Démons, 2e opus

Les Fazerhs

« Le bonheur est passager. »

Préceptes de la philosophie

du monastère de Wang-Zi


Chapitre 1 : Un écueil dans la rivière

Pan regardait la mer qui s'étendait au-delà de ce qu'elle pouvait voir, au-delà même de ce qu'elle pouvait imaginer. Il n'y avait pas la mer chez elle. C'est pour ça qu'elle aimait venir en vacances chez Tortue Géniale. En plus, il était rigolo.

« Pan, tu n'aurais pas vu mes lunettes ? Je les cherche depuis ce matin. »

« Elles sont sur ton front, Papy Tortue. »

« Ah… ah, oui, merci. »

Il était rigolo mais aussi de plus en plus distrait. Il avait même parfois l'air sérieux, perdu dans ses pensées pendant de longs moments. Après un bref coup d'œil sur le bleu marin qui reflétait si bien le ciel, Pan retourna à son château de sable, qui atteignait des proportions titanesques. Elle s'amusait à conduire l'eau ici et là, au gré des canaux qu'elle creusait.

Chaque été elle venait ici une semaine ou deux. C'était un grand changement. Au lieu d'une forêt qu'elle commençait à connaitre par cœur, la maison était entourée d'une plage de sable fin, qui généralement se transformait en labyrinthe de tranchée quand Pan était là, et puis surtout, il y avait la mer. Pan explorait parfois les îles alentours, mais sa mère n'était pas vraiment d'accord. Pourtant, elle brûlait d'envie de découvrir tout ce que recelait ce monde si particulier.


La cinquième. Il avait bientôt terminé la mission que lui avait confié Dendé, et qui n'était pas très difficile en somme. Réunir les Dragon Balls pour ressusciter les personnes tuées par Piccolo, son double.

Si les gens morts dans les mines d'Abarthagel ne pouvait l'être -il s'agissait d'une mort considérée comme « naturelle » -, en revanche il était possible de faire quelque chose pour les victimes de l'attaque surpuissante du démon Piccolo. C'était injuste quelque part, bien sûr, mais les Dragon Balls étaient déjà un cadeau d'une valeur infinie fait aux terriens.

Dendé avait ainsi décidé de réunir les Dragon Balls. Normalement, Dieu n'avait pas le droit d'intervenir sur ce genre de choses. Il aurait dû laisser ses amis s'en occuper. Mais il considérait que la mort de ces terriens n'était pas normale justement. Ils avaient été tués par quelqu'un de déjà mort en théorie.

Piccolo sentait que le jeune Dieu était tourmenté ces temps-ci. Les évènements qui s'étaient déroulés pendant le retour des deux démons l'avaient chamboulé, mais il restait assez mystérieux sur ses pensées.

Poursuivant ses réflexions, Piccolo se dirigea vers le sixième Dragon Balls. Plus que deux.


Les poings calés au fond des poches, Trunks avançait droit devant lui. Il ne valait mieux pas qu'il rencontre le moindre obstacle sur sa route, pour la survie de l'obstacle en question. Il se rendait au boulot énervé, comme cela arrivait de plus en plus souvent ces derniers temps. Pearl lui avait encore fait une avalanche de reproches. Tu ne passes pas assez de temps avec nous, tu ne t'occupes pas de ton fils, tu n'as pas rappelé Sangoten…

Tu, tu, tu, toujours tu. Comme s'il ne faisait rien de ses journées. Elle trouvait ça facile, de gérer une entreprise, peut-être ? D'autant plus que sa mère lâchait du leste ces derniers temps. Pas plus tard que la semaine dernière, elle et Végéta avaient disparu sans prévenir personne, partis faire un tour, profiter d'un moment de repos, d'après les obscures explications de sa mère. Bra semblait complice de tout ça, puisqu'elle avait sciemment caché la destination de cette virée à son frère.

