Il existait une fleur qui ne poussait qu'à l'Étoile Filante. Elle se nourrissait des déchets toxiques et était le seul signe de vie sur les territoires les plus infestés que même les rats fuyaient. Elle était d'une couleur rouge et feu, avec une tige épaisse pour résister aux vents incessants, et sa corolle torsadée offrait à l'imagination des silhouettes se tordant dans des flammes. Elle grandissait à une vitesse peu naturelle et ne fleurissait qu'un jour avant de mourir. Les déchets qui étaient sa subsistance étaient aussi sa condamnation. Elle était l'emblème de la ville.

C'était aussi la fleur préférée de Kikyo et Silva déterra une jeune pousse qu'il planta dans une boite de conserve rouillée. Il aimait lui ramener un souvenir de sa ville natale quand il avait y avait un contrat. Elle n'était pas femme à exiger ce genre d'attention mais elle était enceinte de leur troisième enfant, et Silva essayait de la garder calme et de bonne humeur. C'était mieux pour le bébé.

Il se déplaça à foulées souples et silencieuses, son attention focalisée sur les silhouettes invisibles autour de lui. Il était suivi et il le savait. Il l'était toujours. C'était un truc des gens d'ici. Ils ne l'attaquaient jamais. Non pas qu'ils eussent peur de lui. Non, ce qu'ils voulaient, c'était le nom de son employeur. Le goût de la vengeance courait dans toute la ville, et imprégnait l'atmosphère, comme les vents insupportables et la puanteur qu'ils charriaient. Silva respectait cela. Mais il ne laissait jamais échapper le moindre indice. Question de professionnalisme.

C'était pour cela qu'il avait donné rendez-vous à son client à l'extérieur de la ville. Les habitants s'y aventuraient rarement. Silva avait tué pour récupérer un objet sur le cadavre, qu'il devait remettre en mains propres, sinon il n'aurait même pas pris la peine d'un rendez-vous.

Il arrivait aux limites de la décharge et déjà la pression de ses poursuivants s'affaiblissait. Il n'en restait plus qu'un seul, Un tenace, ou un optimiste. Ou encore un débutant, car il se cachait mal, et s'approchait bien trop.

« C'est pour votre femme ? »

Silva se retourna et fronça les sourcils. Il ne s'était pas attendu à une attaque directe. Ni à ce qu'il avait sous les yeux. Un gamin, pas bien grand, et fluet comme une fille, sortait de derrière un tas d'ordure rouillées, les mains dans les poches. Il portait une chemise d'un blanc immaculé, ce qui était surprenant dans une décharge. Il avait des yeux fiévreux qui lui dévoraient le visage, et le vent qui soulevait ses cheveux dévoilait une marque étrange au milieu du front. Il était d'ici, cela se voyait à sa façon de se déplacer, à l'aisance de ses mouvements. Sa posture n'était pas agressive. Il semblait juste curieux.

« Qu'est-ce que tu veux, petit ?

— La fleur, c'est pour votre femme ? C'est une fleur de passage. On dit qu'elle porte bonheur aux enfants à naître et qu'elle abrège l'agonie des mourants. Elle est enceinte ou elle va mourir ?

— Qu'est-ce que ça peut te faire ?

— Ce sont des fleurs très rares. Il faut savoir les apprécier. Il faut que ce soit pour quelqu'un d'ici.

Silva laissa échapper un grognement amusé.

— C'est donc pour ça que tu me suivais ? Tu veux la fleur pour ta maman, gamin ?

— Je n'ai pas de maman.

— Alors va jouer et laisse-moi tranquille.

Silva reprit sa marche, ignorant l'enfant. Il serait facile à semer. Pourtant, d'un bond leste, le mioche se retrouva devant lui, lui barrant le passage. Il avait toujours cette posture hésitante, un sourire peu assuré, et un regard grave et fixe qui lui rappela étrangement Irumi. Ce gamin devait être à peine plus âgé que lui.

« Je ne donne jamais le nom de mes employeurs, tu perds ton temps.

— Je ne viens pas pour ça.

