Retour aux Caraïbes

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Rating : T

Avertissement : cette histoire fait suite à une de mes fanfictions précédentes, Le Pays des Trésors Perdus. Il est préférable de l'avoir lue avant celle-ci. Retour aux Caraïbes se déroule huit ans après les principaux événements, et donc deux ans après l'épilogue.

Chapitre 1

Bal chez Lord Howard

Le lieutenant William Cooper se détourna de la fenêtre de la voiture avec un geste agacé de la tête.

« La file n'avance absolument pas, et pour tout arranger, deux cochers ont l'air d'en être venus aux mains deux mètres plus loin. Cela ne va pas accélérer les choses. »

L'homme assis en face de lui tapa machinalement le plancher de sa canne.

« Nous aurons de la chance si nous arrivons chez Lord Howard avant demain matin. Nous allons rater le bal.

– Oh, ils n'oseront pas commencer sans l'invité d'honneur, » dit en souriant Willy Cooper.

L'amiral Norrington émit un bruit de dérision.

« Je m'en serais bien passé, mais j'imagine que je ne reverrais pas Londres de sitôt, autant qu'ils en profitent. Ce serait presque supportable s'il n'y avait pas la chaleur, la foule, le bruit, et…

– Toutes ces jeunes et moins jeunes filles à marier, » compléta malicieusement Willy.

Norrington leva les yeux au ciel :

« On aurait pu penser qu'à cinquante ans passé et presque infirme, je les ferais y regarder à deux fois, mais il faut croire que non. J'imagine que c'est ce qui arrive quand on est riche et avec un pied dans la tombe. »

L'amiral pianota distraitement sur sa mauvaise jambe, blessée quelques années auparavant et qui n'avait jamais complètement guérie.

« Vous n'avez pas un pied dans la tombe, monsieur, le contredit vivement Willy. En tout cas, pas plus que la plupart des amiraux envoyés aux Indes occidentales pour mettre fin à la piraterie. Cela étant, je préférerais tout de même aider le capitaine Gillette à approvisionner le Tempest qu'être coincé ici.

– Et cela veut dire beaucoup.

– Je ne le déteste pas vraiment, monsieur, et je suis ravi d'avoir été nommé sur le Tempest, seulement…

– Inutile de vous justifier, William. Je connais Gillette mieux que personne et je sais l'effet qu'il lui arrive de faire. »

Willy se replongea à nouveau dans le spectacle de la circulation chaotique, et ses pensées commencèrent à vagabonder. Difficile de croire que moins de dix ans auparavant, il n'était qu'un petit orphelin (du moins le croyait-il) élevé à la dure dans un pensionnat de Cornouailles. Depuis ce jour où le peu amène Andrew Gillette était venu le chercher, sa vie avait connu bien des chamboulements ! La découverte de l'existence de ses véritables parents, William et Elizabeth Turner, membres de l'équipage à la jeunesse éternelle du Black Pearl, sa rencontre avec ceux-ci et l'excentrique capitaine Sparrow… Et pour finir, son engagement dans la Royal Navy avec l'appui de son tuteur, James Norrington. Nommé depuis peu sur le vaisseau amiral de sa flotte, le Tempest, il aiderait à traquer la nouvelle menace pirate qui venait d'émerger aux larges des Caraïbes. Mais avant cela, il faudrait supporter les dernières cérémonies et réceptions d'usage.

« Ah, on dirait que ça avance, dit-il enfin. Avec de la chance, nous aurons parcouru les cent derniers mètres en moins de deux heures. »

Willy et son tuteur n'étaient pas les seuls que la perspective d'un bal ne réjouissait pas. En temps normal, Miss Daisy Longford adorait les bals. À dix-huit ans, il lui semblait qu'elle ne s'en lasserait jamais et celui-ci serait son dernier dans la capitale avant qu'elle et sa famille n'aillent rejoindre leur père à Port-Royal. Mais en début d'après-midi, alors qu'elle essayait sa nouvelle robe, il avait fallu que sa mère gâche tout.

« Tu es absolument superbe, avait claironné Mrs Longford en pénétrant dans sa chambre. Vraiment superbe. L'amiral sera forcément conquis !

– L'amiral ? avait répondu Daisy, un sourcil levé, se détournant de son miroir.

– L'amiral Norrington, bien sûr ! Je sais bien que tu ne te tiens guère au courant de ce qui se passe dans le monde extérieur – et je ne t'en tiens pas rigueur, c'est exactement ce qu'on attend d'une jeune fille comme il faut – mais tu as forcément entendu parler de lui. Toutes ces victoires pour l'honneur de la Couronne. Toutes ces parts de prises pour sa fortune personnelle, et sa fortune familiale était déjà considérable… »

Daisy soupira. Elle comprenait tout de suite mieux. Il était question d'un homme et il était question d'argent. Le mot mariage allait bientôt faire son apparition dans la conversation.

