Il avait froid. Plus que tout. Plus que la soif, plus que la faim, plus que la fatigue. Il avait froid. Terriblement froid. Presque aucune lumière n'entrait dans son cachot. Un minuscule trou dans le plancher que formait le plafond lui permettait de spéculer sur le nombre de jours qu'il avait déjà passé dans cette pièce. Selon ses calculs et surtout son état, il considérait qu'il devait être là depuis deux ou trois jours.
La déshydratation commençait à avoir des conséquences sur son organisme. Des tremblements de plus en plus violents s'emparaient de son corps et il devenait de plus en plus compliqué de se mouvoir. Pourtant, Arthur se forçait à se relever et à faire le tour de sa cellule à chaque fois qu'il en retrouvait la force. Il était hors de question qu'il soit incapable de bouger si une occasion quelconque de s'échapper se présentait à lui.
Il avait retiré son armure qui était devenue trop lourde à porter, par contre il refusait de lâcher son épée ne serait-ce qu'une minute. Même à bout de force, il restait un combattant.
Les hommes de Morgane l'avaient enfermé avec tout son matériel et personne n'était venu depuis qu'ils avaient verrouillé la lourde porte en métal. Le plan de sa demi-sœur était sans doute qu'il finisse par se donner la mort, mais c'était mal connaître Arthur. Il mourrait de soif ou de froid avant de songer à mettre fin à ses jours. Il ne ferait jamais ça, pourtant il aurait eu bien des raisons.
En y songeant, il secoua la tête. Pris de vertiges, il s'accroupit contre le mur et tenta de contrôler sa respiration qui devenait de plus en plus saccadée. Il refusait d'y penser. Depuis deux jours, il faisait tout son possible pour ne pas se remémorer les événements qui avaient précédé son enfermement. Il y parvenait la plupart du temps, du moins, tant qu'il était éveillé.
Avec la fièvre, il commençait à avoir du mal à faire la différence entre le rêve, les souvenirs et la réalité. Alors, il énonçait encore et encore les quelques faits dont il était complètement certain : Je suis le roi, mon père est mort, Lancelot est mort, Merlin est mort...
C'était le décès de Merlin qui l'affectait le plus. Forcément, celui-ci était survenu quelques heures avant qu'il ne soit jeté dans ce cachot.
Ils avaient été pris en embuscade par Morgane et ses hommes. Avant même qu'il n'ait le temps de réagir, la sorcière s'était mise à hurler en une langue qu'il ne connaissait pas et Merlin s'était jeté sur lui pour faire barrage de son corps. Un jet de lumière avait touché le jeune serviteur et avait projeté tout le monde à terre. La tête d'Arthur avait heurté le sol violemment mais l'adrénaline l'avait maintenu conscient. Il s'était relevé d'un bond et avait pu observer Morgane et ses hommes faire demi tour pour disparaître dans les bois. Il ne comprenait rien à se comportement, mais son hébétement avait été stoppé net par la vision du corps de Merlin.
Ce dernier avait les yeux ouverts et fixait le ciel d'un regard vide. Le jeune roi s'était laissé tomber près de lui et s'était mis à le secouer doucement et puis plus violemment pour réveiller son ami. Mais Merlin ne dormait pas... Arthur avait déjà rencontré la mort de nombreuses fois dans sa vie et il savait la reconnaître quand elle s'abattait sur son entourage. Il approcha tout de même sa joue près du nez et de la bouche de Merlin pour essayer d'y déceler un souffle. Il posa sa main sur la poitrine de son ami mais dû se rendre à l'évidence. S'échappa alors de sa gorge un gémissement qu'il ne pu contrôler, un cri de détresse dont il ne se savait pas capable.
Désorienté et sous le choc, il prit Merlin dans ses bras et le souleva. Il n'était pas question qu'il le laisse ici. A la merci des animaux et des voyageurs. Il fallait qu'il le ramène à Camelot, il fallait qu'il l'enterre, qu'il creuse une tombe, qu'il fasse construire une stèle. Il ne pouvait pas le laisser là, mais ils étaient partis sans chevaux. Alors il le porta sur plusieurs kilomètres. A ce rythme il atteindrait les murailles de son royaume dans trois ou quatre heures. Mais sa tête commençait à tourner. Une bosse plutôt conséquente s'était formée à l'arrière de son crâne et il avait l'impression que chacun de ses pas résonnaient dans son cerveau comme un coup de marteau sur du métal.
