-Parée pour sortir ! J'annonce fièrement du palier en dessous duquel les deux escaliers menant au hall se rejoignent.
Le son se répercute sur les murs gris sombre du grand hall d'entrée. Il faut dire que le plafond est très haut et la pièce très vide.
Nous nous sommes débarrassés de la dernière armoire la semaine dernière.
Plus moyen de ranger nos manteaux en entrant dans le château, il nous faut maintenant les monter dans nos chambres. C'était soit ça, soit on nous coupe les vivres. A choisir entre une armoire et du pain, mon choix est vite fait.
Et puis, la pièce n'est pas totalement vide, y'a encore plein de bordel partout. Ca grouille de vieilleries dégueulasses, mais personne ne se dévoue pour déblayer le passage. Tant pis on fera avec.
-Baisse d'un ton, y'a la petite qui dort, rouspète ma grande soeur Scarlett, du palier au dessus de moi.
Je lève la tête :
-Scrogneugneu Scarlett, ta fille a dix ans, il serait temps qu'elle arrête les siestes. Et l'année prochaine à Poudlard, elle fera comment ? C'est pas McGo qui lui fera une dispense, je raille.
-Toujours le mot pour rire, mais il fait trente-cinq degrés dehors, ça l'épuise.
-Pauvre cocotte ! Qu'elle vienne pas pleurnicher l'an prochain. Bon, moi je vais faire un tour chez Fleury et Bott avec Gaga. Tu veux venir ?
-Merci mais j'attends mon fiancé, m'apprend-elle le sourire aux lèvres.
-Et c'est encore mémé qui va s'occuper de Tiffany, je siffle entre mes dents.
La pauvre vieille va encore râler et on aura droit à toute une scène sur son arthrite ce soir, au dîner.
Je soupire, m'assieds sur la rampe et hop, me laisse glisser. Rah... élégance et raffinement... comment avoir la classe façon Wendy Balzary. Je m'élance vers la sortie d'un pas rapide, trépignant d'impatience, et renverse un ou deux trucs au passage. Et bah oui c'est pas tous les jours que je vais faire un tour dans la rue en ayant assez d'argent pour me payer mes livres scolaires.
-NOOOON !
Un cri déchirant venant du parc me transperce les tympans, ils vont siffler mais un truc de malade, mes tympans sont très fragiles les pauvres. What is the fuck ?
-Wendy, qu'as-tu fais ? Mais qui est-ce qui m'a collé une enfant pareille ! Se plaint Abigaïl.
-Mon père, Gaga, mon père...
-Oui, cet empoté, grince ma belle-mère avec amertume.
-Alors, on y va ?
-Mais regarde ce que tu as fait ! Ma belle peinture, mon bijou, mon bichon !
Elle contemple la pelouse avec un air de franche horreur. Je la fixe à mon tour. De jolies traces de pas, les miennes, se découpent sur l'herbe mal entretenue. Je soulève le bas de ma robe et découvre mes mignons souliers entièrement recouverts de peinture rouge.
-Oups, je fais en direction de Gaga.
J'ai dû renverser le seau de peinture en traversant le hall.
-Je suis un GENIE ! UN VERITABLE EINSTEIN ! s'écrie-t-elle en voyant l'état de mes chaussures. Enfin, elle porte de la couleur, soupire-t-elle d'extase.
Elle entame une danse de la joie.
-Gaga ? Tu m'en veux pas pour la peinture ?
-Non, j'en referais, c'est pas comme si j'avais déboursé pour l'acheter. Les murs du hall peuvent bien attendre la prochaine récolte de cerises.
Oui c'est ma belle-mère qui fabrique sa propre peinture. Elle est très douée en potion, alors on ne remarque presque pas que c'est de la peinture concoctée à l'arrache avec une poignée de cerises sauvages trouvées dans les bois, de l'eau -beaucoup, car c'est économique- et quelques ingrédients plus très frais retrouvés dans les oubliettes du château, cet été lors d'une petite partie de cache-cache.
Les catacombes, c'est le pied. On y apprend des tas de choses très intéressantes, telles que l'anatomie du squelette. Je vous jure, plus besoin de gaspiller dix ans de sa vie à étudier la médicomagie, suffit de jouer à cache-cache au Château Les Bruyères.
Pendant que les autres se tuaient à essayer de me retrouver, je jouais avec des ossements humains, de la rotule aux osselets, à la lueur d'une torche enflammée. Niark niark.
-Hein ? Qui est-ce qui trouble mon repos, ronchonne grand-mère Madeleine, après avoir ouvert la fenêtre de sa chambre du premier étage.
-Ce n'est rien mémé, rendormez-vous, lui suggère ma belle-mère en haussant la voix pour se faire entendre.
-Mémé ! Scarlett a encore un rendez-vous avec Roger ! Tiffany est dans sa chambre, je lui hurle pour lutter contre le vent, décoiffant.
La vieille femme referme sa fenêtre en grommelant, ses longs cheveux argentés un peu ébourriffés par les bourrasques décidément bien violentes.
-C'est bon ? On peut y aller maintenant ? Je m'impatiente en tapant du pied.
