I – Entrée dans l'arène.

Une plaque métallique m'éleva jusqu'à la lumière du jour. Celle-ci m'éblouit, je me couvris les paupières du poignet et du bracelet en mousse que m'a offert Cornélys avant que je ne parte pour le Capitole et ses jeux meurtriers. Un froid mordant acharna ses crocs sur mes mains, seulement habillées de mitaines assorties à mon pull à col roulé bleu marine. On m'a vêtu d'un grand manteau tombant jusqu'à mes mollets, d'un pantalon et de chaussettes pouvant m'isoler du froid. Quand mes yeux se furent accommoder à la lumière, je me rendis compte que j'étais au milieu d'une forêt de conifères aux branches submergées de bracelets blancs. Le sol aussi est tapissé de neige. Le thème de l'arène pour cette année est donc un paysage hivernal ? Je baissai mes bras. Je ne peux les fourrer dans mes poches ou me permettre de me frictionner le corps pour éviter qu'il ne refroidisse, je dois être prête à courir dès que je pourrais me déplacer hors de mon socle.

Je ne suis pas seule, d'autres personnes attendent elles-aussi devant une imposante corne d'abondance argentée. Je reconnais certains des tributs, dont j'ai étudié les techniques de combats lors de nos entraînements. Je ne me suis concentrée que sur ceux qui me semblaient potentiellement dangereux pour moi. A côté de moi se trouve Coltrène du District 10. Un grand gaillard bâtit comme un grizzli. On l'a surnommé la Bête dès la parade des chars lors de l'ouverture des Hunger Games. Lui et sa partenaire, Katerina, étaient vêtus de peaux d'ours pour avoir un air sauvage et indomptable. Ils avaient laissé leurs cheveux défaits, s'étaient couverts la peau de maquillage rouge sang et avaient brandit des poings fermement serrés vers le ciel. Ils ont tout de suite parus bestiaux et forts, la musculature qu'a dévoilé Coltrène dans une combinaison trop moulante pour ses gros muscles quand il s'est entraîné à lancer des lances contre des mannequins en bois a confirmé mon hypothèse sur son mental. Il est un fonceur. Il est un tueur de sang-froid, il n'hésitera pas à me tuer quand il en aura l'occasion. Il faudra que je me tienne éloignée de lui. Il est fort à mains nues, et peut-être même encore plus lorsqu'il est en possession d'armes. Sa compagne est moins impressionnante, elle s'est montrée plus réservée et je n'ai pas appris grand chose sur son compte. Je dois de méfier d'eux et fuir lorsque je verrais des têtes arborer leurs toisons frisées couleur ébène.

Plus loin se trouve un jeune homme, d'une chevelure cendrée qui pourrait se morfondre parmi les aiguilles de sapin une fois que la nuit noire sera tombée. Il est du District 8, si je ne me trompe pas son nom est Quartz. Au contraire de la brute épaisse du district des éleveurs, ses membres sont fins. Il ne doit pas compter sur la force brute, il faut que je m'en méfie aussi. Alors que je pense à lui, il se tourne vers moi et pince ses paupières. Il m'a ciblé. Je maintiens son regard, le défi en attendant qu'il détourne le sien avant que je ne regarde les autres tributs avant le « lâcher des vingt-quatre fauves assoiffés de cadeaux » . Il se tourne vers les sacs et accessoires débordant de la corne d'abondance, j'en profitai pour regarder mes autres adversaires.

