Dans le palais royal, la naissance d'Eren avait enfin eu lieu. Tout le monde au royaume attendait cette naissance avec plus ou moins d'impatience, l'héritier de la famille royale Jaeger allait devoir prendre la place de son père à sa mort.

Dans une grande chambre luxueuse, Carla souffrait en tentant de donner la vie. Après plusieurs heures pénibles où sa raison semblait partir au loin, un cri plaintif se fit entendre. Les sages femmes qui l'entouraient prirent le nouveau venu dans leurs bras et l'essuyèrent avec mille précautions. L'une d'entre elles coupa le cordon ombilical et donna le nourrisson à la mère qui réclamait son fils. Elle sourit tendrement en apercevant son bébé et lui embrassa les joues à travers ses larmes de bonheur. Entre deux halètements, elle lui murmura tendrement à l'oreille :

- Eren Jaeger, j'ai si longtemps attendu ta venue en ce monde… Aussi impitoyable soit-il, vis mon enfant, vis…

Elle ne pu achever sa phrase, et rendit son dernier souffle contre la tempe de son fils, l'hémorragie interne ayant raison d'elle.

–dix-sept ans plus tard-

Le soleil baignait la chambre du jeune prince. La fin du printemps approchait, et l'été semblait de plus en plus présent. Eren s'étira et bailla aux corneilles. Il sonna la cloche située près de son immense lit, pour qu'on lui apporte ses vêtement et se frotta les yeux.

Cette nuit avait été agitée. Les horribles cauchemars qui hantaient ses nuits refaisaient toujours leurs apparitions, et s'endormir pour lui était un supplice tel qu'il avait l'impression de se préparer à se faire torturer.

Son valet et meilleur ami, Armin Arlett, rentra sans même toquer à la porte, force d'habitude.

- Bon anniversaire Eren ! Le blondinet hurla littéralement, posant les habits sur sa table de chevet, avant de lui sauter au cou. Eren, attendrit, lui ébouriffa gentiment les cheveux et le remercia d'un grand sourire.

Avec les années, il était devenu très rare de le voir sourire, alors Armin fit de même et l'étreignit encore un moment. Ils se séparèrent et Eren daigna enfin parler. Hélas, même s'il s'était laissé aller à un court instant de bonheur, la mélancolie perçait dans sa voix.

- Dix sept ans que je suis enfermé ici, et tu seras le seul à me le dire j'en suis sûr… Il soupira et prit tristement ses habits. Armin le regardait d'un air compatissant mais ne dit rien.

Il ne pouvait pas en redire grand chose de toute manière, à sa connaissance, rien ne pourrait un jour rendre le bonheur d'Eren. Son père, un roi froid colérique et odieux, l'avait fait enfermer au château depuis son plus jeune âge. Pourquoi ? Parce que son fils était spécial.

Dans ce monde, environ vingt pourcents de la population possédaient un pouvoir quelconque, totalement propre à chacun. Pour les distinguer, ils naissaient avec une petite marque noire, en forme d'étoile à cinq branches située sur l'omoplate gauche. Lorsque les sages femmes avaient remarqué ce signe distinctif sur le dos d'Eren, tout le monde était en joie d'apprendre qu'il possédait lui aussi un don, cela ne ferait de lui un roi encore plus puissant. Mais plus tard, quand les personnes du château avaient étés témoins de l'étendue de ce don les réjouissances s'étaient vite transformées en cris horrifiés.

De tous les dons recensés dans les archives du royaume, pas un n'arrivait à la cheville de celui d'Eren. Ce dernier pouvait contrôler les éléments et la gravité, déplacer des objets et les personnes humaines, rien qu'à la force de ses pensées.

Tout portait à croire qu'il ne s'agissait là que d'une infime partie de ses pouvoirs, et que biens d'autres étaient cachés, c'est pourquoi Ghrisa, le souverain cruel de ces terres, le maintenait dans l'enceinte du château, sous haute surveillance depuis son plus jeune âge. Des murs de fortification entouraient le lieu de vie d'Eren, et beaucoup de soldats étaient postés autour nuit et jour. Pourquoi de telles précautions ? Armin supposait que Ghrisa avait peur du potentiel de son fils, ou bien qu'il le voyait comme une arme dont personne à part lui ne pourrait, ne devrait se servir.

