Avant-propos: Avant de commencer réellement, je te remercie, cher lecteur, de ce passage que tu fais ici. J'espère que tu passeras un bon moment en la compagnie d'Hikaru (OC) et de toute la neuvième division. Si cette histoire te rappelle vaguement quelque chose, alors tu as probablement déjà fait un tour dans le coin à la fin des années 2000. Disons que ce que je te propose aujourd'hui est le fruit d'une remasterisation.
Alerte spoiler: Spoilers évidemment pour Bleach sur toute sa timeline (en même temps, si tu n'es pas encore arrivé au bout, eh bien file immédiatement terminer ça!). Attention cependant, il y a également des références évidentes à "Can't fear your own world", cette madeleine de Proust pour toute personne considérant la neuvième division avec autant d'égards que sa maison à Poudlard. Pour moi qui ai estimé Kaname Tōsen comme un personnage n'ayant jamais vraiment obtenu justice (ironique n'est-il pas?), CFYOW est juste un bonbon. Comme ce light novel n'a jamais été traduit, il existe une fan-traduction complète en anglais. Donc si ceci ne te rebute pas, fonce!
Tous les personnages (Hors OC), lieux etc etc appartiennent à Tite Kubo... Bref, tu connais la musique.
Je te souhaite une bonne lecture et à très vite pour la suite :-)
KptnZéphi
Chapitre 1 : La cour des âmes pures
L'atmosphère était incroyable. Mes sens, dont l'acuité me semblait décuplée par l'adrénaline et l'indescriptible mélange de pressions spirituelles de forces et de natures diverses tout autour de moi, m'assaillaient de couleurs, d'odeurs, de sons et même de vibrations. C'était une marée de tissus céruléens et écarlates qui me submergeait. Nous étions une bonne centaine, mais le hall dans lequel nous nous massions était si spacieux que nous avions tout le loisir de former de petits groupes sans tous être collés les uns aux autres. J'apercevais quelques têtes connues dans la foule, quelques camarades avec qui j'avais étudié, d'autres que j'avais vaguement croisés. Si les visages exprimaient un vaste panel d'expressions, les reiatsus ne pouvaient leurrer aucun d'entre nous. Nous étions tous (ou presque) anxieux comme nous l'avions rarement été. C'était le grand jour. Dans la pâleur d'une matinée, à la naissance du printemps, j'allais être intégrée à l'une des treize divisions armées de la soul society. Je jetai un regard distant et fébrile à un petit groupe de garçons avec qui j'avais passé une partie de mes années de formation. Ils me renvoyèrent un sourire de façade. J'étais bien trop tendue pour leur adresser le moindre discours construit et eux, avaient l'air à peine plus détendus que moi. De toute façon, je détestais parler de banalités. Je passai nerveusement ma main dans mes cheveux. La plupart de mes condisciples devaient trouver ça idiot que je m'en fasse à ce point, surtout parce que j'avais brillamment réussi tous les examens. J'étais des rares qui savaient déjà qu'ils intégreraient le gotei 13 avec certitude, de surcroit avec un poste d'officier. Pourtant, mon corps avait décidé de se comporter comme si j'attendais de savoir si j'allais vivre ou mourir. C'était étrange. J'avais passé des examens d'entrée dans une demi-douzaine de divisions, mais je n'étais parvenue à entendre aucun écho, aucun bruit de couloir quant à mes résultats. J'avais peut-être commencé à douter à ce moment-là. Les quelques autres futurs shinigamis qui étaient dans la même situation que moi avaient tous pu ouïr ne serait-ce qu'une rumeur. Je soupirai. J'étais encore en train de m'emballer toute seule dans ma tête. Je me calmai mentalement à grands coups de « Ressaisis-toi ma vieille, tout va bien se passer ». Après tout, que risquai-je ?
Tentant de me concentrer sur n'importe quoi d'autre que les excès de zèle de mon cerveau, je contemplai les autres shinigamis. Comme depuis ces six dernières années, les groupes étaient très grégaires. Les étudiants des classes dites « avancées » ne s'étaient que peu mélangés aux autres, les nobles et riches héritiers des quartiers favorisés de Rukongai ne fréquentaient pas non plus les pauvres hères des bas quartiers. Et puis il y avait nous, les élèves promis à des postes d'envergure. Si ceux qui avaient vu le jour à la soul society, en particulier dans les familles aisées trouvaient facilement à s'intégrer, la poignée que nous autres étions, gens des quartiers pauvres, dépeuplés ou, encore, mal famés, était souvent laissée de côté. C'était pour le meilleur et pour le pire. Appréciant la solitude, je n'avais pas à m'en plaindre.
