Notes sans intérêt de la traductrice. La mort prématurée de Stargate Universe a brisé mon petit cœur de fan et certainement celui de beaucoup d'autres au passage. Mortifiée par cette – absence de - conclusion scandaleuse, j'ai noyé mon dépit dans les fictions proposant une fin alternative et c'est en errant sur le fandom anglophone que je suis tombé sur ce petit bijou. Cinquante chapitres, c'est peu pour adoucir l'enterrement brutal d'une franchise mythique mais c'est tout de même du pur bonheur. Considérez cette traduction comme un hommage que je rends à une série avortée qui aurait mérité quelques saisons supplémentaires et comme une vengeance personnelle envers la MGM. Poignante, menée à un rythme effréné et ahurissante de détails tout droit sortis de l'univers Stargate, j'espère que cette histoire saura vous emporter autant que moi elle m'a emportée...
Disclaimers. Cette fiction est une traduction. J'encourage les lecteurs possédant de bonnes bases en anglais à aller directement consulter l'œuvre originale éponyme sur le profil de la talentueuse CleanWhiteRoom. Étant loin d'être une professionnelle, ayez pitié de mes modestes compétences et montrez-vous indulgents. J'ai bien sûr essayé de ne pas massacrer le style de l'auteur mais le texte a souffert du passage au français.
Pairing. Pour les presbytes, myopes et autres astigmates, je préfère renouveler l'avertissement : cette fiction est un Young/Rush. Homophobes, passez votre chemin. Non-convertis ouverts d'esprit, laissez-vous tenter. Yaoistes hardcore, vous risquez d'être déçus. Force over distance retrace les tribulations de deux écorchés vifs, pas le quotidien passionné d'un couple homosexuel. Rating M ne rime pas forcément avec sexe.
-oOo-
Notes d'auteur. Cette histoire reprend les évènements de Stargate Universe jusqu'à l'épisode 19 de la saison 2. De là, elle diverge du canon. Ce projet risque d'être long, vous êtes prévenus. L'histoire est racontée du point de vue de Young mais le personnage principal reste incontestablement Rush. Stargate appartient à la MGM, je ne fais que l'emprunter. Je ne gagne absolument rien à écrire cette histoire.
Avertissements. Cette fic versera dans le Young/Rush. Le pairing se construira très lentement. Et quand je dis Young/Rush, j'entends Young SLASH Rush, c'est à dire une relation entre hommes. Si ce genre de choses vous déplaît, ne lisez pas. Le ton et les thèmes risquent aussi d'être assez glauques
-oOo-
Force over Distance
Chapitre 1
« Something of the emptiness we spin through silts and settles so that we can walk a little further out into the fog. » Mark Haddon
« Le vide où nous errons a sa volonté propre, c'est un séduisant labyrinthe qui nous égare un peu plus à chaque pas en nous faisant miroiter une sortie au prochain virage. » Mark Haddon
-oOo-
A la mention de Rush, Young leva les yeux de son bol de protéines réhydratées. A la table voisine, Eli accompagnait ses propos de gestes expansifs, ses mains brassant inutilement l'air. Young reporta son attention sur sa cuillère.
« Vous allez penser que je suis dingue » fit Eli, sa voix portant aisément jusqu'aux tables attenantes, « Mais je pourrais le jurer. Le Destiny... » Il marqua une pause théâtrale, piquant la curiosité de Young. « Le Destiny a un faible pour lui ».
« Le Destiny a un faible pour lui » répéta narquoisement Scott.
« Je sais. Je sais. Dis comme ça, c'est complètement ridicule mais je vous assure que... »
« Impossible » coupa Greer en se penchant légèrement en avant, un doigt pressé contre la table. « Vous voulez savoir comment je le sais ? »
« Euh... »
« Je le sais parce que personne n'aime ce type. » Greer se rassit.
Young détourna les yeux mais pas assez vite pour ne pas remarquer le demi-sourire forcé d'Eli.
« Ça c'est de l'argument » commenta Eli et Young put pratiquement l'entendre lever les yeux au ciel.
Bataillant avec les derniers grumeaux agglomérés au fond de son bol, il fit un sort au reste de son diner et sortit du mess en boitant. A chaque mouvement, son genou gauche et ses côtes protestaient. Ils lui rappelaient en permanence qu'il était trop tôt pour reprendre du service. Il serra les dents et allongea le pas, arpentant douloureusement les coursives dont l'éclairage ne s'était pas encore remis de l'attaque de la semaine précédente.
Il avait eu l'intention de se rendre sur la passerelle. Décidant que rien ne pressait, il fit un détour par le pont d'observation pour reposer sa jambe. Il fut incapable de retenir un soupir de soulagement lorsqu'il s'installa sur le petit banc face à l'immense baie vitrée. Le vaisseau s'offrait à lui, les lueurs floues des étoiles défilant à toute vitesse alors que la robuste structure fendait l'espace en VSL.
Ils avaient frôlé la catastrophe. Quand il fermait les yeux, il pouvait encore les voir au milieu des gerbes d'étincelles engendrées par l'explosion des plafonniers. Leur peau avait été d'un bleu pâle presque scintillant sous l'éclairage d'urgence du Destiny et leurs mouvements avaient déclenché une terreur primitive au plus profond de lui. Un petit contingent s'était introduit à bord du vaisseau, passant aisément les boucliers quasi-réduits à néant par les bombardements continuels. Il les avait affrontés, James à sa gauche et le reste de son équipe déployée derrière lui.