— Alors dis-moi et va-t-en. »

Le gamin pinça les lèvres dans une grimace timide. Il était clair qu'il n'avait pas envie d'aborder de front le sujet. Silva avait déjà vu cette gène.

— Non. Trouve quelqu'un d'autre. Tu es manifestement trop pauvre pour m'engager et je ne fais pas de tarif enfant.

— Je ne viens pas pour ça non plus. Et si je décide qu'une personne doit mourir, elle meurt.

Le gamin avait une voix douce et calme qui s'était durcie sur cette dernière phrase. Sur une intuition, Silva utilisa son gyo. Oui, le gamin avait une aura, fine mais très brillante. Un débutant, mais prometteur. L'enfant comprit qu'il était observé et reprit la parole, d'un ton plus assuré.

— J'ai déjà tué, vous savez. De mes mains.

— Oui, je te crois.

— Je veux partir avec vous.

C'était donc ça. Silva eut un sourire en coin.

— Je n'engage pas mon personnel de cette manière, d'habitude. Mais j'aime ton culot. Si tu parviens à franchir le portail de mon domaine et à trouver ton chemin, mes intendants pourront te tester et voir si tu es digne d'être formé.

— Je ne cherche pas de travail. Je cherche une famille.

Une bourrasque de vent souleva les cheveux noirs de l'enfant et Silva vit que la marque sur son front était une cicatrice très ancienne. Elle était déformée par la croissance mais on devinait la forme d'une croix. Elle avait dû être faite dès sa naissance. Certaines mères marquaient leurs bébés avant de les abandonner ici. Les gens d'ici appelaient cela « la morsure de l'ange ».

L'enfant le fixait de ses yeux immenses, et quand il reprit la parole, sa voix était si douce qu'elle faillit être emportée par le vent.

— Adoptez-moi.

Silva ricana, et reprit son chemin. Il sentait le garçon le talonner. Cela ne l'inquiéta pas. Il n'arriverait pas à suivre le rythme bien longtemps. Il serait bientôt essoufflé, car lui qui avait eu du mal à aligner deux phrases le rattrapa et devint soudain intarissable.

— Je suis doué. Je connais le nen. Je sais tuer, proprement et rapidement. On n'a jamais retrouvé les corps, on ne m'a jamais soupçonné. Je ne laisse pas de traces. Je suis silencieux. Je connais les poisons, leurs usages, leurs propriétés, et leurs antidotes. Je sais en fabriquer moi-même. Je suis poli et propre. Je suis résistant à la douleur. J'étudie beaucoup. J'apprends vite. Je ferai un parfait Zoldyck.

Silva stoppa net, et l'enfant emporté par son élan lui rentra dedans. Silva lui jeta un regard furieux mais il ne parut pas impressionné le moins du monde.

— Si jeune et déjà si prétentieux. Montre-moi ton ren.

— Je ne le montre à personne.

— Je n'engage personne sans connaître ses capacités.

— Je vous l'ai dit, je ne cherche pas à être engagé.

— Je te laisse un espoir d'avoir un emploi très recherché. Ne sois pas ingrat. Si tu ne me réponds pas, ou si tu mens, tu perdras ta chance. Quelle est ta capacité ?

Le garçon baissa les yeux et rougit imperceptiblement.

— Tu n'en as pas encore, n'est-ce pas ?

— C'est… en cours de perfectionnement.

— Tu as quel âge ?

— Dix ans.

Silva toisa l'enfant.

— Tu mens. Mon fils aîné est un grand enfant de dix ans. Toi, tu es un gringalet de douze qui essaie de se faire passer pour précoce. Tu as perdu ta chance. Casse-toi.

Silva reprit sa marche à son rythme rapide. Le gamin n'essaya même pas de le suivre. Il le sentit le fixer du regard tant qu'il le pouvait, puis prendre une autre direction. Silva sortit de la ville et fouilla dans sa poche à la recherche de son téléphone pour contacter ses employeurs. Il se figea, les yeux agrandis par l'étonnement. Il n'y avait que son téléphone dans sa poche. Le gamin ne lui était pas rentré dedans par maladresse. Ce sale petit con lui avait volé la fleur.