Gianna Mateosi était une très belle femme. Grande brune à la peau mate et aux yeux couleur émeraude, elle était dotée de courbes généreuses et d'une taille de guêpe. Ses longs cheveux bruns étaient toujours parfaitement coiffés et son teint mat faisait ressortir la beauté de ses yeux. Son mètre soixante quinze donnait à sa silhouette de longues jambes interminables. Sa peau avait le velouté d'une pêche et sa voix, toute la chaleur de l'Italie. Née d'une mère sicilienne et d'un père corse, elle avait hérité de sa mère fière et jalouse les formes et la chevelure tandis que ses yeux et sa taille lui venait de son père fier et susceptible. En revanche, elle n'avait rien pris de leur caractère : elle était froide et calme alors qu'ils avaient un tempérament de feu. La nature excessive de ses parents l'avait incitée à observer et analyser son entourage. Plus le temps passait et plus sa mère la jalousait. Certes, elle était fière de voir que SA fille était adulée mais elle se mordait les doigts en comprenant qu'elle avait mis au monde une rivale de taille qui la rendait terne et fade aux yeux des hommes. De femme, elle n'était plus que "Mama", ce qui la comblait de bonheur et la déprimait au plus haut point. Son père, quant à lui, sortait la carabine à chaque fois qu'un individu masculin regardait d'un peu trop près sa fille. Les disputes, les cris, les longues scènes de ménage, les visites au commissariat... Tout ceci avait été son quotidien jusqu'à ce qu'à seize ans, elle décide de fuir pour vivre sa propre vie.

Elle avait bien pleuré un peu, sur le chemin qui l'emmenait loin de la Mama qui devait verser un torrent de larmes en criant sur tous les toits qu'on lui avait enlevé la prunelle de ses yeux. Elle s'imaginait avec un sourire un peu triste son Papa, la carabine à la main, retenu par tous les voisins, hurlant qu'il ferait un massacre si on ne lui rendait pas sa fille. Elle n'avait laissé ni message, ni indices pour expliquer sa soudaine disparition. Elle avait simplement fini son petit déjeuner, fait la vaisselle, avait embrassé la Mama, le Papa et était partie comme tous les autres jours. Sauf que son sac ne contenait pas des livres scolaires mais un vêtement de rechange, quelques produits d'hygiène et tout son argent en espèces (c'est-à-dire 533 €). Au lieu d'aller à l'école, elle avait choisi de faire du stop, sachant que les hommes s'arrêteraient sans hésiter en voyant une telle beauté seule le long de la route. Dans sa poche, elle avait son spray au poivre et le couteau de son père. Ayant appris à se défendre, elle savait que son honneur serait sauf si l'un d'entre eux se révélait un peu trop audacieux. Lorsqu'un homme arrêta sa voiture à sa hauteur, elle lui demanda de l'emmener à Rome. Après un premier avertissement très efficace, les mains de l'homme restèrent bien sagement sur le volant tout le long du trajet. Rome était à deux heures de route de Naples, ce qui laissa du temps à Gianna pour réfléchir. Elle repensa à l'histoire de ses parents qui s'étaient rencontrés par hasard à Naples, lors de leur jeunesse. Ils s'étaient aimés et étaient restés à Naples, non pas parce qu'ils aimaient la ville mais parce qu'ils étaient aussi têtus l'un que l'autre. Sa mère voulait les emmener en Sicile alors que son père voulait qu'ils s'installent en Corse. Puisqu'aucun des deux ne céda, ils restèrent à Naples alors qu'ils détestaient cette ville. Gianna se promit qu'elle resterait libre. Selon elle, l'erreur de ses parents venait de leur tempérament. Elle qui était de nature calme et posée ne rencontrerait jamais une telle situation. De cela, elle en était certaine.