Impossible de se mettre à couvert.
Il prit une profonde inspiration et agrippa la rampe glacée qui courait le long de la vitre, courbant l'échine au souvenir de l'attaque. Les cris, les rafales de coups de feu, la façon dont son P90 avait pilonné son épaule à chaque tir.
« Tout va bien. » Il ignorait s'il s'adressait au Destiny ou à lui-même. Las, il serra la rampe à s'en faire blanchir les jointures et se hissa sur ses pieds.
Young reprit sa progression, passa devant la salle du fauteuil et déboucha quelques minutes plus tard sur la passerelle.
« Colonel » le salua Brody en lui jetant un bref coup d'œil par dessus les données qu'il étudiait. « Comment va votre jambe ? »
« Mieux » répondit succinctement Young. Son regard survola Park puis Volker et il soupira. Brody parut comprendre.
« Il n'est pas ici » fit-il d'un ton fatigué.
« Vous savez » intervint Volker « Je pensais que maintenant qu'on connait l'existence de la passerelle et qu'on sait qu'il a craqué le code maître, il arrêterait de nous éviter perpétuellement. »
« Il ne nous aime pas, c'est tout » répondit Brody sans cesser de fixer son écran.
« Il nous apprécie » contra Park avec optimisme. « Je veux dire... » Elle eut un petit geste impuissant. « A sa manière. »
Young sortit sa radio. « Rush, ici Young. Répondez. » Il relâcha le bouton.
« Ici Rush. »
Young haussa les sourcils.
« Vous êtes chanceux » commenta Volker en levant les yeux de sa console.
« Ici Rush. Qu'est ce que vous me voulez colonel ? » Young devinait que Rush se faisait violence pour rester cordial. Sa voix était maitrisée mais sa diction trahissait son irritation, tranchant le silence tendu comme du beurre.
« Vous êtes où exactement ? »
« En salle de contrôle. »
« Vous étiez supposé réparer l'artillerie avec le reste de l'équipe scientifique. » Young attendit l'immanquable répartie venimeuse de Rush.
Rien ne vint.
Trente secondes s'écoulèrent dans le calme, seulement troublées par le bruit des doigts pianotant sur les écrans tactiles. Young croisa les bras, s'accoudant à la console fétiche d'Eli pour soulager sa jambe.
« Rush » réitéra Young en élevant dangereusement la voix.
Plusieurs moniteurs dispersés dans la salle revinrent soudain à la vie, émettant aléatoirement de petits éclats de lumière bleue et or.
« Ce sont les... » débuta Volker.
« Ouaip » confirma Brody.
Park était déjà postée devant une console à compulser les nouvelles données. Young s'avança et jeta un œil par dessus son épaule. Il n'en était pas certain mais, apparemment, les batteries d'artillerie endommagées avaient été reconnectées au système.
« Dites-moi que ce sont de bonnes nouvelles » grogna Young, histoire d'en être sûr.
« La totalité du système d'armement est opérationnelle à l'exception du canon principal » traduisit Park. « Les trois batteries d'artillerie sont actives, la puissance est stable. »
« J'aimerais quand même qu'il m'explique comment il s'y prend » grogna Volker en passant une main dans ses cheveux. « Ne serait-ce qu'une fois. »
« Vous n'y êtes pour rien ? » demanda Young.
« Non » rétorqua Brody.
Park regarda par dessus son épaule avec une moue de petite fille prise en faute. Young plissa les yeux.
« Rush » cracha-t-il dans sa radio, faisant claquer le nom comme un coup de fouet.
« De rien, colonel. Rush, terminé. »
« Il est de mauvaise poil depuis le début de la journée » l'informa Park. Il ne parvint par à déterminer si son expression était compatissante ou affligée.
« Bien. Comme ça on est deux. »
Il abandonna la passerelle, laissant l'équipe scientifique travailler en paix, et descendit en salle de contrôle. Il aurait amplement préféré rejoindre directement ses quartiers. La marche n'arrangeait pas sa jambe boiteuse mais il ne supportait pas l'idée d'un Rush manigançant il ne savait quoi à bord.
Il ralentit le pas en approchant de la salle de contrôle. Le martellement régulier de ses rangers sur le métal se réduisit à un léger chuintement. Young passa silencieusement l'angle de la coursive et pénétra dans la salle, s'adossant à l'encadrement de porte.
La pièce était sombre. L'unique éclairage provenait des consoles qui irradiaient d'une lumière bleue pâle. Rush était courbé sur la console principale, une main frictionnant pensivement sa nuque.
Young envisagea plusieurs entrées en matière. N'en retint aucune.
« Vous avez raté le diner. Ça devient une habitude. »
Rush ne montra pas le moindre signe de surprise, comme s'il avait remarqué sa présence depuis le début.
« Colonel. Encore à surveiller mes faits et gestes » rétorqua-t-il sans daigner le regarder. « Ça devient une habitude. »
Young soupira.