-Mais certainement ma petite, attends juste deux secondes le temps que je jette un sort... voilà c'est sec. On y va !
Elle me prends par le bras et m'entraine vers le petit chemin autrefois pavé mais aujourd'hui essentiellement boueux qui mène à la sortie du parc, mes chaussures nouvellement colorées sont ravies.
Des herbes folles poussent à la pelle et puis les ronces, et les orties... Heureusement que je porte une longue jupe noire et un débardeur de la même couleur.. Par trente-cinq degrés et un vent chaud comme pas permis c'est pas le top, mais bibi a eu l'idée génialissime de jeter un sort de rafraichissement à ses sapes.
Alors que les autres suent comme des boeufs tirant la chariole, je me la coule douce avec l'agréable sensation qu'il fait vingt légers degrés.
Enfin, nous atteignons le haut portail en acier dont les pointes menacent d'embrocher quiconque voudrait entrer par effraction. Ce qui est stupide puisque même si le cambrioleur est un bon acrobate, et bien il ne pourrait pas toucher au portail !
Pourquoi ?
Parce que mon père est un sadique né et paf ! Si un inconnu ose toucher à notre beau portail il se prend une décharge à lui donner la coupe de Joey Tempest, le chanteur de Europe. Je vous raconte pas le nombre de procès qu'on a aux fesses à cause de ces satanés visiteurs un peu trop curieux.
Une fois le portail passé, on aterrit directement sur le Chemin de Traverse. C'est très pratique d'habiter dans une rue aussi célèbre où tant de sorciers pleins aux as passent. Quand on a un petit creux, on a juste à faire quelques pas et plusieurs choix s'offrent alors à nous :
petit un : on fait la manche après avoir changé nos traits du visage via un sort
petit deux : on vend les potions de beauté miracle que fabrique ma belle-mère (nous sommes de vrais charlatans)
petit trois : on pille discrètement les marchands de bouffe
petit quatre : on chaparde dans la rue moldue voisine (les moldus sont plus faciles à berner), Charing Cross Road
Juste en face de notre château, dont on ne voit du Chemin que la plus haute tourelle à moitié démolie, se trouve l'un des bureaux de la Gazette du Sorcier. Ils nous saoulent ces gens-là, vous ne pouvez pas savoir à quel point.
Combien de fois nous ont-ils supplié de leur accorder une interview pour discutailler de notre famille ruinée ? De la mort si mystérieuse, selon eux, de ma mère ? De la disgrâce de ma soeur ainée qui a eu son premier gamin pendant sa septième année à Pouldard ? De nous, qui foutons la merde lors des soirées mondaines sorcières ? De mon père, ex-tôlard ?
On les a envoyé bouler à chaque fois et maintenant, ils nous en veulent. D'ailleurs ils n'en manquent pas une pour glisser une allusion douteuse sur notre famille dans leur foutu journal.
-Direction Fleury et Bott ! M'annonce Gaga.
La rue est bondée, noire de monde. Ils nous faut donc nous frayer un chemin en jouant des coudes. Elle me prend par les épaules et entonne la chanson de la semaine dernière, lorsque nous avons fêté les onze ans de mariage de mon père et elle.
Je tiens à précisé que nous étions tous légèrement beurrés mais chez nous à l'abri des regards, tandis que là, maintenant, tout de suite, nous sommes au beau milieu de la rue où une foule de sorciers sont tout ouïs.
-Pose les deux pieds en canard, c'est la chenille qui se prépare, en voiture les voyageurs, la chenille part toujours à l'heure !
-Gaga, chuuut ! Je proteste en essayant d'ôter ses mains de mes épaules.
Oulala, ça s'arrange pas chez elle. Elle a quand même une quarantaine d'années, il serait temps qu'elle devienne un peu adulte. Elle est très gentille, mais vive l'éducation que je me suis payé. En plus, je suis la petite dernière, alors je suis la seule de la fratrie à avoir été élevée par elle. Mon frère et ma soeur sont beaucoup plus vieux et étaient déjà à Poudlard lorsqu'elle s'est mariée avec mon père.
Pour la petite histoire, mon père et ma vraie mère se sont rencontrés il y a trente-sept ans à Poulard, lui était à Serpentard et elle à Serdaigle. Ils sont tombés amoureux au cours de leur sixième année, sont sortis ensemble et gnagnagna et gnagnagna. Ils ont eu deux beaux enfants, la première alors qu'ils avaient vingt-et-un ans, autrement dit ma soeur Scarlett qui a maintenant vingt-sept ans et mon frère Douglas qui en a vingt-six.
Ils ont acheté le château pour une bouchée de pain avec l'argent du livre de mon père. Car il est écrivain, même s'il n'a écrit qu'un seul livre, un livre d'horreur. Le genre de livre qui vous colle des frissons pendant des années et vous fiche une peur bleue des clowns et de leurs petits « jeux » de torture dans lesquels les pauvres victimes se font gruger jusqu'à la moelle et, au lieu de se faire exploser directement la cervelle et qu'on en parle plus, préfèrent se faire scier le bras dans le sens de la longueur. Je l'ai lu à huit ans, et j'en ai encore des frissons de sadisme.
