlard et lui a demandé, timidement, sans oser le formuler vraiment dans sa lettre, s'il voulait bien venir le voir un jour, et Harry a souri avec un serrement au cœur parce qu'il s'est dit que ce serait sans doute une des dernières fois que son fils irait le voir lui, au lieu de ses amis,, aurait besoin d'être consolé.

Et il est heureux de voir James si grand, de voir James plus sûr de lui, plus rayonnant encore qu'Harry ne l'était à son âge.

Et pourtant, pourtant, lorsqu'il se perd dans Pré-au-Lard, Pré-au-Lard agrandi, Pré-au-Lard dont il ne connaît pas les nouvelles rues, Harry se sent un peu seul, Harry se sent un peu triste.

Même la géographie l'oublie.

Même les rues ont vieilli.

C'est ce qu'on voudrait
Sans devoir choisir

Et il s'en veut, parce qu'il sent bien que c'est ainsi. Les gens changent, les lieux changent, les choses changent.

Et pourtant, pourtant, Harry n'a pas changé.

La mélancolie
C'est un chat perdu
Qu'on croit retrouvé

Un jour, Harry voit un gros chat orange passer devant lui nonchalamment et disparaître au coin d'une rue, et il lui court après en criant « Pattenrond ! Pattenrond ! » tandis que les passants lui jettent des regards obliques.

Mais ce n'est pas Pattenrond.

Pattenrond ne se balade plus dans les rues.

C'est un chien de plus
Dans le mond' qu'on sait
C'est un nom de rue
Où l'on va jamais

A chaque fois qu'Harry croise un chien dans la rue, il tressaille. Lily lui demande pourquoi et il la regarde un instant fixement, avant que Ginny ne lui donne un coup de coude dans les côtes. Alors, il ne sait pas pourquoi, il ment, et il dit que c'est parce qu'il s'était fait mordre enfant, qu'il en a peur. Et il sent le poids du regard de Ginny, qui ne comprend pas, mais il ne lui explique pas, parce qu'il ne croit pas qu'il y ait grand-chose à expliquer.

Il ne passe jamais, dans la rue du 12, square Grimmauld.

Il ne regarde plus les vieilles photographies.

Le jour où Albus, tout excité, veut lui montrer les étoiles et nommer les constellations qu'il a appris à connaître, il dit qu'il est fatigué.

La mélancolie
C'est voir un mendiant
Chez l'conseil fiscal
C'est voir deux amants
Qui lis'nt le journal
C'est voir sa maman
Chaqu' fois qu'on s'voit mal

Harry s'oblige à se rendre à Azkaban une fois par an. Pour être sûr qu'Azkaban n'est plus ce qu'elle était. Pour s'assurer qu'il y reste une once d'humanité. Pour se rappeler de la guerre et de ses conséquences.

Et puis, aussi parce qu'il éprouve un soulagement inavouable à s'asseoir devant la cellule des prisonniers en regardant leurs yeux vides des heures durant.

Ils croient qu'il s'agit de vengeance. Que ça l'excite. Eux non plus ne comprennent pas.

Les soirs, quelquefois, quand ils sont au Terrier, et que personne ne lui prête attention, il regarde Molly Weasley, et il se sent sourire, doucement, et ses yeux le piquent.

La mélancolie
C'est revoir Garbo
Dans la rein' Christine
C'est revoir Charlot
A l'âge de Chaplin
C'est Victor Hugo
Et Léopoldine

Hermione a gardé de vieux articles du Prophète dans une petite boîte noire, et un soir, alors qu'ils viennent dîner avec Ron, Hugo et Rose, elle lui demande si ça l'intéresse, parce que franchement, elle, elle voit mal ce qu'elle pourrait en faire. Et il dit oui, et il le regrette d'avance, mais lorsqu'Harry voit Hermione à dix-sept ans sur le papier qui lui sourit, et Ron, et lui, il les regarde tendrement.

Lily rentre dans la pièce à ce moment.

« Papa ? Pourquoi tu pleures ? »

Et il touche sa joue, surpris, et ses doigts sont humides.