« Park m'a dit que vous aviez reconnectés les batteries d'artillerie. Du bon travail. Ce serait encore mieux si vous arrêtiez de faire cavalier seul. »
« Hm. La prochaine fois peut-être. »
« Comment ça se présente avec le canon principal ? »
« Plutôt mal. » Rush retira sa main de sa nuque et la porta à sa tempe, effleurant les légères contusions laissées par l'interface neuronale. « Ce canon a été conçu pour être manipulé depuis fauteuil. »
« On s'est déjà passé du fauteuil » fit remarquer Young. « Vous aviez réussi à déverrouiller le système de mise à feu. »
« J'avais contourné le programme » avoua Rush en levant enfin les yeux de son écran. « Ce n'était qu'un palliatif. Quand je me suis servi du fauteuil il y a quatre jours, j'ai réinitialisé la totalité du système. »
« Trouvez un autre moyen de contourner le programme alors. »
« Bien sûr » rétorqua Rush en passant un main lasse sur son visage. « Rien de plus simple. Considérez que c'est fait. Je n'ai plus qu'à démanteler les six algorithmes adaptatifs qui verrouillent actuellement l'accès au processeur principal. Ce n'est pas comme si je risquais d'endommager irrémédiablement le système. »
« Qu'est-ce qu'il vous faut ? » soupira Young. « L'aide du SGC ? Eli ? »
« Je n'ai besoin de rien ni de personne, je me débrouille très bien tout seul. »
« Faites comme vous le sentez mais je veux que ce canon soit opérationnel le plus tôt possible » décréta Young. « De préférence avant qu'on sorte de VSL. »
« Écoutez » reprit Rush. « Si jamais on a encore besoin de ce canon, on sera bien obligés de se servir du fauteuil. Il faut vous y faire. »
« C'est hors de question. »
« Il n'y a pas d'autre moyen. »
« J'ai dit non. »
« Parfait. » Rush écarta les bras avec fatalisme, le rictus que Young détestait tant se formant sur ses lèvres. « Formidable. Si je comprends bien, vous me demandez transcender toutes les lois de la physique juste pour vous faire plaisir. »
« Ce fauteuil a presque réussi à vous tuer. »
« Je suis bien placé pour le savoir, figurez-vous. Je n'ai pas oublié. »
« Vraiment ? » Young s'était exprimé très bas. Un instant, il douta que ses mots aient franchi les quelques mètres les séparant.
Les mains de Rush cessèrent de pianoter sur la console, suspendues au-dessus de l'écran tactile. Young observa les longs doigts soudain immobiles. Ils étaient un point de mire moins risqué que leur propriétaire. S'obligeant finalement à relever les yeux, Young croisa le regard scrutateur de Rush. Pour la première fois, il sentit que toute la puissance de l'intellect du scientifique était focalisée sur lui. Rush le disséquait, s'employant à le déchiffrer avec une précision quasi-chirurgicale.
« Faites-moi marcher ce canon. C'est tout ce que je vous demande. »
Il put sentir Rush le suivre du regard alors qu'il tournait les talons et quittait la salle.
Cette nuit-là, il revécut l'attaque dans ses cauchemars.
Il est trois heure du matin quand la sortie de VSL le réveille en sursaut. Il a tout juste le temps d'enfiler sa veste, les premières salves ennemies heurtent déjà les boucliers dans un fracas inquiétant. Par le hublot de ses quartiers, il peut parfaitement les distinguer – deux vaisseaux, peut-être plus, les canonnant à faible distance. Il n'y a pas d'erreur possible. Le design anguleux des engins est spécifique aux aliens qui ont enlevé Chloé. Chloé et Rush.
Il se rue dans la coursive et fonce en direction de la passerelle, cherchant à joindre Scott par radio.
« Tout le monde à son poste » hurle-t-il pour être certain d'être entendu.
« Compris » répond Scott.
Quand il déboule sur la passerelle, les consoles clignotent d'un éclat doré, projetant les arcs mouvants des trajectoires sur les écrans principaux. Il aperçoit Chloé déserter la console fétiche d'Eli pour se précipiter sur une autre. Pieds nus, elle s'active comme une forcenée autour des moniteurs, les traits tendus par l'angoisse.
« Au rapport » exige-t-il.
« Le vaisseau est sérieusement endommagé » fait la voix de Rush dans son dos. « Boucliers réduits à trente pourcent »
« Trente pourcent ? Comment c'est possible ? »
« Quelque chose draine l'énergie des systèmes principaux » intervient Eli en essayant d'ignorer le sifflement strident des alarmes. « Les condensateurs sont chargés à bloc mais... »
« Quels sont les risques d'intrusion ennemie ? »
Personne ne répond. Il reporte son regard sur Rush. L'autre homme fixe intensément un point dans le vide, la tête penchée sur la gauche. Il a l'air d'écouter quelque chose que Young est incapable d'entendre.
« Scott » dit-il dans sa radio sans quitter le scientifique des yeux. « On risque d'avoir de la visite. Envoyez deux équipes armer les civils. Dites-leur que je les rejoins au mess, j'y donnerai mes instructions. »
« Il nous reste combien de temps ? » demande-t-il à Eli.
« Cinq minutes » répond Chloé à sa place. « Peut-être moins. Je suis en train de rediriger ce qu'il nous reste d'énergie vers les zones les plus endommagées mais ça ne suffira pas. On ne tiendra pas très longtemps à ce régime. »
« Faites ce que vous pouvez. Greer et ses hommes les retiendront aussi longtemps que possible. »
Les portes s'ouvrent et Park surgit dans la salle, suivie quelques secondes plus tard par Brody et Volker. Le sas se referme dans un chuintement et Rush reprend brutalement ses esprits.