« Tu comprends à quel point une alliance serait profitable pour toi… Et ta famille, naturellement. »

Le mot mariage ou un équivalent, alliance, en l'occurrence.

« Très bien, Mère, mais tout de même. S'il est arrivé au poste d'amiral il doit être… assez vieux ? »

Mrs Longford balaya cet argument d'un geste de la main.

« D'âge mûr, certes, mais tu n'as pas à t'en inquiéter, il a encore fière allure. Et il a toujours été célibataire, pas d'enfants d'un précédent mariage avec qui il faudra s'accorder. Il a bien un genre de pupille, mais rien de bien important. En tout cas, pas si tu l'épouses et que tu lui donnes un héritier mâle. »

Sa fille fronça les sourcils. Le bal, qui promettait quelques minutes auparavant d'être une soirée de frivolités, s'annonçait soudain beaucoup moins amusant. Elle allait devoir parader devant un vieil officier et tous les jeunes hommes plus intéressants danseraient avec ses soi-disant amies.

« Et si un si beau parti est encore célibataire à son âge, comment pensez-vous que je pourrais avoir plus de chance que les autres ? On pourrait penser qu'il n'est tout simplement pas séduit par l'état matrimonial. »

Mrs Longford eut l'air absolument ravi.

« Tu as un avantage considérable. Tu penses bien qu'un parti aussi enviable est le centre des discussions depuis bien des années. J'en ai parlé avec des amies, et j'ai appris quelque chose de très intéressant. Vois-tu, j'ai entendu dire que bien des années auparavant, l'état matrimonial ne lui déplaisait absolument pas. Du temps où il était en poste aux Caraïbes, il est tombé amoureux fou de la fille du gouverneur d'alors, une certaine Elizabeth Swann. La péronnelle l'a dédaigné pour un roturier quelconque, l'important n'est pas là. L'amiral Norrington en a été bouleversé, et on dit qu'il a juré alors qu'il ne se marierait jamais.

– Nous nageons en plein mélodrame, persifla Daisy. Quoiqu'il en soit, cette tragédie n'arrange pas vraiment vos projets.

– Au contraire ! Ne sois pas sotte et écoute la suite. Tu t'imagines tout savoir, mais j'ai pu trouver un vieux portrait de cette Elizabeth. Regarde ! »

Daisy examina la miniature que lui tendait sa mère. Une jeune fille de son âge, au visage carré et aux cheveux châtain clair lui faisait face. Elle était plutôt jolie, bien qu'un peu maigre.

« La ressemblance est frappante !

– La ressemblance avec qui ?

– Avec toi, petite dinde ! Vous avez exactement les mêmes yeux ! Et la bouche, vous avez…

– Les mêmes grandes dents ?

– Le même sourire. »

C'en fut trop :

« Mère, elle ne sourit même pas sur ce portrait ! »

Mais Mrs Longford ne l'écoutait déjà plus.

« Quand il te verra, il sera forcément bouleversé, et si vœux de célibat il y a eu, il les oubliera bien vite. Mais tu dois y mettre du tien ! Pense donc, nous partons bientôt pour Port-Royal et lui également ! Voilà encore un avantage que cette pimbêche de Mrs Bertram et son laideron de fille n'ont pas ! »

Sa mère avait fini par partir, cancanant toujours sur les mérites de l'amiral, sa fortune, et le signe du destin qui lui avait accordé à elle, Mrs Longford, le sosie parfait de cette Elizabeth Swann de triste mémoire pour l'attirer.

Le frère aîné de Daisy avait fait son apparition peu après, et ne lui avait pas vraiment remonté le moral.

Charles Longford, un charmant jeune homme de vingt-trois ans, était entré dans sa chambre, un petit sourire en coin sur le visage.

« Mère t'a parlé de ses fabuleux projets matrimoniaux, je crois ? avait-t-il lancé d'un ton léger.

– Charles, déjà debout ? Il n'est que trois heures de l'après-midi ! avait rétorqué sa sœur d'un ton faussement admiratif.

– Un exploit, en effet ! Mais n'élude pas la question. »

Il se laissa tomber dans un fauteuil, contemplant sa sœur avec amusement.

« Oui, elle m'en a parlé. Et toi, puisque tu fréquentes le beau monde… Et le moins beau, petit pilier de cabaret, dis-moi ce que tu sais de cet amiral. »

Charles se caressa le menton, pensif.