En balayant des yeux les visages de mes condisciples, je vis parfois un peu de jalousie quand leurs regards se posaient sur moi. Cette cérémonie était plutôt formelle. Si nous savions tous si oui ou non nous avions obtenu des résultats satisfaisants à l'examen final, il s'agissait ici de trouver notre place dans ce que représentait la soul society. Pour beaucoup d'entre nous, il s'agirait là d'un changement absolu. En effet, nous allions tirer un trait sur notre ancienne vie. Je commençais à nettement percevoir les signes de l'impatience chez mes camarades quand, enfin, le capitaine commandant Shigekuni Genryusai Yamamoto passa le seuil de la grand-porte. Il était accompagné de son vice-capitaine, Sasakibe, et d'une douzaine d'officiers. J'en connaissais certains, de vue, d'autres m'étaient complètement inconnus. Ils étaient néanmoins tous là pour représenter leurs divisions. Des services d'espionnage à la police militaire en passant par le corps de Kidō, toutes les spécialités du gotei 13 étaient représentées.
Après un bref discours, le capitaine de la première division et commandant en chef des 13 armées de la cour lista tout d'abord les militaires réguliers qui incorporeraient les divisions, puis les services secrets (quelques shinigamis intégreraient l'Onmitsukidō sans forcément prendre une place dans le gotei), le corps du Kidō, et enfin les réservistes, les shinigamis diplômés de justesse qui n'avaient pas su obtenir de résultats suffisants pour être intégrés aux 13 armées. À la fin de cette étape, nous étions encore cinq. Nous nous connaissions tous. Nous avions tous été promis à un rang d'officier. Je regardai Kae, qui, cela ne faisait aucun doute, intégrerait le corps de Kidō, seule autre tache rouge parmi ces hommes en bleu. Il y avait aussi Botanmaru, un ancien de ma classe, qui était probablement le meilleur bretteur de toute notre promotion. Lui qui était plutôt d'un naturel flegmatique, voire un tantinet désinvolte, semblait vibrer sur place tant il était stressé.
« Nous allons dorénavant procéder à l'incorporation des officiers. Sembla gronder le doyen.
À la vue de mon très détendu collègue Botanmaru qui tressautait de stress pas plus de deux minutes plus tôt, je n'avais pu m'empêcher d'esquisser un sourire gentiment moqueur. Qu'un solide gaillard comme lui ait l'air d'un enfant qu'on allait réprimander m'avait amusée. Puis Yamamoto avait repris la parole et mon bel état émotionnel sous contrôle était parti boire le potage. Mes paumes devinrent moites, ma gorge se serra et mon estomac sembla tomber sous terre. Je regrettai immédiatement mon attitude envers mon camarade.
Le vieux capitaine commandant appela bientôt mes collègues les uns après les autres, Botanmaru intégrant la septième division au poste de neuvième siège. Toutes les divisions dans lesquelles j'avais passé les examens d'officier avait été citées sauf la huitième, la neuvième et la dixième. Kae et moi nous lançâmes un regard réconfortant. Elle semblait bien plus confiante. Après tout, elle était probablement l'élève la plus douée en Kidō de notre génération. Elle avait surpassé le niveau de notre instructeur dans cette discipline alors qu'elle entrait à peine en troisième année. Kae avait une très haute opinion d'elle-même, mais ce que beaucoup d'entre nous avaient pris pour de la prétention s'était révélé être une estime parfaitement juste de son pouvoir. Elle avait très vite gagné le statut d'idole auprès des jeunes élèves qu'elle n'avait pas hésité à tutorer. Elle n'avait passé l'examen d'officier que dans le corps du Kidō et l'avait probablement réussi haut la main.
- La neuvième division va également accueillir un nouvel officier. Hikaru Yoshihiro, avance-toi.