Une fois arrivée à Rome, elle remercia d'un sourire à l'homme qui l'avait emmenée et s'éloigna rapidement. Elle savait exactement ce qu'elle faisait. Tout était planifié. Elle se dirigea à la Pergola, un restaurant gastronomique et expliqua qu'elle était la nouvelle serveuse. Le service de midi n'allant pas tarder à commencer, on lui tendit l'uniforme, expliqua rapidement la carte puis on l'incita à déjeuner avant de se mettre à travailler. Vers 15h, elle quitta le restaurant pour se diriger vers la chambre qu'elle avait louée à distance. Le loyer était de 500€ par mois, charges comprises, soit la quasi totalité de ses économies. Heureusement, elle était nourrie au travail et elle recevrait sa paie avant le prochain loyer. L'uniforme étant fourni, elle devait le laver et le repasser mais un simple savon suffisait pour la lessive et la propriétaire mettait à disposition son fer à repasser. Elle resta à Rome jusqu'à ses vingt ans puis se dirigea vers Florence. Malheureusement, les loyers étant exorbitants, elle ne put habiter à Florence même. Elle chercha aux alentours, s'éloignant de plus en plus de la grande ville pour finalement s'établir à Volterra. Cette ville fut un coup de cœur pour elle, sans qu'elle comprenne vraiment pourquoi. C'était une toute petite commune d'une dizaine de milliers d'habitants, en haut d'un plateau. Il n'y avait pas grand chose à faire, ce qui expliquait les loyers très modérés. Elle se sentait en sécurité dans cette ville fortifiée où le taux de criminalité stagnait à zéro. Elle aurait pu s'ennuyer mais ses aller-retours Florence - Volterra étaient si longs que ses journées lui semblaient bien courtes. Lors de ses jours de repos, elle dormait afin de préserver son capital beauté.

Trois années passèrent ainsi. Lorsqu'elle eut 23 ans, Gianna commença à faire le point sur sa vie. Elle n'était toujours pas mariée et aucun bambino n'était prévu. Son quart de siècle approchant à grand pas, elle avait peur de finir vieille fille. Elle fit mentalement la liste des hommes qui lui avaient fait la cour et qui restaient dans la course. Le bilan fut rapide : aucun ! Elle avait toujours quelque chose à reprocher à chacun d'eux. Trop grand, trop petit, trop laid, trop pauvre... La fin de l'année approchant à grand pas, elle envisageait avec difficulté de commencer une nouvelle année en étant encore célibataire et sans perspective d'un avenir qui lui siérait. Elle décida de sortir, certaine que le prince charmant ne frapperait pas à la porte de son appartement. Nous étions le 23 décembre et il était déjà 22h30. Noël était proche et cela se ressentait dans l'air. Il faisait froid, le temps avoisinant les cinq degrés mais comme ils étaient en altitude, le ressenti était pire, surtout la nuit.

Son appartement était situé sur la grande place de la ville, face au Palazzio dei Priori. La commune était si petite qu'il était rapide d'en faire le tour. Le musée de la torture était fermé (et ne l'avait de toute façon jamais intéressée), tout comme les quelques magasins . Il restait donc le Teatro Romano, datant du premier siècle avant Jésus Christ et qui était en ruine ou le Palazzo dei Priori. Elle décida de commencer par les ruines, s'imaginant qu'elle rencontrerait peut-être là bas un bel homme à la recherche d'une compagne. De toute façon, le palais étant en face de son appartement, elle pouvait le faire en rentrant; enfin, en faire le tour car l'accès était interdit à cette heure-ci. Lorsqu'elle arriva à l'amphithéâtre, enfin, aux ruines, elle y trouva quelques couples qui échangeaient un peu plus que des baisers étant donné les sons qu'émettaient les femmes. Gianna grimaça de dégoût et s'éloigna. Elle n'était pas du genre à se donner en spectacle et couperait sans doute la gorge de celui qui oserait lui proposer de se donner en public. Elle se dirigea vers le Palazzo dei Priori et soupira. Volterra était une ville vraiment trop petite. Certes, les illuminations de Noël étaient jolies mais ce n'était pas cela qui lui donnerait un mari et des bambini. Elle fit le tour du palais, plusieurs fois. Elle ne parvenait pas à se résigner à rentrer alors qu'elle était sortie il y a trente minutes à peine. Alors qu'elle entamait un quatrième tour du château, une main puissante l'attrapa à l'épaule et, instinctivement, elle sortit son couteau tout en se retournant prestement. Un sifflement admiratif sortit de la bouche de l'inconnu, qui lâcha sa prise. Gianna recula d'un pas pour l'examiner. C'était un très bel homme mais il était vraiment très grand. Elle était certaine qu'il faisait plus de deux mètres. Et il était très musclé. Un peu trop à son goût. En fait, il n'était pas du tout son style. En revanche, elle semblait beaucoup lui plaire vu le grand sourire qu'il lui adressait et ses yeux qui ne voulaient plus la quitter.

- Scusi signore. Que voulez-vous ? demanda-t-elle poliment, en rangeant son couteau

- Tu es du coin ? répondit-il

- Oui, pourquoi ? répliqua-t-elle en serrant à nouveau son couteau

- Dommage... fut tout ce qu'il dit avant de disparaître dans la noirceur de la nuit

Cette rencontre laissa Gianna un peu stupéfaite. Elle ne comprenait pas pourquoi le fait qu'elle soit de Volterra puisse être dommage mais étrangement, elle sentait que c'était le début pour elle d'un nouveau tournant dans sa vie.