Bref, la famille était plus un poids qu'autre chose depuis quelques semaines. A une période clef pour Capsule Corp, dans le domaine scientifique. En effet, le fameux alignement de sept planètes, phénomène qui n'arrive qu'une ou deux fois par millénaire, était filmé intégralement par les satellites d'observation de Capsule Corp. Tout le monde scientifique était en émoi, et chaque jour, les nouveaux résultats étaient transmis au département astronomie de l'entreprise. Depuis des années déjà le projet avait été mis sur pied. Son grand-père en avait été l'initiateur.

Le célèbre docteur Brief, qui avait mis sur pied le principe de la miniaturisation, qui avait créé la Capsule Corp, ce groupe monstrueux, qui recouvrait désormais des domaines radicalement différents, comme la science, bien sûr, mais aussi l'urbanisme, l'exploitation pétrolière, le tourisme, ou encore la protection animale, dernière branche dont le docteur Brief avait la charge. Sa plus grande passion avait toujours été les animaux. Aujourd'hui encore, une grande partie de la maison familiale était consacrée à une sorte de réserve gigantesque. Et son grand-père y était heureux.

Trunks passa devant Caline sans même un bonjour et claqua la porte de son bureau. Quand il était comme ça, mieux valait ne pas le déranger. Il finissait par sortir, plus calme. Parfois, il fallait attendre plusieurs jours. Il était comme ça, ses sautes d'humeur étaient réputées dans toute l'entreprise, et dans ces moments, tout le monde le craignait. Il avait déjà renvoyé une dizaine d'ingénieurs en une fois, sur un coup de tête.


Son garage commençait à prendre forme. Krilin avait embauché une dizaine de jeune gens, qui souvent suivaient des études en parallèle, pour construire ce bâtiment. Il s'ennuyait, et trouvait toujours des activités pour passer le temps. L'année dernière, il avait installé une deuxième salle de bain à l'étage. A leur arrivée dans cette maison, le réaménagement de la vaste cave lui avait pris six mois. Et quand il vivait encore chez Tortue Géniale avec sa famille, il allait proposer ses services dans les îles avoisinantes.

Il partageait son temps ainsi entre sa famille et toute une série de petits ou grands travaux. Maron profitait de ses vacances pour écrire. Elle passait parfois des heures entières devant son ordinateur, à rédiger quelque mystérieux roman, qu'elle avait refusé pour le moment de faire lire à ses parents. C18 de son côté, récupérait tranquillement. Elle allait régulièrement chez Bulma qui lui faisait passer quantité d'examens, pour vérifier que tout fonctionnait correctement. Cet après-midi encore, elle devait s'y rendre, et Krilin avait proposé de l'accompagner.


Chichi s'était rapidement réappropriée les lieux. Elle avait quitté la maison depuis trois ans et pourtant, elle retrouva ses marques en très peu de temps. Après la fin du tournoi et l'aventure Piccolo, elle et Sangoku s'étaient réinstallés dans leur ancienne maison. Ils hébergeaient Ani et Sangoten, qui cherchait un logement dans les environs.

Tout le monde revenait au bercail, pensait Sangohan. Et c'était très bien ainsi. Son frère avait beaucoup changé. Enfin, mûri plutôt. Il avait vécu trois années de bohême, de voyages et d'aventures qui lui avaient fait le plus grand bien. Et, à la grande surprise de toute la famille, il suivait des cours pendant l'été, de philosophie. Ani lui avait fait découvrir quelques auteurs réputés, et Sangoten semblait y avoir pris goût. Néanmoins, il se refusait à en faire son métier. Ani avait-elle appris la semaine précédente qu'elle attendait un deuxième enfant.

Il régnait ainsi une atmosphère de joie de vivre indéniable. Si Sangoku n'avait pas abandonné, loin de là, le combat et l'entraînement du jeune Oob, il avait tout de même relâché la pression. Il passait parfois des journées entières à jouer avec ses petits-enfants, Sangodel et Niami ces derniers temps, Pan étant en vacances chez Tortue Géniale. Et d'autres journées, il allait réveiller Oob aux aurores pour un entraînement surprise, et on ne le voyait pas revenir avant le soir, les vêtements en lambeaux, des contusions sur tout le corps.