Quand ses jambes refusèrent de le porter plus loin, il sortit du chemin et chercha un endroit sûr pour cacher ce qui était maintenant le corps de son ami. Après quelques minutes, il remarqua un renfoncement qui s'était formé au pied d'un rocher de plusieurs mètres. Il déposa Merlin au plus près de la pierre et retira sa cape. Avant de recouvrir la dépouille de son serviteur, il s'approcha de lui et murmura quelques mots à son oreille. Ensuite, il étendit sa cape et disposa quelques pierres pour éviter qu'elle ne bouge. Il allait revenir. Il rentrerait jusqu'à Camelot, prendrait des chevaux et viendrait récupérer le corps de son ami. Il lui offrirait une cérémonie et une place dans le cimetière royal. Personne ne pourrait l'en empêcher.
Mais sa blessure à la tête était plus importante que ce qu'il avait bien voulu croire et après avoir marché moins d'un kilomètre il s'était effondré sur la route. Incapable de bouger, il n'avait pu se défendre lorsque deux hommes étaient descendus de cheval et l'avait emmené dans le cachot où il pourrissait maintenant depuis deux jours. Il n'avait pas été capable de se défendre, par contre, il avait pu les entendre et s'était très vite rendu compte qu'ils le ramenaient à Morgane.
Celle-ci les attendait non loin de là et ne s'était pas privé d'afficher sa joie en voyant son demi-frère dans cet état pitoyable.
« Plus personne ne pourra te sauver maintenant que j'ai anéanti le sorcier que tu employais comme serviteur. Le sortilège de mort t'était destiné, mais puisqu'il a choisi de se sacrifier pour toi, simple mortel, je vais te laisser t'éteindre dans le noir et la solitude. Alors, peut être comprendras-tu les heures sombres par lesquelles je suis passée quand j'ai compris que toute ma vie n'était que mensonge ».
Arthur ne pouvait même pas ouvrir les yeux, tant sa tête le faisait souffrir. La lumière lui était devenue insupportable et il avait accueilli les ténèbres de son cachot avec une certaine gratitude.
Il avait néanmoins senti son cœur se briser en mille fragments quand il avait réalisé la vérité sur la nature de celui qu'il considérait comme son meilleur ami.
Cela faisait plus de 48 heures qu'il ressassait les nombreux souvenirs qu'il avait en compagnie de Merlin avec ce nouvel angle de vue. Finalement, ce n'était pas tant que son serviteur lui ait menti qui le terrassait, mais le fait simple et irrévocable qu'il ne lui avait jamais fait confiance.
Bien sûr Arthur était le dirigeant d'un royaume où la magie était bannie, mais cela ne découlait pas de sa propre volonté. Il se souvenait d'ailleurs avoir eu plusieurs conversations sur le sujet avec Merlin. Celui-ci avait eut de nombreuses occasions de lui avouer son secret. Et lui-même avait, à de nombreuses reprises, été à deux doigts de découvrir la vérité sans jamais se douter de quoi que ce soit. A chaque fois que son esprit l'emmenait dans ce genre de réflexions, Arthur sentait son estomac se soulever et il était pris de hauts le cœur violents à l'idée qu'ils n'auraient plus jamais l'occasion de s'expliquer.
Le corps de Merlin gisait dans la forêt et finirait par pourrir au pied du rocher où il l'avait laissé. Il n'y avait rien qu'Arthur puisse faire. Il finirait aussi par mourir, et cela ne tarderait plus s'il n'avait pas l'occasion de boire d'ici les prochaines heures. Il sombrerait dans un rêve qui mènerait à un coma de plusieurs heures et finirait par rendre l'âme.
Après plusieurs heures de léthargie, Merlin finit par réussir à bouger ses doigts, ses orteils et enfin à ouvrir les yeux. Malgré la cape qu'il avait sur le visage il pouvait percevoir la lumière du jour. Cela faisait plusieurs heures qu'Arthur était parti chercher de l'aide. Il avait promis de revenir. Il avait dit de nombreuses choses et si le jeune homme n'avait pas été complètement immobilisé par le sort de protection qu'il avait projeté sur la clairière pour sauver Arthur et sa propre peau il aurait hurlé à son ami que jamais il n'avait regretté de s'être mis à son service et qu'il se jetterais entre lui et la mort toutes les fois où il en aurait l'occasion.
Enfin, il fut capable de se mettre debout. Après quelques secondes de flottements, il décida de suivre les traces de son ami. Il partait avec deux avantages de taille : Morgane était sans doute persuadée qu'il était bel et bien mort mais surtout, Arthur avait été imprégné par le sort et il était, de ce fait, beaucoup plus simple à pister. Merlin ne devait en réalité même pas regarder le sol pour savoir dans quelle direction était parti son ami. Et c'est assez rapidement qu'il se retrouva à l'endroit précis où Arthur s'était effondré quelques heures plus tôt.