C'est ainsi qu'Eren avait toujours vécu, surprotégé par son père, sans aucun contact avec le monde extérieur, se cachant de tout, sauf de son meilleur ami. Bien entendu, son père lui avait interdit d'user de son pouvoir, mais Eren savait qu'il pouvait faire confiance à son valet. Alors, il fixa la pile d'habits posée à côté de lui et ceux-ci s'élevèrent dans les airs afin de se positionner correctement sur son corps. Armin n'était même plus surpris, il voyait cela depuis qu'il était tout petit, mais il s'émerveillait encore un peu de ce spectacle, peut-être même avec une pointe de jalousie. Quelques secondes plus tard, les vêtements prirent leurs places pour de bon et Eren se leva enfin. Il aurait aimé détruire tous les murs, mais si quelqu'un du château le voyait, le roi allait encore le corriger afin de lui faire passer l'envie d'utiliser de nouveau son don. C'était presque comme s'il devait en avoir honte.

Après une rapide toilette assistée d'Armin, les deux adolescents de dix-sept ans descendirent au premier étage du château ensemble. Les riches escaliers immaculés et les rideaux de velours étaient omniprésents dans toute la somptueuse demeure royale des Jaeger, de même que les lustres dorés à l'or fins et les perles de diamant qui pendaient dessus, aux côtés de bougies de cire carmin, dont les lumières dansantes se mêlaient aux rayons du soleil.

Arrivés devant la salle des cuisines, Armin le quitta afin de manger avec les domestiques, laissant son ami seul pénétrer dans la vaste salle de repas.

Son père s'y trouvait, trônant à table entouré de gras représentants hauts placés venus faire quelques affaires, traitants avec lui. L'hypocrisie que donnait cet échange donna à Eren l'envie de vomir, il détestait les faux-semblants, et n'appréciait pas du tout ce genre de comportements. On aurait dit des sangsues gluantes collées à la fourrure visqueuse de son père. Il entra sans un salut et s'assit à sa place, à l'extrémité opposée de son père. Ce dernier, remarquant que sa conduite n'avait absolument rien d'un futur monarque, le fusilla du regard en coupant sèchement la parole d'un des marchands :

- Salutation fils, je vois que les bonnes manières sont absentes même le jour de ton anniversaire.

Eren grimaça à l'entente de ces mots mais ne répondit rien, soucieux de préserver son corps d'un futur passage à tabac. Son père reprit d'un ton encore plus dur :

- Et alors ? Tu ne dis toujours rien ? Ne salues-tu donc point mes invités ? Ils ont des présents pour toi je te signale, il serait temps que tu apprennes à te sociabiliser. Là ce fut le mot de trop. Le prince explosa et dit avec rage :

- Je ne te permets pas de me parler de sociabilisation, père. J'aurais pu être sociable si, par une chance que je n'ai pas eu, je n'auraiss pas passé ma vie prisonnier de ces remparts, si, par miracle, tu aurais accepté ce que je suis, si, par bonheur, tu ne serais point ce crétin hypocrite et cruel qui traite avec des hommes gros et gras comme toi, assoiffés par le pouvoir. Son père se leva d'un bond et lui hurla dessus, faisant fi des autres hommes présents.

- Tu n'as pas à me permettre quoique ce soit, c'est moi qui donne les ordres dans ce château ! Si tu rêves tant de t'en-aller, tu n'avais qu'à dire à ton idiote de mère de ne pas engendrer un monstre !

Eren perdit l'usage de sa voix. Il ne pouvait plus parler. A la place, toutes les vitres de la salle à manger explosèrent, il ne contrôlait plus sa colère ardente et ne rêvait que d'étrangler cet homme abject debout devant lui.

C'était la première fois que le roi osait dénigrer sa mère. Il sentit des larmes de colère lui monter aux yeux et sortit de la pièce en trombe, alors que des personnes dans le couloir se précipitaient dans le sens inverse, pour voir ce qu'il s'était passé dans l'endroit qu'il quittait. Il pleura sur le trajet qui menait à sa chambre, il ne savait plus quoi penser. Alors, sur une impulsion, un empoigna la fine dague d'ivoire qu'il avait pu récupérer parmi les affaires de sa mère, sûrement un souvenir d'un quelconque voyage, et redescendit jusqu'aux cachots, dont le niveau se trouvaient sous le sol.