Le jeune garçon vivait toujours dans son village, mais par intermittence seulement. Il lui arrivait fréquemment de passer quelques jours en compagnie de son maître, dans la maison familiale. Il était très poli, un peu réservé, mais s'était habitué à la famille comme la famille s'était habituée à lui. Sangohan l'avait surpris récemment en train de jouer à la poupée avec Niami, situation assez cocasse étant donné la carrure et le caractère du jeune garçon qui donnait l'impression d'avoir bien plus de treize ans. Seul Sangoten avait encore quelques réserves, issues des années d'absence de son père pour l'entraîner. Mais leur relation s'était tout de même améliorée. Il se parlait, c'était déjà ça.

Bref, la vie avait repris un cours normal. Peut-être même un peu trop. A posteriori, Sangohan s'était dit qu'il aurait dû se douter de quelque chose. Trop de bonheur d'un coup ne pouvait qu'annoncer les problèmes.

Le téléphone sonna. Un soleil radieux faisait briller cet après-midi d'été. La voix de Maron glaça Chichi sur place.

« Mes… mes parents ont eu un accident… très grave. »


Quand Sangohan arriva dans le couloir, il aperçut un de ses collègues.

« Charly, on m'a dit que c'est toi qui avait reçu les deux accidentés de tout à l'heure. »

« Le jet ? Oui, ils sont en salle 112, en réanimation. Tu connais ? »

« Oui, ce sont des amis. »

« Alors tu vas peut-être pouvoir m'expliquer. J'allais justement rappeler la fille. »

« Elle arrive. Mon frère est parti la chercher. »

Sangohan et son collègue entrèrent dans la salle sombre, silencieuse si l'on exceptait le bip régulier qui sortait de l'amas d'appareils électroniques sortis tout droit d'un film de science-fiction.

« C'est la femme… Comment dire… »

« C'est un androïde. »

« Tu es au courant ? »

« Ce sont de grands amis, je te l'ai dit. Comment vont-ils ? »

« Je… je ne vais rien te cacher. Je ne pense pas qu'ils survivront. Il y a toujours un espoir, bien sûr, mais… »

« C'est si grave que ça ? Qu'est-ce qui s'est passé ? »

« D'après la police, un problème mécanique. Le jet a explosé en vol. L'homme a un poumon perforé, le foie en compote et je ne te parle pas des blessures extérieures. Tu peux ajouter un probable trauma crânien. J'ai pas encore fait de scanner. »

« Et la femme ? »

« C'est plus compliqué. Il faudrait quelqu'un de plus compétent dans… le domaine qui la concerne. »

« Je connais quelqu'un. »

« Un médecin ? »

« Non, une amie. Bulma Brief, de la Capsule Corp. »

« Mais… tu sais bien qu'on n'a pas le droit, Sangohan. »

« C'est la seule qui soit compétente. Même moi, je suis dépassé par cette technologie… »


Bulma et Végéta arrivèrent peu après Maron, assise dans le couloir, dans le bras de Chichi, qui tentait de calmer ses pleurs. Sangoten était là, ainsi que Videl. Sangohan se précipita vers les nouveaux arrivants. Il n'eut pas le temps de dire un mot. Bulma, affolée, lui agrippa le bras.

« Gohan ! Comment vont-ils ? »

« Entre, je t'expliquerais dans la salle. »

Ils entrèrent tous les deux. Végéta, qui s'apprêtait à les suivre, vit la porte se refermer sur son nez. Il grommela, mais vu la situation, décida d'en rester là.

« Krilin va très mal. Pour C18, ils ne savent pas. J'ai réussi à convaincre Charly, mon collègue, que tu l'examines. »

« D'accord. Mais… vous avez essayé les senzus ? »

« Oui. Sangoten en a ramené, mais Karin a dit que leur état était probablement trop critique. On leur en a donné quand même, mais seules les blessures superficielles ont été guéries. Pas les blessures internes… »

Bulma observa ses deux amis, et s'approcha du corps de C18. Elle s'adressa à Charly. « Son cœur humain fonctionne ? »

« Non. Mais les vaisseaux sanguins sont toujours alimentés… Et c'est un vrai mystère pour moi. »