Je déglutis et toute mon anxiété s'envola comme par magie. Même si j'étais déjà officiellement diplômée depuis quelques jours, j'étais en train de vivre mes dernières minutes d'aspirante. Je lançai un dernier regard à Kae, qui resta seule dans cette immensité de bois, et marchai prudemment vers l'estrade sur laquelle se tenaient encore le capitaine commandant, son lieutenant et la douzaine d'officiers vêtus de noir.
- Tu es désormais un officier shinigami, cinquième siège de la neuvième division. Tu as juré de protéger et d'assurer la sécurité du Seireitei et telle sera ta mission de cinquième lieutenant. Tu es désormais placée sous les ordres du Capitaine Tōsen et du Vice-Capitaine Hisagi. »
Il laissa l'officier de la division lui donner le vêtement traditionnel et il plaça solennellement le shihakushō des shinigamis sur mes avant-bras tendus. Sur l'uniforme trônait une fleur fraîche, un pavot blanc, symbole de notre division. D'un geste de la main, le doyen m'invita à quitter la pièce. C'était tant mieux. J'avais l'impression qu'il y faisait quarante degrés. Je détestais cette sensation d'avoir des centaines d'yeux braqués sur moi. Cela venait peut-être de mon enfance dans le nord de Rukongai ou de ma vie passée dans la faible densité démographique de Sasame. Je fus accueillie dans le corridor ouvert sur un jardin karesansui au bout duquel un érable était en fleur. Si les autres shinigamis étaient déjà partis, les trois autres jeunes officiers étaient encore là, à discuter. Je m'assis sur le bord du corridor, laissant la fraîcheur de ce début de printemps me transir. Le cœur du Seireitei n'était en rien comparable à Sasame. Ici, tout était si ordonné, si protocolisé, si peuplé. Les choses sérieuses allaient commencer. Cela faisait six ans que je gravitais dans ce monde si éloigné de tout ce que j'avais connu ces dernières centaines d'années, mais je n'y étais toujours pas habituée. C'était donc la neuvième division qui m'avait retenue. La sécurité intérieure. C'était un peu ironique. Moi qui n'avais jamais mis les pieds dans le Saint des Saints, moi qui n'avais rencontré que quelques shinigamis de passage dans ce monde de quiétude que représentait le 23e quartier, étais dorénavant en charge de la protection du cœur de la soul society. Cette forteresse aussi proche qu'inaccessible possédait un statut paradoxal pour nous, âmes de Rukongai. À la fois enfer et paradis, le Seireitei était le paradis, promesse de jours meilleurs et de pouvoir de nous extraire de notre misère, mais aussi l'enfer, celui de ceux qui étaient bien trop tournés vers leur petit monde pour s'occuper des vols, des trafics et des meurtres qui gangrénaient Rukongai. Moi-même, je n'étais pas encore tout à fait en paix avec ma conscience.
Une demi-heure plus tard, j'avais empaqueté le minimum vital dans la petite pièce qui me servit de chambre d'étudiant dans le baraquement numéro 1 de l'académie Shino. Le reste serait déménagé dans la semaine vers mes nouveaux quartiers. Je posai une dernière fois les yeux sur l'exigu espace, désormais dépouillé d'une partie de mes effets personnels. J'en avais peu, mais je possédais un nombre faramineux de livres, de carnets de notes et de recueils de poèmes. Même mon shihakushō blanc et carmin se trouvait désormais soigneusement plié sur le futon. Je partirais, sans doute pour toujours, mais lui habillerait sûrement très vite une nouvelle étudiante.
Je fermai précautionneusement la porte coulissante, traversai les longs couloirs de bois et retrouvai l'officier de ma division sur le parvis de l'académie. Il se présenta sous le nom d'Etsujirō Kahei, troisième siège. D'après lui, j'avais été envoyé précisément dans cette division, car depuis la nomination du nouveau vice-capitaine, la mutation d'un officier et la mort d'un autre, des postes de lieutenants laissés vacants déséquilibraient les effectifs. Il me fit comprendre que j'en saurais plus quand je rencontrerais mon capitaine et son bras droit. Une fois rejoints par les autres shinigamis incorporés en même temps que moi à notre section, nous nous mîmes en route.
