Chapitre 1
Le Miroir
Il avait peur…
Comme à chaque fois qu'il se promenait dans la rue…
Comme à chaque fois qu'il marchait… Toujours seul.
Un bruit suspect le fit tressaillir. Il se retourna brusquement.
Rien. Comme toujours. « Saletés de pigeons qui se battent sur les toits à n'importe quelle heure du jour et de la nuit ! ».
Un lampadaire qui clignotait. « Il ne manquerait plus que la pleine lune, jaune-orangé, quelques chauves-souris, et on se croirait dans un film d'horreur ! » Non pas qu'il en ait vu beaucoup, mais le simple aperçu qu'il en avait lui permettait de bien visualiser la chose.
Et là… Il se sentait dans la peau d'une victime dans un de ces navets…
Sa vie était foutue. Il le savait bien. Depuis trois ans maintenant il ne cessait de se demander pourquoi il se levait chaque matin. Pourquoi ne pas en finir ? Personne ne le regretterait. Au contraire, cela serait plutôt un soulagement pour tous. Qu'est-ce qui le poussait à continuer ? Toujours la même réponse : la vengeance. Ou plutôt, un désir malsain de contredire les gens : même lui pouvait vivre ! Il suffisait simplement de respirer.
Enfin il arrivait à son appartement. Un quartier miteux en pleine zone moldue, où les filles se faisaient violer à chaque coin de rue, et où les overdoses et meurtres étaient monnaie courante.
Quelle vie ! Pourquoi vivre lorsqu'on se retrouve coincé ici ?
« Vengeance », se répétait-il.
Il entra après avoir fait jouer sa clef une bonne dizaine de fois. « Quand est-ce que le proprio viendra réparer cette serrure ?... Jamais… Il a bien trop peur de venir s'aventurer ici… ». Les marches glissaient, et il manqua de tomber trois fois. La femme de ménage ne venait plus depuis qu'elle avait appris comment avait fini son prédécesseur. « Tragique… ».
Il soupira lorsqu'il arriva enfin au sixième étage. Sans ascenseur, naturellement. Il entendait les habituels cris de disputes venant de la porte 63. Des bruits de verre lancés contre la porte. Comme d'habitude. « Ils doivent racheter leur vaisselle tous les jours », pensa-t-il inconsciemment. Il se souvint vaguement de la femme lorsqu'elle était descendue sortir les poubelles. Elle était salement amochée. L'homme, il préférait l'éviter depuis qu'il avait manqué de l'assommer contre le mur. Un simple regard qui ne lui avait pas plus. « C'est pourtant pas de ma faute si j'ai cet air hautain ! Je suis né avec ! », râla-t-il dans sa tête. Mais il n'avait rien dit. Il voulait rester en vie. Pourquoi ? Vengeance…
Son voisin d'en face, au numéro 65, s'envoyait encore en l'air. Ils avaient l'air d'être plusieurs. Il se demanda vaguement si tous étaient consentants. Mieux vaut ne rien savoir. La règle d'or lorsque l'on vivait dans ce genre d'endroit était : mêle-toi de tes affaires si tu ne veux pas qu'on se mêle des tiennes… Et il n'avait pas du tout envie que l'on se rende compte de son existence. Il voulait disparaître. Tout en restant visible. Paradoxale, n'est-ce pas ?
Il passa enfin la porte 66, rassuré. Ici, il était en sécurité. Ou du moins un peu plus. Il avait cru que le 67 allait défoncer sa porte lorsqu'il avait jugé sa musique un peu trop forte. Depuis, il n'allumait plus sa radio. Trop dangereux.
Il n'était pas trouillard. Juste réaliste. Il savait bien qu'avec sa frêle silhouette de jeune fille, il ne faisait pas le poids. Sans compter qu'il ne pouvait plus utiliser sa magie pour se défendre de peur qu'on ne l'envoie à Azkaban. Une fois, il s'était simplement entraîné chez lui au sortilège Expelliarmus, et des Aurors avaient transplanés dans son appartement pour l'immobiliser. Heureusement, il était seul, et ils étaient repartis, déçus. Ils auraient bien voulu l'embarquer. Ils en rêvaient. Pour enfin débarrasser le monde de la vermine. Et lui, était le seul encore en liberté.
Il soupira encore une fois en jetant ses clefs dans un vide-poche. Il fixa son reflet dans la glace face à lui, et se débarrassa de son blouson en faux cuir, son écharpe qu'il avait fabriquée avec un bout de tissu, et son chapeau qu'il avait trouvé dans la rue. Il l'avait lavé trois fois avant d'oser le mettre.
Quelle misère ! Il fût un temps où il portait de magnifiques vêtements de marque. Mais on lui avait tout repris. C'est à peine s'ils lui avaient laissé ce qu'il portait sur lui… Une chemise de mousseline blanche, un pantalon de costume en jersey noir avec une veste assortie, le tout taillé pour lui par des mains expertes. Il les gardait au fond de son armoire, bien à l'abri. Il n'était pas assez fou pour porter cela dans son quartier : il aurait été une cible de choix. Il avait été soulagé de voir qu'on lui avait laissé son compte en banque. Bien maigre, certes, mais suffisant pour procurer le nécessaire de survie. Soit : un toit pour dormir, un frigo pour conserver la nourriture, et quelques vêtements. En bonus, il avait même pu s'inscrire à des cours par correspondance ! Etudes moldues, bien sûr, personne ne l'aurait laissé apprendre la sorcellerie. Et il avait trop peur de sortir souvent dans la rue pour aller directement en cours, d'où la correspondance. Déjà qu'il devait se déplacer pour se procurer de quoi vivre. Pardon, survivre.