Quelques prisonniers en piteux état le dévisagèrent ébahis, alors qu'il se figea soudain et qu'il fixait le mur en face de lui. Celui-ci trembla, et ne résista pas longtemps face à la volonté du prodige. Unes à unes, les pierres tombèrent sur le sol, et découvrirent la terre derrière. Il imagina un tunnel dans sa tête, et aussitôt la terre se creusa d'elle-même, formant un passage assez grand pour qu'il puisse s'y tenir debout. Les gravats tombaient de plafond de ce passage, mais il les stoppait grâce à son pouvoir.

C'était la première fois qu'il l'exerçait sous le coup de la colère, la première fois qu'il s'autorisait pleinement à l'utiliser d'ailleurs. Il avança dans le sombre tunnel en construisant au fur et à mesure sa sortie. C'était décidé, il allait partir. Peu importe les conséquences, il devait s'en aller. Avant que son père ne le corrompe, avant que ses pouvoirs ne meurent, avant qu'il ne se résigne à passer sa vie enfermé.

Depuis sa naissance des spécialistes des pouvoirs, des scientifiques, des charlatans, beaucoup de personnes défilaient autour de lui. Le but de ces visites étaient qu'il apprenne à contenir son pouvoir, à vivre sans l'utiliser. Il réalisa enfin maintenant qu'on ne lui avait enseigné jusqu'alors, que le moyen de ne pas en faire usage, et non pas de le maîtriser. Il se promit intérieurement que s'il arrivait à sortir de l'enceinte de ce château, il apprendrait à l'utiliser, à développer son don.

Alors qu'il avançait sous le château, dans son sombre chemin sous terre, il s'étonna de ne pas avoir encore de gardes à ses trousses. Il se dit que ce ne serait plus qu'une question de temps et se dépêcha d'avantage. Il eut une triste pensée envers Armin, il ne lui avait même pas dit au revoir, il avait fuit sans lui. Mais il valait mieux. Car au cas où son père avait raison, s'il était bel est bien un monstre mais qu'il refuserait de l'admettre, au moins sans lui, il ne prendrait pas le risque de le blesser si celui-ci restait dans le château. Il lui souhaita une belle et heureuse vie, et versa quelques larmes de tristesse cette fois, en évoquant l'idée qu'il ne le recroiserait sans-doute jamais.

Au bout de plusieurs heures à avancer dans cet étroit tunnel de terre humide, qui ne tenait debout que grâce à son pouvoir, il décida de remonter dans la surface en créant un escalier de terre. Il fut étonné de voir à quel point il était bas par rapport au sol, car il eut à gravir beaucoup de marches avant de pouvoir enfin remonter à la surface. Un carré se découpa dans le plafond, et il pu voir le ciel bleu, sans aucun nuage, où rayonnait un soleil resplendissant.

La liberté, pensa t-il. Il ne voulait que ça, la liberté d'être ce que je suis.

Il trouvait vraiment étrange le fait que personne n'ai cherché à le suivre mais ne se questionna pas plus, bien trop content d'enfin échapper à son père. Il monta les dernières marches et, une fois à la surface, les pieds dans l'herbe verte, il relâcha instinctivement l'emprise de son pouvoir qui, jusque là, maintenait le tunnel. Un effroyable fracas retentit, un choc assourdissant qui fit trembler le sol. Cette sensation l'enivra et il cria de bonheur. Il venait de couper les chaîne, plus rien ne le retenait de faire ce qu'il voulait, de vivre comme un humble paysan, de reconstruire la vie qu'il n'a pas eu la chance d'avoir, d'être libre.