Pénétrant dans la partie du Seireitei attribuée à la neuvième division, je fus immédiatement saisie par la dualité de cet endroit. Quand j'étais élève, j'avais eu l'occasion, pour être formée aux missions administratives qui incombaient aux lieutenants, d'assister quelques officiers dans les locaux de la troisième division. L'atmosphère était très différente. Je n'aurais su vraiment l'expliquer avec des mots, mais c'était comme si la nature même de ces murs était d'un autre genre. C'était peut-être lié à l'énergie spirituelle de ce secteur où à son activité, mais j'y ressentis quelque chose d'intrigant. Si les trois quarts des extérieurs qui m'étaient donnés de voir semblaient paisibles et silencieux, un bâtiment de taille modeste sur ma gauche grouillait d'activité. Des shinigamis et des assistants couraient dans tous les sens, les bras encombrés de papiers, de classeurs ou d'ustensiles divers et variés. Je souris. C'était l'une des activités dont la charge reposait sur les épaules de notre division. Précisément, c'était la raison principale qui avait fait que j'avais postulé ici. Quand j'étais étudiante, j'avais pu faire partie de l'équipe éditoriale du journal des élèves de l'académie. J'avais toujours aimé écrire, sur tout un tas de sujets. Science, éducation, musique ou même cuisine, fiction ou documentaires, j'avais pris part à nombre d'activités au sein de ce journal, ma curiosité l'emportant souvent sur mes heures de sommeil. Imaginer que je puisse un jour m'exprimer dans les colonnes du journal du Seireitei me rendait extatique. Si la neuvième division était martialement connue pour être la garante de la défense de la cour, elle était également celle qui promouvait les arts et la culture dans toute la Soul Society. Dans les faits, cette promotion n'atteignait que les premiers quartiers de Rukongai, mais c'était déjà pas mal.
Nous dépassâmes les bâtiments éditoriaux pour entrer dans la partie dédiée aux missions militaires de notre section. Nous nous arrêtâmes tous devant la double porte surmontée d'un neuf. Notre attention fut attirée par les pas pressés d'un homme à la silhouette athlétique. Il venait visiblement de la maison d'édition, transportant quelques exemplaires d'un journal à l'état de maquette.
« Pardonne-moi Kahei, je suis complètement à la bourre. Se confondit le jeune homme en s'inclinant légèrement.
- Je vous en prie, Monsieur. Voici les nouvelles recrues. Expliqua l'officier en me désignant ainsi que la demi-douzaine de condisciples.
Je reconnaissais évidemment le shinigami en question. Shūhei Hisagi. Éditeur en second du journal du Seireitei dont mon capitaine assurait la chefferie, célébrité parmi tous les élèves de ma génération et tout frais vice-capitaine de la neuvième division. Je l'avais croisé une fois, lors d'une visite aux archives de la troisième division dans le cadre de mes activités littéraires, mais nous n'avions pas eu l'occasion de nous parler. Le shinigami prit une demi-seconde pour reprendre son souffle et changea complètement. Le journaliste avait disparu au profit de l'officier supérieur.
- Bienvenue à tous au sein de notre division. Je suis Shūhei Hisagi, vice-capitaine. Je vous souhaite une bonne intégration. Je voudrais faire plus long, mais nous sommes en plein rush aujourd'hui. Kahei et Murazaki vous ont préparé une petite fête dans le mess pour vous accueillir. Kahei va vous y conduire puis vous pourrez prendre possession de vos locaux.
Il se tourna brièvement vers son troisième siège à qui il glissa un mot. Etsujirō me désigna discrètement et Hisagi, ostensiblement surpris, me fit signe de rester. Le lieutenant emmena les quelques nouveaux arrivants vers le mess tandis que je restai seule devant mon vice-capitaine. Je lissai nerveusement mon hakama.
- Alors c'est toi Yoshihiro-san. Pardonne ma surprise, je m'attendais à voir un homme*. Néanmoins, je suis ravi de te rencontrer et de t'avoir parmi nous.
Je me préparai à m'incliner comme le protocole l'indiquait, mais il me tendit la main. Je la serrai de bonne grâce comme si nous étions amis. Je fus très surprise de ce nouveau changement d'attitude.
- C'est un honneur de vous rencontrer, Monsieur. J'espère être à la hauteur de la tâche qui m'est confiée. M'inclinai-je finalement, ne pouvant me résoudre à manquer à l'étiquette dès mon premier jour.