« Brody » dit-il en pointant la console devant laquelle il se trouve. Sans une explication, il se rue vers les portes qu'il atteint en quelques foulées. Young agrippe son bras au passage et l'oblige à se retourner, le tirant sans ménagement vers les autres.
« Vous croyez aller où comme ça ? » L'irritation a finit par le submerger et les mots sortent dans un grondement hargneux. Il n'arrive plus à se maîtriser. Il ne peut pas s'empêcher de passer sa frustration sur Rush en dépit de la gravité de la situation.
« Ce n'est vraiment pas le moment, colonel » aboie le scientifique, ses traits passant de la surprise à la rage en l'espace d'un instant. « Lâchez-moi. »
« Personne ne quitte cette salle » rétorque Young, suffisamment fort pour que chacun l'entende. « Personne n'ouvre les portes. Compris ? »
Une rafale de tirs ennemis traverse soudain les boucliers agonisants et ébranle violemment le vaisseau. Young est projeté contre une rampe en acier, l'impact provocant un craquement écœurant dans son flanc gauche. Il heurte brutalement le sol, le souffle coupé, et le hurlement des multiples alarmes lui donne un début de migraine. A côté de lui, Rush lutte pour conserver son équilibre alors que le pont continue de tanguer. Instinctivement, Young parvient à agripper la cheville du scientifique qui tente d'atteindre les portes. Il tire et Rush se retrouve à nouveau au sol.
Les efforts de Young sont remerciés d'un coup de pied dans la mâchoire. Serrant les dents, il traîne lourdement le scientifique jusqu'à lui, un bras passé autour de son abdomen, son buste épinglant ses jambes dans une tentative de placage rudimentaire.
« Les gars ! » hurle Eli par dessus le vacarme ambiant. « Sérieux, vous ne pourriez pas régler ça un autre jour ? »
L'intervention distrait Young et, que ce soit involontaire ou délibéré, le coude de Rush fait une rencontre fracassante avec ses côtes cassées. La douleur se répand dans son flanc et il desserre sa prise. Dans un regain d'énergie, Rush s'arrache à sa poigne et fonce vers les portes qui s'ouvrent inexplicablement à son approche.
Depuis le sol, Young l'observe s'immobiliser une courte seconde, silhouette claire contrastant avec l'obscurité de la coursive. Il semble écouter attentivement quelque chose. La seconde suivante, il se détourne et disparaît dans les entrailles du Destiny sans un regard en arrière.
« C'était quoi ce bordel ? » hurle Eli.
Young se hisse sur ses pieds à l'aide de la rampe, un main pressée sur ses côtes. Sa radio grésille.
« Colonel, ici Greer. »
« Young, j'écoute. »
« Colonel, Rush vient de nous passer sous le nez en courant comme un dératé. »
« Je sais, sergent. » Il marque une pause pour reprendre son souffle. « Laissez tomber. »
« Compris. »
« Il est bien le seul » jette sarcastiquement Eli.
« Eli » le reprend sèchement Young. « Parlez moins, agissez plus. »
Il abat son poing sur l'interrupteur des portes et quitte la salle. Greer l'attend dans la coursive.
« Rien ne passe ces portes, sergent » ordonne-t-il. Il regarde Greer droit dans les yeux en désignant le sas d'un mouvement de tête. « Ils sont notre seule chance de survie. »
« Bien colonel. »
Young s'éloigne au pas de course et ses côtes lui font souffrir le martyr à chaque foulée. Il rejoint James au mess. Wray a déjà commencé à organiser leur défense. Des barricades de tables ont été montées et les civils se massent derrière ces boucliers de fortune, James et ses hommes postés près de l'entrée. Ils ont découvert lors de l'attaque de l'Alliance Luxienne que le mess est la position la plus facile à défendre du vaisseau – assez vaste pour accueillir tout l'équipage, doté d'un unique accès – et ils mettent cet avantage à profit.
Le mess est leur ultime recours.
Ce qui en dit long sur la situation.
« Colonel, on est au contact ! » crache soudain sa radio. La voix de Scott est pratiquement noyée sous les rafales de tirs. « Je répète, on est au contact. L'ennemi est à bord. »
Un cri retentit quelque part derrière lui et les civils se mettent à chuchoter furieusement entre eux.
« Silence » hurle Young à la foule paniquée. « Que ceux qui ont des armes se positionnent directement derrière les barricades. Les autres, au fond. C'est un ordre. »
D'un geste de la main, il fait signe à James de former les rangs. Elle et ses hommes obtempèrent immédiatement. Un autre tir ennemi ébranle le vaisseau, projetant la majorité d'entre eux au sol. Young grimace en sentant la douleur de son flanc se réveiller sauvagement.
« Becker » grogne-il au militaire à sa gauche. « Passez-moi votre P90. ». Le soldat le lui tend sans faire de commentaire et sort bravement son Beretta de sa ceinture.
L'équipe se rue dans la coursive. Ils n'ont même pas le temps de prendre position, un groupe ennemi tourne déjà l'angle du couloir.
Plusieurs plafonniers explosent. Young et ses hommes peinent à échapper à la pluie d'étincelles qui s'abat sur eux. Les aliens sont tels que le colonel se les rappelle – la démarche gauche, l'échine anormalement courbée, la peau d'un bleu opalescent sous l'éclairage d'urgence du Destiny.
« Formez les rangs » hurle-t-il. A ses côtés, il sent plus qu'il ne voit James armer son P90. En l'espace d'une seconde, ils sont en place et ouvrent le feu sur le groupe adverse.