Puis mon regard s'arrêta sur un autre visage masculin. Celui d'un homme d'un peu près mon âge blond aux lèvres charnues déjà écaillées par le froid. Je le devine, à le voir humidifier abondamment celles-ci de sa salive. Sa chevelure vénitienne, presque rousse, passera difficilement inaperçus dans ce paysage dominé par le noir et le blanc. Ma chevelure chocolat noir aurait plus de chance de se morfondre dans le paysage que la sienne. Il se tourna vers moi et m'adressa un regard inquiet avec ses yeux d'un azur plus clair que le ciel déjà bien dégagé. Il me fit des signes avec sa main gauche. Il contracta son pouce et son auriculaire, puis tout ces doigts. Dans notre district, c'est un code que s'envoient les pêcheurs placées autour d'un fleuve pour communiquer quand les bruits d'eau empêchent de s'entendre sans devoir recourir aux cris. Le chiffre trois est employé pour parler d'une dispersion. Nous allons devoir nous séparer l'un de l'autre. Le poing fermé et une promesse de retrouvailles. Les enfants emploient souvent ce signe après qu'ils se soient chamaillés, pour se promettre un nouvel affrontement. Celui-ci n'a que rarement lieu, souvent ils l'oublient ou font mine de l'oublier pour éviter les ennuis. Mais son autre signification est plus sentimentale. Elle promet entre deux amants des retrouvailles certaines. C'est une promesse de fidélité. Je reproduisis ce geste pour Weldof. C'est certain que nous nous retrouverons. J'y crois fermement. Il m'est un allié important. Je ne connais aucune autre personne pouvant s'adapter rapidement aux nouveaux environnements qu'il rencontre. J'aurais besoin de lui pour chasser, trouver des abris naturels et me servir de son bon odorat pour d'autres choses. Son aide me sera vitale. Mais je ne dois pas dépendre de celle-ci, en attendant nos retrouvailles je devrais me débrouiller seule. Nous en avions parlé la veille, et notre séparation est un bon départ. Si l'on prend déjà la fuite ensemble, nous serons des cibles faciles. Personne encore ne sait la relation fusionnelle que nous partageons. On a été volontaires pour participer aux Hunger Games, nous aurons besoin l'un de l'autre pour survivre comme nous l'avons toujours fait.

En dernier message, Weldof croisa son index et son majeur puis joignit sous ceux-ci ses autres doigts. J'en fis autant. Lorsque deux personnes s'adressent ce même code, c'est pour se préserver des mauvaises tentations. Comme celles débordant de cette immense corbeille à cadeaux. Il s'y trouve des arcs, des épées, même un katana et une chaîne en acier, des cordes, des arbalètes et des sacs de toutes les tailles. Tous devant au moins comporter quelques vivres et outils qu'il me sera important de posséder pour augmenter mes chances de survie. Mes propres chances de survie. Désormais, je ne peux plus compter sur ma tutrice borgne ou de l'hôtesse des jeux du District quatre. Ni même sur Cornélys ou Weldof. J'entends dans mon crâne le public acclamer « Jellena l'aigle ! Weldof le traqueur ! » , Claudius Templesmiht nous avait comparé dans sa dernière émission à des chasseurs maîtres dans l'art de la traque mais notre tutrice nous a blâmé d'être trop jeunes pour se vanter de pouvoir gagner les jeux de cette année.

Une minute s'écoula, un signal fut lancé. Les tributs s'élancèrent vers la Corne d'abondance et les cadeaux qu'elle a vomit sur la neige scintillante. Je plongeai mes bottes dans celles-ci non pas pour suivre ces êtres avides d'armes mais pour m'enfuir vers la forêt. Le chiffre trois indiqué comme l'a fait Weldof nous interdit toute inquiétude envers l'autre. S'il aurait levé son auriculaire au lieu de son annulaire, son message aurait été « Prend la fuite, sans t'inquiéter pour moi » . Ce qui ne l'interdit en aucun cas de s'inquiéter pour mon compte. Je filai comme une flèche dans la direction opposée à la sienne, fuyant ces tributs de tout âge se disputant des denrées. Je les entendis gémir de douleur, hurler de rage et déverser du sang sur leurs vêtements. Combien d'entre eux vont succomber dès la première attaque ? Je dois me concentrer sur ma fuite.

J'entends des pas me suivre. Je compris que ce sont des autres tributs qui se sont jetés sur les sacs mais lorsque je me suis retrouvée à vingt mètre de la corne d'abondance les pas continuèrent de se faire entendre. On me poursuit, c'est certain. Qui c'est ? Je ne peux me retourner, je risque de ralentir ma course. « Saute dans un arbre et fuit la terre » , m'a conseillé ma tutrice avant que je ne m'élève vers l'arène. Je dois prendre mon envol, m'élever dans ces arbres aux branches minces et bondir au plus loin de mes adversaires pour les laisser évacuer leurs premières vagues de tueries derrière moi. L'un d'eux a dut me prendre pour une cible facile.