Il laissa un sourire illuminer son visage. Je n'aimais pas juger les gens aussi rapidement, mais j'avais toujours admiré son travail pour le journal des élèves shinigamis dont il avait été le chef du temps de ses études. Savoir qu'il avait l'air aussi sympathique me détendit un peu.
- Viens avec moi, je voudrais te présenter à notre capitaine. Pour le moment, il est encore au journal, mais il ne devrait pas tarder… Enfin, j'espère.
Hisagi m'entraîna dans la salle de réunion des officiers de la neuvième division et m'invita à m'assoir.
- Bien, avant que le capitaine Tōsen arrive, je voudrais te poser quelques questions. J'ai vu sur ta fiche que tu étais dans l'équipe éditoriale du journal de l'académie Shino. Dans quelle section ?
- Culturelle et littéraire mes trois premières années puis dans l'organisation générale les suivantes.
- Est-ce que ça te tenterait de faire un essai auprès du journal ?
- Vous êtes sérieux ?
- Tu plaisantes ! Vu tes notes à l'examen final et ton profil journalistique, tu es notre sauveuse ! C'est précisément pour l'une de ces raisons que le capitaine et moi avons retenu ton profil. Mais si tu ne t'en sens pas capable avant d'avoir pris tes marques je comprendrais.
- Non, absolument pas, j'en serais ravie, c'est un immense honneur ! répliquai-je en inclinant la tête.
- Tu es engagée, Yoshihiro-san. Je te montrerai les ficelles dès demain. Ha, depuis le départ de Katsuya pour la cinquième et Motoko... Le capitaine et moi ne savions plus où donner de la tête. C'est pour ça qu'on passe notre temps à courir dans tous les sens. L'édition spéciale du printemps est en cours de finition, mais rien n'est complètement prêt.
Le stress du monde de l'édition. Dans une moindre mesure, j'avais vécu ça à l'académie Shino. C'était galvanisant. L'attention de mon vice-capitaine fut soudainement attirée par les voix que nous entendions dans le couloir. Je l'interrogeai du regard. S'agissait-il du Capitaine Tōsen ? Sentant le reiatsu de mon vice-capitaine se mettre au garde-à-vous, j'en déduisis qu'il s'agissait effectivement de cela. Bien que l'officier supérieur esquissât un sourire, je ne pus empêcher mon rythme cardiaque de s'accélérer. Toute ma vie, j'avais considéré, comme beaucoup à Rukongai, les capitaines shinigamis comme des êtres à part, différents de nous. C'était comme s'ils ne vivaient pas dans le même plan que nous. Pourtant, je n'étais pas idiote. Comme tout le monde ici, les capitaines vivaient, se détendaient, mangeaient, dormaient. J'avais maintes fois lu la poésie du capitaine Aizen, les leçons d'ikebana du capitaine Unohana, les rubriques philo et cuisine du capitaine Tōsen et l'incroyable série littéraire du capitaine Ukitake dans le journal du Seireitei. Étaient-ils vraiment si différents de nous ?
Hisagi contourna la table et ouvrit la porte en grand. Trois hommes entrèrent dans la salle de réunion. À l'exception de celui qui était en tête de file, le fameux capitaine Kaname Tōsen, ils avaient également les bras chargés de documents. Je n'arrivais cependant pas à me concentrer sur eux. Toute mon attention était focalisée sur le plus haut gradé. Bien avant de détailler son apparence physique, ce fut surtout son reiatsu qui m'intrigua. Dire que l'énergie spirituelle des shinigamis était le reflet exact de leur âme était un peu surestimé, mais j'y percevais néanmoins une maîtrise, une retenue, une forme de noblesse que j'avais rarement sentie jusque-là. C'était également une formidable puissance qui se voyait contenue dans l'enveloppe de chair et de sang qui traversait le pas de la porte. C'était donc ça, un capitaine. J'étais à peu près certaine que s'il lui venait l'envie de libérer toute sa pression spirituelle je finirais en petit tas de cendres fumantes en une seconde et demie.
- Il faut que j'y réfléchisse. Vous ne laissez pas sortir Kaede et sa clique de ce bâtiment tant que sa section n'est pas finie. Et veillez à ce qu'elle dépose son ébauche sur le bureau d'Hisagi pour demain seize heures.