Impossible de se mettre à couvert.
Les aliens répliquent avec leurs armes à plasma. Elles sont lentes à charger mais indubitablement puissantes et ses hommes rompent les rangs, se plaquant contre les parois de la coursive pour laisser passer la salve. Ils n'ont pas l'opportunité de restaurer leur formation. Situé en première ligne, Young profite du champs libre pour continuer à faire feu. Un alien tombe, suivi d'un deuxième. La seconde suivante, c'est un de ses hommes qui s'effondre.
James s'encastre dans le mur avec un craquement écœurant et Young se précipite pour la couvrir. Quand il s'élance, une douleur atroce remonte le long de sa jambe et c'est le black-out.
Le cauchemar s'interrompit brutalement lorsqu'il regagna conscience. Il s'assit sur le bord du lit et essuya son visage humide de sueur froide d'une main tremblante, la respiration saccadée.
« Bordel. » Il passa rageusement le dos de sa main sur ses yeux, pressant son alliance glacée contre sa peau. La voix de TJ sortit de sa radio.
« Colonel Young, répondez. » L'infirmière paraissait légèrement essoufflée. Il se demanda depuis combien de temps elle essayait de le joindre. Sans se lever, il empoigna la radio sur sa table de chevet.
« Ici Young. »
TJ marqua une pause.
« Désolée de vous réveiller colonel. » Il détestait ces moments où TJ lui prouvait qu'elle le connaissait par coeur.
« Aucune importance, TJ. Poursuivez. »
« Le lieutenant James a repris conscience » dit-elle.
« J'arrive. »
Les coursives menant à l'infirmerie étaient pratiquement désertes. Il était vingt-trois heure, seuls les hommes affectés au service de nuit étaient encore debout. Il salua Brody d'un signe de tête quand il le croisa et, plusieurs minutes plus tard, il échangea quelques mots avec le pilote Dunning avant d'atteindre l'antre de TJ.
L'infirmière lui adressa un demi-sourire quand il la dépassa pour se rendre au chevet de James, slalomant entre les couchettes inoccupées.
« Colonel. » James tenta de se redresser lorsqu'elle le vit.
« Repos, lieutenant. » Il leva une main en signe d'apaisement. « Comment va votre épaule ? »
Elle grimaça. « Douloureuse mais TJ dit que j'y survivrai. »
« Content de l'entendre. » Young la gratifia d'une taloche sur le genou.
« Vous avez été touché » se souvint-elle. Elle détourna les yeux. « Vous essayiez de me couvrir. »
« Oubliez ça lieutenant. Comme vous pouvez le voir, je suis en pleine forme. »
« Bien, colonel. »
« Vous serez bientôt sur pieds. En attendant, reposez-vous. »
« Colonel, je voulais vous demander... »
Il fronça les sourcils.
« On était vraiment dans de sales draps. Ils étaient partout, mieux armés que nous. » Elle fit une pause, ne sachant visiblement pas comment poursuivre. « A ce moment-là... »
Elle se tut et il l'encouragea d'un mouvement de tête.
« J'ai vraiment cru qu'on avait perdu le vaisseau. »
Young retint une grimace. La douleur dans son genou se faisait insupportable. S'avançant de quelques pas, il s'assit au bord de la couchette de James et elle se décala pour lui faire de la place.
« Moi aussi » admit-il. Un sourire désabusé se dessina sur ses lèvres, trop fugace pour atteindre ses yeux. Elle le fixa, manifestement prise de court. Il évita ses yeux et regarda ailleurs, prétextant contempler le plafond.
« Rush. Remerciez Rush. » Il se força à la regarder et à sourire d'un air rassurant. « Il nous a sauvé la peau. A tous. »
« Rush ? Comment ? » Elle ne réussit pas tout à fait à réprimer son expression écoeurée.
« Il a réussi à activer le canon principal et à restaurer les boucliers en se servant du fauteuil. » Young haussa les épaules. « D'après ce que j'ai compris, il s'est connecté aux détecteurs du Destiny pour repérer les aliens et, ensuite, il les a piégés dans des zones innocupées du vaisseau. Il s'en est débarassé en dépressurisant les salles où il les a enfermés. Ils sont tous morts. »
« Il est... » Elle ne termina pas sa question mais Young comprit.
« Il va bien » répondit-il. « En tout cas, il a l'air d'aller bien. »
« Hm. » James se renfrogna brusquement. Young se demanda ce qu'elle essayait de lui cacher. « On a eu de la chance. »
« Je suppose » fit-il.
Un silence gênant s'installa entre eux. Young se releva. « Je ferais mieux d'y aller » dit-il. « Vous avez besoin de repos. »
« Oui. » Elle lui adressa un sourire. « Vous avez sûrement raison. »
« Prenez soin de vous » dit-il en tournant les talons.
TJ tenta de l'intercepter alors qu'il quittait l'infirmerie. Il l'en dissuada d'un geste, ignorant ses sourcils froncés. Il avait pratiquement atteint ses quartiers quand il tomba sur Eli, presque littéralement parlant. Le gamin avait tourné l'angle de la coursive sans regarder, les yeux rivés sur l'écran d'un ordinateur portable.
« Attention » enjoignit Young en le retenant par les épaules..