« Elle a un cœur artificiel qui prend automatiquement le relais, » expliqua-t-elle en enfilant des gants en plastique. Puis elle se pencha sur le corps déchiré de C18. « Mais il est en miette lui-aussi. Ça veut dire qu'elle a eu le réflexe de déclencher le programme d'autonomie. La pile centrale du cœur mécanique ne doit pas avoir été sérieusement touché. Elle envoie régulièrement, mais au ralenti, de quoi alimenter les autres… organes vitaux. »

Bulma jeta un coup d'œil au visage de C18, également en très mauvais état. Elle tourna délicatement sa tête, pour découvrir une ouverture béante. « Par contre, j'ai bien peur que certains circuits mémoriels et nerveux ne soient endommagés. »

Sangohan posa la question fatidique : « Elle va s'en sortir ? »

« Aucune idée… »


Yamcha revenait du stade. Il avait entraîné les 11-12 ans, bouillonnants d'agitation, et ne rêvait que d'une chose, une bonne douche. Plume ne l'avait pas accompagné aujourd'hui, il était resté avec Mira qui vivait chez eux depuis deux mois maintenant. La jeune fille commençait à se rouvrir au monde. Elle était même sortie deux fois : voire un match avec Yamcha, qui l'avait ensuite convaincue de l'emmener au restaurant dans le courant de la semaine précédente.

Mais ses yeux étaient toujours voilés par les fantômes. Le deuil serait très long, Plume comme Yamcha le savaient bien. Quand ce dernier entra dans la pièce, il vit ces deux colocataires sur le canapé, devant un film.

« Eh bien, on ne s'ennuie pas, à ce que je vois. Qu'est-ce que vous regardez ? »

« Le dernier Tim Allen. »

« Il a fait mieux, il parait. Je l'ai pas encore vu. Bon, je vais… » Il fut interrompu par la sonnerie du téléphone, soupira et répondit.

« Allo ? » La voix à l'autre bout du fil était familière, mais le ton inquiétant.

« C'est Sangoten. Je… je suis à l'hôpital, là. C'est Krilin et sa femme… »

« A l'hôpital ? C'est grave ? » L'attention de Plume et de Mira se reporta sur Yamcha.

« Je… je pense qu'il vaudrait mieux venir les voir avant que… » Le silence qui suivit fit basculer l'esprit de Yamcha.

« Je… je comprends. J'arrive. »

« A tout de suite. » Il raccrocha et croisa le regard interrogateur de Plume et Mira.

« C'est Krilin et C18. Ils… ça à l'air très grave… »


Trois heures. Cela faisait trois heures qu'ils étaient tous là, à attendre, guetter un signe, se lever chaque fois qu'une blouse blanche passait. Le visage de Sangohan quand il sortit de la pièce, pour la troisième fois de l'après-midi, leur fit comprendre qu'il n'y avait rien de nouveau.

« Leur état stagne. » Videl intervint.

« Je propose qu'on rentre. Pour le moment, on ne peut rien faire, sauf attendre. Les seuls qui aient réellement le pouvoir de faire quelque chose, c'est toi Gohan, et Bulma. »

« Tu as raison. Rentrez chez vous. On vous tiendra au courant dès qu'il y aura une évolution. » Yamcha et Goten acquiescèrent en silence. Les larmes de Chichi avaient séché, mais celles de Maron repartaient régulièrement.

« Je… je reste… » articula-t-elle entre deux sanglots.

« Bien sûr… Je vais voir si on peut t'installer un siège dans leur chambre. Et… si vous arrivez à joindre Tortue Géniale… et papa… » Il jeta un regard à son frère. Celui-ci comprit le message.

« Je passerai les voir. »

Bientôt il ne resta plus dans le couloir que Sangohan, Maron, Bulma, et Végéta, qui ne savait pas vraiment quoi faire. Bra était partie chez Chichi, et Bulma était plutôt émotive ces temps-ci. Il ne tenait pas à la voir craquer une nouvelle fois. Il avait donc décidé de prendre son mal en patience et de rester. Bulma et lui s'étaient rapprochés depuis peu. Elle lui avait demandé de l'emmener loin du monde pendant quelques jours, et il l'avait vue heureuse. Elle était mieux, moins stressée, même si elle restait fragile pour une raison que Végéta discernait obscurément.