Il était tout à ses réflexions lorsqu'il se rendit compte de se qu'il avait sous les yeux. Lentement, il s'approcha du miroir pour voir le magnifique œil au beurre noir que lui avait fait ce sale moldu. Il n'avait rien fait, juste se trouver au mauvais endroit au mauvais moment, comme beaucoup de gens. Heureusement qu'il courrait vite et était doté d'une grande agilité. Cela lui avait permis de s'enfuir. Mais bon, ce soulard l'avait pris par surprise avec son coup de poing. Et avec sa peau pâle, limite maladive, le bleu, devenu violet sombre, contrastait à merveille. Surtout qu'aucun élément de sa personne n'était sombre.
Outre sa peau blanche, ses longs cheveux ultra raides étaient si blonds qu'ils en étaient également blancs aux reflets argentés. Il portait une chemise légère blanche et froissée, puisqu'il n'avait pas de fer à repasser. La seule couleur provenait de son pantalon droit et beige, et de ses chaussures marron avec légère talonnette noire. Les talons le grandissaient un peu. Il pensait qu'être un peu plus grand lui faisait gagner en virilité. Il mesurait pourtant un bon mètre quatre-vingt. Mais il était fin, très fin, limite maigre, élancé, souple et pointu. Même son visage était d'une grande finesse et allongé : un petit nez droit, mais trop court des yeux montants vers les tempes un menton pointu des pommettes hautes et saillantes une bouche très fine d'un rose très pâle.
Il ne s'aimait pas. Trop frêle, trop fillette. Surtout ses jambes, très longues et très fines. Il tentait de les cacher avec des pantalons larges, sans beaucoup de réussite. A cause de cela, il était la cible privilégiée des violeurs. Mais, effectivement, il courait vite, très vite…
Cependant, c'était dans ses yeux qu'il concentrait toute la haine sur sa personne. Car il avait hérité des gênes de son père. Son sale crétin et immonde père. Celui qui avait gâché sa vie. Qu'est-ce qui avait bien pu passer dans sa tête lorsqu'il avait décidé de faire un gosse ? « Non mais franchement, il avait beau être intelligent, c'était la pire connerie qu'une personne puisse faire ! », s'exclama-t-il intérieurement, avec haine. Car son père avait la rare particularité de posséder des yeux changeants de couleur suivant ses émotions. Mais ils avaient finis par garder cette lueur rouge, celle causée par la haine et la colère.
Pris d'une brusque bouffée de rage, il se mit à frapper violemment le miroir de son poing. Encore et encore. A l'endroit de son visage. La glace éclata en morceaux acérés, tranchants sa peau si pâle pour la colorer de rouge. Mais au bout de trois coups, le son d'une porte qui s'ouvre brusquement le fit s'arrêter. Dans le silence soudain, il guettait le moindre bruit de pas. Terrorisé que l'on vienne défoncer sa porte pour le faire taire à jamais.
C'est avec soulagement qu'il entendit quelqu'un descendre les marches glissantes de l'escalier. Il s'affaissa dans un soupire avant de ricaner devant sa propre couardise. Décidemment, même chez lui, il avait peur.
Son regard fût attiré par son propre reflet dans un des débris qui jonchaient le sol. Oui… Ses yeux avaient pris la couleur de la peur : noir.
Cette couleur revenait souvent, éclipsant les autres. Cela faisait très longtemps qu'il n'avait plus vu le violet clair de la joie. En réalité, il ne l'avait vu qu'une fois. C'était le jour où il avait reçu sa première et unique peluche, au Noël de ses cinq ans. C'était la seule fois qu'on lui avait offert un jouet. Ou même quelque chose qui lui plaisait.
Il avait vu le gris sombre de la tristesse, le rouge de la haine, le blanc de la gêne, le gris clair métallique de l'indifférence, ou le bleu de l'espoir. Ce dernier également, était plutôt rare. C'était cette couleur qu'il avait arboré lorsqu'il avait compris qu'on ne l'enverrait pas en prison. Cette teinte aussi, lorsqu'il avait cru pouvoir échapper à son destin. Mais ce monstre appelé « Elu », « Survivant », ou « Celui-qui-a-vaincu-celui-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-Nom », l'en avait empêché. Il n'avait pas eu le temps de prouver qu'il n'était pas comme son père. Qu'il n'était pas comme Voldemort.
Certes, il portait le nom de son plus fidèle serviteur, dans l'unique but qu'il puisse survivre lorsqu'il était né à Sainte-Mangouste, alors que Lucius Malfoy n'avait pas encore été officiellement Mangemort. Il était donc devenu Draco Malfoy. Mais son père biologique était Voldemort, Tom Riddle Jedusor. Et sa mère, une pauvre sorcière morte lorsqu'elle l'avait mis au monde. Son géniteur, trop occupé, avait laissé le soin à Lucius et Narcissa Malfoy le soin de l'éduquer : c'est-à-dire avec l'objectif qu'il devienne le digne successeur du Seigneur des Ténèbres.
Des larmes de dégoûts perlèrent au bord de ses yeux. Rien que de penser à ses deux pères, l'un biologique, l'autre d'adoption, lui donnait envie de vomir. Il comptait bien attendre sa majorité pour s'enfuir et se battre contre ces deux cinglés mégalomanes. Mais il n'en avait pas eu le temps. Ce crétin de Harry Potter était arrivé avant. « Connard d'Elu », s'emporta-t-il dans un murmure à peine audible. Il en venait à le haïr aussi fort que ses pères.
Il se releva avec élégance, noble éducation oblige. Cette noblesse était le seul vestige de sa fierté, sans doute ce qui l'aidait à tenir. Il ramassa les déchets avant de les jeter. « Non, décidemment, ce miroir était une mauvaise idée. »