« Oh pardon » marmonna Eli sans lever les yeux. « Ah, colonel Young ! Je vous cherchais justement. » L'ex-hacker parut soulagé de l'avoir trouvé. « Vous avez une minute ? »
« Pas ici » répondit Young. « Ma jambe ne va pas tarder à me lâcher, j'ai besoin de m'asseoir. Venez avec moi. » Il désigna ses quartiers. Eli était en ébullition et peinait à se contenir. Young eut du mal à se maintenir à sa hauteur. Dès qu'ils atteignirent leur destination, Eli ne perdit pas une seconde et installa son portable sur la table basse.
« Qu'est-ce qui vous met dans cet état ? » demanda Young en se laissant tomber sur le canapé. Son articulation devint soudain beaucoup moins douloureuse et il résista à l'envie de grogner de satisfaction.
« Vous savez que je déteste espionner, hein ? Parce que je... »
« Eli » fit Young dans l'espoir de désamorcer l'interminable tirade à venir.
« Bref » reprit Eli sans se soucier de l'interruption. « Il faut absolument que vous voyiez ça. Si j'essaye de vous expliquer, vous... » Le jeune homme secoua la tête.
Young le regarda lancer un fichier vidéo. Les images provenaient visiblement d'un kino en vol stationnaire et montraient une coursive vide. Des portes verrouillées s'alignaient le long du couloir. Eli se pencha en avant pour presser le bouton play, lui cachant l'écran l'espace d'un instant, et la vidéo démarra. Sous les yeux attentifs de Young, l'éclairage jaune habituel du vaisseau se réduisit à une faible lumière bleutée, l''étrange phénomène se propageant comme une vague de plafonnier en plafonnier.
« Je ne savais même pas qu'on avait un éclairage d'ambiance » commenta Eli.
« Eli, qu'est-ce que... » Young s'interrompit.
Rush apparut à l'écran alors qu'il passait sous le kino sans le voir. Il paraissait fatigué, sa démarche normalement énergique était plus lente que d'ordinaire et il massait inconsciemment l'une de ses épaules. Le kino perdit un peu d'altitude et suivit le scientifique, offrant aux deux curieux une vue dégagée sur la coursive. Ils purent voir l'éclairage continuer à faiblir à mesure que Rush avançait.
« C'est quoi ce bordel ? « murmura Young. « Qu'est-ce qu'il fabrique ? »
« Rien du tout. Je ne pense pas qu'il le fasse exprès » répliqua Eli. « En fait, j'ai l'impression qu'il ne s'en rend même pas compte. Regardez-le. Il a les yeux baissés. »
C'était vrai. Le scientifique marchait la tête basse, sa main agrippant toujours son épaule. Il semblait aussi exténué que Young.
« Regardez bien » dit Eli. « Juste là. »
Des portes s'ouvrirent sur la gauche de Rush. Il y eut un bref éclat de lumière jaune puis l'éclairage de la salle s'accorda au bleu tamisé de la coursive. Rush marqua une pause, vaguement étonné, et regarda furtivement sa main, l'air de se demander s'il n'avait pas accidentellement frôlé l'interrupteur. Ensuite, il contempla la salle, le kino filmant son profil alors qu'il croisait les bras sur sa poitrine.
« Oh non, je ne crois pas » fit-il en s'adressant au vaisseau.
Rush regarda furtivement autour de lui et remarqua pour la première fois le kino. Il tendit la main, aveuglant l'objectif un court instant, et renvoya le kino dans la direction inverse. L'image pâlit. Il fallut plusieurs secondes à la caméra pour s'adapter à la soudaine luminosité.
« Bordel. » Young ferma les yeux. « C'est la salle du fauteuil, hein ? »
« Ouais » répondit aussitôt Eli.
« Qu'est-ce qu'il complote encore ? » Young posa un regard acéré sur l'ex-hacker. « Ne me dites pas qu'il essaye de reprendre le contrôle du vaisseau en douce. »
« Peu probable » jugea Eli, inexplicablement enthousiaste. « Je pense plutôt que le vaisseau essaye de communiquer avec lui. C'est comme si le Destiny l'invitait dans cette salle, vous voyez ce que je veux dire ? »
« Personnellement, je ne trouve pas qu'éteindre systématiquement les lumière est la meilleure façon d'inviter quelqu'un à faire quoi que ce soit » grogna Young.
« Le Destiny n'éteint pas les lumières » corrigea Eli avec de grands gestes. « Il réduit la luminosité. » Le jeune homme marqua une pause. « Rush a pas mal de maux de tête, vous savez. »
Young fixa Eli pendant trois bonnes secondes.
« Le vaisseau est aux petits soins pour Rush ? »
« Non ! Enfin, en quelque sorte. » Eli soupira. « Peut-être, d'accord ? Dit comme ça, je sais que ça a l'air dingue mais... »
« Écoutez » fit Young, coupant court à son monologue. « Je veux juste que vous gardiez un œil sur Rush. Il s'est servi du fauteuil et, quand on sait ce que ce machin a fait à Franklin, je préfère prendre mes précautions. Après, je me fiche de savoir si le vaisseau l'aime ou s'il le déteste, ils peuvent même se marier s'ils en ont envie. Ce qui compte, c'est de s'assurer que Rush va bien, qu'il se comporte normalement et qu'il ne recommence pas à faire ses coups en douce. »
« Okay » maugréa Eli. A en juger par son ton, le gamin jugeait qu'il était passé à côté du plus important.