« C'est cette vieille boîte poussiéreuse de Tante Hermione. Allez, retourne te coucher. »

La mélancolie
C'est sous la teinture
Avoir les ch'veux blancs
Et sous la parure
Fair' la part des ans
C'est sous la blessure
Voir passer le temps

Il se regarde dans le miroir un matin, et au lieu de son visage, il voit celui de son père, comme il l'avait vu dans le reflet du miroir d'Erised, il a si longtemps.

Ses tempes sont grises.

Il y a des sillons sur son front.

Et alors qu'il sait qu'ils ont une intervention de prévue ce matin dans un coin particulièrement dangereux de l'Allée des Embrumes, il ne veut pas y aller.

Alors il n'y va pas, et le lendemain, sans rien dire à personne, il glisse une lettre de démission, comme les Moldus le font, sous la porte du Ministre de la Magie.

Et le soir, lorsqu'il veut quitter son bureau, il voit que sa lettre lui est revenue sans avoir été ouverte. Le lendemain, le Ministre lui demande de quoi il voulait lui parler, et Harry invente.

Il fait brûler la lettre dans cheminée en la regardant jusqu'à ce qu'elle soit entièrement consumée.

C'est les yeux des chiens
Quand il pleut des os
C'est les bras du Bien
Quand le Mal est beau
C'est quelquefois rien
C'est quelquefois trop

Harry se rend compte au bout de quelques années qu'il n'appelle jamais ses enfants par leurs prénoms. Personne d'autre ne le remarque.

La mélancolie
C'est voir dans la pluie
Le sourir' du vent
Et dans l'éclaircie
La gueul' du printemps
C'est dans les soucis
Voir qu'la fleur des champs

Il part toujours tôt de son travail, et pourtant il rentre tard chez lui.

Les jours où il pleut, il se laisse tremper et ferme les yeux, et il écoute le bruit des gouttes qui tombent. Il respire à leur vitesse. Il respire.

Les jours où le soleil brille, il marche, jusqu'à en avoir mal au pied, jusqu'à ne plus sentir ses jambes, jusqu'à en avoir le souffle court et la poitrine qui brûle, il marche, et il n'arrive jamais nulle part.

Les jours où il neige, il rentre tôt. Il ne supporte plus la neige. De voir les flocons effacer ses repères. De voir tout disparaître.

Tout glisse entre ses doigts.

La mélancolie
C'est regarder l'eau
D'un dernier regard
Et faire la peau
Au divin hasard

Quand il passe des lacs, même en mission, il effleure toujours la surface de ses doigts, et il ramasse un galet pour faire des ricochets. Un, deux, trois. Il ne va jamais bien loin.

Et rentrer penaud
Et rentrer peinard
C'est avoir le noir
Sans savoir très bien
Ce qu'il faudrait voir
Entre loup et chien

Parfois Ginny le serre fort dans ses bras, et il fait de même.

Parfois elle le regarde plus longuement que d'habitude avant de lui souhaiter une bonne nuit et il sent qu'elle lui dit quelque chose mais il ne parvient pas à l'entendre.

Souvent, elle lui dit qu'elle l'aime et il dit moi aussi.

Souvent, il a peur de ne pas donner la bonne réponse, alors il ne dit rien et il l'embrasse doucement.

C'est un désespoir qu'a pas les moyens

La mélancolie, la mélancolie

Quand ils sont tous ensemble, c'est là que c'est le plus dur. De sourire, de dire qu'il est heureux, de raconter des anecdotes.

De se rendre compte qu'il devrait être autrement.

De se rendre compte qu'il est si seul.

Mais il oublie quand ses yeux s'illuminent lorsqu'il joue aux échecs avec Ron, ou quand Hermione les gronde doucement tous les deux et qu'ils partagent tous les trois un regard complice avant d'éclater de rire.

Et s'il semble toujours les regarder, et s'il n'arrive pas à détacher ses yeux de ses vieux amis, et s'il est toujours le premier à rappeler leurs souvenirs d'enfance et leurs aventures, ça ne veut rien dire.

Il est juste un peu nostalgique.