« Ah, même pour une langue de vipère comme moi, il est difficile de trouver quelque chose à dire sur cette perle de la nation. L'amiral est de très bonne famille, l'amiral est riche, l'amiral est courageux, l'amiral a des manières exquises, l'amiral est parait-il encore bel homme malgré plus d'un demi-siècle d'existence…

– Tant que cela ?

– Ah, il est tout de même plus jeune que Père.

– Vraiment ? Quel privilège, mon mari sera plus jeune que mon père !

– Ne fais pas ta mauvaise tête, toutes n'ont pas cette chance. Revenons aux choses sérieuses, le bon vieux Norrington est ennuyeusement convenable. Tu pourrais même t'estimer très chanceuse s'il s'avérait vraiment intéressé. À moins que… »

Daisy plissa les yeux, intéressée :

« À moins que… »

Son frère lui lança un regard malicieux :

« Ce ne sont que de vilaines rumeurs, et elles ne sont pas destinées à tes chastes oreilles… Non, ne t'emballe pas, je vais te raconter ce que j'ai entendu dire. Mais attention, loin de moi l'idée de faire passer ces racontars pour la vérité. Je détesterais calomnier mon prochain, surtout un pareil héros.

« Bien, première rumeur : Norrington a un pupille, un certain William Cooper. On ne sait pas grand-chose du garçon, qu'on dit avoir été recueilli dans un orphelinat. Ce Cooper a à présent une vingtaine d'années et est lieutenant dans la Navy. D'après certains, ce serait le fils d'Elizabeth Swann, Mère a dû te parler d'elle. Bref, il lui ressemble assez, à ce qu'on dit, et naturellement, on soupçonne Norrington d'être le père, et on suppose qu'il en a fait son héritier.

– S'il s'est trouvé un héritier, peu importe d'où il le sort, il sera encore moins intéressé par un mariage », l'interrompit Daisy avec espoir.

Son frère haussa les épaules :

« On ne sait jamais ce à quoi sont prêts ces vieux croûtons lorsqu'ils sentent l'approche de la mort. Un fils légitime, c'est toujours mieux qu'un bâtard. Seconde rumeur, encore plus croustillante… »

Charles s'interrompit un instant avec un sourire ravi avant de se lancer :

« L'amiral est ami de longue date avec un autre officier de marine, un certain Gillette. Un petit rien du tout à moitié irlandais, mais ils se connaissent depuis qu'ils sont aspirants, et Norrington l'a fait capitaine de pavillon quand lui-même est devenu amiral. Gillette est toujours fourré à Norrington Hall quand il n'est pas en service. En clair, il passe sa vie avec Norrington, et on raconte qu'il est outrageusement familier avec lui. De là à supposer…

– Supposer quoi ?

– Oh, ne fais pas l'innocente ! Ce que l'on dit ici et là, c'est que ce brave Norrington est peut-être fidèle en amour et ne s'est jamais marié pour cette raison, mais que ce n'est pas Elizabeth Swann qui en est l'objet.

– Tu voudrais dire que… Oh, mais c'est vraiment de plus en plus formidable, » grogna Daisy.

Le sourire de Charles s'élargit.

À présent, coincée entre sa mère et la famille Bertram dans la Grande Salle de bal de l'hôtel particulier de Lord Howard, Daisy s'éventait avec acharnement. Charles était parti chercher des rafraîchissements, mais sa sœur savait qu'il ne reviendrait pas de sitôt affronter les œillades de Miss Bertram.

Un mouvement de foule se produisit quand le valet de pied annonça enfin l'amiral Norrington et le lieutenant Cooper. Mrs Longford saisit sa fille par le bras et se fraya un chemin à coups d'éventail dans la cohue.

Enfin, elles virent lord Howard accueillir les deux officiers de marine. Daisy détailla Norrington d'un œil critique. Bon, en effet, pour son âge, il n'était pas trop répugnant. Il se tenait très droit et ne s'était pas laissé aller à l'embonpoint comme tant d'autres. Néanmoins, il n'avait pas l'air très vaillant et boitait bas. Au moins n'avait-il pas l'air d'un vieux pervers, mais on ne savait jamais. Le lieutenant Cooper, à ses côtés, était nettement plus attirant, avec son visage honnête et souriant et ses larges épaules. La jeune fille fut tirée de son examen par lord Howard.