« Prenez du repos » lui conseilla Young en se levant pour le raccompagner jusqu'à la coursive.
Le sas se referma derrière Eli et, durant un long moment, Young resta immobile, le front appuyé contre le métal frais des portes et les yeux fermés. Il pouvais sentir les vibrations ténues du vaisseau contre sa peau. Pensivement, il fit courir sa main sur la surface lisse.
« Tu lui parles, hein ? » murmura-t-il au vaisseau.
Durant un long moment, il resta silencieux.
« Pourquoi tu ne me parles pas ? »
Évidement, il n'obtint aucune réponse.
Young soupira et empoigna sa radio. « Lieutenant Scott, répondez. »
« Ici Scott, colonel. Je vous écoute. »
« Postez quelqu'un devant la salle du fauteuil. Personne n'entre ou ne sort sans ma permission. »
« Compris, colonel. »
« Lieutenant... »
« Oui, colonel ? »
« Surtout pas le Dr Rush. »
« Bien reçu. »
Quand la radio de Young se remit à grésiller, il était cinq heure du matin et il n'avait réussi à dormir que quelques petites heures.
« Colonel Young, ici Rush, vous me recevez ? »
« Bordel » grogna Young en émergeant avec difficulté. Il tâtonna dans le noir à la recherche de sa radio.
« J'écoute. »
« Colonel, pourquoi vous m'avez mis un garde devant la salle du fauteuil ? »
« Simple précaution, Rush » rétorqua-t-il.
Il y eut un long silence. Il se demanda ce que fabriquait Rush. Différentes hypothèses lui vinrent à l'esprit – Rush regardant furieusement sa radio, Rush balançant quelque chose contre un mur, Rush cherchant à ce débarrasser du malheureux qui montait la garde devant la salle...
« Rush » fit Young dans sa radio.
« Si vous voulez que je reconnecte le canon principal, il faut que je puisse transférer certaines commandes vers la passerelle. Et ces commandes ne sont accessibles que depuis l'interface centrale. » Young pouvait pratiquement sentir les efforts qu'il déployait pour contenir sa mauvaise humeur.
Et il n'avait strictement rien compris à son petit discours.
« Je vais faire l'effort de le dire plus simplement. Je dois pouvoir accéder au fauteuil » cracha Rush avec condescendance.
« Vous y travaillerez plus tard » rétorqua Young. « Quand le reste de l'équipe scientifique sera levée par exemple. »
« Plus tard » répéta Rush d'une voix glaciale.
« Oui, plus tard » répondit Young en imitant son ton condescendant. « Avec le reste de l'équipe scientifique. »
Pas de réponse.
Young essaya de se rendormir mais ses efforts ne furent pas un franc succès. Il finit par se lever puis se rasa et se doucha avant de descendre au mess pour un petit-déjeuner matinal. Sans surprise, aucun scientifique n'était debout à l'heure du premier service et il s'installa en face de Camile Wray.
« Camile. »
« Colonel Young » répondit-elle froidement en le regardant par dessus son bol de bouillie. Ce qu'elle vit la fit changer de ton. « Vous avez l'air épuisé. »
« Rien de bien méchant. »
« Comment avancent les réparations ? »
« Plutôt bien, je dois dire. » Young remua négligemment sa bouillie de protéines. « Nos trois batteries d'artillerie sont opérationnelles et les boucliers ont presque regagné leur puissance maximale. Il ne reste que des problèmes mineurs, nos experts y travaillent. »
« Et le canon principal ? » Wray se força à avaler une autre bouchée de son petit-déjeuner.
« Rush planche encore dessus. D'après lui, il va falloir se servir du fauteuil pour le récupérer. »
« Du fauteuil ? » Wray fronça les sourcils. « Je croyais que c'était dangereux ? »
« Ça l'est » répondit Young en grimaçant. « Il est peut-être possible de transférer les commandes vers la passerelle mais ce foutu fauteuil est un passage obligé quoi qu'on essaye de faire. »
Wray soupira.
« Comme vous dites » acquiesça Young.
Il mangèrent en silence un moment, focalisés sur leur repas respectifs et essayant chacun de l'avaler le plus rapidement possible.
« Un nouvel approvisionnement ne serait pas de refus » commenta Wray en atteignant victorieusement le fond de son bol.
« Vous n'avez pas tort. Je vais voir si Rush et Eli peuvent nous organiser une virée sur une planète habitable. »
Elle lui adressa un hochement de tête satisfait en quittant la table. Young la regarda partir. Alors qu'elle sortait du mess, Rush passa l'angle de la coursive en marche commando et faillit la percuter. Il agrippa son bras pour lui épargner la chute.
« Désolé. »
« Désolée. »
Young leva les yeux au ciel.
Wray disparut dans la coursive. Rush traversa le mess à grands pas et attrapa le bol de protéines réhydratées que lui tendait Becker. Le scientifique entreprit d'engloutir sa ration à une vitesse qui n'aurait pas dû être humainement possible. Debout dans un coin du mess, il mangeait face à leur cuisinier attitré, sans doute pour pouvoir lui rendre immédiatement son bol.
Becker observait Rush avec une sorte d'amusement résigné et Young eut l'intuition que cette scène arrivait fréquemment.
« Il n'y a pas le feu, Rush. »
Le scientifique leva le nez et le regarda, les sourcils froncés.
« Asseyez-vous » lui intima Young en désignant le siège que Wray venait de déserter.