Dendé était seul dans son grand palais. Piccolo recherchait les Dragon Balls, et Popo rendait sa visite annuelle à Karin. Dendé avait appris la solitude sur Terre. Une solitude partielle bien sûr, mais il avait ainsi pu entrevoir ce que son prédécesseur avait ressenti, en tant que Namek ayant oublié ses origines. Son prédécesseur… Piccolo mais pas tout à fait… Une partie du Piccolo qu'il connaissait aujourd'hui. Un Piccolo encore différent du démon qu'il avait été autrefois. Même lui s'y perdait parfois.

L'accident de Krilin l'avait beaucoup touché, et ajoutait encore à cette sorte de malaise qu'il ressentait depuis Piccolo. Le démon. Trop de questions restaient sans réponse, ce qui pour un Dieu est très gênant. Il ne savait toujours pas comment Piccolo et Abarthagel avaient fait pour sortir des Enfers. Le rapport des employés d'Enma n'avait pas apporté grand-chose. Simplement, il avait appris que le Prince qui veille sur les Enfers avait envoyé sur Terre deux Annonciateurs, et que Piccolo le Démon avait ordonné à l'un de ses sbires de les éliminer. Dendé avait fait le lien entre leur affaire d'il y a trois ans, avec ces deux étranges animaux que Pan et Bra avaient découverts, et cette histoire d'Annonciateurs. Néanmoins, l'énigme de la sortie des Enfers restaient entière.

Même du côté des alliés, il manquait des rouages à Dendé. D'où pouvait venir ce lutin qui avait aidé Krilin. Et Ten Shin Han d'une certaine façon… Ten Shin Han. Lui aussi occupait l'esprit de Dendé ces derniers temps. Le guerrier aux trois yeux étaient entourés d'un voile de mystère également.

Cette réflexion déclencha quelque chose chez Dendé. Quelque chose de latent, qui n'attendait qu'un déclic nécessaire pour se réveiller.

Quand Mister Popo revint, Dendé lui laissa la garde du palais, et s'envola loin vers l'horizon. Le serviteur regarda s'éloigner son maître, inquiet, tout en sachant qu'il n'y avait aucune raison. Dieu savait ce qu'il faisait.

Après quelques heures de vol au-dessus de l'océan, Dendé s'arrêta. Il ne put empêcher son cœur de battre à toute vitesse. Il allait enfin en être certain. De mémoire, il récita la litanie de Gallach. En quelques secondes, le ciel s'emplit d'une vague de blancheur éclatante, qui bientôt, dans un mouvement de reflux, se concentra en un point avant d'exploser, sans un bruit. Un gigantesque dôme apparut au regard de Dendé, qui serra instinctivement son bâton. Il s'approcha et posa une main sur la surface du dôme, une sorte de champ magnétique, impavide, translucide.

Il récita une nouvelle formule, et se retrouva en un instant de l'autre côté, à l'intérieur du dôme. Il respira profondément, et l'air lui parut nouveau. Son regard s'habitua à la luminosité sensiblement différente, et il aperçut bientôt la terre. Le dôme disparut.


« Quelqu'un est entré. »

Des yeux inquiets se posèrent sur le vieil homme.

« Dois-je alerter les guerriers lears ? »

« Non, non, Tilsit. Il vient en paix. Laisse-moi, s'il te plait. »

Obéissant, le jeune homme sortit. Il jeta un coup d'œil vers le ciel. Le dôme qui les protégeait était devenu visible durant quelques minutes, puis avait de nouveau disparu. Cela signifiait bien que quelqu'un était passé à travers. Il ne comprenait pas pourquoi le Simaân, leur grand chef, ne s'inquiétait pas plus que ça.

« Qu'a dit le Simaân, Tilsit ? » C'était Lazar, le dompteur d'ours, qui posa cette question. Il semblait inquiet lui aussi.