C'est là que le drame arrive, à trente-et-un ans, ma mère meurt en me mettant au monde. Enfin, quelques semaines après car c'est à cause de ma naissance, qui l'avait affaiblie, qu'elle a contractée sa maladie. Mes grands-parents maternels, déjà pas très chauds au départ par l'union de leur fille chérie à un homme pauvre et vagabond comme mon père, nous ont alors totalement reniés. Je ne les ai jamais vus. Et tant mieux car ils ont l'air d'être de beaux salopards.
L'histoire se complique, mon père est envoyé en prison quelques jours après la mort de ma mère, zou ! Je ne sais toujours pas pourquoi. Il purge cinq ans de tôle tandis que nous sommes élevés par sa mère au château. Il en ressort sans le sou, nous même châtelains étions dans un état déplorable... amaigris, des cicatrices partout. Et l'inspiration, il n'en avait plus.
C'est là précisément que ma belle-mère Abigaïl apparaît. Mon père, de nature plutôt solitaire au départ, était devenu un véritable misanthrope. Il a rencontré Gaga au cours d'une soirée mondaine où grand-mère Madeleine l'avait obligé à se rendre.
Ma belle-mère est tombée immédiatement amoureuse de cet homme mystérieux et torturé. Je n'avais que six ans et les autres étaient déjà scolarisés, par conséquent je suis la seule à la considérer comme ma mère, n'ayant jamais connu la vraie. Certaines mauvaises langues diront que le mariage d'Abigaïl et mon père était arrangé pour des raisons d'argent, mais c'est faux, je sais que mon père l'aime au moins un minimum.
La preuve, elle est la seule à avoir le droit de le sermoner sans se prendre une torgnole.
Et je termine par le dernier heureux événement de la famille en date, la naissance de ma nièce, Tiffany, il y a dix ans, alors que ma soeur était encore à Poudlard. Elle a donc loupé les deux derniers mois de cours, sa photo est passée dans le journal... merci la gazette, on vous aime.
-Wendy, me hèle quelqu'un.
Le choc ! Elle me poursuit jusque dans mon logis, ma parole.
-Lily ! C'est pas vrai meuf, on avait une chance sur mille de se croiser et tu es là, pile devant moi ! Je m'exclame avec un sourire forcé.
-Je profite des soldes de fin de saison, m'apprend celle censée être ma meilleure amie.
-Nous aussi, les rabais atteignent des sommets le dernier jour avant la rentrée, alors on profite de l'aubaine pour m'acheter quelques robes et mes livres scolaires.
-Bonne idée ! Moi je suis venue seule à cause de ma soeur, dit-elle, morose.
Ah oui, l'autre là, Pamela, Petita, Pétunia ! C'est Pétunia ! Non ? Si ?
-Bien sûr je me souviens parfaitement, Pétunia, ta garce de soeur !
On croise les doigts que c'est son nom...
-Oui mais ce n'est pas de sa faute, c'est parce-que...
Ma belle-mère nous interrompt :
-Bien les filles, je vais vous laisser faire votre shopping, je vais quant-à-moi avoir une petite discution avec le Franz, siffle-t-elle.
Franz, enfin François, c'est mon père. Je suis son regard...
-Encore ? Merde, ça va chier des bulles, vaut mieux qu'on se barre... je souffle à Lily.
Mon père est en train de s'enfiler verre sur verre dans un bar mal fâmé en compagnie de gens louches. Dans louche, je veux dire qui font trempette dans la magie noire. Ca se sent à plein nez, rien qu'à leurs robes de sorcier d'un noir triste, à leurs longs cheveux gras et à leurs barbes de trois jours. On voit qu'ils ont d'autres choses à faire que de prendre soin d'eux.
TERRORISTES !
Lily et moi prenons la fuite, galopant comme des lapins, et allons nous abriter chez le libraire.
-HEIN ? Préfète en chef ? Oh putain.
Bonjour, Wendy Balzary, meilleure amie de Lily Evans, la nouvelle préfète-en-chef. Vous rendez-vous compte ! C'est incroyable, inouï, insensé, les heures de retenue me font coucou de la main, je ne suis pas prête de les revoir.
Je savais bien que mon amitié avec elle finirait par payer.
Lily est une fille très sympa, mais aussi très chiante par moment. Sa sainteté est trop sage pour une personne comme moi. Mais comme c'est la seule fille de Gryffondor -ma maison- à m'apprécier et à me considérer comme une amie, je suis bien obligée de la jouer cool. Qui aurait cru qu'un jour, être amie avec elle me servirait à quelque chose ?
Après avoir payé mes livres, je lui propose :
-Ca te dirais d'aller sur Charing Cross Road ? J'ai besoin d'une nouvelle cassette pour mon walkman.
Non, je la prends pas pour un pigeon... je la trimballe juste où je veux. Nuance. Prenez-en de la graine tient.
Juste le temps de passer à Gringotts changer mes gallions en pounds et on est bons. Tant pis pour les robes d'uniforme, de toute manière neuves ou rapiécées elles sont moches.