Si j'avais pu disparaître, je l'aurais fait. Bien que sa voix grave fût posée et son reiatsu parfaitement serein, notre capitaine était visiblement agacé et je n'avais pas spécialement envie d'être un dégât collatéral dès mon premier jour.
- Oui Capitaine.
Les deux shinigamis quittèrent la pièce avec un empressement à peine déguisée, nous laissant, Hisagi et moi, seuls avec le capitaine Tōsen. Tandis qu'il dispensait quelques informations relatives aux activités du journal et des mémos martiaux que la neuvième division avait la tâche de transmettre à qui de droit à son vice-capitaine, j'en profitais pour le détailler. Svelte et à la peau sombre, l'officier supérieur portait un shihakushō et un haori sans manches laissant visibles ses bras aux muscles sculptés par toutes ces années de pratiques du zanjutsu. Il portait une paire de lunettes aux verres translucides qui laissaient à peine apparaître la forme de ses sourcils, mais ne laissait discernable ni la couleur ni la forme de ses yeux. Un temps, une rumeur au sein de notre équipe éditoriale à l'académie Shino disait qu'il était aveugle, mais j'imaginais assez mal un tel handicap lui permettre de devenir un shinigami et à fortiori un capitaine. À sa ceinture, une bande de soie indigo, était passé son zanpakutō.
- Capitaine, voici Hikaru Yohihiro, notre nouveau cinquième siège. Si vous préférez que nous repassions plus tard…
- Non. J'avais justement fini.
Je me levai, et m'inclinais devant le capitaine.
- Hikaru Yoshihiro, c'est un honneur d'être désormais sous vos ordres, Capitaine Tōsen.
- Capitaine Kaname Tōsen. Nous sommes reconnaissants de vous avoir au sein de la division, Yoshihiro. J'imagine qu'Hisagi vous a déjà briefée ? »
Comme son lieutenant en chef l'avait fait avant lui, il me tendit la main. Aussi impressionnée qu'une élève shinigami, je la serrai de bonne grâce. Moi qui avais passé un nombre incalculable de semaines entières sans adresser la moindre parole à qui que ce soit quand je vivais à Sasame, je touchais un capitaine. Pourtant, quand ma peau fit contact avec la sienne, il eut un léger, un presque imperceptible mouvement de recul dans le poignet. C'était étrange. Nous échangeâmes quelques banalités, davantage pour me décrire succinctement les missions qui m'incomberaient que pour véritablement engager une conversation frivole. Cependant, plus je parlais, plus l'esprit du capitaine sembla tourné vers autre chose, comme s'il était soudainement très préoccupé. Avec tous les soucis que semblaient poser l'édition spéciale printanière et une section qui paraissait avoir des difficultés à démanteler un trafic entre des baraquements shinigamis et l'extérieur du Seireitei, ce n'était pas incompréhensible.
Les semaines s'écoulèrent dans une course telle que je n'avais même pas le temps de me rendre compte que la froideur d'un début de printemps avait laissé place à la saison des abricotiers puis des cerisiers et enfin des pêchers en fleurs. L'édition spéciale du journal du Seireitei était sortie avec moins de quarante-huit heures de retard et Kaede, la shinigami en charge de la mise en page avait même survécu à l'opération. Il s'en était fallu de peu cela dit puisque mon vice-capitaine avait failli piquer une crise maison que nous avions évitée sans vraiment savoir comment. Même notre capitaine était resté enfermé dans son bureau d'éditeur en chef pendant plus de trois jours. Je ne l'avais pas recroisé depuis qu'il en était sorti, mais je me doutais qu'il avait autant besoin de repos que nous.
Je rentrais d'une séance d'entraînement avec les autres officiers quand Hisagi, dont la dette de sommeil était évidente, fit irruption dans le mess. Lui et moi nous étions immédiatement très bien entendus et les situations de crise comme celle que venait de vivre notre maison d'édition rapprochaient inexorablement toutes les personnes qui partageaient le même bateau. Il tenait une bouteille de saké dans une main et deux coupelles dans l'autre.
« Tu as deux minutes ?
- Pour vous et pour ce que contient cette bouteille ? J'ai toute la soirée.