« Que l'étranger venait en paix. » Pourtant, Tilsit n'avait jamais entendu parler d'un étranger du Hordôme venu chez eux par ses propres moyens, à part le Grand Protecteur. Et le Grand Protecteur était mort depuis des siècles…

S'il décida de faire confiance au Simaân, qui les guidait avec sagesse depuis déjà deux siècles, Tilsit restait néanmoins méfiant, et se rendit directement chez lui pour récupérer son arc lear.


Pan avait réussi à sortir Tortue Géniale de ses pensées. Elle l'avait convaincu, presque forcé, de venir avec elle se balader dans une petite ville, sur un îlot proche. Comme à son habitude, le vieux maître se détournait au passage de chaque jeune fille dans la rue, mais Pan était bien loin de ses considérations.

Elle aussi tournait la tête, de tous les côtés, sans objectif précis, s'émerveillant comme si elle visitait la ville pour la première fois. Soudain, une enseigne retint son attention plus longtemps que les autres trésors qui fourmillaient dans la rue. Une boutique spécialisée dans les arts martiaux…

« D'accord, d'accord, j'arrive… » La petite le tirait par la manche, et l'éloigna bientôt de la superbe blonde qu'il était certain d'avoir reconnue, celle qui posait sur le capot d'une Ferrari, dans son calendrier favori.

Il se retrouva bientôt dans cette petite boutique, qui paraissait minuscule de l'extérieur, mais qui était bourrée de recoins, et ressemblait davantage à un bazar qu'à un magasin. Pendant que Pan dévorait des yeux un talisman poussiéreux, dont la brillance était plus suggérée qu'apparente, Tortue Géniale flânait, laissant le hasard le guider vers les découvertes précieuses qu'il pourrait bien faire dans une telle échoppe.

Ses yeux retrouvèrent soudain cette brume étrange qui les voilait si souvent ces derniers temps. Il s'approcha d'un sabre au manche finement gravé, incrusté d'or et de rubis qui s'alliait pour représenter la tête d'un oiseau. Une simple vitrine le séparait de cette arme qui semblait retenir son attention.

« Il vous plaît ? » Tortue Géniale sursauta, comme s'il était tiré d'un rêve. Personne n'avait pu le surprendre ainsi depuis des siècles. Sa découverte l'avait totalement chamboulé.

« Il vient du monastère de Wang-Zi, n'est-ce pas ? » Le vendeur, un homme d'une trentaine d'année, dont les yeux bridés faisaient écho au sourire, parut agréablement surpris.

« Ah, un connaisseur ? Un moine l'a offert à mon père, il y a plus de vingt ans maintenant. »

« Mais le monastère a été détruit il y a près d'un siècle… » Une voix plus chevrotante, mais aux intonations étrangement semblables à celle du jeune homme surpris une seconde fois Tortue Géniale.

« Et les survivants sont partis en pèlerinage. Je suis étonné qu'un grand maître comme vous l'ignore. » Le vieil homme, probablement le père de l'autre, arborait un sourire entendu.

« Je suis honoré de vous recevoir dans ma boutique, maître Mutenroshi. » On ne l'avait pas appelé comme ça depuis des années…

« Merci… Je suis très honoré également qu'on me reconnaisse encore, malgré les années. Vous pouvez m'en dire plus sur ces moines ? »

« Eh bien, après la destruction du monastère, leur effectif a été très réduit. Il en reste aujourd'hui une cinquantaine, je crois, et ils se sont mis à prêcher ici et là. Ils sont devenus des moines errants en quelque sorte. La dernière fois que j'en ai entendu parler, ils étaient dans un petit village sur le continent, un peu plus au nord. Cilvertown, je crois. »

« Je vous remercie, marchand. » Il y avait dans ce mot, marchand, à la fois un grand respect et une profonde reconnaissance. Tortue Géniale s'inclina, répondant au salut des deux hommes, et ressortit de la boutique, un mystérieux sourire aux lèvres. Il sentit qu'on tirait sur sa manche.

« Dis, c'était qui ? »

« Hum… des gens d'un grand secours, Pan… d'un grand secours… »