Eren leva la tête et fera les yeux, absorbant le soleil sous sa peau matte. Il y avait une raison à ce qu'il fasse si beau : Eren pouvait contrôler les éléments, dont ce qu'il se passait dans le ciel. S'il le voulait il aurait pu déchaîner une tempête et il le savait, il l'avait déjà fait à l'âge de huit ans, quand son premier cheval avait perdu la vie, succombant d'une maladie au cours de l'hiver. Il se souvint qu'il avait pleuré tellement fort qu'un éclair avait détruit l'écurie, et foudroyé le corps de son défunt animal. A la suite d'une sévère correction, il n'avait plus utilisé cet aspect de son pouvoir. Et il ressentait de la délivrance. Il rouvrit enfin les yeux émeraudes, à la fois d'un vert pur et puissant, et d'un bleu discret mais captivant. Ses mèches chocolat dansèrent devant ses si belles prunelles, et il sourit enfin. Il était quand même un peu affaibli par cet usage, son pouvoir l'épuisait un peu. Mais il fut certain qu'il tiendrait bon, et se rassura en ce disant que qu'il serait bientôt remis. Tout le monde le savait, l'usage d'un pouvoir affaiblissait temporairement son propriétaire.

Il jeta un œil aux alentours. Une forêt épaisse, pleine de petits buissons de dressait au Sud et loin au Nord, il pouvait apercevoir la silhouette des épais remparts qui protégeaient le château royal. Mais dans cette direction, s'il plissait bien les yeux, il pouvait aussi voir une sorte de nuage de poussière qui semblait avancer dans sa direction. Intrigué, il se concentra d'avantage, avant de constater avec horreur que l'une des nombreuses troupes de l'armée royale venait dans sa direction. Il écarquilla les yeux de surpris, ils seraient bientôt là. Qu'allait-il faire ? Des éclairs n'allaient pas tous les terrasser, mais il ne savait pas trop ce qu'il pourrait faire d'autre avec son pouvoir pour échapper à cet assaut. Car il comprit maintenant. Il comprit que si le roi ne l'avait pas fait poursuivre dans ce tunnel, c'est parce qu'il devait se douter qu'il s'écroulerait une fois hors de porté du pouvoir d'Eren.

Le roi avait donc précipité ses soldats à la recherche d'Eren. Pour le ramener ? Pour le tuer ? Cette idée amusa l'adolescent, à l'idée que toute l'armée était maintenant à sa recherche. Mais en même temps, bien que cela prouve sa valeur, il ne doutait pas que la route allait être ardue, pour qu'il soit enfin tranquille. N'ayant toujours pas de plan en tête, perdant du temps à réfléchir, les guerriers à cheval eurent vite fait de le rattraper et de l'encercler. La panique augmentait de seconde en seconde dans son cerveau, l'empêchant de réfléchir. L'un des soldats s'avança :

- Prince Eren ? Nous sommes ici pour vous ramener.

Il ne répondit pas, il se contenta de le fixer, ce qui déstabilisa fortement la jeune recrue qui avait parlé. Il plissa les yeux, en proie à un débat interne : comment allait-il s'en sortir ? Il aurait dû se cacher dans les buissons de la forêt, personne ne l'aurait vu. Au lieu de ça il était encerclé par ses futurs soldats.

- Prince Eren ?

Une vague de panique bien plus forte que toutes les autres le submergea à l'entente de son prénom. Ou plutôt du « prince » placé devant. Il ne voulait plus être appelé comme ça, cette époque où on le parquait comme du bétail était révolue. Un grondement de haine s'éleva de sa gorge, qu'il ne pu retenir. On aurait dit un animal, un félin qui défendait son territoire. Dans un grand cri de rage, il hurla en se faisant le plus grand possible puis… Plus rien.

Il n'y avait plus rien autour de lui. Il cligna des yeux hébété, et réalisa avec terreur ce qu'il venait de faire. Tous les soldats sans exception venaient d'être embrochés pas leurs propres armes. Tous étaient à terre. Du sang coulait de la bouche de certains, d'autres rendaient leur dernier souffle, et Eren su que tous allaient mourir. Par sa faute. Il avait provoqué tout cela. Il l'avait voulu. Il avait imaginé le jeune soldat empalé sur sa propre épée et le résultat était là. Il se prit la tête entre les mains et émit un son plaintif, aussi déchirant qu'un chant de la mort. Il eut soudainement froid et faim, son énergie était vidée. Il vit des formes au Sud, émerger des buissons, mais ne pu en savoir plus et s'écroula de fatigue au milieu des cadavres, au milieu du carnage.

De son carnage.