Il me fit signe de le suivre. Nous allions certainement monter sur les toits du bâtiment principal de notre division, une habitude que nous avions prise depuis la publication du journal. Je posai mon zanpakutō, Tamashī no Kagami, à mes côtés et acceptai de bonne grâce la coupelle que l'officier me tendit.
- Je peux te poser une question personnelle, Hikaru ?
- Un souci, Hisagi-dono ? Vous avez l'air préoccupé.
- Pour la trentième fois, tutoie-moi et appelle-moi Shūhei.
- Mais vous êtes mon supérieur ! protestai-je.
- Alors, considère que c'est un ordre.
Je ne répondis pas, mais je baissai la tête, indiquant qu'il avait gagné.
- Alors, euh… Tu voulais me poser une question ?
- Oui. Tu m'y autorises ?
Je ne savais pas mon officier supérieur aussi protocolaire. D'un geste de la main, je lui intimai qu'il pouvait y aller.
- Hikaru, il y a un problème avec Tōsen-Taichō ?
- Un problème ? Non, pas du tout, pourquoi ? Le capitaine t'aurait-il fait part de son insatisfaction quant à mon travail ? M'alertai-je.
- Non, bien sûr que non, tu nous as vraiment beaucoup aidés. Tu es probablement la shinigami la plus compétente sur le journal que nous avons recrutée depuis des années et tu as le sens de la gestion d'équipe, tu es juste dure ce qu'il faut avec nos hommes. Surtout compte tenu de la section de tire-au-flanc dont tu as eu la responsabilité ces derniers jours. Je pense qu'Etsujirō te les a refilés parce qu'il allait probablement en prendre un pour taper sur l'autre. Se défendit Shūhei.
- Alors pourquoi me poses-tu cette question ?
- Pour rien.
Sans rien dire, je plantai mon regard dans le sien. Il me cachait un truc. Loin de moi l'idée d'être paranoïaque, mais je commençais à penser que cela pouvait avoir un lien avec l'attitude du capitaine Tōsen lorsque nous nous étions rencontrés. En y songeant attentivement, il dispensait exclusivement ses ordres et ses conseils à Hisagi, même quand ils concernaient mon travail, et s'éclipsait toujours rapidement quand je me trouvais dans la même pièce que lui. Même quand j'étais passée à son bureau dans les locaux de la maison d'édition, je n'avais pas pu rester plus de quinze secondes avant d'être interrompue par Kaede. Sans chercher à être trop suspicieuse, l'ensemble de ces données additionné à l'étrange question de mon vice-capitaine commençaient à éveiller ma curiosité.
- Shūhei, il y a un problème avec le capitaine ?
Il soupira, détachant son regard du mien pour admirer le ciel étoilé.
- Je sais ce que tu vas me dire, mais il est distant avec tout le monde. Il n'accorde pas facilement sa confiance. Il est comme ça. Mais il trouve que tu fais du bon travail. Il songe même à te laisser une petite rubrique littéraire dans le prochain numéro spécial. Si ça marche, ta chronique pourrait devenir régulière.
Je fus soudainement très flattée. La lecture était probablement l'un de mes hobbies préférés avec la cuisine, mais je n'avais clairement pas eu le temps de m'exercer aux arts de la bouche depuis des lustres. Et puis c'était mon propre capitaine qui était en charge de l'écriture de cette très populaire rubrique du journal, il ne m'aimait déjà pas beaucoup, je n'allais pas non plus tenter de lui voler sa chronique.
- Mais il ne m'a même pas laissé le temps de lui montrer mes propositions ce matin. Comme tous les autres d'ailleurs. Il m'a juste dit qu'il n'était pas en charge de la mise en page. J'avais évidemment l'intention d'aller voir avec Kaede, mais je voulais son avis.
Shūhei ne prononça pas un mot, mais esquissa un sourire moqueur qui s'étendit d'une oreille à l'autre. Son air carnassier me laissa à penser que j'allais en prendre pour mon grade.
- Tu as quoi ? S'étrangla-t-il, luttant pour ne pas éclater de rire.
- Quoi ! fis-je.
- Ça alors, tu ne l'as vraiment pas remarqué ?
- Remarqué quoi ?
- Tu as fait une maquette écrite à un aveugle, mais à part ça, tout va bien. Pas étonnant qu'il t'ait envoyée bouler.
Je lui assénai le regard le plus blasé du monde.