« Je suis très occupé, colonel. »
« Je vois ça. »
Rush plissa légèrement les yeux.
« Asseyez-vous. Il faut qu'on discute de votre petit projet. »
« Je ne vois pas de quoi vous parlez. » Rush affichait désormais l'expression désinvolte que Young avait appris à redouter. Il n'aimait pas ce ton. Il l'avait trop souvent entendu par le passé.
« Votre projet de vous servir du fauteuil » précisa Young en essayant de ne pas trahir son malaise.
Rush lui jeta un regard acéré mais prit néanmoins place face à lui, balançant presque son bol à moitié vide sur la table. « Alors dites-moi, colonel, quelles sont vos conditions ? Qu'est ce que je vais encore devoir accepter pour que vous me permettiez de... »
Young leva une main impérieuse avant que Rush ne puisse démontrer toute la puissance de ses cordes vocales. « Arrêtez de tout dramatiser. »
Rush poussa un soupir irrité et contempla sa cuillère, regardant la pâte blanche retomber mollement dans son bol.
« Mes conditions sont les suivantes. Premièrement, vous collaborez avec l'équipe scientifique. Deuxièmement, un de mes hommes reste stationné devant la porte en cas de pépin. Troisièmement, personne ne s'assoit dans le fauteuil. »
« Premièrement, je collaborerai avec Eli et personne d'autre. Deuxièmement, à quoi servira votre soldat s'il est stationné derrière la porte ? Et troisièmement, vous avez ma parole. »
« Nous ne sommes pas en train de négocier, Rush. »
« D'accord. J'accepte Eli, Brody et Park. Volker reste dehors »
« Rush. »
« Parfait. » Rush donna un coup de cuillère sur la table et un clang sonore retentit. « Va pour Volker et son idiotie congénitale. On peut commencer quand ? »
« Quand vous voulez. » La voix de Young resta parfaitement calme. « Tenez-moi au courant, je tiens à être présent. »
« Disons neuf heure et demi alors ? »
« Très bien. »
« C'est ça. Très bien. » Rush se leva.
« Vous n'avez pas terminé votre repas. »
« Ne vous privez pas, colonel. »
Rush quitta le mess avec une expression hargneuse. Dès qu'il fut hors de vue, la quasi-totalité de salle reprit son souffle et quelques rires nerveux s'élevèrent.
« Reprenez vos discutions, il n'y a plus rien a voir » commanda Young. Il ramassa son bol et celui à moitié vide de Rush pour les donner à Becker.
Dans le début de matinée, il fit un saut au camps d'entraînement que Scott avait créé pour les civils et régla quelques questions d'ordre logistique. L'heure de se rendre à la salle du fauteuil sonna rapidement et, sur le chemin, il croisa Eli et Brody. Tous deux parlaient d'une quelconque querelle scientifique impliquant des rhéostats et des condensateurs. Enfin, Eli parlait et Brody lui répondait par monosyllabes, signifiant le plus souvent son accord. Young les rejoignit et les salua d'un mouvement de tête.
Quand ils débouchèrent sur la salle du fauteuil, ils la trouvèrent en pleine ébullition. Des ordinateurs portables étaient ouverts sur les consoles, tels de gros papillons, et vrombissaient doucement. Young s'adossa à l'encadrement de porte, observant Park et Volker lancer les différents systèmes. Au centre de la pièce, le fauteuil trônait, inactif.
« Colonel » le salua Greer.
« Sergent » répondit Young sur le même ton. « Comment ça se passe ? »
« Bien je suppose. J'ai mis du temps à prendre le pli mais je maîtrise maintenant. C'est tout un art. »
« Un art ? » répéta Young, perplexe.
« Oui. L'art de surveiller des matheux qui s'abrutissent devant des ordinateurs. »
Young retint un sourire amusé. « Ces matheux sauvent nos fesses trois fois par semaine. En ce qui me concerne, ça vaut bien un traitement de faveur. »
« Pas faux, colonel. »
Young désigna le sas d'un mouvement de tête. « Restez bien devant les portes, sergent. »
Greer acquiesça et recula de plusieurs mètres. Young se radossa contre l'encadrement de porte en essayant de soulager sa jambe boiteuse.
« Où est Rush ? » s'enquit Volker en prenant place derrière la console principale. « On n'attend plus que lui. »
« Je suis là, Mr Volker » répondit Rush en franchissant le sas.
Il n'avait pas fait trois pas dans la salle que les lumières faiblissaient déjà. Le fauteuil s'activa dans un bourdonnement sinistre et les fers des accoudoirs s'ouvrirent en émettant un claquement audible.
Rush tressaillit comme si on l'avait frappé et passa une main sur son visage. Au même moment, Young et Greer s'avancèrent instinctivement pour le tirer en arrière, loin du fauteuil. Greer fourra littéralement Rush dans les bras de Young et se posta devant eux, pointant son arme sur l'interface. Le genoux de Young faillit céder sous leurs poids conjugués et le colonel s'appuya davantage contre le mur pour rester debout. Il rétablit son équilibre et celui de Rush en grinçant des dents.
Young empoignait toujours le sweat-shirt du scientifique. Il pouvait sentir son cœur battre la mesure dans un rythme endiablé.
Personne n'osait dire quoi que ce soit.
Au centre de la salle maintenant obscure, le fauteuil continuait de bourdonner. Attendant Rush.