Une fois plongée dans le bois, je remarquai un rocher incliné orienté vers une branche assez basse. C'est ma chance, je dois la saisir ! Je montai sur celui-ci et m'en servit d'appui pour m'élancer sur le sapin ciblé et m'éloigna de mon adversaire. Il n'a pas eut le temps de m'attraper ou de me stopper en chemin, c'est aussi une chance qu'il n'ait eut le temps de se procurer des projectiles. De la neige tomba au sol derrière mon passage. Les branches sont trop frêles pour que je m'attarde sur celles-ci. Je dois foncer de l'avant et si possible semer mon poursuivant. Il faudra ensuite que je me trouve un abri pour m'y cacher et de quoi me réchauffer dans celui-ci. Les nuits seront glaciales, je devrais sûrement affronter des blizzards et de la grêle. Pour l'eau, je n'aurais qu'à fondre la neige. Pour la nourriture, je pourrais toujours pêcher. Mais je dois me dissimuler dans un coin d'ombre.

Mes jambes me portèrent loin, si loin que je perdis leur contrôle et ne bondissait plus que par réflexe. Mes pieds s'orientèrent eux-même vers leurs appuis et m'élancèrent toujours plus haut ou plus bas mais jamais je ne déviai ma route. Mais en perdant leur contrôle, je ne pus empêcher mon corps de me diriger vers l'extrémité d'une falaise. Mon corps se retrouva perché en hauteur, il resta quelques instants en apesanteur avant que la gravité ne me tire vers le sommet enneigé des pins plusieurs mètres plus bas. Je croisai mes bras et tomba sur les branches en gardant mes paupières fermées. Je glissai sur celles-ci. Mon corps roula dans tout les sens avant qu'il ne tombe au sol sur mon bras droit. Il m'arracha un cri de douleur. Est-il cassé ? Fracturé ? Vais-je perdre son usage ? Je roulais difficilement sur le côtés pour pouvoir me relever sur mes jambes alors que mon autre bras aida celui blessé à rester croisé. J'ai besoin de bandages, ou d'un bout de tissu pour soutenir mon membre. Je ne dois pas le perdre, pas aussi tôt. Je me mordis les lèvres pour me retenir de hurler quand je glissai dans la neige et écrasai mon torse, dont mon bras droit, au sol. Je me relevai à nouveau et marchai. Je dois me cacher, maintenant ou jamais. Si l'on me trouve, on va me tuer. Comment vais-je m'en sortir si je ne peux plus accéder à la corde d'abondance ? Les cadeaux de mes sponsors ne pourront me fournir tout ce dont j'ai besoin. Ils doivent être limités dans l'offre des cadeaux. Mon stalker a-t-il prévu de me suivre ? Il doit être assez intelligent pour savoir qu'en sautant il risquerait d'y perdre une ou plusieurs jambes et qu'en prenant le temps de descendre la falaise en s'accrochant à sa paroi minimiserait les risques de démembrement.

Mes jambes traînèrent dans la poudreuse blanche en direction de l'inconnu. Weldof doit déjà s'être trouvé une cachette. Que va-t-il advenir de mon sort ? A ce rythme, je vais décomposer mon corps en enchaînant plusieurs chûtes maladroites et mourrai sans forcer les tributs à lever un doigt sur moi. Peut-être même qu'ils attendront que je meurs quand ils sauront mon pathétique état.

Voilà le portrait que je montre à mes spectateurs : celui d'un rapace qui n'a sut voler aussi loin qu'il le voulait et qui a perdu une aile en poursuivant un espoir vain. L'illusion m'a conduit à une mort assurée que j'ai put évité de justesse grâce à la chance. Quelle image je donne de moi-même ! Je suis la risée des tributs, désormais ! Quelque chose de chaud découla de mon bras. J'appliquai ma paume gauche dessus et la retrouva couverte de sang. Je saigne... Je dois me cacher avant que des bêtes sauvages ne trouvent ma piste et envisagent de m'achever.