- Ma pauvre Hikaru, avec un tel prénom, je te pensais plus éclairée. Pouffa Hisagi.
- Tu es sérieux ou tu te moques encore de moi ?
- Je suis 100 % sérieux.
- Ce n'est pas une légende alors. Mais comment c'est possible ?
- Un jour tu comprendras qu'impossible n'est pas Kaname Tōsen. C'est l'une des raisons pour lesquelles je l'admire autant. Peu importe ce que la vie lui réserve, réserve à toute notre division, il cherche et trouve toujours une solution. C'est lui qui a convaincu les capitaines de participer au journal quand il a pris la direction d'un mensuel laissé à l'abandon. C'est grâce à lui si nous sommes aussi autre chose que des grosses brutes. Autrefois, les arts étaient réservés à la noblesse de la cour. C'est sa grande curiosité qui l'a poussé à découvrir tout ce que nous promouvons aujourd'hui. Et ce n'était pas quelque chose d'accessible pour quelqu'un comme lui… Ou comme nous. Il m'a toujours enseigné que c'est ceux qui tombent le plus qui se relèvent le plus vite. C'est fondamental. Peu importent les épreuves, peu importent nos peurs, ou nos douleurs, nous parvenons toujours à nous relever. Pour moi, c'est ça, un capitaine. Ce n'est pas juste un type lambda qui fait des ravages sur le champ de bataille ou qui possède une énergie spirituelle au-dessus de la moyenne, c'est aussi quelqu'un qui sait comment rebondir dans l'adversité, qui sait transmettre son savoir, qui sait trouver les mots quand ses hommes doutent. Parles-en à Etsujirō, parles-en à Tenma, parles-en à Kaede. Tous te serviront le même discours. Le capitaine Tōsen représente la quintessence même de ce qu'est censé être un capitaine. C'est pour ça que je suis ici, Hikaru. Je lui confirais ma vie sans hésiter.
Le monologue de mon officier supérieur me laissa sans voix. Je sentais très bien toute l'admiration que pouvait bien avoir mon vice-capitaine pour cet homme. Il avait une telle confiance en lui. Moi qui n'avais jamais fait confiance à qui que ce soit ne pouvais qu'imaginer ce que cela pouvait bien faire, de placer une personne sur un tel piédestal. Je me contentai de lui sourire. Après tout, Hisagi n'était pas juste un cerveau entraîné à la stratégie militaire et des muscles conditionnés pour le combat. C'était aussi un cœur, un cœur qui guidait ses décisions, ses actes et son sabre. Une fois de plus il me prouvait que les shinigamis n'étaient pas que des machines de guerre. La vision manichéenne des choses qui faisait loi à Rukongai était on ne peut plus fausse. Les shinigamis n'étaient ni des dieux ivres de pouvoir ni des démons assoiffés de sang. C'étaient aussi des hommes et des femmes qui partageaient des expériences, des convictions et des espoirs.
- Merci, Shūhei.
- De quoi ?
- De me rappeler que tout n'est pas noir ou blanc.
- Bon, il se fait tard. Bonne nuit, Hikaru. »
Le shinigami me laissa songeuse. Je me prenais peut-être trop la tête finalement. Rukongai m'avait appris la prudence. Ne pouvant compter que sur moi-même, j'avais vite compris que faire confiance c'était également prendre le risque d'être berné. Alors je n'avais cru en personne. Ouvrir son cœur c'était prendre le risque d'être trahi. Alors je ne m'étais jamais ouvert à quiconque. Aimer, c'était prendre le risque de pleurer un être cher. Alors je n'avais jamais aimé. Toute ma vie s'était résumée à trouver un fragile équilibre bénéfice-risque. Être shinigami, ce n'était pas qu'un métier, c'était une vocation, style de vie. C'était presque un sacerdoce. Tout se résumait donc à nouveau à une question d'équilibre. Quiconque ne parvenait pas à trouver sa place dans un tel environnement ne pouvait s'accomplir ni en tant que shinigami, ni en tant que personne. Alors s'ouvrir, faire confiance, trouver sa place… C'était un véritable challenge. Et avec quelqu'un comme Kaname Tōsen comme mentor, ce n'était pas gagné d'avance.
* Hikaru (qui veut dire Luire ou Briller) est un prénom mixte