« Permettez-moi de vous présenter Mrs Longford et sa fille, Miss Daisy Longford. »

L'amiral la salua avec une politesse irréprochable, tout comme il salua avec une politesse irréprochable toutes les personnes qui lui passèrent sous le nez dans la demi-heure qui suivit.

« Oh, quel charmant menuet ! s'exclama lourdement Mrs Longford. N'est-ce pas, amiral ?

– Je crois qu'il s'agit plutôt d'une bourrée.

– Quelle importance ! La danse est vraiment une chose merveilleuse, n'est-ce pas ?

– Tout à fait, et je regrette bien de ne plus pouvoir la pratiquer, » répondit l'amiral en s'appuyant ostensiblement sur sa jambe valide.

Avec un petit sourire, Willy invita Daisy à danser et ils disparurent dans la foule, laissant une Mrs Longford dépitée mais nullement découragée faire la conversation à l'amiral.

« Ne trouvez-vous pas que Miss Longford ressemble étonnamment à la fille du défunt Weatherby Swann ? J'ai eu l'occasion de contempler un portrait d'elle et les similitudes m'ont immédiatement frappée.

– Je ne trouve pas la ressemblance flagrante, » répondit simplement Norrington, les sourcils légèrement froncés.

Il s'éloigna quelques minutes plus tard, un de ses amis ayant attiré son attention.

En fin de compte, ce bal était une réussite, décida Daisy. L'amiral ne s'intéressait absolument pas à elle, au contraire de son séduisant pupille dont la conversation était pour l'instant aussi charmante que le visage. Après avoir dansé, ils se retirèrent sur un balcon, cherchant un peu d'air frais.

« Ce mois d'août est particulièrement étouffant, ne trouvez-vous pas.

– Autant s'y habituer, si vous vous installez à Port-Royal, répondit en souriant le jeune homme. Voulez-vous que j'aille vous chercher des rafraîchissements ? »

Daisy acquiesça et Willy se plongea à nouveau vaillamment dans l'afflux des invités. Il avait à peine repéré un valet portant un plateau qu'un groupe d'hommes de son âge le bouscula.

« Faîtes donc attention ! » lança l'un des jeunes hommes.

Très élégant, il était aussi très éméché. Willy haussa les épaules et se détourna, quand le jeune homme l'attrapa par la manche.

« Je vous reconnais, vous êtes le bâtard de l'amiral. »

Willy le dévisagea froidement.

« Calme-toi, Charles, » fit l'un de ses amis.

Mais Charles de n'écouta pas :

« Tout le monde se pose tellement de questions, Cooper, vous pouvez bien y répondre ! En admettant que vous le sachiez vous-même. Alors, êtes-vous le bâtard de l'amiral ou celui d'Elizabeth Swann ? Des deux ? Est-ce vrai que Norrington et son ami le capitaine sont… »

La gifle que lui colla Willy le fit taire.

« Si vous n'étiez pas aussi ivre, je vous provoquerais en duel immédiatement, siffla le lieutenant. Mais je mettrai votre grossièreté sur le compte de l'excès de boisson, et je suis certain qu'une fois sobre vous serez le premier désolé de vos paroles. Sinon, vous saurez bien me retrouver pour obtenir des réponses à vos questions, monsieur…

– Longford, Charles Longford, » répondit le jeune homme, qui avait blêmi.

Willy le salua sèchement et tourna les talons. Agacé par l'interruption, il avait complètement oublié la requête de Daisy. Quand il s'en souvint, celle-ci avait quitté son poste sur le balcon et il ne parvint pas à la retrouver. Peut-être avait-elle quitté la fête avec son intarissable mère et son frère inconséquent.

« Finalement, la soirée a été plutôt agréable, » conclut Norrington un peu plus tard, alors qu'ils remontaient en voiture pour affronter de nouveaux embouteillages.

Willy hocha distraitement la tête, ses pensées ailleurs. Les insinuations de Charles Longford étaient-elles de simples divagations d'ivrognes, ou tout le monde se posait-il vraiment ces questions à son sujet ? Ce n'était pas la première fois qu'il entendait murmurer qu'il était le fils naturel de l'amiral et cela ne l'avait jamais dérangé. Mais dans la bouche de Longford, tout avait paru bien plus désagréable.

Le jeune homme chassa ces réflexions sinistres. Il aurait bientôt mieux à faire que de s'inquiéter des ragots de salons londoniens.

À suivre.

Rassurez-vous, après ce premier chapitre, l'intrigue ne tournera plus trop autour des mariages et des ronds de jambes, on en viendra aux pirates et nos vieux amis Jack, Will et compagnie feront leur retour, mais il faut bien réintroduire les personnages petit à petit et présenter les nouveaux !